Émission Libre à vous ! du 6 décembre 2022
Titre : Émission Libre à vous ! du 6 décembre 2022
Intervenant·e·s : Vincent Calame - Gee - Pouhiou - Ève - Laurent Costy, Isabella Vanni, Étienne Gonnu à la régie
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 6 décembre 2022
Durée : 1 h 30 min
Page des références de l'émission
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Déjà prévue
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription[modifier]
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Isabella Vanni : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
Pour le sujet principal de l’émission du jour, nous accueillons Gee et Pouhiou, de l’association Framasoft, qui viennent nous donner des nouvelles justement de Framasoft. Avec également au programme la chronique « Le Libre et la sobriété énergétique » de Vincent Calame et aussi une interview d’Ève, nouvelle recrue du groupe Transcriptions de l’April. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous, l'émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l'April, l'association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April.
Le site web de l'émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l'émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N'hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.
Nous avons ouvert un questionnaire pour mieux vous connaître, auditeurs et auditrices de Libre à vous !. Y répondre vous prendra cinq minutes et nous permettra d’évaluer l’impact de notre émission. C’est également l’occasion, pour vous, de nous faire des retours et de nous aider à améliorer notre émission. Retrouvez le questionnaire sur le site libreavous.org.
Nous sommes mardi 6 décembre. Nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l'émission aujourd’hui, Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.
Étienne Gonnu : Salut Isa. Bonne émission à tous et toutes.
Isabella Vanni : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « Le Libre et la sobriété énergétique » de Vincent Calame : sobriété énergétique et sobriété numérique (partie 2)[modifier]
Isabella Vanni : Nous allons commencer par la chronique « Le libre et la sobriété énergétique » de Vincent Calame, bénévole à l’April.
Bonjour Vincent. De quoi vas-tu nous parler aujourd’hui ?
Vincent Calame : Bonjour Isabella.
Je vais commencer par un bref résumé de ma chronique de la semaine dernière puisque celle d’aujourd’hui en constitue la deuxième partie. Mardi 29 novembre, donc, dans l’émission 160, j’évoquais mes recherches dans les transcriptions du site Libre à lire ! sur le terme « sobriété énergétique » et je m’attardais plus particulièrement sur l’émission n°36 de Libre à vous ! portant sur l’obsolescence programmée. Je terminais cette première partie sur un autre concept qui émergeait de ces transcriptions, celui de la « sobriété numérique », laissant mes auditrices et auditeurs sur leur faim et, je l’espère, avides d’en savoir la suite. Le moment est venu d’en parler plus longuement.
Isabella Vanni : J’étais effectivement restée sur ma faim moi aussi, donc je t’en prie, continue.
Vincent Calame : Ce concept de sobriété numérique, encore confidentiel, a été introduit dès les années 2000 par le collectif GreenIt.fr. Vous trouverez de nombreuses références sur leur site, greenit.fr, entre autres celles de deux ouvrages de Frédéric Bordage qui était d’ailleurs un des invités de l’émission 36 sur l’obsolescence programmée. Sur cette antenne, le concept a déjà été présenté cette année dans une chronique d’Isabelle Carrère, d’Antanak, dans l’émission 139 du 12 avril, qui avait justement pour titre « La sobriété numérique » et il a été évoqué dans le sujet long de l’émission 141 du 26 avril qui était un échange entre Laurent Costy, d’ailleurs ici présent dans le studio, et Simon Popy du CESER Occitanie [Conseil Économique Social et Environnemental Régional]. Je vous invite à consulter ces références sur le site pour approfondir le sujet.
Isabella Vanni : C’est très simple : libreavous.org/ et vous mettez le numéro de l’émission citée.
Mais quelle est la différence entre « sobriété énergétique » et « sobriété numérique », Vincent?
Vincent Calame : C’est la question qui nous concerne aujourd’hui, bien sûr. Quelles que soient les définitions des uns et des autres, la sobriété numérique fait évidemment référence en premier lieu à la question écologique, notamment la nécessaire économie des ressources tant énergétiques que minières, sujet déjà évoqué sur lequel je ne reviendrai pas. Cependant – et là je vais vous livrer un peu mon interprétation personnelle –, elle ne se réduit pas à la seule dimension écologique, ce qui fait tout son intérêt.
Je vais essayer de m’expliquer avec le raisonnement suivant : si on se place du point de vue de la consommation d’énergie, le numérique a indéniablement un rôle à jouer. Par exemple, une batterie de capteurs bien disposés peut grandement améliorer la connaissance d’un processus industriel et permettre son optimisation. C’est d’ailleurs l’argument des villes connectées,smart cities pour faire chic, qui imagine un déploiement à grande échelle du numérique pour arriver à la neutralité carbone. En poussant le raisonnement jusqu’au bout, un partisan du tout numérique pourrait tenir le discours suivant, d’ailleurs c’est peut-être déjà le cas, ouvrez les guillemets : « Certes, le numérique pollue mais les gains qu’il procure dans les autres secteurs sont largement supérieurs à son coût ». Et si ça se trouve, il aura raison lorsqu’on envisage les choses uniquement en termes de bilan énergétique.
C’est là que le concept de « sobriété numérique » me paraît précieux. Il s’inscrit pleinement dans la sobriété énergétique, c’est une de ses déclinaisons, mais il est aussi une réponse aux autres enjeux posés par le tout numérique dans notre société.
Isabella Vanni : Tu nous rappelles quels sont ces enjeux ?
Vincent Calame : Oui, bien sûr. Il y a d’abord celui qui nous tient à cœur ici, le contrôle de nos ordinateurs. Jusqu’à il y a une quinzaine d’années, les objets numériques, dans nos vies, se comptaient sur les doigts d’une main, se réduisant souvent à un seul ordinateur familial et surfer sur le Web se limitait à consulter des sites statiques. On pouvait donc espérer maîtriser sa vie numérique à l’aide des logiciels libres. La multiplication des objets numériques dans notre entourage – téléphone, télévision, voiture et tous les objets connectés promis par la 5G –, les réseaux sociaux et l’agitation permanente qui en découle, tout cela rend cette tâche de contrôle particulièrement ardue.
Il y a ensuite la question de la fracture numérique entre les groupes sociaux et entre les territoires, qui favorise le sentiment de déclassement et d’abandon, nourrissant les extrêmes.
Il y a enfin le point mis en avant par Isabelle Carrère dans la chronique d’Antanak citée au début de ma chronique, celui de « l’attention », de la surexposition aux écrans et de la captation organisée, particulièrement préoccupantes en ce qui concerne les enfants mais où nous devons, nous les adultes, commencer par donner l’exemple.
Voilà rapidement quelques points illustrant le fait que la sobriété numérique ce n’est pas seulement faire un geste pour la planète, qui, au passage, s’en fiche un peu, car elle nous survivra, mais aussi faire un geste pour le vivre ensemble et la cohésion de notre société.
Pour la suite, il ne me reste plus qu’à appliquer à moi-même la sobriété numérique, c’est-à-dire arrêter de consulter mon écran, commander chez ma libraire préférée les ouvrages en papier de Frédéric Bordage, les lire à tête reposée pour vous en proposer la recension dans une future chronique de la saison.
Isabella Vanni : Merci Vincent. Je te dis au mois prochain, en2023.
Vincent Calame : En 2023, tout à fait. Bonnes fêtes à tous.
Isabella Vanni : Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Isabella Vanni : Après la pause musicale, nous parlerons des dernières nouvelles de l’association Framasoft avec nos invités Gee et Pouhiou.
Nous allons écouter À toi de jouer par KPTN. On se retrouve juste après. Belle journée à l'écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : À toi de jouer par KPTN.
Voix off : Cause Commune, 93.1
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter À toi de jouer par KPTN, disponible sous licence libre Creative Commons CC BY SA 4.0.
[Jingle]
Isabella Vanni : Passons maintenant au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Des nouvelles de Framasoft, avec Gee et Pouhiou[modifier]
Isabella Vanni : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte aujourd’hui sur les dernières nouvelles de l’association Framasoft. Nous avons pour cela le plaisir d’accueillir Gee et Pouhiou, présents en studio. C’est Laurent Costy, chargé de mission Éducation et Communs numériques aux CEMÉA qui animera l’échange.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Laurent, Gee, Pouhiou, bonjour. Je passe la parole à Laurent et aussi le micro.
[Coin-coin, cancan de canard]
Laurent Costy : Merci Isabella. Il y a de l’ambiance dans le studio aujourd’hui, vous avez entendu quelques canards passer. On va vous expliquer, il y a une raison ; ce sera assez clair, j’espère, à la fin de l’émission. On accueille effectivement Gee et Pouhiou. Bonjour à tous les deux.
Gee : Bonjour Laurent.
Pouhiou : Salut.
Laurent Costy : On va parler de la campagne de Framasoft qui vient d’être lancée, campagne extrêmement ambitieuse, mais vous allez pouvoir nous détailler ça. Je donne juste le titre de la campagne, vous expliquerez tout à l’heure, « Collectivisons Internet / Convivialisons Internet », de là le petit coin-coin de tout à l’heure, mais, encore une fois, vous expliquerez. Et puis, dans une deuxième partie d’émission, on parlera des Connards pros. Je présente mes excuses aux mamans et aux enfants qui écoutent la radio à cette heure-ci, on va prononcer plusieurs fois ce mot, ce gros mot, alors que ma maman me rouspétait tout le temps, évidemment, quand je prononçais des gros mots.
Pouhiou : Quand tu écoutais la chanson de Lio où elle disait « Mon vieux, t’es un connard », etc. ? Pareil !
Laurent Costy : J’aimais l’écouter en boucle !
Le dénominateur commun de ces deux parties ce sera le capitalisme de surveillance, dont on aime parler ici, dans cette émission, ça nous tient à cœur. Et puis on parlera peut-être un petit peu de BD, on verra si on a le temps. Voilà, on a introduit l’émission. On va parler de coin-coin, de respect, de dividendes.
Pour commencer, ce serait intéressant que vous vous présentiez. D’habitude les gens se présentent. On va inverser, car vous vous connaissez un peu, donc je vais demander à Gee de présenter Pouhiou et à Pouhiou de présenter Gee.
Gee : OK. Alors Pouhiou ! Qu’est-ce qu’il a fait ?, parce qu’il a fait un paquet de trucs, cet homme-là ! Il a été auteur, auteur de théâtre, acteur de théâtre aussi de ses propres pièces, guide touristique, chroniqueur de radio, auteur de romans – même s’il assume beaucoup moins aujourd’hui –, mais il en a écrit deux ou trois, on en reparlera peut-être et actuellement codirecteur de Framasoft, moi je trouve que ça claque un peu !
Pouhiou : Je crois que j’ai été aussi youtubeur du cul, mais on ne va pas en parler aujourd’hui.
Gee : Voilà, qu’est-ce qu’on peut dire d’autre ? Tu fais du crochet, aussi, mais c’est peut-être moins dans le sujet, je ne sais pas.
Pouhiou : Franchement, je peux lier logiciel libre et culture libre avec le tricot aussi, mais bon, on ne va peut-être pas faire ça aujourd’hui.
Toi, Gee, tu es plutôt, quand même, un chantre de la culture libre. On t’a pas mal connu, à l’origine, avec des BD, notamment le fameux Geektionnerd, GKND, etc., à la fois un dictionnaire de BD, plein de jeux de mots pour apprendre les mots nerds et geeks, et puis aussi toute une histoire avec des personnages qui découvraient ce monde-là et qui se lançaient dedans. Maintenant, tu es auteur illustrateur du blog Grise Bouille. Tu es aussi, me semble-t-il, docteur convention 42 en informatique, c’est bien ça ?
Gee : Docteur en informatique.
Pouhiou : Et évidemment, tu es la moitié d’un Connard professionnel et membre de Framasoft, on en parlera aussi.
Laurent Costy : Merci pour ces présentations respectives. Est-ce que l’autre a oublié quelque chose sur l’un et l’un sur l’autre ?
Gee : Je ne crois pas. J’ai oublié de préciser que tu étais la moitié d’un Connard professionnel, mais comme c’est le sujet, de toute façon, on va en parler.
Laurent Costy : Mon petit doigt me dit que tu avais à la naissance un intestin plus long que d’autres personnes ?
Gee : C’est vrai, effectivement, mais, heureusement, on m’en a retiré un bout. Du coup, ça va mieux depuis.
Laurent Costy : C’est le tome cinq de tes BD.
Gee : C’est possible, effectivement, tu les as plus en tête que moi !
Pouhiou : J’ai une vertèbre en moins, ça compte ?
Laurent Costy : Je vous propose d’enchaîner sur la campagne de Framasoft qui vient d’être lancée et qui est, encore une fois, très ambitieuse, dans la continuité de ce qui avait été fait avant. Du coup, ça peut être intéressant, éventuellement, de remémorer aux gens qui ne vous connaissent pas bien ce qu’est Framasoft et puis les campagnes précédentes.
Pouhiou : Framasoft est une association dont les premiers projets ont commencé sans association, en 2001. L’association est née en 2004. D’ailleurs c’est marrant, à l’origine c’étaient des profs : « fra », « ma », une prof de français, un prof de maths, c’est ça l’origine du nom. On a énormément travaillé à être cette espèce de trait d’union entre ce monde parfois un peu spécialisé du Libre et un public plus grand, plus ouvert, donc comment amener le Libre vers plus de monde, plus de gens, et comment amener les gens vers plus de Libre. C’est ce qui s’est passé au cours des années.
On a eu un vrai tournant dans l’association en 2014, quand on a lancé une campagne qui s’appelait « Dégooglisons Internet ». À l’époque tout le monde disait « Google est mon ami », donc on a commencé à informer sur les dangers de la centralisation de tous nos usages internet sur les plateformes, les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – à proposer des alternatives, tous les services en ligne qu’on a aujourd’hui sur degooglisons-internet.org/, et puis à dire « attention, nous ne voulons pas devenir le Google francophone du Libre et que vous centralisiez tout chez nous. L’idée, c’est de lutter contre la décentralisation, donc on va essayer d’essaimer, de décentraliser. »
C’est comme ça qu’est né un collectif que l’April, je crois, connaît bien, le Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires. Retenez CHATONS, ça va plus vite !
Laurent Costy : L’April a un chaton, Chapril. On parle très régulièrement des chatons dans cette émission, on ne pourrait pas citer toutes les émissions.
Pouhiou : On a continué. Au départ, Dégooglisons Internet s’adressait vraiment aux individus : on a un problème, on a des pistes de solution, comment est-ce qu’on s’organise ensemble pour faire ça ? On s’est rendu compte, très vite, que dégoogliser ne suffit pas, parce que Google, c’est bien gentil, mais si on fait tout le temps comme eux, mais en Libre, ce sont eux qui tracent le chemin, ce sont eux qui décident de la voie de la société. Or, on le sait bien, l’objectif n’est pas que le code soit libre, c’est que les humains, que la société soient libres.
On a eu une autre campagne entre 2017 et 2020, mais forcément, avec la pandémie, ça a duré un peu plus. Elle s’appelait Contributopia et là nous nous sommes plus adressés aux collectifs. L’idée a été de créer des choses un peu plus communautaires. On a évidemment continué la communauté des CHATONS, mais on a aussi travaillé sur des outils fédérés qui permettent à des communautés de se créer, comme PeerTube ou Mobilizon.
Laurent Costy : Merci Pouhiou. Dans l'histoire, j’aurais bien aimé savoir, parce que ça me tient à cœur, quand est-ce que vous avez demandé l’agrément éducation populaire et quand est-ce que vous l’avez obtenu ?
Gee : Il me semble que c’était pendant Contributopia, au tout début.
Pouhiou : De mémoire ça doit être 2017, à peu près, sachant que c’est un agrément jeunesse et éducation populaire de Rhône-Alpes. Lyon c’est Rhône-Alpes ? Je suis nul en géographie. J’ai un diplôme de guide touristique donc je suis nul en géo !
Laurent Costy : Il est attribué régionalement, pas comme un agrément national, comme on peut aussi en avoir.
Pouhiou : C’est ça. C’est d’ailleurs suite à la remarque de gens qui travaillaient dans le département qui nous ont dit : « Pourquoi ne demandez-vous pas cet agrément ? C’est totalement logique vu ce que vous faites ! » Et c'est vrai que ça a été un changement dans Framasoft. D’ailleurs en 2021, lors de l’assemblée générale, nous avons changé notre objet social qui n’est plus « la promotion du logiciel libre et de sa culture », mais qui est « l’éducation populaire aux enjeux du numérique et aux communs culturels ».
Laurent Costy : D'accord. Vous me donnerez la recette qui a fait que vous avez obtenu cet agrément. J’essaye depuis longtemps au sein de l’April et je n’y arrive pas. On échangera, hors émission. C’est un petit message à mes camarades. Pas du tout !
Pouhiou : Pas de problème.
Laurent Costy : Maintenant, évidemment, on se tourne vers le nouveau projet, dans la continuité de tout ce qui a été fait. Ce que vous envisagez pour dans trois ans est assez impressionnant, si j’ai bien compris.
Pouhiou : C’est ça. On aime bien les plans triennaux, parce que ça nous permet de nous organiser, de fixer un cap, et on a besoin, comme ça, de se fixer un cap et un rendez-vous avec les gens. Alors, attention, il y a plein de choses sur lesquelles on n’arrive pas. Dans Dégooglisons, dans Contributopia, il y a eu des ratés, des machins, pas de soucis ! Donc là, dans cette campagne, on s’est dit « nous nous sommes occupés un peu des individus, nous avons fait des choses plus communautaires, il manque une marche entre les deux qui serait plus pour les petits collectifs ». C’est comme ça qu’est née cette campagne Collectivisons Internet / Convivialisons Internet.
Laurent Costy : Je t’arrête, on va tester la régie.
[Coin-coin, cancan de canard]
Laurent Costy : Parfait ! Le coin-coin de Collectivisons.
Pouhiou : Il faudra que je te raconte, parce que je peux dénoncer une personne que vous connaissez bien, et c’est de sa faute, je peux vous le dire! Il faudra que je vous raconte et que je vous donne le nom !
Laurent Costy : Ce qu’on aime bien chez Framasoft c'est ce côté toujours un peu décalé. Et les campagnes marchent sans doute aussi très bien.
Pouhiou : C’est tellement anxiogène ! Regarde le monde que les Google, les Meta, les machins et les Tesla nous préparent. Si on ne prend pas de la joie, si on ne se dit pas « voilà le monde qui me fait sourire, voilà celui qui me fait briller les yeux, voilà là où je veux aller », c’est dur.
Gee : D'ailleurs j’en profite pour faire la transition avec la suite, on va peut-être parler du manifeste. Nous avons publié notre manifeste pour afficher vraiment nos valeurs. C’est quelque chose qu’on n’avait jamais fait, on pensait que c’était évident pour pas mal de gens, mais, en faisant quelques enquêtes, on s’est rendu compte que pas forcément et, dans ces valeurs, il y en a une qui est de ne pas se prendre au sérieux ; ça fait vraiment partie des choses qu’on affiche.
À un moment, on avait fait un truc qui s’appelait Framaprout.
Laurent Costy : Pascal Gascoin aime beaucoup me le montrer, un site internet sur lequel, en cliquant sur l’extension, un mot, par exemple « Premier ministre », « président », est remplacé par « prout », c’est bien ça ?
Gee : C’est ça. On a « Emmanuel Maprout ».
Pouhiou : Le « proutident », le « Premier miniprout »... Quand tu lis les actualités avec cette extension qui marchait très bien, ça détend.
Laurent Costy : Je reconnais que ça détend.
Pouhiou : C’était assez marrant quand on commençait à faire un tweet un peu revanchard. Je me souviens que j’avais raillé, je crois, l’Amicale des amis de Microsoft, qui – on nous l’a montré sur Twitter – avait un Framalink, un raccourcisseur d’URL Framasoft, sur leurs slides. Du coup je les ai raillés en disant « mince, Microsoft peut vous offrir un raccourcisseur d’URL, je crois qu’ils en ont les moyens, quand même ! » Et là des gens ont dit : « Oh, je pensais que vous étiez beaucoup plus sérieux que ça, dites donc ! – C’est juste que vous ne nous connaissez pas ! Regardez, Framaprout, c’est nous ! »
C’était important, pour nous, d’afficher ces valeurs-là.
Laurent Costy : Merci.
Dans les associations c’est effectivement parfois un poids de se dire qu’il faut réaffirmer ses valeurs, réécrire son projet, etc. Ça dépend, évidemment, de là où on se situe dans l’histoire de l’association, mais, finalement, ces étapes sont primordiales pour fixer, à un moment donné, l’état dans lequel on est et là où on veut aller. Je trouve que c’est chouette de pouvoir afficher ça aussi à l’extérieur.
Pouhiou : Sur Collectivisons Internet, sur les trois ans qui nous attendent, de 2023 à 2025, on ne veut pas jeter le passé, on va continuer. On a 16 services Dégooglisons, on compte bien continuer à travailler dessus voire à les améliorer. On développe des logiciels comme PeerTube ou Mobilizon, pour faire une alternative à YouTube d’un côté et aux événements pour groupes Facebook de l’autre, on va vraiment continuer ça aussi, mais, derrière, on veut aussi faire de nouvelles choses, on veut se lancer de nouveaux caps.
Donc dans cette nouvelle campagne, ces quatre projets, l’objectif, à chaque fois, c’est d’arriver à outiller des collectifs et pas n’importe quels collectifs, plutôt des petits collectifs et des collectifs, en fait, militants ou alters, on ne sait jamais trop comment les définir. Il y a plein de monde, on connaît plein de petites associations, et on est d’ailleurs dans une, qui essayent, chacune et chacun, de nous offrir une petite bulle d’oxygène dans ce monde envahi par le capitalisme, le capitalisme de surveillance.
Laurent Costy : Je me permets de rappeler qu’en France il y a effectivement 1,5 million d’associations et 90 % d’entre elles sont sans salarié.
Pouhiou : Tout à fait.
Laurent Costy : On voit très vite à qui vous vous adressez. Ça fait effectivement une quantité d’associations qui ont besoin de structurer leur système d’information.
Pouhiou : C’est ça. Et qui, en général, n’ont pas de solution, ne savent pas chercher des solutions parce que c’est complexe de choisir des outils numériques et tout ça, donc elles vont tomber dans du Google Workspace, des choses comme ça, qui est en tête d’affiche un peu partout, qui est gratuit, etc. ; ça va vite tomber là-dedans. Comment faire en sorte que ces associations aient à la fois des outils à la hauteur de leurs valeurs, qui correspondent à leurs valeurs et, en même temps, qui leur permettent de faire un meilleur travail, de le faire plus sereinement, parce que nous, nous avons bien envie d’aller vers le monde qu’elles nous dessinent.
Laurent Costy : Gee, peux-tu nous expliquer les quatre axes de ce projet qui se dessine pour les trois ans à venir ?
Gee : Les quatre, je ne sais pas. Je vais déjà commencer par Frama.space, le point dont parlait Pouhiou. Une association, une petite asso, qui n’est pas spécialement calée en informatique, va spontanément, quand elle va avoir besoin d’outils informatiques, se tourner vers ce qu’elle connaît. Ça va souvent être du Google Drive pour stocker des choses, du Google Agenda ou autre chose qui n’est pas forcément Google, mais qui est rarement du Libre, décentralisé, comme on aime. Du coup, l’outil principal qu’on a décidé de mettre en avant – ce n’est pas un outil parfait, on le sait et c’est aussi pour cela qu’on veut investir dedans – c’est Nextcloud qui est, on va encore le prendre dans un sens « alternative à », entre guillemets, disons que c’est une alternative à Google Drive. C’est un logiciel qui, à la base, sert à stocker des fichiers de manière partagée. Maintenant il y a plein d’autres choses dessus, notamment un agenda qui fonctionne très bien, un carnet de contacts, on peut même mettre des suites bureautiques collaboratives dessus.
On avait déjà fourni une sorte de solution Nextcloud pour tout le monde, comme on le faisait avec Dégooglisons Internet, ça s’appelait Framadrive. Le gros problème, avec ce genre de projet, c’est que si les gens se mettent à stocker beaucoup de choses dessus, ça prend vite beaucoup de place et ça coûte quand même relativement cher d’avoir des gigas et des gigas comme ça d’espace, surtout si on veut avoir un peu de redondance pour être sûr que les gens ne perdent pas leurs données. Du coup, on a fait le choix de fournir des instances Nextcloud de manière limitée. C’est la première fois qu’on fait un barrage à l’entrée, un barrage filtrant à l’entrée. Je ne sais plus quel est l’objectif final, mais, pour le moment, on va ouvrir 250 comptes, 250 instances.
Pouhiou : 250 instances d’ici la fin de l’année. On est bien d’accord, ces instances-là c’est, à chaque fois, pour une association, c’est une instance de groupe.
Gee : Chaque instance peut avoir jusqu’à quarante gigas et cinquante comptes.
Pouhiou : Donc 250 comptes d’ici la fin de l’année. L’objectif serait d’équiper 10 000 associations d’ici 2025 ; si on y arrive, on sera hyper-fiers.
Gee : On a commencé à ouvrir les inscriptions avec un vrai formulaire d’inscription, où les associations doivent expliquer qui elles sont. C’est un peu automatisé : si vous mettez le numéro de l’association, je ne sais plus comment ça s’appelle, pas le Siret, un truc du genre...
Pouhiou : Le RNA ? Je crois que c’est le Répertoire National des Associations.
Laurent Costy : Tout à fait.
Gee : Ça peut être pré-rempli en chopant les informations là-dessus et, après, c’est nous qui allons juger. C’était une décision quand même pas facile à prendre de se dire qu’on allait être un peu en capacité de décision sur d’autres structures, ce qui pose, de toute façon, des questions en termes de choix politiques, de démocratie, mais on s’est dit qu’on n’avait pas le choix, on ne peut pas accueillir tout le monde. C’est aussi une des raisons pour lesquelles on a publié notre manifeste, on affiche plus nos valeurs, c’est pour dire que nous voulons bien accueillir les gens qui partagent nos valeurs.
Pouhiou : Et pas que ! D’une part, en effet, il y a cette question des valeurs, mais dans les critères, dans les choix, on essaie de faire de cette faiblesse, ne pas pouvoir accueillir tout le monde, une force, en disant qu’il faut favoriser la décentralisation. Si vous êtes, par exemple, une entreprise, une Scop [Société coopérative de production], etc., vous allez très probablement avoir déjà des offres qui existent, des chatons qui sont aussi des Scop, etc., qui peuvent vous accompagner.
Si vous êtes une plus grosse association, plus de 50 membres, vu que nous, nous sommes limités à 50 comptes, là aussi il y a des solutions qui existent, notamment chez les hébergeurs des chatons ou dans l’info hébergement libre.
On essaie vraiment de dire quelle est notre place dans ce système et notre place, encore une fois, c’est cette première marche à l’entrée, une porte d’entrée vers le Libre pour que des personnes qui n’y avaient pas accès jusque-là, qui n’avaient pas les moyens, y aient accès et que derrière, elles s’intéressent de plus en plus à Nextcloud et que si jamais, à un moment donné, elles ont les moyens, elles puissent aller migrer vers d’autres qui proposent ces services peut-être de manière payante.
Laurent Costy : Quels sont les critères, globalement, pour être reçu sur les 250 premiers comptes et après, plus tard, les 10 000 autres ? Il ne faut pas de salarié ? Si, on peut en avoir trois, quatre, cinq ?
Pouhiou : Ce sont plus des questions de nombre de membres et de besoins.
Laurent Costy : D’objet de l’association, c’est important.
Pouhiou : De budget annuel. Si vous avez un budget annuel comme celui de Framasoft, 600 000 euros, vous avez les moyens de vous payer de l’infogérance. Voilà ! Ce sont des questions comme ça, en effet.
Laurent Costy : OK, ça éclaire ce projet-là. C’est effectivement ambitieux.
Gee : On peut passer au projet suivant, si tu veux.
Laurent Costy : Je t’en prie, vas-y.
Gee : On a ECHO Network.
Pouhiou : Ethical, Commons, Humans and Open-Source Network [Réseau autour de l’Éthique, les Communs, les Humaines et l’Open-source].
Gee : C’est un rassemblement d’associations et de structures de l’éducation populaire, cette fois à l’échelle européenne. On a une première rencontre en janvier, un séminaire d’étude.
Laurent Costy : Pour tout vous dire, j’espérais inviter Morgane Péroche [Permanente CEMÉA], mais elle n’est pas venue. Elle nous en aurait parlé puisque, finalement, ce sont les CEMÉA qui ont initié le projet à l’échelon européen et Framasoft est venue soutenir le projet en tant que partenaire.
Pouhiou : Nous sommes vraiment ravis, parce que ce projet des CEMÉA France est vraiment formidable, cette idée d’avoir, comme ça, sept partenaires européens qui vont se rencontrer durant cinq visites d’étude. La première année on fait cinq visites d’étude pour parler, entre nous, des difficultés à la fois de sa propre transition vers du numérique éthique et des personnes qu’on accompagne – des structures qui forment des citoyens et des citoyennes ; comment est-ce qu’on accompagne ces personnes vers plus de numérique éthique. On va donc échanger sur nos pratiques, nos difficultés, nos circonstances. Et puis, la deuxième année, on va essayer de mettre tout ça dans des communs et des ressources qui puissent être utilisées par d’autres.
Le fait que les CEMÉA nous offrent cette possibilité de sortir de notre bulle franco-française et francophone, c’est formidable, parce que moi, je ne sais pas quelles sont les lois sur le numérique et sur l’hébergement en Croatie ; j’ignore totalement s’il y a un réseau de chatons en Italie et, s’il y en a un, pourquoi est-ce qu’on n’est pas en contact ? Il y a aussi des choses qui se passent en Allemagne – ça, par contre, on le sait avec Mobilizon – qui sont hyper-intéressantes. Tout ça va vraiment permettre d’essayer de se rencontrer, d’échanger, de trouver les astuces qui marchent chez l’un et pas chez l’autre et pourquoi.
Laurent Costy : Mobilizon ? Peux-tu rappeler ce que c’est pour les personnes qui ne connaîtraient pas ?
Gee : Mobilizon c’est pour organiser des événements. J’allais encore dire « une alternative », ne parlons même pas de ce à quoi c’est une alternative ! Ça permet d’organiser des événements. Il y avait notamment l’idée de se dire qu’un des problèmes avec les réseaux centralisés, c’est qu’on pouvait profiler ton comportement et qui tu étais en voyant tous les aspects de ta vie. Tu peux avoir des événements professionnels, des événements associatifs, et ça pouvait être un petit peu gênant. Si, professionnellement, tu es dans une boîte mais que tu participes – je ne sais pas – à Extinction Rebellion, quelque chose comme ça, peut-être que ça n’est pas très bien vu dans ta boîte. Du coup, Mobilizon c’était aussi l’idée de se dire qu'on peut avoir plusieurs identités sur Internet. Si tu participes à un événement militant, on va dire un peu hard, sur les questions écologiques, ça ne regarde peut-être pas ton employeur. Ça permettait, comme ça, de séparer un peu les choses.
Et comme à peu près tout ce qu’on essaie de faire maintenant, que ce soit Mastodon – ce n’est pas nous qui l’avons fait –, PeerTube, tout ça, c’est décentralisé, fédéré.
Pouhiou : Voilà l’histoire. Encore une fois, plutôt que de créer un gros géant, on fait tout un réseau de petits, c’est vachement plus efficace et c’est Internet comme il aurait dû être, comme il aurait dû rester.
Laurent Costy : C’est l’utopie initiale d’Internet : la décentralisation et chacun porte une responsabilité et une part d’entretien de ce réseau-là. Au passage, merci à Eugen Rochko pour avoir développé Mastodon, on en profite puisqu’on évoque Mastodon.
On vient de parler un peu de décentralisation. Il reste encore deux axes dans le projet.
Pouhiou : Tout à fait. On a parlé de PeerTube qui, comme Mobilizon, est fédéré, décentralisé, mais pour faire des plateformes alternatives à YouTube ou à Twitch, on s’en fout, pour faire de la vidéo alternative. Encore une fois, plutôt que de faire un géant on fait plein de petits. PeerTube marche de mieux en mieux, on est à plus de 1000 plateformes dans la fédération, quasiment un million de vidéos. J’ai regardé hier, on était à 859 000 pour les instances publiques et il y en a qui ne disent pas.
Gee : On pense que l’important avec PeerTube – je ne sais pas si c’est une loi qui est vraiment vérifiée – que c’est quasiment la seule manière dont on peut espérer faire une alternative crédible à des grosses plateformes comme YouTube, Dailymotion et compagnie, parce que la vidéo bouffe de la bande passante, du disque, c’est énorme. Le gros avantage de PeerTube c’est que non seulement c’est décentralisé, mais ça fonctionne en pair-à-pair. Si vous regardez une vidéo, vous allez aussi lui transmettre des morceaux de vidéo, donc le serveur central sur lequel sont stockées les vidéos ne va pas tomber dès qu’il va y avoir 1000 personnes dessus. On n’a pas fait des tests aussi gros.
Pouhiou : Il y en a quelques-uns. On est en train, justement, d’essayer de faire de plus en plus de tests sur le passage à l’échelle. L’idée, en effet, c’est vraiment de démocratiser le fait de pouvoir faire une plateforme de vidéos ; que pour pouvoir faire une plateforme de vidéo, vous n’ayez pas besoin d’avoir les moyens de Google ou d’Amazon.
Laurent Costy : Je voulais juste témoigner. Au niveau des CEMÉA, c’est vrai qu’on développe de plus en plus l’utilisation de PeerTube. On trouve ça franchement génial, c’est d’une simplicité incroyable !
Il y avait peut-être juste une question à l’époque par rapport à la monétarisation, je ne sais pas où vous en êtes de cette discussion-là. Certains youtubeurs disaient « je ne peux pas monétiser ma vidéo ». Où en êtes-vous de ces réflexions-là ? Est-ce que ça évolue ? Est-ce que des gens se sont dit « on va mettre au pot et on va développer une fonctionnalité, ou pas ? » Est-ce que ça rentre dans la logique ?
Pouhiou : Une fonctionnalité existe depuis le début dans PeerTube, qui peut être activée par les administrateurs et administratrices de plateformes PeerTube, c’est activer un bouton « Soutenir la vidéo ». Derrière ce bouton « soutenir », le ou la vidéaste met ce qu’il ou elle veut : tu peux mettre « pour me soutenir, voici mon PayPal ou mon RIB », ou « pour me soutenir, envoyez une carte postale de chatons mignons à ma grand-mère, voici l’adresse » ; tu mets vraiment ce que tu veux et ça existe déjà.
Laurent Costy : Excuse-moi. Ça se paramètre quand on installe l’instance, ça n’est pas par défaut, il faut dire « je vais l’installer ».
Gee : J’utilise un petit peu PeerTube. Ce sont les utilisateurs et utilisatrices qui vont régler, après, ce qu’il va y avoir derrière le bouton « soutenir », chacun/chacune sur sa vidéo ; ce n’est pas l’instance qui décide.
Pouhiou : L’instance décide juste si le bouton « soutenir » existe ou pas.
Par contre nous, nous nous sommes dit très clairement que nous ne voulions pas faire une chaîne de télévision. Si tu regardes bien, par exemple, ce que fait YouTube, il y a à la fois la plateforme de diffusion de vidéos, mais il y a aussi un algorithme éditorial, donc une éditorialisation, comme une rédaction dans une télévision ; il y a aussi une régie publicitaire, comme dans une télévision, et, en fait, on a un bouquet de chaînes de télévision. C’est la télé 2.0.
On s’est dit qu’on voulait juste faire un outil technique, parce qu’on ne va pas tout faire. On n’a pas les épaules pour s’attaquer au problème de monétisation, au problème de financement de la création culturelle, qui est un véritable problème, on a les épaules pour s’attaquer à la solution technique. Des gens ont commencé à essayer de faire des choses, sauf que ces gens sont plutôt des fachos de la threat américaine, qui ont essayé de faire des trucs à base de crypto-merdouille. Franchement, ça ne m’excite pas une seconde !
Laurent Costy : Tu vas en parler dans la deuxième partie, j’imagine !
Pouhiou : C’est marrant, on voit bien que les valeurs se transcrivent très clairement dans les outils, donc ça ne va pas. Ça ne veut pas dire que cette question doit être évacuée, ça veut juste dire que ça n’est pas nous qui allons la prendre sur nos épaules, parce que nous ne sommes pas les mieux placés.
Laurent Costy : Oui, vous avez déjà quatre projets bien ambitieux pour les trois années à venir.
Pouhiou : Sachant que le projet autour de PeerTube, c’était de vraiment répondre à la question. Maintenant qu’il y a beaucoup de monde qui s’en sert, qui l'utilise, qui partage, on nous demande souvent « où sont-elles les bonnes vidéos sur PeerTube ? » On a le moteur de recherche, sepiasearch.org, mais quand même, tu ne sais pas forcément ce que tu veux rechercher quand tu veux voir des vidéos. On va donc essayer de faire un site vitrine de PeerTube, en disant « si on bosse sur PeerTube, c’est parce qu’on rêve de vidéos, on rêve de plateformes vidéos, donc montrons ce pourquoi on travaille. Il y a déjà plein de belles vidéos qui sont partagées, montrons-les. » Et surtout, en les montrant, l’idée, c’est de montrer comment on peut faire de la curation avec PeerTube, que d’autres puissent copier ces recettes-là.
On n’a pas encore commencé sur peer.tube, je pense qu’on commencera en 2024, mais il y a aussi une envie d'essayer de commencer à faire communauté avec d’autres instances, d’autres plateformes PeerTube qui font déjà de la curation. On parle avec septikon.fr, une instance qui fait du scepticisme et de la science, en français ; avec TILvids qui héberge des vidéos en anglais d’amusement et d’éducation, TILvids pour Today I Learned videos. On parle avec ces gens-là, on se demande comment est-ce qu’on pourrait se rassembler, si c’est une bonne idée de se rassembler, ou pas, sur quelle base. Puisque nous faisons un travail de curation de contenus et de choix, de mise en avant de contenus, comment est-ce qu’on pourrait parler ensemble ?
Laurent Costy : Merci. En trois à quatre minutes maximum, le dernier point, Emancip’Asso, et puis le financement de cette campagne qui est assez ambitieuse, je le répète, je l’ai beaucoup répété, mais je pense que c’est vrai.
Pouhiou : L’idée d’Emancip’Asso c’est de se dire qu’il y a plein d’hébergeurs qui proposent des solutions alternatives, notamment des chatons, mais souvent, quand une association vient les voir, ces chatons ne savent pas forcément quels sont les besoins, quels sont les enjeux. Donc faire une formation à ces hébergeurs pour qu’ils apprennent comment accompagner les associations. Évidemment, l’idée n’est pas de juste faire une formation une fois, mais que cette formation soit reproductible, donc, derrière, captation vidéo, MOOC, et puis créer une plateforme pour mettre en relation les hébergeurs qui proposent ça et les associations qui auraient besoin d’un accompagnement pour leurs besoins numériques. Voilà pour Emancip’Asso. C'est un gros projet fait en collaboration avec Animafac [Réseau des associations étudiantes].
Sur le financement de la campagne, on est en pleine campagne de financement et on est arrivé au tiers ce matin. On a donc 66 000 euros sur les 200 000 qu’on espère avoir d’ici fin décembre.
Gee : Il faut préciser qu’on est financé quasiment exclusivement par les dons. Quand tu dis campagne, c’est campagne de dons, comme on fait tous les automnes, je crois.
Pouhiou : Tout à fait. En 2021, 98,5 % de notre budget étaient des dons et 87,5 % de notre budget étaient des dons de particuliers. Ce sont vraiment les gens qui financent ces services pour tout le monde. En général une personne sur 1000 qui utilise nos services finance. Donc, si vous voulez être la personne sur 1000 qui finance Framasoft, vous allez sur soutenir.framasoft.org.
Gee : Et c’est déductible des impôts.
Laurent Costy : Oui, car vous êtes reconnus d’utilité publique. J’ai une question dans le chat : que devient Tonton Roger ?
Gee : Il est à la retraite.
Laurent Costy : Et puis, pour compléter ce qu’on disait tout à l’heure sur le fait de ne pas se prendre au sérieux, ce qui peut aussi contribuer au succès des campagnes de Framasoft c’est tout ce qui est illustration. Gee en fait partie, il a donné une patte à Framasoft depuis très longtemps. Moi, j’ai utilisé le petit outil qui permet de faire des dessins, le générateur de Geektionnerd, je trouve ça génial pour illustrer des comptes rendus d’activité d’une association. C’est simple, mais d’une efficacité redoutable.
Gee : C’est notre camarade Cyrille qui l’avait mis en place, j’en profite pour le remercier.
Laurent Costy : Franchement, je trouve que l’outil est vraiment génial. Il y a aussi David Revoy qui est entré dans la danse depuis et qui a un dessin qui contribue vraiment à faire rayonner Framasoft.
Pouhiou : Allez déjà voir sa BD libre en ligne, Pepper&Carrot, sur peppercarrot.com. C’est un tel bonheur de travailler avec David Revoy, si tu savais, parce que c’est simple, c’est fluide, les idées pétillent ! Je vous recommande vraiment de faire des prestations avec David Revoy, s’il accepte, c’est un régal !
Laurent Costy : On avait prévu de l’inviter. L’émission d'aujourd’hui ce n'était pas la campagne de Framasoft, c’était « Qui est David Revoy ? », sur la ???[42 min 16]. Il reviendra !
Gee : D’ailleurs j’en profite pour dire, si ça vous intéresse et si vous êtes sur Mastodon, que vous pouvez suivre le #ComicsBattle. En ce moment, David et moi faisons une sorte de BD, pas collaborative, mais chacun fait une histoire après l’autre et on s’amuse bien.
Laurent Costy : Merci, super. Je vais repasser la parole à Isabella Vanni. Il va peut-être y avoir un vol de canards entre-temps ?
[Coin-coin, cancan de canard]
Isabella Vanni : Parfait. Pour la pause musicale, nous allons écouter Mix It Up par Golden Duck Orchestra, je répète, Golden DUCK Orchestra, je suis très fière de moi ! On se retrouve juste après, belle journée à l’écoute de Cause commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Mix It Uppar Golden Duck Orchestra.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Mix It Up par Golden Duck Orchestra, disponible sous licence libre Creative Commons CC BY 3.0.
[Jingle]
Deuxième partie[modifier]
Isabella Vanni : Avant de poursuivre avec notre sujet principal, je vous rappelle que nous avons ouvert un questionnaire pour mieux connaître notre auditorat. Y répondre vous prendra cinq minutes et nous permettra d’évaluer l’impact de notre émission. C’est également une occasion pour vous de nous faire des retours, donc de nous aider à améliorer notre émission Libre à vous !. Retrouvez le questionnaire sur le site libreavous.org.
Je suis Isabella Vanni. Nos invités sont Gee et Pouhiou de Framasoft ; cette émission est consacrée aux nouvelles de Framasoft. L’échange est animé par Laurent Costy, chargé de mission Éducation et Communs numériques aux CEMÉA.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Laurent, Gee et Pouhiou, je vous laisse poursuivre l’échange.
[Coin-coin, cancan de canard]
Laurent Costy : Et revoilà un vol de canards. Nous reprenons le sujet de l’émission sur la campagne de Framasoft. Nous allons échanger, après, sur les « caonnards pros ».
Tout à l’heure, Pouhiou, tu voulais préciser l’origine du coin-coin, expliciter le coin-coin.
Pouhiou : Si vous allez sur soutenir.framasoft.org, n’hésitez pas !, un, vous pouvez nous faire un don, mais deux, vous pouvez voir toutes les infos dont on a parlé aujourd’hui, toute cette campagne et ces quatre grands projets. Il y a un titre « Collectivisons Internet / Convivialisons Internet » et, si vous sur regardez ce titre, vous avez un petit canard ou un petit œuf et, si vous cliquez là-dessus, c’est clairement un easter egg, vous allez avoir l’autre version de cette page « soutenir », qui est une version canard, d’où la campagne qui s’appelle « Coin / Coin ». Tous les titres et toutes les citations changent avec des jeux de mots autour du canard. Et ça, c’est la faute à une personne que je vais dénoncer aujourd’hui, parce que je n’ai pas peur, je dénonce et en plus attention !, vous la connaissez bien à l’April, puisque c’est Bookynette, la nouvelle présidente de l’April, félicitations à elle!
On cherchait le nom de cette nouvelle campagne. On était là « on va parler des collectifs, Collectivisons Internet, c’est bien, ça va rappeler un peu l’action de Dégoooglisons et tout ça », et puis quelqu’un a dit « en même temps, si on commence à nous dire « le collectivisme stalinien », ce n’est pas trop notre came, ce n’est pas trop notre délire ! ». « Convivialisons Internet », c’est peut-être un peu moins, mais, du coup, tout l’aspect un peu politique, la société dont on veut – à part si on connaît les outils conviviaux d’Illich, mais peu de monde a la référence –, c’est compliqué. Donc on échange là-dessus, puis Bookynette, dans la discussion par e-mail, nous dit : « Écoutez les amours, je vous aime beaucoup, mais ces deux noms ne me font pas rêver ! C’est un peu long. Et puis quand je suis sur un stand et que je parle des chatons, ça fait sourire les gens, du coup ils viennent, je leur parle du Libre, et c’est trop cool ! Et là, j’ai fait une connerie. J’avoue, je connais Framasoft, je savais qu’il ne fallait pas faire ça, mais je ne sais pas...
Gee : Tu dis que c’est Bookynette, mais c’est vrai que c’est quand même beaucoup plus de ta faute !
Laurent Costy : Si les slogans de Framasoft sont trouvés par l’April, ça ne va pas le faire ! J’en tombe !
Pouhiou : J’ai répondu à Bookynette, pour la blague, et je n’ai pas réfléchi : il ne faut pas blaguer avec Framasoft. J’ai fait « écoute, Booky, ne vient pas me chercher, sinon le nom de la campagne, c’est « Collectivisons Internet / Convivialisons Internet » et le surnom c’est « Coin / Coin ». Tout le monde a fait : « Waouh ! Trop bien ! », et là tu te retrouves dans la communication en disant « purée, on a un projet, une ambition politique, un machin, et là « Coin / Coin ». Mais qu’est-ce que je vais faire avec ça ? » J’ai même été payé par Framasoft, ainsi que mes collègues à la communication, Aurore, Angie, Pyg. Nous avons été payés pour prendre du temps pour savoir comment on appelle un groupe de canards ; quand ils sont dans l’eau, c’est un radeau, quand ils sont en l’air, c’est une troupe. Voilà ! Merci Internet. Du coup on fait plein de jeux de mots pourris : voler dans les plumes des GAFAM et se prendre le bec contre le capitalisme de surveillance.
Laurent Costy : C’est très clair, on sait pourquoi les « coin-coin » traversent l’émission depuis le début, n’est-ce pas Étienne ?
Étienne Gonnu : J’ai bugué tout à l’heure. En anglais c’est a flock et c’est là-dessus que je me suis embrouillé.
Laurent Costy : Un dernier petit canard, Étienne, avant de passer aux Connards pros ?
Pouhiou : Dans le café !
[Coin-coin, cancan de canard]
Laurent Costy : Merci.
On voulait consacrer la deuxième partie de l’émission plutôt à ce que vous faites tous les deux, très complémentairement, finalement, à ce que fait la campagne de Framasoft. On retrouve ça sur le site connard.pro. J’ai bien dit un gros mot, je pouvais dire « caonnard » pour les enfants. Essayez de nous raconter un petit peu la genèse de ce site !
Gee : À la base je ne me souviens plus trop. Pouhiou avait écrit plusieurs bouquins. Le premier s’appelait #Smartarded. Dans ce livre, le personnage principal se présentait comme Connard professionnel, ou « ingêneur », en cela qu’il utilisait la malveillance comme source de profit, donc emmerder les gens pour faire de l’argent.
Laurent Costy : Ça n’arrive pas dans notre monde, heureusement !
Pouhiou : Non ! Pensez donc ! Jamais !
Gee : J’étais en thèse à ce moment-là et, étant dans une salle de classe où il y avait un écran de projection, je me faisais la réflexion que s’ils avaient juste mis des murs blancs, ils n’auraient pas eu besoin d’acheter d’écran de projection. J’en ai parlé à Pouhiou, on a commencé à délirer là-dessus, à se dire « est-ce qu’il n’y aurait pas des Connards professionnels qui forcent les universités à mettre des coloris dégueulasses sur les murs, vert moisi, jaune vomi, jaune pisse ? ». Je faisais déjà des petits dessins, Pouhiou était auteur, de fil en aiguille on a commencé à se dire qu’on pourrait faire quelque chose ensemble et on s’est dit qu’on allait faire le Guide du connard professionnel. Du coup, le premier épisode est sur les écrans de projection.
Pouhiou : Tout à fait.
Gee : Après c’était très facile de trouver d’autres choses et, sur les réseaux sociaux, les gens nous aidaient.
Pouhiou : Il suffisait d’étudier un petit peu le marketing : l’ouverture facile qui ne s’ouvre pas facilement, c’est une vraie chose, qui existe vraiment en marketing, ça s’appelle le syndrome de l’huître. Quand tu as du mal à ouvrir ton truc et que tu y arrives enfin, ah !, il y a un soulagement, c’est une émotion bénéfique qui est associée avec le produit que tu découvres à ce moment-là. Le produit a donc plus de valeur, ça s’appelle le syndrome de l’huître, tu as trouvé une perle ! Vraiment, allez dans une école de commerce, vous allez voir !
Laurent Costy : Donc ça, c’est dans votre spectacle ?
Gee : Ça non. Je finis rapidement. On a fait ça aux alentours de 2014, 2015. C’était sous licence domaine public volontaire, donc Creative Commons 0. On avait fait un petit truc de financement qui était sympa : les gens pouvaient nous faire des dons. À l’époque, on s’était fixé comme objectif de faire un épisode toutes les deux semaines et, si la barre de dons était remplie, un épisode bonus était déclenché, du coup, il y avait un épisode la semaine où, normalement, il n’y en avait pas. Ça a été rempli deux/trois fois en tout. Après, malheureusement, on a un peu perdu l’énergie, l’envie de faire ça. Le projet est un peu tombé en jachère et il s’est réveillé cette année.
J’étais dans une phase où je nettoyais un peu mes vieux projets, comme Le Geektionnerd qui était sur un vieux site, plus très à jour. J’avais tout bien rangé et du coup, l’admin-sys de Framasoft, Luc, me dit : « Est-ce que tu ne voudrais pas faire pareil pour les Connards pros, parce que, pareil, le site est un peu vieillot ? ». Du coup je me dis « est-ce qu’on ne ferait pas un épisode de conclusion ?, en profiter pour bien finir le truc ». Je demande à Pouhiou, je lui dis « en plus nous n’avons pas été là pendant tout le quinquennat Macron, le premier, est-ce qu’on ne pourrait pas se dire que ce quinquennat Macron, c’était un peu les Connards professionnels au sommet de l’État ? » Et finalement, ça n’a pas tourné comme ça. je laisse Pouhiou continuer.
Pouhiou : Pour moi c’était plus difficile d’écrire, parce que je suis à plein temps sur Framasoft et, finalement, j’écris beaucoup dans le cadre de mon travail. Donc voilà ! En même temps que Gee me dit ça, Pyg, mon collègue à la codirection de Framasoft, me dit : « Vu que tu bosses beaucoup sur l’économie de l’attention et ces mécanismes-là, il faudrait qu’on ait une conférence un peu de référence là-dessus, avec une vidéo, pour dire aux gens, en une heure ou deux, voilà comment ça marche et quel est l’état des lieux. » OK, ces deux idées-là sont dans ma tête, à un moment donné il y a des besoins. Arrivent les élections présidentielles de 2022, le résultat du premier tour. Je ne sais pas pourquoi, j’étais un peu véner, donc j’avais besoin de me défouler et, d’un coup d'un seul, ces deux idées se rencontrent dans ma tête. Plutôt que de faire une énième conférence sur le capitalisme de surveillance et l’économie de l’attention en disant « ce que font les géants du Web est affreux ! Le numérique était un idéal magnifique, une utopie formidable, voilà comment ils nous l’ont dévoyé par l’espace marchand ! » ; c’est déprimant au possible ! Et si, au contraire, on faisait l’inverse, on disait : « Vous savez quoi ? On va vous expliquer comment devenir des winners du capitalisme de surveillance, comment devenir des Connards. Nous sommes des Connards professionnels, nous allons vous former, vous, bébés connards et bébé connasses, donc repartir à l’inverse. Et ça a été jubilatoire ! Je me suis défoulé pendant une semaine, sur mon temps à Framasoft, parce que Framasoft héberge le site connard.pro, c’est un partenaire des Connards Pro. J’ai donc commencé à me lancer dans un pad sur cette conférence ; Gee est venu me rejoindre sur le pad et on a bien déliré ensemble.
Gee : Du coup on a écrit cette conférence. Le gros de la matière a été écrit par Pouhiou et j’ai rajouté des bêtises. On a commencé à la répéter, on a rajouté des bêtises pendant les répétitions, parce qu’on trouvait d’autres choses, forcément. Au départ, c’était une petite conférence d’une heure, maintenant elle fait, je crois, 1 heure 40. On l’a jouée pour la première fois aux Geek Faëries, à Selles-sur-Cher, dans des conditions ! Il y avait un orage, on ne savait pas si ça allait sauter ou pas.
Pouhiou : Il y avait eu la fin du monde, juste avant le spectacle.
Gee : C’était incroyable ! Un mec bourré nous a emmerdé pendant toute la première partie de la conférence.
Laurent Costy : C’était au mois de mai de cette année 2022.
Gee : C’est ça. Finalement on l’a rejouée, cette fois dans des conditions qu’on avait prévues pour faire une captation, pendant un Framacamp, un week-end où on se retrouve avec les camarades de Framasoft. Là nous nous sommes mis vraiment dans de bonnes conditions, avec une belle caméra, un bon son ; on a fait une captation que j’ai montée en coupant les passages où on avait merdouillé et on l’a sortie cet été. Du coup on en a profité, on s’est dit « maintenant, on va vraiment finir le bouquin – à l’époque ce n’était pas encore un bouquin –, on va finir le blog et, au lieu de faire un épisode final, comme je voulais le faire, on en a fait trois qui reprennent la trame de la conférence. On a fait ça pendant l’été et on a sorti la nouvelle version du site, les épisodes inédits et la version livre, parce qu’on l’a publiée en livre, au mois de novembre, qu’on trouve sur le site connard.pro.
C’est donc un bouquin qui est, comme le blog, sous licence domaine public volontaire, donc vous pouvez le scanner, le revendre, faire ce que vous voulez avec, ça ne nous embête pas. J’en profite pour dire qu’on le dédicacera à la librairie de Bookynette jeudi 8 décembre de 16 heures à 19 heures.
Laurent Costy : Encore elle ! C'est incroyable, elle est partout !
Pouhiou : D’ailleurs là, en sortant de la radio, on va donner la nouvelle conférence, parce qu’entre-temps, on s’est rendu compte de plein de manières de l’améliorer, donc on l’a réécrite. Attention !, elle est plus longue, mais elle est aussi moins dense, parce qu’il y avait trop de choses. On a donc essayé de prendre plus de temps pour prendre plus de plaisir, que ce soit plus abordable pour les gens, en fait, et moins pour les spécialistes.
On va la faire à l’École 42, parce que nous sommes invités par les copain·e·s du chaton La Contre-Voie. Et jeudi soir, le 8 décembre, au CICP [Centre International de Culture Populaire] rue Voltaire à Paris, vous pouvez nous rejoindre à partir de 20 heures, me semble-t-il. L’entrée est gratuite, donc n’hésitez pas, venez voir les Connards professionnels.
Laurent Costy : On encourage tout le monde à y aller. Nous baignons effectivement dans ces sujets-là – Framasoft, l’April, etc. –, nous regardons cette question-là depuis très longtemps, nous creusons ces sujets-là. Pour des auditeurs qui seraient actuellement à la radio, qui ne connaîtraient pas bien ces sujets-là, qui ne comprendraient pas pourquoi il faudrait se méfier des GAFAM, des géants du Net en général, puisqu’il n’y a pas que les GAFAM, de l’autre côté, il y a aussi de belles entreprises qui captent de la donnée, parfois même de manière encore plus violente, en Chine avec la reconnaissance faciale, etc. Je vais faire un peu le sérieux, je suis désolé, on peut peut-être passer un petit coup de canard avant.
[Coin-coin, cancan de canard]
Laurent Costy : Merci Étienne. Comment peut-on expliquer simplement aux gens ce qui se trame, ce qui se joue avec ces géants du Web qui centralisent la donnée, qui captent de la donnée ? On a dix minutes, ce n’est pas forcément évident.
Gee : Tu disais que vous parlez de temps en temps ici du capitalisme de surveillance. On va quand même rappeler que le capitalisme, ça ne veut pas dire qu’on va faire de l’argent sur les outils de surveillance, sur les caméras de surveillance, ce n’est pas ça. C’est comment on fait de l’argent sur le fait d’espionner et de mettre les gens sous surveillance. Ce dont on parle notamment beaucoup dans la conférence c’est le fait qu’on ne capte pas les données personnelles des gens mais vraiment leur comportement, c’est-à-dire qu’on enregistre comment les gens se comportent et, grâce à ça, on arrive à monétiser.
L’exemple probablement le plus simple et le plus inquiétant, c’est celui de l’influence des élections qui est assez connu, il y avait eu le scandale Cambridge Analytica. Ce qui est très pervers c’est qu'en sachant simplement comment les gens réagissent à telle ou telle info vous n’avez même pas besoin de faire campagne pour quelqu’un. Dans la conférence on donne l’exemple de Trinité-et-Tobago. C’est un endroit où vous avez deux partis, le parti des Noirs et le parti des Indiens. En gros, ils ont utilisé juste deux informations, qui ont l’air toute bêtes, pour faire gagner le parti des Indiens. La première information c’est que les jeunes s’abstiennent plus que les vieux. On vote moins quand on est jeune, c’est le cas partout. Et, deuxièmement, la hiérarchie familiale était beaucoup plus forte dans le parti des Indiens.
Pouhiou : Du coup ça y est ! Là tu as gagné les élections. Pourquoi as-tu gagné les élections ? La plupart des élections, aujourd’hui dans nos démocraties, se jouent à trois fois rien. Donc, en ciblant une partie très précise de la population, tu peux finalement décider de qui va diriger l’État.
Gee : Donc ce qu’ils ont fait – et c’est là où c'est vraiment pervers–, ils n’ont pas du tout fait campagne pour le parti des Indiens, ils ont fait une campagne pour favoriser l’abstention chez les jeunes, donc un truc qui dénigre le scrutin, qui dit « abstenez-vous, élections piège à cons ! ». Mais, comme la hiérarchie familiale est plus forte chez les Indiens, même si tu as dit « élections piège à cons », si papa et maman te disent d’aller voter, tu y vas. Ce qui fait que les Indiens se sont beaucoup moins abstenus que les Noirs et, du coup, ils ont gagné. C’est vraiment extrêmement pervers.
Pouhiou : De même, toujours pour Cambridge Analytica. L’entreprise qui est derrière Cambridge Analytica c’est SCL Group [Strategic Communication Laboratories]. Pour l’élection de Trump, elle visait énormément les personnes racisées qui auraient plutôt voté Hillary mais pour qui Hillary n’était soit pas assez à gauche, soit pas assez au point sur les questions racisées. Elle les visait pour que ces personnes restent assises dans leur canapé le jour du vote et n’aillent pas voter, comme ça, elles ne votaient pas pour Hillary et Trump passait. Donc, elle a favorisé l’élection de Trump, elle a favorisé le Brexit, etc.
Je vous recommande vraiment d’aller sur le blog des copines de Hacking social, c’est d'ailleurs aussi sous licence libre, elles ont fait toute une enquête formidable sur Cambridge Analytica. Ça va au-delà des manipulations d’élections, ce sont des manipulations de populations. Steve Bannon, notamment, a travaillé avec Cambridge Analytica en faisant des tests scientifiques sur des centaines de milliers de personnes sans qu’elles s’en aperçoivent, pour voir comment manipuler leur opinion et comment les polariser. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, si tout le monde s’engueule et personne ne s’écoute, c’est grâce – grâce ! – à cause du travail scientifique de Steve Bannon et de Cambridge Analytica, qui ont fait des tests scientifiques sur les gens, qui ont vu ce qui marchait et qui ont utilisé ça à grande échelle avec les sites d’information de Steve Bannon, donc Breitbart News, ces horreurs-là, et de la publicité ciblée.
Gee : Je précise qu’il a dit « grâce » parce qu’il est déjà dans le personnage de la conférence. On présente ça comme étant quelque chose de fantastique.
Pouhiou : C’est un Connard de génie ! C’est un Connard professionnel ! Vous vouliez savoir, voilà !
Gee : Respect et dividendes à Steve Bannon !
Pouhiou : Tout à fait !
Laurent Costy : Respect et dividendes à Steve Bannon ! Bien sûr ! Pour ceux qui ont vu la conférence, qui la regarderont, ils comprendront à ce moment-là.
Effectivement, on mesure bien ce qu’on évoquait en début d’émission, la question de la décentralisation. C’est finalement extrêmement important pour éviter de donner le pouvoir à une entreprise qui peut influencer directement les démocraties.
Gee : C’est ça.
Pouhiou : Et qui peuvent aussi influencer la culture. Comme j’ai dit, j’ai été youtubeur. J’étais dans ce milieu de vidéastes notamment en 2014-2015, quand il y avait un aspect un peu radio libre, on avait l’impression qu’on pouvait faire tout ce qu’on voulait, c’était génial ; il y avait vraiment une dynamique magnifique. Et tu vois des gens qui, d’un coup d’un seul, vont commencer à faire des titres « Ça tourne mal », à faire des gueules bizarres sur leur vignette, à changer leurs contenus. Ils faisaient des vidéos de 45 minutes parce que ça les éclatait, mais non ! L’algorithme te dit que tu dois les faire de trois à cinq minutes. Et puis non !, ça ne va plus ! Maintenant, deux ans plus tard, il faut les faire de sept à douze minutes et puis raccourcir ton générique et dire « abonne-toi et mets la cloche ».
Tu vois que dès que tu as plus de 2000 abonnés, Google t’offre une formation. J’ai suivi la formation, j’étais malade comme un chien, j’ai fait chier le mec à mort parce que je l’ai poussé dans ses retranchements de partout, je voulais savoir ce qu’il disait. Tu as une formation en ligne avec des slides qu’ils ne te donnent jamais, bien sûr, pour t’expliquer ce qu’il faut faire pour que tes vidéos soient en tête d’affiche, donc ils t’éduquent, en fait ils te dressent. Et fondamentalement, en choisissant la plateforme et en choisissant quelles sont les récompenses que tu auras sur la plateforme en tant que créateur, ils choisissent comment tu vas créer, le format de ce que tu vas créer, mais, quand on crée, le fond et la forme vont toujours ensemble, donc ils changent la culture. Ça change la politique, ça change la culture. Tout ça, pourquoi ? Parce que, à chaque fois, il n’y a qu’un seul endroit où on va voir la vidéo, il n’y a qu’un seul endroit où on prend son e-mail, il n’y a qu’un seul endroit où on discute avec ses potes.
Laurent Costy : Si je pousse – je me fais un peu l’avocat du diable – avec la décentralisation est-ce que, finalement, on ne sépare pas aussi des cultures ? Comment fait-on pour lutter contre ça avec la décentralisation ? J’imagine qu’il y a quand même des moyens, pour rassurer un peu les auditeurs ; c'est ce qu’on pourrait objecter.
Pouhiou : Je ne suis même pas sûr que cette objection soit juste. Je suis désolé, mais il n’y a jamais eu besoin d’Internet pour que les bulles sociales existent. Très clairement, quand je vais au café du coin, dans le petit village du Tarn où je suis, c’est une bulle sociale ; quand je suis dans des associations libristes, c’est une toute autre bulle sociale. Et, sociologiquement parlant, ce ne sont pas du tout les mêmes catégories, ce ne sont pas du tout les les mêmes personnes. En fait on est déjà dans des bulles, on a juste reproduit ça sur Internet et, derrière, le capitalisme s’en est servi pour nous manipuler.
Gee : Au niveau de la décentralisation, il y a quand même quelque chose qui est très important, dont on parle aussi dans la conférence, c’est la fédération. C’est-à-dire que, certes, on va avoir plusieurs îlots, plusieurs instances PeerTube, Mastodon, tout ça, mais elles peuvent quand même communiquer. Bon, ça ne va pas régler le problème des bulles sociales, qui n’est pas un problème technique, par contre, de toutes façons, on ne sera pas pire que YouTube.
Laurent Costy : Et puis le fait, peut-être, que chaque instance est gérée par un groupe, à une échelle humaine, va faire que ça va se réguler de manière un peu plus naturelle qu’avec une personne qui décide pour l’ensemble.
Pouhiou : On peut négocier, on peut discuter. Va frapper, toi, aujourd’hui, à la porte de Google parce que tu as un problème avec leurs services ; c’est complexe !
Ce qui m’intéresse sur ces questions de sphères sociales, c’est important, à un moment donné, de pouvoir se cloisonner et se fermer à certaines cultures. On sait très bien que pour combattre l’extrême-droite et le fascisme, à un moment donné, il ne faut pas lui donner d’attention, il faut l’ostraciser, il faut l’enfermer dans sa bulle et c’est comme ça qu’on l’éradique. Vraiment ! Il y a des études scientifiques là-dessus, et c’est notamment ce qu’on peut faire avec ces outils de fédération. Ce sont souvent des personnes qui veulent que le grand public ait un accès à ces discours-là et qui disent : « Pourquoi est-ce que vous ostracisez ? ». En fait c’est très utile, à un moment donné, de pouvoir se protéger, parce que tous les discours ne sont pas égaux. Quand des gens disent « on veut tuer les personnes comme ci » et d’autres « on veut survivre », je ne me vois pas dire « hé !, on ne peut pas trouver un juste milieu ? »
Laurent Costy : Intéressant !
Gee : Sur tout cet aspect décentralisation, l’un des gros avantages c’est que si vous avez une entreprise comme Cambridge Analytica – en fait peu importe qui –, qui veut avoir un levier d’influence pour gagner une élection, elle a un bouton à appuyer, une porte à laquelle frapper. Là elle en a des milliers qui ne seront pas forcément d'accord. Je ne dis pas que ce n’est pas faisable, mais ça va quand même demander un peu plus d’efforts et c’est bien de demander plus d’efforts aux gens qui veulent manipuler les choses. Moi, j’aime bien l’idée !
Laurent Costy : Pas mal, ces échanges sont intéressants. Merci.
Par rapport à la collecte de données, peut-être on peut-on faire une liste de cadeaux qu’il ne faut pas acheter à Noël.
Gee : Il y en a un qu’il faut acheter, c’est Le Guide du connard professionnel.
Pouhiou : Vous pouvez même ne pas l’acheter, il n’y a pas de problème, vous pouvez l’imprimer chez vous, etc., pas de souci, nous sommes d’accord.
On voit bien, vraiment, que tous ces objets connectés, etc., c’est de la captation de données. J’aime énormément un article de Kashmir Hill, journaliste formidable, qui a connecté sa maison pendant un mois. Elle a mis tous les objets connectés qu’elle a pu trouver et elle a demandé à l’administrateur système d’analyser ce qui sortait de sa box. Au-delà de l’analyse technique qui est formidable, sa conclusion est magistrale, ce n’était pas la question des données, elle dit : « La maison connectée, c’est chiant ! Ma maison me donne des ordres, ma maison me dérange toutes les cinq minutes parce que je n’ai plus de café, parce qu’il faut que j’étende mon linge, parce que machin. J’en ai ras-le-bol. Je n’ai pas le contrôle de ma maison, c’est elle qui me contrôle ! » Et informatiquement, à un moment donné, tu ne peux pas faire autrement que dire à l’humain : « Humain, tu dois faire ça ». En fait, ça montre très clairement le choix de société que l’on veut. À quoi doit nous servir le numérique ? Le numérique, ce n’est pas juste pour le plaisir d’avoir la technologie, même si je suis vraiment techno geek, je suis à fond là-dessus, je suis très enthousiaste, mais c’est, finalement, quel monde voulons-nous ? Voulons-nous un monde où notre lave-linge nous engueule, notre ceinture nous engueule et puis notre voiture nous dénonce ? Est-ce que nous voulons ça ?
Laurent Costy : Et puis notre espion, la boîte Google ou la boîte Alexa, qui ne nous écoute pas, mais qui nous écoute quand même, parce qu’en fait il faut bien qu’elle écoute si on l’appelle, donc qui capte aussi de la donnée. Encore un cadeau à ne pas acheter !
Gee : Il paraît qu’Alexa va bientôt être finie, j’ai vu que c’est, apparemment, un échec d’Amazon.
Pouhiou : C’est pas du tout rentable pour eux.
Gee : C’est triste !
Pouhiou : D’autant plus que les gens te disent : « Mais non, ça ne t’écoute pas, c’est traité en interne ». Il faut regarder le travail d’Antonio Casilli. Va dire ça aux travailleurs et travailleuses du clic, notamment à Madagascar : comme l’intelligence artificielle n’est pas du tout intelligente, ne marche pas, eh bien, à un moment donné, des gens écoutent ce qui se dit pour le taper dans l’ordinateur, pour que l’ordinateur s’entraîne et comprenne. Ce sont des travailleurs et travailleuses qui sont totalement exploités à Madagascar. Est-ce que nous voulons aussi de ce monde-là ? Parlons-en. Ils écoutent nos conversations. Ça s’est passé aussi avec Apple et Siri, l’assistant vocal ; ça s’est passé avec Google. On a vraiment des témoignages de partout sur ces choses-là : plein de gens, aujourd’hui, tapent les phrases qui sont entendues.
Laurent Costy : Merci tous les deux. On arrive au bout du sujet long, le temps a passé extrêmement vite. On aurait encore eu 42 milliards de choses à dire. Est-ce que vous avez une dernière chose à dire avant que je passe la parole à Isabella ? Prout ?
Pouhiou : Ah oui, prout, c’est une bonne conclusion. Moi je suis obligé, je suis salarié de Framasoft, donc n’hésitez pas à nous soutenir, soutenir.framasoft.org/.
Laurent Costy : Et puis l’April !
Pouhiou : Oui, tout à fait ! Important.
Isabella Vanni : Merci Laurent, merci à nos deux invités Gee et Pouhiou.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Isabella Vanni : Après la pause musicale, nous écouterons l’interview d’Ève, nouvelle recrue du groupe Transcriptions de l’April. Nous allons écouter Nunca par El violinista del amor & los pibes que miraban. On se retrouve juste après. Belle journée, à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Nunca par El violinista del amor & los pibes que miraban.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Nunca par El violinista del amor & los pibes que miraban, disponible sous licence libre Creative Commons CC BY SA 3.0.
[Jingle]
Isabella Vanni : Je suis Isabella Vanni. Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Interview d’Ève, nouvelle recrue dans le groupe Transcriptions de l’April[modifier]
Isabella Vanni : Nous allons poursuivre avec l’interview d’Ève, nouvelle bénévole dans le groupe Transcriptions de l’April. Le sujet a été enregistré il y a quelques jours, je vous propose donc de l’écouter et on se retrouve juste après.
[Virgule sonore]
Isabella Vanni : Bonjour Ève, merci d’être avec nous. Pour démarrer notre échange, je te propose de répondre à une question classique : qui es-tu ?
Ève : Bonjour. Je m'appelle Ève, je suis la nouvelle recrue de l’équipe Transcriptions de l'April, depuis août 2022, et on me demande de vous parler de mon expérience. Je vais tout d'abord profiter de mon passage à la radio pour vous raconter ma vie. Je plaisante... Mais quand même, le contexte n'est pas anodin, ni universel dans l’équipe.
Isabella Vanni : Dans quelles circonstances as-tu démarré ton activité dans le groupe Transcriptions ?
Ève : Je suis à la retraite depuis avril dernier, donc 2022, et je me suis tout de suite demandé ce que je pourrais bien faire pour être utile à la collectivité. J'ai donc passé des entretiens d'embauche en bénévolat, en septembre, pour trouver des associations sympas et un cadre chaleureux. Du coup, je donne des cours de français aux étrangers le jeudi soir et, le mercredi matin, j'accueille des citoyens en détresse numérique pour les aider à remplir leurs formulaires et obtenir ce à quoi ils et elles ont droit. Vous pouvez voir la chronique « Les humeurs de Gee » intitulée « Les fracturés du numérique », dans l'émission Libre à vous! du 15 novembre ou les activités d'Antanak, dans cette même émission.
Tout ceci s'adapte à mon histoire professionnelle, tant en termes de compétences que d'appétence, ce qui est très important pour les activités de la retraite. J'ai travaillé à diffuser l'information sous diverses formes. J'ai d'abord enseigné dans une imprimerie offset, puis j'ai été maquettiste PAO [Publication Assistée par Ordinateur] dans la presse et la publicité. En 1995, je suis tombée dans le Web, j'ai fait mon premier site web avec l'éditeur de texte BBEdit et quatre personnes aux quatre coins de la France, c'était le site d'un réseau de militants antifascistes. J'ai fini ma carrière dans le Web, du côté éditorial et animation d'équipe, avec une mince couche technique puisque je créais les sites web puis je formais à leur mise à jour. J'ai aussi été correctrice et j'ai travaillé à propulser l'accessibilité du Web aux personnes handicapées, selon le référentiel RGAA, qui est le Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité. Bref !, j'ai gagné ma vie à diffuser de l'information et à former.
Isabella Vanni : Et le Libre ?
Ève : Ah, côté Libre ! Je me souviens encore des étoiles dans les yeux de mon compagnon, quand un Allemand l'a rappelé, un soir de 1994, pour lui dire qu'il était accepté dans leur groupe de développeurs libristes ! Les étoiles y sont toujours... Donc j'accompagne la philosophie, mais pas du tout la technique, d'autant que mon compagnon est dans les réseaux et la sécurité, pas dans le HTML ni les CSS. N'empêche ! La philosophie du Libre me convient et je connais des acteurs et actrices, des conférences, des associations, j'ai participé à Paris à une manif glaciale avec La Quadrature du Net.
Donc, quand mon compagnon m'a proposé de réaliser les transcriptions pour l'April, j'ai dit banco et j'ai contacté Marie-Odile, la grande ordonnatrice de la chose, qui a un parcours tout à fait différent, vous verrez.
Isabella Vanni : Que faut-il faire et savoir faire pour participer aux activités du groupe Transcriptions ?
Ève : L'activité conjugue mes compétences et mes goûts : il s'agit de transmettre l'information en transcrivant littéralement des vidéos ou des podcasts au format texte. C'est un travail qui demande du temps, mais on le fait quand on veut. Et du soin : une orthographe irréprochable et un bon style sont indispensables. Mais attention ! Le travail n'est pas du tout mécanique, il y faut une réflexion stylistique car les tournures qui passent bien à l'oral ne passent pas toujours à l'écrit. Il faut reprendre les phrases, enlever les « euh », les « bah », les découper en morceaux, retranscrire les effets d'intonation avec des tournures de style tout en conservant l'essentiel du discours et bien travailler la ponctuation et les découpages de paragraphes, qui transmettent la logique des idées et des démonstrations. C'est intellectuellement tout à fait stimulant et jamais monotone.
Je profite également du format texte pour faire de l'enrichissement en fournissant des liens par notes de bas d'article. Cela peut paraître lourd à la lecture, mais cela fournit des précisions ou des références aux personnes qui ne sont pas expertes dans le thème abordé. J'utilise le plus souvent Wikipédia, l'encyclopédie libre, pour fournir une référence neutre.
Isabella Vanni : Peux-tu nous rappeler pourquoi c’est important de faire ces transcriptions ?
Ève : À quoi ça sert ? Je vois trois buts :
- d'abord mettre à disposition ces documents sonores aux personnes handicapées auditives, sourdes ou mal-entendantes, qui pourront les lire ;
- deuzio, en améliorer le référencement, puisque les moteurs de recherche sont encore sourds - ça pourra changer -, mais ils savent bien lire et indexer les textes ;
- enfin, notre forme de transcription « verbatim » permet de réutiliser les textes, de diffuser les idées en citant leurs auteur·es.
- Un dernier point : élargir la diffusion des idées. Je viens de terminer une transcription passionnante sur la science ouverte, par un chercheur en sciences humaines et sociales du CNRS, à destination des thésards et jeunes chercheurs. Il s'agit de promouvoir la publication de la recherche scientifique sous des licences libres, qui est alors considérée comme un bien commun. La vidéo en ligne, passionnante et très utile, avait 321 vues quand j'ai commencé la transcription. J'espère que la publication du texte lui donnera plus de visibilité.
Isabella Vanni : Peut-être que des personnes à l’écoute ont déjà envie de participer à ces activités. Est-ce qu’il faut des outils professionnels pour les besoins du groupe ?
Ève : Non, pas du tout. Comme outils, j'utilise mes dix doigts, qui « tapent très vite à la machine », comme on disait quand j'étais gamine, et le logiciel libre VLC pour écouter la piste sonore, la faire avancer, reculer ou rejouer selon mon besoin. J'utilise le logiciel libre Scribe, qui me fournit une transcription automatique, qui fait 50 % du boulot. Après, il faut écouter et corriger sur l'outil bloc-notes de son système d'exploitation. Enfin, vous intégrez le texte au wiki de l'April, c'est très simple, pour une relecture indispensable par une autre personne, car, foi de correctrice, on ne se corrige jamais bien soi-même. Bien sûr, Marie-Odile fera valider la transcription par les personnes interviewées et de là, hop !, en ligne sur le site librealire.org où les statistiques de consultation du site indiquent 400 visites par jour, un chiffre en nette augmentation cette année.
Isabella Vanni : Quelles vidéos ou quels podcasts sont retranscrits par le groupe ?
Ève : Le thème qui relie tous les documents, c'est le Libre, bien sûr. Nous avons une longue liste de transcriptions à faire, trouvées sur les réseaux sociaux, Twitter, Mastodon... En ce moment, par exemple, on va transcrire sur les thématiques environnementales, l'intelligence artificielle, la souveraineté numérique, la cyberguerre, mais aussi le Libre dans l'éducation ou la recherche. Sur le site Libre à lire !, vous verrez tous les mots-clés. C'est impressionnant de diversité, il y en a pour tous les goûts ! Par contre, on est rarement technique, parce qu'on vise un public large. On retranscrit aussi des personnes très douées pour faire de la pédagogie intelligente, de la bonne vulgarisation, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Il y a enfin, chaque semaine, la transcription intégrale de l'émission de radio de l'April, Libre à vous !, du mardi après-midi. Il faut compter cinq ou six heures par semaine pour faire du bon travail et mener une transcription jusqu’à sa publication sur le site librealire.org.
Isabella Vanni : Tu as dit que tu as commencé début août, donc ça fait déjà quatre mois que tu es dans le groupe Transcriptions. Une transcription préférée peut-être ?
Isabella Vanni : Maintenant, je choisis les transcriptions selon mon cœur parce qu’il y en a beaucoup. Mon compagnon me dit « basiste » et moi je pense que je suis « partageuse ». Donc, je vais choisir les conférences sur le thème des communs, des biens partagés, de l'open data, du travail collaboratif — la base du Libre, en somme, et son succès ! J'aime aussi le Libre dans l'enseignement-recherche, les politiques publiques.
Ma transcription préférée, après quatre mois de transcription, c’est la merveilleuse conférence d'Infoclimat, la météo libre : chacun sa station météo dans son jardin et les données partagées sur toute la France... Et les échanges avec Météo France, difficiles mais existants... Et les merveilleuses photos des événements météorologiques sur la météo de France Télévisions. La prochaine fois, regardez la signature en bas à droite !
Isabella Vanni : Merci Ève. Un dernier mot peut-être ?
Ève : Rejoignez l'équipe, venez comme vous êtes, on vous expliquera comment faire. Le travail est enrichissant pour vous et pour la collectivité !
Isabella Vanni : L’appel est lancé. Merci Ève et à très bientôt.
[Virgule sonore]
Isabella Vanni : Vous êtes de retour en direct sur radio Cause Commune. Nous venons d’écouter l’interview d’Ève, nouvelle recrue enthousiaste du groupe Transcriptions de l’April.
Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l'April et le monde du Libre[modifier]
Isabella Vanni : Nous proposons un questionnaire pour connaître l’auditorat de Libre à vous !. Vos réponses à ce questionnaire sont très précieuses pour nous, elles nous permettront d’évaluer l’impact de notre émission et de mieux vous connaître. De votre côté, ce questionnaire est une occasion de nous faire des retours. Répondre au questionnaire vous prendra cinq minutes. Rendez-vous sur libreavous.org.
Nous avons eu le plaisir de recevoir Gee et Pouhiou de Framasoft au studio pour cette
émission. Si vous en voulez plus et que vous êtes sur Paris cette semaine, notez ces trois rendez-vous.
Déjà, pour commencer, leur conférence théâtralisée Capter et exploiter l’attention des cons.... Deux dates sont prévues : première date, ce mardi 6 décembre à 18 heures à l’École 42, 96 boulevard Bessières, Paris 17e ; attention l’évènement est limité à 20 places pour les personnes extérieures, les inscriptions se font sur Mobilizon.
La deuxième date est jeudi 8 décembre à 20 heures au Centre international de culture populaire, au 21 ter rue Voltaire, Paris 11e.
Et toujours jeudi 8 décembre de 16 à 19 heures, vous pourrez échanger avec Gee et Pouhiou à la rencontre dédicace organisée par la libraire À livr’ouvert au 171 bis boulevard Voltaire, Paris 11e.
Je vous invite à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des évènements en lien avec les logiciels libres ou la culture libre près de chez vous
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l'émission : Laurent Costy, Gee, Pouhiou, Vincent Calame, Ève.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Étienne Gonnu.
Merci également aux personnes qui s'occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, bénévoles à l'April, et Olivier Grieco, le directeur d'antenne de la radio.
Merci aussi à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpera le podcast complet en podcasts individuels par sujet.
Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N'hésitez pas à nous faire des retours pour nous indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d'amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d'une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l'adresse contact@libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio, pour réagir à l'un des sujets de l'émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est 09 72 51 55 46.
Nous vous remercions d'avoir écouté l'émission. Si vous avez aimé cette émission, n'hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 13 décembre 2022 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur la politique logiciel libre de Lyon et du Grand Lyon.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 13 décembre et d'ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.