Technicien informatique avec clientèle de retraités

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Titre : Technicien informatique avec clientèle de retraités

Intervenant : Jean-Baptiste Forêt

Lieu : École nationale supérieure d’électrotechnique, d’électronique, d’informatique, d’hydraulique et des télécommunications - Toulouse - Capitole du libre 2023

Date : 18 novembre 2023

Durée : 53 min 21

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Bonjour. Je m’appelle Jean-Baptiste Forêt. Je suis technicien informatique installé à mon compte. Ma clientèle, comme l’indique l’intitulé de ma conférence, est majoritairement une clientèle de retraités. Je suis orienté logiciels libres, autodidacte, donc à mon compte. J’habite et je travaille à la campagne et je suis handicapé de naissance. Ce sont donc tous les paramètres de ma vie. Je vais vous parler un peu de tout cela si ça vous intéresse, si vous voulez faire un peu la même chose, le même travail.
J’ai illustré la première diapo avec un pingouin, parce que là où j’habite, on a un des plus gros carnavals de France et, une année, ils avaient fait un pingouin comme char fleuri

Quelques caractéristiques du lieu où je suis installé. Je suis dans le centre de la France, dans le département de l’Allier, tout au milieu, trois villes principales : Moulin, la préfecture, qui est la troisième en population, suivie par Vichy et Montluçon, la première. Dans l’Allier, il y a, au total, 335 628 habitants, vous voyez que c’est très rural, on n’a pas de grandes villes et la plus grande ville la plus proche c’est Clermont-Ferrand à 100 km. J’habite à Ygrande, environ 800 habitants, située à mi-chemin entre Moulins et Montluçon, nous sommes quand même assez à l’écart des villes et c’est très rural.
Comme c’est un département rural, la part des plus de 65 ans est, bien sûr, beaucoup plus élevée que la moyenne nationale, donc, quand on a moins de 40 ans, on est un dans la minorité.

Je commence au début, chronologiquement.
Je vous ai dit que je suis handicapé, ça ne se voit pas. Je suis né avec une malformation du cœur : cela n’est pas un cœur normal, c’est un cœur comme le mien. Avec la flèche je vais vous montrer, je vais emmener la flèche : là c’est l’aorte, juste en dessous c’est l’artère pulmonaire, normalement elles sont inversées, l’aorte est sur le ventricule gauche et l’artère pulmonaire est sur le ventricule droit, là les deux sont inversées, c’est ce qu’on appelle une transposition des gros vaisseaux. Il y a un trou entre les deux ventricules, ici, c’est ce qu’on appelle une communication interventriculaire, et il y a un rétrécissement de l’artère pulmonaire, ici, ce qu’on appelle une sténose. Moi j’ai tout ça, j’ai eu de la chirurgie. On a permuté les deux artères principales. On coupe, on permute et on recoud, ça marche bien. Pour le trou entre les deux ventricules, on met une rustine, ça marche bien aussi, il faut un chirurgien bon en couture, et, pour la sténose, on met un tube qui contourne, une sorte de pontage, mais là c’est sur une grosse artère.
C’est ce que j’ai, ça ne voit pas, c’est un handicap pour le travail, donc, dans le domaine professionnel, ça gêne : je ne peux pas porter de trucs lourds, je ne peux pas courir, faire des sports intensifs, par contre j’ai une bonne endurance au niveau de la marche et du vélo sur le plat. Au niveau du temps de travail, je ne peux pas faire un plein temps, je suis fatigable davantage que la moyenne, j’ai donc le statut de travailleur handicapé par la MDPH [Maison départementale des personnes handicapées]. Donc, pour moi, le travail de technicien informatique est un peu facultatif parce que je ne suis pas obligé de travailler, mon handicap me donne droit à des allocations et je pourrais en vivre correctement, sans être trop gourmand, sans acheter du Apple !

J’ai dit que je suis autodidacte. J’ai commencé à l’adolescence, dans ma chambre, à m’intéresser à l’informatique, à monter des ordinateurs par moi-même. À l’époque, je ne connaissais pas Linux, les logiciels libres commençaient à exister, je ne crois pas qu’il y avait d’interface graphique sur Linux et, dans ma famille, personne ne faisait d’informatique. J’ai donc appris avec Windows, ce qui était le plus répandu. À l’époque, le premier ordinateur qu’on a eu était avec Windows 3.11 et, après, le premier que j’ai monté c’était avec Windows 95. À l’époque, on récupérait des CD copiés avec Windows et on l’installait. Pour les logiciels c’était pareil, on récupérait une version piratée d’un Microsoft Office, on l’installait. C’est comme ça que j’ai commencé.
Après, j’ai fait d’autres choses, bien sûr. Comme c’est une passion, on ne veut pas en faire son métier, j’ai donc essayé d’autres choses. À cause de mes problèmes de santé, je n’ai pas pu faire d’études, j’ai fait un CAP de coutellerie et, après, j’ai fait un bac pro Maintenance informatique dans un centre de formation pour les gens qui sont reconnus travailleur handicapé, mais je n’ai pas appris grand-chose parce que je savais déjà beaucoup de choses que j’avais apprises avant, tout seul. J’ai trouvé que toutes ces formations pour adultes c’était un peu de la garderie, c’était plutôt ennuyeux par rapport au temps, beaucoup de temps passé dans le centre, dans les salles de cours pour pas grand-chose à la fin. Ça me permet d’avoir un diplôme qui ne me sert à rien en tant qu’auto-entrepreneur. Dans ce que je fais, on ne me le demande jamais, bien sûr. Je vous ai mis ma carte de visite, j’en ai aussi là si vous en voulez.
Sur ma carte de visite, j’explique un peu ce que sont les logiciels libres parce que les gens ne connaissent pas.

J’ai illustré mes diapos avec des photos que j’ai faites de certains de mes clients devant leur poste de travail.
En haut, c’est une dame d’environ 80 ans, qui habite en zone blanche, donc, elle ne peut pas avoir de connexion internet et le téléphone portable passe très mal. Elle est seule, elle n’y connaît rien en informatique, du coup elle vient chez moi régulièrement et elle fait tout. Je lui donne un cours d’informatique, je lui explique comment fonctionne sa machine et, en même temps, je fais le secrétaire, c’est-à-dire qu’on fait toutes les tâches administratives ensemble. J’y reviendrai plus tard, mais on sert aussi à accompagner les gens dans leurs démarches administratives.
Le technicien qu’elle a eu avant moi lui a fait acheter un MacBook Pro à 2 500 euros, comme elle a de l’argent, elle n’a pas tiqué. Je pourrais vous parler des défauts de conception qui ne sont pas pris en charge par Apple : la touche espace ne fonctionne plus, c’est une honte pour un ordinateur de ce prix-là. Elle a donc ça, on fait avec, je ne peux pas lui faire changer d’ordinateur.
J’ai souvent des clients qui ont déjà du matériel et c’est souvent du Windows ou du Apple, donc je ne peux pas arriver et leur dire « je suis technicien informatique orienté logiciel libre. Je ne veux pas de votre matériel, vous allez en acheter un autre, vous allez en changer », ce n’est pas possible il faut faire avec ce qu’il y a déjà.

En dessous c’est un autre client qui m’a demandé de lui monter à un ordinateur complet, un ordinateur de bureau. Il aime beaucoup la musique. Il est militant, il a vu Linux sur ma carte et il a dit « c’est ce que je veux ». Je lui ai monté une machine et je lui ai installé Ubuntu. Il fait des choses, il a beaucoup de musique sur son ordinateur, je ne peux pas vous dire comment.

J’ai donc un travail de technicien. J’assemble des composants pour monter des ordinateurs, j’installe un système d’exploitation et je conseille toujours Linux. Parfois, tant pis, s’ils ne veulent pas je mets Windows, ça me fait mal au cœur, mais bon ! Je fais aussi de la réparation de tablettes, un peu ce que vont vous demander les gens, c’est très diversifié, vous devez vous diversifier. À chaque fois, il faut chercher comment il faut faire pour réparer parce que, chaque fois, ce sont des pannes très spécifiques. Il y a beaucoup de recherches à faire chez soi. Il faut réinitialiser les appareils – tablettes, téléphones –, parce qu’ils sont devenus trop lents. Je conseille du matériel, je conseille Linux comme système d’exploitation, je conseille le Fairphone 3 comme téléphone parce que je trouve le 4, le 5, très chers, gros et lourds. Je suis resté au Fairphone 3

Le technicien informatique, qui s’appelle technicien informatique, c’est un nom un peu trompeur, parce que la moitié de mon travail, au moins, c’est faire de la pédagogie, ce n’est pas de la technique, ce n’est pas de la réparation, c’est expliquer aux gens comment fonctionne leur machine, j’ai donc beaucoup à faire, beaucoup de travail.

Souvent les gens m’appellent, ils ont déjà un ordinateur qui a environ cinq ans, avec Windows, bien sûr, qui rame et ça les embête. Il y a 50 fenêtres qui s’ouvrent, de la publicité, ils disent qu’ils ont des virus. Souvent, ils me disent « je voudrais en acheter un autre, je voudrais le changer », ils sont prêts à le mettre à la poubelle et à payer pour en acheter un autre.
Après, évidemment, vous avez deux démarches : soit vous pensez à gagner de l’argent et vous pouvez leur dire « oui mettez-le à la poubelle, je vous en vends un neuf » ; soit vous êtes militant et vous dites « je fais une sauvegarde de vos fichiers, je vous efface tout ce qui est dessus et je remplace Windows par Linux ». Souvent ils ne connaissent pas, il faut donc expliquer ce qu’est que Linux. On leur dit que c’est gratuit, « ah bon ! », on leur dit qu’il y a pas de virus, alors là, ce n’est pas possible ! Il n’y a pas de virus ! Je n’ai jamais eu de problème de virus sous Linux pour le moment.
Il y a des gens qui franchissent le pas, d’autres non.

Sur cette photo, comme je suis en milieu rural, c’est chez un agriculteur. Vous voyez la place de l’ordinateur dans la ferme : il est posé sur un buffet, sur une commode ; ce sont des gens qui s’en fichent complètement, l’informatique ne les intéresse pas du tout, ils travaillent dehors toute la journée. Se mettre à l’informatique ne les intéresse pas du tout, pourtant ils doivent en faire beaucoup, parce que, pour leur élevage, ils ont beaucoup de démarches à faire en ligne auprès de la Chambre d’agriculture, par exemple. Ils ont mis l’ordinateur sur l’imprimante, l’imprimante sur la commode, il y a plein de papiers partout, c’est un bazar et c’est souvent comme ça quand j’arrive chez les gens, c’est le bazar, des fils partout, de la poussière.

Quand je leur propose Linux, j’ai plusieurs types de réponses :
des gens me font entièrement confiance, je suis le sachant et eux sont ignorants, donc je peux faire n’importe quoi. Du coup, je fonce pour leur fourguer un Linux avec des logiciels libres ;
après, il y a ceux qui s’inquiètent tout de suite : « qu’est-ce que vous allez faire ? Dessus j’ai des trucs super importants, j’ai des photos de mes petits-enfants. – Je vais sauvegarder vos photos avant, ne vous inquiétez pas, après je les remettrai, je ne vais pas les perdre » ;
après, il y a des gens qui sont en retraite, qui ont travaillé toute leur vie sur ordinateur, au moins la majorité de leur carrière et ils sont habitués à Windows, donc on ne fera rien. Après un certain âge, la plasticité du cerveau diminue, donc c’est très compliqué d’apprendre du nouveau, de changer des habitudes. Il faut donc se résigner, je pourrais leur dire « non, ça m’intéresse pas je ne veux pas travailler pour Windows, pour Microsoft et tout ça, demandez à quelqu’un d’autre », mais je trouve que ce n’est pas une bonne une solution, ce n’est pas sain, donc, si c’est une machine neuve, j’installe, si c’est une réinstallation je remets Windows, tant pis ! Après, je mets des logiciels plutôt libres, Firefox, LibreOffice, j’essaye de leur faire comprendre qu’il n’y a pas besoin de Microsoft Office pour taper un texte ;
après, vous les gens qui ont un périphérique spécifique branché à l’ordinateur, qu’ils utilisent beaucoup, auxquels ils tiennent et qui coûtent presque aussi cher que l’ordinateur. Donc, là, c’est compliqué avec Linux parce qu’il n’y a pas de pilote, c’est souvent le cas. Les gens ont perdu le CD d’installation ou ils ont un compte chez le vendeur, le fabricant du périphérique, j’ai eu le cas dernièrement, ils ne savent plus quelle adresse mail ils ont mis, ils ne savent plus quel est le mot de passe. C’est beaucoup de travail de recherche au niveau des identifiants, des mots de passe, les comptes perdus, les trucs qui sont bloqués parce qu’on n’a pas le l’identifiant ni le mot de passe et parfois, ce n’est pas possible, parce qu’ils augmentent le niveau de sécurité, c’est affolant, on se croirait dans une banque pour des conneries, pour ce à quoi ça sert aux gens ! ;
après il y a les militants, comme le monsieur qui télécharge beaucoup de musique ; ils savent très bien les intérêts financiers qu’on a à nous fourguer du Windows, du Apple ou d’autres machins comme ça, donc ils veulent faire le pas de côté et aller dans une autre direction. Donc, là, je n’ai pas eu de soucis, j’ai pu m’éclater, je lui ai fourgué un matériel avec Linux. On est bien d’accord, niveau idéologie, sur ce qu’implique Windows et ce qu’implique Linux.

16’ 14

Je vous disais que je fais beaucoup de pédagogie.