Trump vs Twitter, l'insoluble question de liberté d'expression sur les réseaux sociaux - Décryptualité du 1er juin 2020

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Titre : Décryptualité du 1er juin 2020 - Trump vs Twitter, l'insoluble question de liberté d'expression sur les réseaux sociaux

Intervenantt·e·s : Nolwenn - Nico - Manu - Luc

Lieu : April - Studio d'enregistrement

Date : 1er juin 2020

Durée : 14 min

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Revue de presse pour la semaine 22 de l'année 2020

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcrit : MO

Description

La guerre entre Trump et Twitter est lancée. Les réseaux sociaux se heurtent toujours aux mêmes écueils sans qu'une solution évidente ne semble vouloir émerger. Les réseaux déconcentrés utilisant du logiciel libre sont-ils une solution ?

Transcription

Voix off de Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 22. Salut Manu.

Manu : Salut Nolwenn.

Nolwenn : Salut Nico.

Nico : Salut Luc.

Luc : Nous revoici pour le Décryptualité de la semaine. Qu’a-t-on au sommaire ?

Manu : Six jolis articles.

Nolwenn : ZDNet France, « Les eurodéputés votent un amendement en faveur du logiciel libre au Parlement », un article de Thierry Noisette.

Manu : Ça paraît super intéressant comme idée de dire voilà, on va faire du logiciel libre pour l’Europe. Mais en fait, il semblerait que le texte n’est pas très fort et qu’il mériterait vraiment d’être élargi.

Nolwenn : Reporterre, « Imaginons que les alternatives prennent le pouvoir », un article de Lorène Lavocat.

Manu : C’est un sujet un peu global, qui parle globalement de toutes ces alternatives qui peuvent exister et notamment dans cette idée du monde d’après le covid. Là aussi il y a des choses à aller voir, c’est plutôt utopique mais justement dans le bon sens.

Nolwenn : The Conversation, « Travail à distance : cinq bonnes pratiques à emprunter au développement open source », un article de Kiane Goudarzi, Vincent Chauvet et Véronique Sanguinetti

Manu : The Conversation est un site que je suis beaucoup donc ça me fait très plaisir de le voir sur la revue de presse et, effectivement, le travail à distance et le logiciel libre c'est une grande amitié qui existe depuis les débuts, on pourrait dire, et ils en font la démonstration pendant la pandémie.

Nolwenn : LeMagIT, « Alternatives open source et sécurisées de visioconférence : Jitsi », un article de Gaétan Raoul.

Manu : On en parle un peu toutes les semaines, Jitsi c’est la star de la vidéoconférence mais il y en a d’autres, notamment BigBlueButtom qui n’est pas mal et qu’on utilise justement en ce moment.

Nolwenn : 20minutes.fr, « Coronavirus : Dévoiler le code de l'appli de traçage StopCovid résout-il tous les risques de dérives ? », un article de Laure Beaudonnet.

Manu : Je pense que ce sera un sujet qu’on va sûrement aborder à un moment donné parce que, effectivement, StopCovid l’application qui est présentée par le gouvernement n’est pas du logiciel libre, même s’ils fournissent le code source. Donc c’est un petit peu bizarre, un petit peu étrange, surtout parce qu’ils avaient annoncé au départ que ce serait open source .

Nolwenn : The Conversation, « Données de santé : l'arbre StopCovid qui cache la forêt Health Data Hub », un article de Bernard Fallery.

Manu : Il s’agit de problèmes de vie privée parce qu’il y a plein de données qui sont en train d’être envoyées aux États-Unis ; c’est un petit scandale parce qu’effectivement d’où on envoie des données de santé aux Américains ? Il n’y a pas vraiment lieu, c’est un peu choquant. Là aussi je pense que c’est quelque chose qui est en cours de discussion. En Grande-Bretagne ils ont aussi cette problématique.
Le sujet de la semaine, de quoi voulez-vous qu’on parle ?

Luc : On va parler de Twitter et de Trump puisque c’est là que c’est en train de péter et qu’il se passe plein de choses.

Nico : Du coup, pour replacer un peu le contexte puisque ça évolue d’heure en heure vu qu’un est en plein dans l’actualité : Trump a twitté plusieurs propos choquants, en tout cas qui ont été jugés comme choquants ou faux par Twitter, qui les a donc retirés de son flux principal, qui les a marqués avec « attention, ça demande vérification » ou « attention, propos haineux ». Forcément, ça n’a pas du tout plu à Trump qui a décidé de se retourner contre Twitter et tous les réseaux sociaux, en faisant sauter des lois qui les protégeaient. « Si vous êtes neutre, on ne va pas vous emmerder sur votre contenu, etc. » Il menace de tout faire sauter.

Luc : Il n’a pas encore fait sauter, il menace de le faire. Il a fait une sorte de pré-décret pour mettre Twitter – c’est quand même vachement ciblé sur Twitter – en porte-à-faux. Les conflits entre Trump et Twitter ne datent pas d’aujourd’hui, c’est son réseau social d’expression favori et ça pose pas mal de problèmes depuis un bon moment.

Manu : En gros, ils sont hébergeurs et il attaque le décret ou les lois qui leur permettent de profiter de ce statut d’hébergeur. Il y a un côté je me tire dan le pied parce que s’il leur retire cette protection d’hébergeur, vraisemblablement ils seront obligés de censurer encore plus ses tweets parce que ses tweets sont faux dans beaucoup de cas !

Luc : C’est ce qu’ils appellent la section 230 d’une loi qui s’appelle la CDA [Communications Decency Act] qui dit, en gros, que l’hébergeur n’est pas responsable des conneries que les gens qui passent dessus peuvent dire. C’est très différent de ce qui se fait chez nous. Il a lancé ses premières menaces. Il s’appuie sur plusieurs agences fédérales pour attaquer d’une part du côté des communications en disant si des réseaux sociaux ne sont pas neutres, on peut, en gros, les mettre en pause et faire sauter cette protection-là ; au travers du commerce, en disant que ce serait une sorte de politique commerciale déloyale de ne pas être neutre et également du côté du ministère de la Justice en pouvant rassembler des procureurs pour examiner ces problèmes-là.
Rien n’est encore fait puisqu’on se doute que toute cette affaire va nécessiter beaucoup de discussions, des conflits juridiques et des choses comme ça, mais c’est quand même une grosse manœuvre de la part de Trump pour intimider Twitter.

Manu : Twitter avait déjà fait ce genre de chose notamment avec Jair Bolsonaro, le président brésilien ; il avaient retirés parce qu’il avait des propos qui outrepassaient les règles, on va dire. Et là effectivement, appliquer ça à leur président qui a quand même huit millions de followers et qui utilise leur plateforme comme son porte-voix préféré, ce n’est quasiment que par là qu’il passe tout ce qu’il a à dire, c’est assez bizarre, sachant qu’en face il y a un autre président de société qui s’appelle Facebook, Mark Zuckerberg, qui lui a pris la défense de Trump.

Luc : Zuckerberg dit que ce n’est pas à un réseau social, dans son cas Facebook, de choisir ce qui est vrai ou pas et ce que les gens peuvent dire ou pas.

Manu : Il me semble qu’il le limite aux cas politiques parce que si tu veux essayer de montrer un bout de téton sur Facebook ça ne passe pas bien.

Nico : C’est toute la problématique qu’on a eue, qu’on a abordée en France, en Europe de manière générale avec tous les réseaux sociaux du monde, c’est où placer la limite entre l’hébergeur et l’éditorialiste. Des réseaux sociaux qui soient complètement neutres et qui n’aient aucun parti pris ou autre ça n’existe pas, y compris dans nos propres milieux avec des équivalents comme Mastodon[1]. Il y a toujours des choix politiques qui se cachent derrière et la problématique c’est de savoir si ces réseaux sont à considérer comme des hébergeurs et ne sont pas responsables du contenu ou est-ce que ça devient des éditorialistes avec un certain parti pris, avec des orientations politiques ou des décisions publicitaires ou autres et qui, du coup, devraient être responsables des conséquences ou des effets de leurs publications.

Manu : Je rajouterais un petit point, c’est qu’il y a la taille qui compte, là c’est important : ils sont dans des positions de monopole. Ce ne sont pas juste des hébergeurs parmi d’autres, non, ce sont des acteurs qui sont quasiment du domaine public, un lieu public où on vient discuter. Donc si eux te retirent l’approbation, leur participation, tu ne peux plus vraiment parler parce que Twitter, Facebook, ces réseaux-là sont dans des situations de monopole.

Nico : Par exemple, si vous vous faites bloquer votre compte Facebook, les conséquences sont assez dramatiques. On a encore eu le cas il n’y a pas si longtemps que ça d’un étudiant qui s’est fait bloquer. Il sait que sa carrière est carrément ruinée parce qu’il n’a plus accès à toutes les listes de diffusion qui sont utilisées par l’école, tous les contacts et tous les employeurs qui vont passer par là pour essayer de savoir ce qu’il fait. C’est la mort sociale en gros.

Luc : Effectivement et pour moi c’est un des trucs qui est très important. On voit que ces grosses machines des GAFAM ont pris une importance sociale considérable et on a, nous, toujours alerté contre le danger d’avoir des réseaux aussi énormes qui soient dans des mains d’intérêts privés. À partir du moment où un réseau de cette taille-là devient un outil incontournable, ça devient un espace public, ça devient un bien public et une autorégulation privée de cet espace ne tient plus la route. On devrait effectivement avoir des débats politiques, des débats collectifs sur ce qu’on pourrait pouvoir faire ou ne pas faire.
Pendant très longtemps, au final, la liberté d’expression dans la version américaine était celle qui s’imposait au monde entier, aujourd’hui ça s’est arrêté, mais pendant de nombreuses années, pas de tétons, en revanche des vidéos de décapitation d’islamistes, c’était facile à trouver.

Manu : On pourrait considérer qu’il y a une opposition des deux côtés de l’Atlantique, c’est-à-dire que les Américains et notamment les Californiens étaient pour une liberté d’expression absolue, en tout cas ils ne voulaient pas la limiter, alors que nous, en Europe, très tôt on a dit « eh bien non, la liberté d’expression a des limites qui sont définies par la loi ». On va dire que c’est en lien avec notre histoire ; en Europe on a vécu des choses qui sont un petit peu difficiles et là on est peut-être en train d’essayer de faire converger les deux systèmes de pensée, mais on vient de loin. Les plateformes étant américaines elles nous imposent largement leur vision.

Luc : Pour moi il y a un point faible qui n’est réglé nulle part : tu as la liberté d’expression qui est classiquement limitée sur des questions par exemple de diffamation. Si je dis que Manu tue des chatons c’est de la diffamation. Si je dis que Manu est un ange descendu sur terre, ce n’est pas de la diffamation, c’est plutôt positif, mais je fais à priori référence à des trucs imaginaires. Aujourd’hui, on est dans la situation – c’est une des choses qui a été reprochées à Trump – à avoir des systèmes où le fantasme doit devenir la réalité et où des gens vont échanger suffisamment d’informations et de propos factuellement faux : on peut se référer à des faits et s’apercevoir que ça ne tient pas la route. Mais dès lors qu’on est suffisamment nombreux à le croire alors ça doit devenir la réalité. C’est comme dans X-Files, I want to believe, je veux croire, j’ai envie de croire et vous ne pouvez pas aller contre moi, c’est ma liberté d’expression. Pour moi ça ce n’est réglé nulle part.

Manu : Sur cette dichotomie on ne va prendre position ni pour Trump ni pour Twitter, je pense, par contre nous on a des alternatives qu’on aime bien proposer, mettre en avant, des outils qui ne sont pas aussi centralisés, qui permettent de se prendre en main, de s’auto-héberger si on veut, si on en a le courage et la compétence, mais qui posent aussi des problèmes. Mastodon, par exemple, on sait qu’il y a des institutions Mastodon qui sont mises en place et qui ont des gros pouvoirs sur la communauté Mastodon. C’est décentralisé, c’est du logiciel libre, on peut s’y exprimer un peu comme on veut, mais malgré tout je sais, parmi nous notamment, qu’on peut subir de temps en temps des formes de censure.

Nico : C’est surtout un problème d’échelle. Forcément il y a des grosses instances qui sont apparues, les premières en particulier. Ce sont les premières, donc forcément ça concentre les nouveaux arrivants et c’est par là que la sauce monte. Du coup ces plateformes-là qui concentrent aujourd’hui beaucoup d’utilisateurs, peut-être 30, 40 ou 50 % du réseau, eh bien elles ont tout pouvoir. Si elles décident que ce contenu-là n’a pas vocation à être sur le réseau elles vont censurer, bloquer pour leurs propres utilisateurs et potentiellement faire du chantage ou des menaces sur d’autres instances en disant « si vous ne vous conformez pas à ce que nous on attend on va vous bloquer et vous allez perdre 30 ou 40 % de canaux de communication possibles ». C’est vrai que ça donne des choses qui vont poser beaucoup de problèmes dans les deux sens.
Il y a des choses où on était potentiellement intéressés pour faire entre guillemets « de la censure » parce que ça allait dans notre sens et que ça nous arrangeait par rapport à nos opinions et on a aussi vu des dérives qui conduisaient justement à des choses pour lesquelles on critiquait Twitter et Facebook : remplacer un téton par juste un sujet x ou y et censurer, tout pareil, pour les mêmes raisons et les mêmes opinions, c’est tout aussi problématique d’un côté que de l’autre.

Manu : Les deux systèmes sont quasiment comparables. On pourrait dire que les réseaux sociaux propriétaires, centralisés, essayent de ne pas avoir une ligne éditoriale ou, en tout cas, ils la cachent, ils la limitent, alors que Mastodon, les instances de Mastodon essayent d’avoir une ligne éditoriale qui soit explicite. Ils n’y arrivent pas toujours parce que c’est très difficile à mettre en place, ils s’écharpent sur le sujet et ça reste quasiment impossible, mais ils essayent. C’est une attitude qui est quand même très différente.

Luc : Au final, tu reviens un peu à la même question qui est : à partir de quand tu passes d’un réseau privé à... Tu es dans l’instance Mastodon de quelqu’un, mettons l’instance Mastodon de Nolwenn, donc tu es soumis aux lois de Nolwenn parce que c’est son instance. En t’inscrivant tu le sais. Après, à un moment, ton outil devient suffisamment important, tu es mis en relation avec plein de gens et, même si c’est Nolwenn qui a monté l’instance, à partir de quand ça devient un espace public et on décide collectivement qu’une personne ne peut plus avoir le pouvoir absolu sur ce qui se passe. Pour moi les deux problématiques se rejoignent entre des réseaux sociaux de type GAFAM et des trucs décentralisés quelconques. D’ailleurs c’est pareil sur des forums, c’est la même problématique.

Nico : C’est un débat sans fin et on a retrouvé plusieurs fois dans la loi le débat hébergeur/pas hébergeur, éditorialiste/pas éditorialiste ; effectivement il n’y a jamais eu de position claire sur le sujet, c’est toujours compliqué à trancher entre ce qui se relève, on va dire, de la bien-pensance ou de la manière de se comporter correctement en société et de ce qui est de la décision purement unilatérale avec des intérêts potentiellement financiers, économiques ou politiques derrière. La nuance est toujours assez compliquée à trouver.

Manu : Je trouve intéressant ce que tu dis Luc, c’est-à-dire la granularité de ce système. Effectivement, dès qu’on a des petits cailloux, des gros rochers, des montagnes, ça change la donne. On peut essayer de pousser pour que tout le monde, dans la mesure du possible, s’auto-héberge ou, en tout cas, auto-héberge des petits groupes de gens qui sont peut-être dans une certaine cohérence éditoriale et ça s’accepte. Effectivement, dès qu’on commence à grossir, on crée des problématiques de pouvoir parce qu’on va avoir un pouvoir sur les gens qu’on héberge autour de soi. Si c’est sa famille, ses amis, peut-être que ça va, mais si c’est un petit peu plus conséquent que ça, si ce sont des milliers de personnes à travers le monde qui, au départ, n’avaient pas forcément des liens très forts, eh bien là non, on commence à devenir quelqu’un de pouvoir, un petit roitelet sur son domaine.

Luc : C’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui on a un nombre de gens qui peuvent potentiellement s’exprimer et potentiellement avoir une notoriété qui se développe. On a régulièrement des gens qui sont des inconnus et dont la parole est portée à travers le monde parce qu’il y a un coup de chance ou on ne sait quoi. Donc ce phénomène qui avant été limité à un certain nombre réduit d’acteurs dans le domaine de la presse et des médias, aujourd’hui ce sont des milliards de gens et c’est d’autant plus compliqué à gérer.

Manu : On a tous le droit à nos 15 minutes de gloire, je crois que c’était ça l’expression.

Luc : Oui, ou nos 15 minutes d’humiliation publique peut-être en fait, au final c’est peut-être ça !

Manu : Ça marche aussi très bien. J’espère qu’on ne s’est pas humiliés. Je vous dis à la semaine prochaine.

Luc : Salut tout le monde.

Nico : À la semaine prochaine

Nolwenn : Bonne semaine.