Émission Libre à vous ! diffusée mardi 2 juillet 2024 sur radio Cause Commune

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Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 2 juillet 2024 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Luk - Corinne Migeon - Grégory Gutierez - Vincent Calame - Étienne Gonnu - Julie Chaumard à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 2 juillet 2024

Durée : 1 h 30 min

Podcast PROVISOIRE

Page de présentation de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Malakoff et le logiciel libre, d’une veille active et opérationnelle au Big Bang des outils collaboratifs, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme « Dark pattern » et « La cause du peuple ».

Soyez les bienvenu·es pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter.
N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 2 juillet, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, Julie Chaumard. Salut Julie.

Julie Chaumard : Bonjour Étienne. Bonjour à tous.

Étienne Gonnu : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « La pituite de Luk » – « Dark pattern »

Étienne Gonnu : Nous allons commencer par une pituite de Luk, chronique rafraîchissante au bon goût exemplaire qui éveille l’esprit et développe la libido.
Aujourd’hui, la rediffusion de la chronique du 28 mai, « Dark pattern ». On se retrouve dans quatre minutes en direct sur Cause Commune, la voix des possibles.

[Virgule sonore]

https://www.librealire.org/emission-libre-a-vous-diffusee-mardi-28-mai-2024-sur-radio-cause-commune#Chronique-lt-lt-La-pituite-de-Luk-lt-lt-Dark-pattern-nbsp

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : De retour dans Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques. C’était la pituite de Luk sur le thème des dark patterns, une chronique enregistrée le 28 mai 2024.
Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous parlerons de l’histoire du logiciel libre à Malakoff. Avant cela nous allons écouter Fascist par Momma Swift. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Fascist par Momma Swift.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Fascist par Momma Swift, disponible sous licence Creative Commons Attribution, CC By.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Passons maintenant à notre sujet suivant.

[Virgule musicale]

La mairie de Malakoff, de la longue veille active et opérationnelle sur les logiciels libres dans les services publics (outils éditeurs, applications métier) au Big Bang des outils collaboratifs

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur l’histoire du logiciel libre à Malakoff avec Corinne Migeon, DSI de la ville, et Grégory Gutierez, conseiller municipal délégué « Numérique et Citoyenneté ».
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton de « chat ».
Corinne, Grégory, merci de vous être joints à nous. Vous êtes venus au studio, c’est donc vraiment un plaisir de vous recevoir. Nous avons longuement échangé en amont de cette émission pour préparer, je pense qu’on va faire une très belle émission, en tout cas, je pense que ça plaira à nos auditeurs et auditrices.
Je vais vous proposer de commencer de manière, somme toute, très classique, par une présentation rapide de l’un et de l’une. Corinne.

Corinne Migeon : Bonjour à tous. Merci de nous avoir invités.
Je suis Corinne Migeon, je suis directrice des systèmes d’information et du numérique à la mairie de Malakoff, depuis très longtemps déjà puisque je suis arrivée à la mairie de Malakoff en 1987 et je vais la quitter définitivement au cours de cet été. Un parcours qui est un parcours de service public, par choix, et un parcours dans l’informatique par choix aussi, en ayant parcouru un peu ces 30 dernières années de l’informatique mainframe du personal computer et à tous les outils qu’on a vu fleurir et dont on a besoin pour le développement des services publics, notamment post-décentralisation avec l’explosion des besoins des collectivités territoriales pour pouvoir rendre le service de la meilleure manière pour les citoyens.

Étienne Gonnu : Je précise que mainframe c’est plutôt ce qui va être côté serveur et personal computer, les PC, les ordinateurs. C’est vrai que c’est rare d’avoir quelqu’un comme vous qui va pouvoir nous proposer un regard, une perspective de long terme, on va dire, sur les évolutions, sur les questions qui ont traversé ces dernières décennies. Je pense que ce sera donc très intéressant de vous écouter. Je ne vais pas rentrer dans les détails de certaines choses que vous avez évoquées.
À côté de vous Grégory Gutierez.

Grégory Gutierez : Bonjour. Grégory Gutierez, j’ai 49 ans, je suis conseiller municipal dans la majorité à Malakoff dans les Hauts-de-Seine, c’est la première fois que j’ai un mandat électif et je suis un vieux geek, donc, j’essaye d’allier les deux la politique et l’informatique, je pense que l’informatique est aussi une question politique.

Étienne Gonnu : On est évidemment d’accord à l’April. Moi-même, je ne suis pas informaticien et j’en suis persuadé. On fait du logiciel libre parce que c’est justement un sujet politique. Juste après, on va parler un peu plus en détail de votre parcours qui est intéressant et qui, je pense, va aussi éclairer nos échanges.
Enfin, avant de rentrer dans le vif du sujet, on va dire, peut-être pourriez-vous présenter un peu Malakoff que ce soit en termes de démographie, d’histoire politique ? On sait que c’est ce qu’on appelle une « ville rouge », entre guillemets, qui a une histoire politique connue de ce point de vue-là. La démographie, combien d’ordinateurs au sein de la DSI ?, qu’on ait un peu une idée.

Corinne Migeon : OK. Je commence Grégory.
Malakoff est une ville de la petite couronne parisienne, 30 000 habitants, c’est une ville de tradition ouvrière, qui a une représentation à gauche et l’Union de la gauche aujourd’hui, avec les composantes de la gauche. C’est une ville qui, dès l’après-guerre, s’est beaucoup marquée sur le développement des services publics, notamment avec deux grands axes, qui perdurent encore aujourd’hui, autour de l’éducation et autour de la santé. Par exemple, on a un très gros centre municipal de santé avec énormément de spécialités, un service d’imagerie médicale, donc, des services qui n’existent pas partout, que ce soit en région parisienne ou, évidemment, en région. Donc des services publics assez développés, la plupart en régie directe, pareil avec un choix de garder la régie directe le maximum possible.
Et puis, plutôt côté numérique et informatique, on a à peu près entre 6 et 700 postes, ça dépend si j’intègre dedans les écoles ou pas. On a 15 écoles, 7 maternelles, 6 élémentaires et 2 collèges.

Étienne Gonnu : On rappelle que les municipalités ont la charge des écoles.

Corinne Migeon : Tout à fait, y compris de l’informatique. L’Éducation nationale n’investit pas dans l’informatique, elle investit dans la pédagogie, mais pas dans les moyens, donc les collectivités de la strate des mairies, financent les bâtiments mais aussi le matériel. Donc, dans ce cadre-là, il y a effectivement eu, au départ, le plan informatique pour tous fin des années 80 et, ensuite, l’informatisation de l’aspect administratif puis pédagogique dans les écoles. Chaque mairie a eu son propre plan de développement dans le cadre de la liberté de chaque territoire, donc, les services municipaux sont informatisés avec des applications métiers qui correspondent sur le côté vertical à, on va dire, une quarantaine de métiers différents, de besoins fonctionnels différents. Une mairie ce n’est pas simplement un logiciel de facturation, un logiciel RH, un logiciel de finance. Une mairie ce sont des espaces verts, ce sont des ateliers municipaux ; pour nous, c’est un centre de santé donc d’informatique médicale, c’est de l’administratif, c’est de l’état civil, ce sont des affaires sociales. On a donc un panel d’usagers, de citoyens, donc de besoins à couvrir, donc, derrière, il faut donner les outils et les moyens qui correspondent aux besoins pour les services, pour pouvoir instruire la demande de l’usager et le service rendu.

Étienne Gonnu : Parfait. Vous avez déjà devancé la question suivante qui est de décrire un peu ce qu’est une DSI, etc. En fait, vous venez de nous préciser, en quelques mots, ce que c’est.

Corinne Migeon : Le périmètre, en tout cas le périmètre de Malakoff, de ma DSI, de ma Direction des systèmes d’information, c’est à la fois informatiser les services municipaux, c’est-à-dire avoir des grands choix stratégiques d’informatisation métiers, mais aussi, évidemment, transverses, des outils de collaboration, on aura l’occasion d’y revenir, mais aussi tout ce qui est autour des écoles dans le cadre de l’informatique administrative et pédagogique des écoles ; un autre axe de ma direction, en tout cas propre à Malakoff, que j’ai porté avec ma collègue de la Direction de la vie sociale et des quartiers, c’est aussi l’inclusion numérique, quelque chose auquel je suis particulièrement attachée.

Étienne Gonnu : On prendra le temps de développer en fin d’émission, après avoir parlé de l’histoire du logiciel libre à Malakoff. On avait convenu d’en parler parce que je trouve que c’est un sujet effectivement très important.
Grégory, est-ce que vous souhaitiez rajouter quelque chose ?

Grégory Gutierez : On peut dire que Malakoff est une des rares villes encore à gauche dans les Hauts-de-Seine, un territoire où beaucoup de municipalités sont plutôt à droite, c’est donc une des dernières villes qui tient encore de ce côté-là. C’est donc aussi, par exemple, un lieu d’expérimentation sociale, sociétale, où l’ESS, l’Économie sociale et solidaire, est très présente. On est donc dans un écosystème assez particulier à Malakoff, au sein des Hauts-de-Seine.

Étienne Gonnu : Entendu. C’est vrai que le logiciel libre n’est pas un sujet que des partis de gauche, mais traditionnellement, historiquement, ce sont plutôt plus souvent des municipalités à gauche qui ont eu tendance à porter le logiciel libre, donc ce n’est pas non plus complètement anodin que ce soit aussi le cas à Malakoff. Peut-être que vous l’avez dit, quelle est la population de Malakoff ?

Grégory Gutierez : Trente mille habitants sur deux kilomètres carrés de superficie.

Étienne Gonnu : D’accord, donc très haute densité humaine.
On va revenir vers vous, Corinne, on reviendra ensuite vers Grégory, vous qui avez été élu en 2020, en plus, on se souvient, dans le contexte du Covid. Avant cela on va rester avec Corinne. Vous avez dit que vous êtes arrivée en 1987. En plus, vous m’avez expliqué que quand vous êtes arrivée vous avez plus ou moins, même complètement, mis en place la direction des systèmes d’information. Je trouve intéressant, dans cette partie, de parler de la façon dont on envisage cela, comment on envisage ce métier. Alors 1987, ce n’est pas exactement le même contexte technologique, l’informatique est quand même déjà assez présente. D’ailleurs je précise que le mouvement du logiciel libre a commencé autour de 1984, quand les premiers fondements ont été réfléchis et posés, notamment par monsieur Richard Stallman aux États-Unis, pour situer cette période.
Vous arrivez à Malakoff en 1987 et votre tâche est donc de monter une DSI.

Corinne Migeon : Une de mes tâches au début, parce que c’était le tout début, dans les collectivités territoriales, qu’on parlait de l’informatique. En gros, les missions qui étaient gérées par des gros systèmes à l’époque, c’étaient la gestion du fichier électoral, la gestion de la paye et la gestion des finances. En fait, il y avait un mini système avec un terminal à la paye, un terminal aux élections et terminal aux finances ; quand je dis un terminal, ce sont un ou deux terminaux, ce n’est pas le nombre qui est important. En fait, ce sont ces fonctions-là qui étaient informatisées. Il faut se remettre dans l’histoire : les mairies n’avaient pas autant de compétences qu’elles n’en ont eu après les lois de décentralisation.
je finis mes études, je rentre dans la fonction publique par choix, fonction publique territoriale et j’arrive dans un contexte au moment de la mise en œuvre des lois de décentralisation qui donnent des compétences larges aux collectivités territoriales et, particulièrement, aux mairies. Donc, au travers de ces nouvelles compétences développement des services publics, du coup, qui dit développement des services, dit, derrière, développement des outils pour pouvoir rendre le service.
C’est le début de l’informatique personnelle, l’informatique qui sort des gros systèmes. J’achète les premiers personal computers pour pouvoir commencer à faire de la bureautique. Il n’y a pas encore d’accès à Internet, tout cela n’existe pas encore, en tout cas pas d’accès à Internet démocratisé et accessible financièrement.

Étienne Gonnu : D’ailleurs, nous sommes aussi au tout début du Web.

Corinne Migeon : Au tout début du Web. On fait un choix un peu stratégique : mettre en place, pas à pas, l’informatique orientée métier et en travaillant, d’entrée de jeu, sur ce qui va me guider tout au long de ma carrière : quels besoins j’ai, quels usages et en face je vais regarder quels sont les outils qui correspondent pour rendre correctement le service, tout en ayant en tête la structuration des données, le respect des données, la protection des données et puis en essayant de faire assez vite des ponts entre la possibilité d’interagir avec les outils le plus possible.

Étienne Gonnu : Donc une approche, une réflexion dès le départ basée sur les besoins, sur les usages, partant de là. Souvent, quand on parle avec des personnes qui font du logiciel libre, cette vigilance et cette nécessité de point de départ est souvent présente, d’ailleurs, elle se pose aussi dans le contexte d’une conception plus responsable, plus durable de l’informatique ; ces questions sont vraiment centrales.
Lorsqu’on a préparé l’émission, vous m’avez aussi dit très rapidement que votre approche a été de toujours garder un œil sur les alternatives.

Corinne Migeon : C’est ça. C’est-à-dire que quand on traverse toute cette époque de foisonnement de solutions techniques, de foisonnement technologique qu’on a connu ces 30 dernières années, je me suis toujours posée avec des moments d’œil extérieur pour regarder ce qui se passe et me dire, me réinterroger – y compris dans ma pratique managériale – toujours en regardant ce qui se passe, prendre un peu de hauteur, faire l’analyse, le bilan, me demander : « Est-ce que ce que j’ai mis en place correspond aux besoins ? Du coup qu’y a-t-il comme autres outils autour qui pourraient nous permettre de rendre mieux le service ? » ; toujours la question économique au cœur parce que Malakoff n’est pas une ville riche, du coup question des besoins, question économique et question éthique. Dans ma pratique professionnelle, tous les volets de ma pratique professionnelle, ma manière d’aborder les sujets a toujours été de poser la question éthique, en permanence. C’est-à-dire que je fais toujours une pondération entre ce que je suis obligée de faire en termes d’outils à mettre en place et ce que j’aimerais faire pour rendre le service plus facile pour l’utilisateur et aussi pour l’usager.

Étienne Gonnu : Très bien. Très clair.
On avance un peu dans le temps. Vous m’avez dit que vers 2010 et à nouveau en 2014, sur un autre sujet mais qui me semble très lié, s’est posée la question de la dématérialisation. C’était une période où la question était à la mode non seulement politiquement, mais l’envisager avait aussi un sens, donc cette question la dématérialisation interne. En 2014, vous y parlez aussi du cartable numérique des élus, je pense que ça participe de la même trajectoire. Pouvez-vous nous reparler un petit peu, expliquer cette notion de dématérialisation aux personnes qui ne sont pas familières, même si je pense qu’elle est assez connue maintenant, mais ça ne fait jamais de mal de reposer des définitions. Nous parler, peut-être, des questions vous avez dû vous poser à ce moment-là.

Corinne Migeon : Pour moi, c’est une époque charnière. Dans les années 90/2000/2005, on est dans l’explosion des besoins des collectivités territoriales, les nouveaux services qu’on rend à la population, etc., donc on est dans une logique métier, on est dans une période où les éditeurs développent des produits spécifiques aux collectivités territoriales parce qu’on a des besoins spécifiques ; on est dans cette informatisation verticale métiers et assez peu d’outils collaboratifs, assez peu d’outils transverses. J’enlève la messagerie, je la mets de côté, elle commence autour des années 2000 à vraiment se développer. Donc, dans la collaboration horizontale, ce n’était que la messagerie. Au début, les accès internet au début c’est un point d’accès par service ou par direction. Tout ça monte petit à petit.
Je vois un point charnière important dans les années 2010 : les services de l’État commencent aussi à être bien informatisés ; vous savez que les collectivités territoriales ont des relations importantes avec les services de l’État soit côté finances, soit côté préfecture, évidemment. Au travers de ça, il y a le besoin de dématérialiser les flux. Au travers de la dématérialisation des flux, la réflexion c’est d’abord sur la dématérialisation des flux internes et comment on va dématérialiser vers l’extérieur.
Dans la réflexion, je me dis que ce sujet-là est transverse, je ne peux pas l’attraper de manière verticale et avoir des choix qui me sont imposés par la partie éditeur métiers ; il y a des sujets sur lesquels on n’a pas le choix. Je me dis que ce sont des sujets transverses, il faut que je regarde vraiment les solutions qu’il y a sur le marché et, surtout, comme j’ai toutes mes briques verticales, qui sont différentes, qui sont globalement construites avec les mêmes outils parce que c’est une époque – grosses bases de données, même système d’exploitation, etc. –, mais qui sont issues, quand même, d’environnements différents, je me dis qu’il faut, d’entrée de jeu, que je travaille sur l’interopérabilité parce qu’il va falloir que je fasse communiquer toutes ces briques. Du coup, à partir du moment où se pose la question de l’interopérabilité, assez vite on fait le choix de regarder ce qui existe en dehors des systèmes propriétaires.

Étienne Gonnu : C’est vrai que quand on défend le logiciel libre, cette question de l’interopérabilité nous est chère, notamment celle des formats ouverts qui sont des garanties structurelles d’interopérabilité, mais ce n’est pas forcément une notion qui est simple à appréhender, notamment pour les personnes moins familières, est-ce que vous pourriez peut-être essayer de la définir ?

Corinne Migeon : L’interopérabilité, c’est la manière de faire communiquer des systèmes d’information avec des outils développés dans des langages différents ou dans des systèmes d’exploitation différents ou dans des univers différents.

Étienne Gonnu : Très clair et à distinguer de la compatibilité ; là, c’est vraiment l’ouverture et la connaissance des spécifications techniques qui permettent d’assurer ce dialogue.
Grégory, en préparant l’émission, j’ai bien compris à quel point ce sujet vous était cher d’un point de vue politique et je crois que vous auriez peut-être aimé partager votre grille de lecture sur cette question d’interopérabilité.

Grégory Gutierez : Cette question d’interopérabilité, d’un point de vue technique d’une mairie, est super intéressante, d’un point de vue professionnel et d’un point d’utilisation du Net et du numérique en général.
Le pendant plus grand public, c’est la question, me semble-t-il, de la distinction à faire entre les données personnelles qu’on génère en utilisant les logiciels et les logiciels qu’on utilise pour générer ces données ou pour les retravailler. C’est quelque chose qui était à peu près évident au début de l’informatique pour tous et de l’arrivée d’Internet, etc., et qui ne l’est plus du tout aujourd’hui, parce qu’on a des entreprises privées, à but lucratif, qui font leur beurre financièrement sur les données personnelles que nous pouvons générer et qui n’ont pas du tout intérêt à ce que ce que vous créez sur ces plateformes, par exemple Facebook au hasard, puissent se retrouver sur d’autres plateformes.
Quand on regarde ce qui se passe du côté des alternatives ouvertes, libres, open source, etc., je pense par exemple au réseau social Mastodon, c’est super intéressant de voir à quel point la notion de données personnelles est très importante dans ces alternatives parce qu’elles sont décorrélées de l’application ou du portail avec lesquels on les génère.
Par exemple, si vous allez sur X, le réseau marchand d’Elon Musk, vous pouvez y publier plein de choses, mais vous ne pouvez pas publier ça ailleurs que sur X, à part en faisant des petits partages à droite à gauche en privé ; ce que vous partagez sur X, vous ne pouvez pas le voir facilement sur Facebook, en tout cas, ça ne sera pas mis en avant. Alors que quand vous êtes sur le fédivers, sur Mastodon par exemple, vous pouvez avoir plusieurs applications différentes pour générer votre contenu ou pour le lire ou pour le partager avec d’autres portails de la même galaxie du fédivers.

Étienne Gonnu : Parce qu’ils partagent un protocole, donc le logiciel de partage de vidéos PeerTube va pouvoir fonctionner communiquer et permettre le partage.

Grégory Gutierez : Exactement. Ou avec Pixelfed est un équivalent sur Instagram.

Étienne Gonnu : Il y a plein d’exemples.

Grégory Gutierez : En fait redécouvrir, tout simplement, ces usages-là permet de se rendre compte que les données, les photos que je publie, les informations, les avis que je donne, pour peu qu’ils soient un minimum pertinents, etc., sont indépendants, doivent être indépendants de la société qui me permet de les exprimer sur le Web, en tout cas c’est un choix qu’on peut faire. Et je trouve que c’est un choix qui est beaucoup plus rassurant, au final, notamment du fait que le numérique et les réseaux sociaux ont pris une telle place dans la société et, en particulier, au niveau démocratique. Qu’on le veuille ou non, le numérique est super présent aujourd’hui. On a plein de chaînes de télé ou de radio qui regardent quelles sont les tendances de Twitter du moment, de X, pour décider quels seront les sujets de leur programmation dans la journée. Donc, qu’on le veuille ou pas, les réseaux sociaux sont très importants pour rythmer la vie publique et le débat démocratique et ça ne peut pas se faire dans de bonnes conditions si c’est fait par l’intermédiaire d’outils développés par des entreprises privées.

Étienne Gonnu : Je pense que vous avez dressé un bon portrait des enjeux, notamment autour de cette question de l’interopérabilité. C’est vrai que c’est une notion qu’on entend régulièrement. Je trouve toujours bien de se rappeler concrètement ce que ça veut dire et quels sont les enjeux qui s’y attachent. Je crois que vous avez rapidement évoqué cette idée que le cloud c’est toujours l’ordinateur de quelqu’un d’autre, que c’est une forme de dématérialisation, là, pour le coup, qui est plus pernicieuse parce qu’elle nous dépossède, on a aussi à d’autres cas.
Pour revenir un petit peu à ce fil historique de Malakoff, on voit aussi quels bénéfices, au début, ça a pu commencer à installer. Vous avez donc travaillé à cette mise en place.

Corinne Migeon : C’est ça. On a travaillé à cette mise en place de la dématérialisation avec des acteurs du logiciel libre, ???, qui était à l’époque ??? [32 min 50], etc., donc une démarche un peu différente, démarche de mutualisation sur un ensemble de collectivités qui étaient dans la même communauté d’agglomération. On avait d’entrée de jeu, entre ces quatre collectivités à l’époque, l’idée de se dire « on a des besoins communs, on fait le choix de travailler sur l’interopérabilité, y compris, potentiellement, de pouvoir réfléchir, peut-être, à des partages qui vont plus loin que la collectivité : mutualisation, partage de stockage, partage de licences, financiers, etc. » Donc tout ce qui est, en fait, le modèle alternatif du logiciel libre : mutualisation, partage, interopérabilité, on a là toute la terminologie de cette philosophie et cette éthique un peu différente. C’est vrai que sur les outils transverses, faire ce choix-là, stratégiquement parlant, c’était un choix majeur, c’était vraiment un choix majeur à ce moment-là, parce que ça permettait de donner la direction dans un certain sens.
En 2014, je propose à la maire de l’époque de dématérialiser complètement les travaux du conseil municipal jusqu’au jour du conseil municipal avec ce qu’on a appelé le cartable de l’élu, c’est-à-dire un outil de type tablette de grand fournisseur du marché, mais, avec une application qui est développée complètement, pour laquelle, d’ailleurs, on est bêta-testeurs à ce moment-là. À l’époque, la maire me dit « banco, on y va » et dès le premier conseil de ma mandature et c’est incontournable. C’est une notion sur laquelle je reviendrai peut-être après : comment, à un moment donné, on fait la différence dans la conduite de changement et, là, ça a été un point très important puisqu’on est toujours avec les mêmes outils aujourd’hui, pour cette mandature 2020/2026, ça fonctionne et tout le monde en est content.

Étienne Gonnu : Comment travaillez-vous, à cette époque, avec les élus ? Vous avez dit que la maire vous fait confiance, elle vous dit « banco, allez-y ». Avez-vous dû convaincre ? On sait que souvent, dans les arbitrages, certaines personnes politiques, mais ça peut s’entendre par ailleurs, préfèrent quelque part, le côté rassurant des marques connues des grands éditeurs, on connaît on fait comme on connaît. Est-ce que ça a été difficile, pour vous, de convaincre ?

Corinne Migeon : C’est toujours difficile de convaincre, c’est notre travail en tant que DSI ; quand on fait des choix stratégiques, il faut toujours convaincre. Déjà, il faut être convaincu soi-même et, après, la conviction s’est faite sur deux axes : la partie choix politique et éthique et la partie choix économique, parce que, de toute façon, à un moment donné, le fait de poser la question économique, et pas parce que c’est un modèle gratuit, parce que rien n’est gratuit, on a eu des frais de mise en place, de licences, etc., forcément ; par contre, le fait de poser l’enjeu qu’on n’est pas pieds et poings liés sur une solution technique, licenciée, comme on l’a pour d’autres applications dans les collectivités territoriales, aussi parce qu’on n’a pas forcément le choix, ce sont des arguments qui ont porté. Le fait de toujours poser la question, y compris avec les élus : on a besoin de ça, j’ai besoin de fonctionner comme ça, j’ai besoin d’aller vers ça, avec telle orientation stratégique, pour telle raison, on ne réussit pas toujours à convaincre, mais, à ce moment-là, ça c’est fait.

Étienne Gonnu : D’accord. De ce que je comprends c’est, finalement, que vous étiez moteur de propositions. Il n’y avait pas un point de départ politique, même si votre approche peut l’être en partie par ailleurs, c’est depuis la DSI que vous avez dû chercher à convaincre pour me mener…

Corinne Migeon : C’est ça. Il y a quand même une feuille de route politique, mais une relation de confiance sur la base, la traduction opérationnelle et stratégique, côté numérique, de la feuille de route politique.

Étienne Gonnu : Puisqu’il n’avait pas de conseiller ou de conseillère au numérique.

Corinne Migeon : Il y en a eu, il n’y en a plus eu, il y en a eu à nouveau.

Étienne Gonnu : D’accord. Je pose la question parce que, si on suit le fil de votre histoire, on arrive en 2020, on y reviendra, ça a été, bien sûr, l’année où a commencé le Covid, mais ça a aussi été une élection municipale, donc, Grégory, vous étiez sur la liste candidate qui a gagné les élections. Vous êtes à la délégation « Numérique et citoyenneté ». Je trouve que c’est toujours intéressant, parce que, parfois, on sait qu’il y a un petit peu une liberté dans la définition des mandats et, parfois, on a plutôt « Numérique et économie », etc., je trouve l’association numérique et citoyenneté intéressante. Je vous laisse nous en parler.

Grégory Gutierez : Élaborer. Quand nous avons été élus, on m’a souvent posé la question de savoir pourquoi j’avais ce portefeuille-là, « Numérique et citoyenneté », y compris de la part d’autres élus qui demandaient quel est exactement le rapport entre les deux. Ça me semblait évident. Encore une fois, dans la vie numérique que l’on a aujourd’hui, qui s’impose à nous, quasiment, c’était nécessaire que les questions de l’expression citoyenne passent forcément par des outils informatiques et par le numérique aujourd’hui et le rôle d’une mairie est de s’assurer ou, en tout cas d’expliquer aux gens, pourquoi c’est important et quels sont les risques possibles, les dangers possibles, etc.
J’avais une approche qui se voulait, c’est peut-être un peu prétentieux, avec un peu de pédagogie sur le sujet. En 2020, on avait déjà beaucoup de débats sur les fake news, la désinformation qui sortait sur le Net sur plein de sujets, notamment sur des sujets de démocratie. Un dossier est sorti il n’y a pas longtemps, je ne l’ai pas sous les yeux, sur les influences étrangères en France en temps d’élection, on est donc en plein dedans, notamment les ingérences russes qui passent par les faux comptes sur Twitter et ailleurs – sur X, je n’arrive pas à m’y faire, mais je vais y arriver !
Donc « Numérique et citoyenneté » c’était déjà pour expliquer des choses très simples aux citoyens et citoyennes de Malakoff, la première étant ce qu’on appelle habituellement des données personnelles, qu’à mon avis on peut tout à fait rebaptiser des informations intimes, ces informations vraiment intimes des personnes qui sont sur leur téléphone portable, dans les pages de leur navigateur sur leur ordinateur, etc., donc cette question des données personnelles. La question, aussi, du fait qu’un outil qu’on utilise sur son ordinateur n’est pas apparu, comme ça, par magie, il a été fabriqué, selon quelles règles, c’est là qu’on arrive sur la question des logiciels libres, open source, ou logiciels propriétaires, qu’on appelle aussi logiciels privateurs, privateurs de droits. Ce sont des choses qui s’expliquent, qui ne sont pas évidentes pour le grand public. Quand on va acheter une tablette ou un ordinateur pour le gamin ou pour la grand-mère, je dis ça parce que ça m’est arrivé, dans une grande surface, on ne se pose pas la question de ce qui fait tourner l’ordinateur. Il est vendu avec Windows ou avec Apple et point barre, c’est comme ça ; c’est comme ça que ça existe, point barre.

Étienne Gonnu : Je trouve que votre parcours, on n’en a pas encore parlé, est intéressant parce qu’il va éclairer, je pense, la suite, il éclaire votre engagement vis-à-vis du logiciel libre. Vous arrivez déjà convaincu, vous avez posé, on en parlera plus tard, une feuille de route qui mentionne explicitement le logiciel libre ; le logiciel libre fait partie de votre histoire militante, je pense qu’on peut le dire ainsi. Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours, notamment de la place du logiciel libre dans celui-ci ?

Grégory Gutierez : Je vous rassure, je ne vais pas être très long sur le sujet. Ça commence à la fin des années 80 quand j’arrive à convaincre mes parents qu’il faut absolument m’acheter un Amstrad CPC 6128.

Étienne Gonnu : Les connaisseurs apprécieront !

Grégory Gutierez : Et que je commence à coder un petit peu pour faire des menus de jeux sur les disquettes que j’échange avec mes copains à l’école. Ensuite je passe sur un PC Windows 3.1, je m’ennuie profondément là-dessus. À cette époque, au tout début des années 90, je tombe sur un magazine dans une librairie papeterie Linux Magazine, avec un cédérom pour installer, je crois, une distribution Mandrake. Je me dis « mais, c’est génial ! ». En plus, on m’explique que tout ça est ouvert et gratuit, que ce sont des gens qui collaborent entre eux pour développer le bidule, ce ne sont pas des entreprises, super intéressant !
Donc, personnellement, j’ai toujours testé des distributions Linux, même si pour le boulot, pour mes obligations d’adultes, à certains moments j’étais sur un Windows ou sur un Mac, je n’ai jamais totalement abandonné. Et dans mon engagement politique, je suis dans le Parti des écologistes depuis 2010/2011, j’ai adhéré à ce parti, notamment en partie parce qu’il y avait une communauté de geeks à l’intérieur qui étaient déjà sensibilisés à ces questions-là et parce que la la philosophie de l'open source, à l’époque, imprégnait même la réflexion politique. Je me souviens d’un édito dans Le Monde, ce devait être en 2011, à quelle époque c’était signé par Daniel Cohn-Bendit, sur le fait qu’il fallait réussir à faire de la politique comme on fait de l'open source, c’est-à-dire de manière collaborative, avec tout le monde, de manière itérative. Je trouvais que c’était assez courageux de présenter les choses comme ça, que c’était super important pour la chose publique, pour la République.
Je me suis donc lancé là-dedans. Dans mon parti, au sein d’Europe Écologie les Verts à l’époque, j’ai eu pas mal de fonctions en interne, j’ai notamment participé aux activités du comité des outils numériques de mon parti et à ce titre, en 2020, j’ai fait partie de ceux qui ont milité pour qu’on abandonne les messageries instantanées comme WhatsApp ou Telegram pour privilégier Signal parce qu’il y avait une encryption de bout en bout, un chiffrage de bout en bout des échanges. Cela avait été repris à l’époque, en interne, aujourd’hui encore beaucoup de gens utilisent Signal dans le parti, pas seulement, il y a des gens qui sont totalement réfractaires qui disent « WhatsApp fonctionne très bien, pourquoi est-ce qu’on passerait à autre chose ? – Quand on a un candidat à la présidence qui critique ouvertement Poutine pendant qu’il y a une guerre à nos portes, ce serait peut-être bien de ne pas utiliser Telegram dont les serveurs sont en Russie, on ne sait jamais, avec une encryption qui n’est pas géniale non plus ! ». Ce genre de petit détail, peut-être qu’à un moment, ça peut jouer un rôle !

Étienne Gonnu : Oui, dans un parti politique, on peut espérer une grille de lecture politique des sujets.

Grégory Gutierez : Ce n’est pas évident non plus !

Étienne Gonnu : Merci. Je pense que ça éclaire bien, savoir qui parle, d’où vous parlez, quelle connaissance, quelle place occupe le logiciel libre dans votre histoire. On va ensuite parler de la feuille de route que vous avez pu rédiger à votre arrivée.
Avant cela je vous propose de faire une pause musicale. Nous allons écouter Peace Like a River par HoliznaCC0. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Peace Like a River par HoliznaCC0.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Peace Like a River par HoliznaCC0, disponible sous licence Libre Creative Commons CC0 qui se rapproche le plus d’une cession volontaire dans le domaine public.

[Jingle]

Deuxième partie 47‘ 57

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu