T'éduc - Numérique responsable

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Titre : T'éduc - Numérique responsable

Intervenant·e·s : Louis Derrac - Vincent Courboulay -Isabelle Chabanon-Pouget -Stéphanie Giacchi - Ludovic Fournier - Marie-Catherine Mérat

Lieu : En ligne

Date : 22 décembre 2021

Durée : 1 h 8 min 8

Vidéo

Compte-rendu

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

À la rentrée scolaire 2020, 80% des élèves du second degré et 20% des élèves du premier degré bénéficiaient d’un espace numérique de travail, indique le site du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports. Depuis, la pandémie est passée par là et la transformation numérique de l’école, mais aussi du secteur culturel, s’est accélérée. Cours en ligne, visioconférences, expositions virtuelles... Le numérique est partout. La crise Covid a aussi fortement accéléré la stratégie de communication digitale des entreprises. Sauf que le numérique n’est pas toujours vertueux, il a des impacts, notamment environnementaux. Il générerait 2,1 à 3,9% des émissions mondiales de CO2, selon une étude parue en septembre dernier dans la revue scientifique Patterns.
Face à cette transformation numérique, l’Assemblée nationale a adopté le 10 juin dernier, en première lecture, la proposition de loi Reen (acronyme de « Réduire l’empreinte environnementale du numérique »), qui prévoit une formation à la sobriété numérique dès le plus jeune âge à l’école ainsi qu’à l’entrée à l’université à la rentrée 2022. Mais comment mener cet enseignement ? Comment sensibiliser les publics à l’impact environnemental du numérique, comment éduquer à des usages plus responsables ?

Transcription

Marie-Catherine Mérat : Bonjour à tous. J’espère que vous m’entendez bien. Bienvenue pour ce nouveau T’éduc consacré au numérique responsable. Certains d’entre vous sont certainement habitués à T’éduc, ce sont des évènements, des tables rondes, des webinaires proposés en ce moment en partenariat entre la Cité des sciences, Univercience et puis le CRAP -Cahiers pédagogiques.

D’emblée je vous invite à poster des questions, à poster des commentaires, à faire remonter vos besoins, vos réflexions, vos expériences dans le chat. Vous pouvez aussi lever la main au cours du webinaire si vous avez envie d’intervenir, ce serait vraiment un plaisir d’avoir vos retours sur ce thème du numérique responsable.

Quelques éléments de contexte pour commencer.
À la rentrée scolaire de 2020, 80 % des élèves du second degré et 20 % des élèves du premier degré bénéficiaient d’un espace numérique de travail, nous apprend le site du ministère de l’Éducation nationale de la Jeunesse et des Sports. Depuis la pandémie est passée par là et la transformation numérique de l’école a été fortement accélérée. Un constat qui ne s’applique pas seulement à l’école puisque le secteur culturel a aussi massivement recours au numérique aujourd’hui avec les cours en ligne, les visioconférences, les expositions virtuelles, etc. La crise covid a aussi fortement accéléré la stratégie de communication digitale des entreprises.
Sauf que, évidemment, le numérique n’est pas toujours vertueux, il a des impacts notamment environnementaux, il générerait 2, 1 à 3,8 % des émissions mondiales de CO2 selon une étude parue en septembre dernier dans la revue scientifique Patterns. Face à cette transformation numérique l’Assemblée nationale a adopté le 10 juin dernier, en première lecture, la proposition de loi Reen, acronyme de « Réduire l’empreinte environnementale du numérique », qui prévoit une formation à la sobriété numérique dès le plus jeune âge, à l’école, ainsi qu’à l’entrée à l’université, à la rentrée 2022.
Comment mener cet enseignement ? Comment sensibiliser les publics à l’impact environnemental du numérique ? Comment éduquer à des usages plus responsables et comment inviter à la réflexion sans tomber dans le catastrophisme ?
Pour en discuter nous avons le plaisir d’accueillir Louis Derrac. Vous êtes consultant, formateur et enseignant, spécialisé dans l’éducation et le numérique. Vous travaillez au sein du collectif Resnumerica. Bonjour.

Louis Derrac : Bonjour.

Marie-Catherine Mérat : Isabelle Chabanon-Pouget, vous êtes chargée de projets événementiels au Carrefour numérique2 de la Cité des sciences et de l’industrie. Bonjour.

Isabelle Chabanon-Pouget : Bonjour.

Marie-Catherine Mérat : Vincent Courboulay, vous êtes directeur scientifique à l’Institut du numérique responsable que vous avez fondé en 2018, auteur du livre Vers un numérique responsable – Repensons notre dépendance aux technologies digitales chez Actes Sud paru en janvier de cette année. Bienvenue.

Vincent Courboulay : Bonjour.

Marie-Catherine Mérat : Stéphanie Giacchi, j’espère bien prononcer votre nom, vous êtes chargée d’accessibilité numérique chez Universcience. Bonjour et bienvenue.

Stéphanie Giacchi : Bonjour.

Marie-Catherine Mérat : Et enfin Ludovic Fournier, vous êtes chargé de médiation scientifique au Palais de la découverte et vous avez coanimé une médiation à distance autour de l’impact environnemental du numérique. Bonjour.

Ludovic Fournier : Bonjour.

Marie-Catherine Mérat : Pour commencer, il me semble important de prendre la mesure de l’urgence et de donner quelques chiffres. Quel est aujourd’hui l’impact environnemental du numérique et quelles sont les principales sources d’impact ? J’ai envie de commencer avec vous Vincent Courboulay.

Vincent Courboulay : Merci beaucoup de l’invitation.

Effectivement le fait d’envisager le numérique comme un magnifique outil, je pense que nous en sommes tous d’accord, mais voir ce qui se cache derrière la vitrine et les néons c’est quand même très intéressant aussi.

Vous avez cité ce chiffre de 4 % des émissions de gaz à effet de serre, aujourd’hui ça peut être assez surprenant. Il faut bien se dire que derrière l’immatérialité de ce tout petit objet que tout le monde a dans sa poche [Vincent Couboulay brandit un téléphone portable, NdT], on a tout un cycle de vie du produit qui est très impactant depuis l’extraction des matières premières – il y a à peu près une petite centaine de matériaux différents là-dedans –, donc de trous dans la planète, donc d’utilisation massive d’eau, d’énergie, de produits chimiques, et j’en passe et des meilleurs. L’empreinte environnementale de cet objet, de nos box, de nos ordinateurs, de nos télés est aujourd’hui à peu près pour trois quarts en amont de l’achat, c’est-à-dire avant même d’ouvrir le carton même s’il est recyclé, on a à peu près les trois quarts de l’empreinte environnementale qui se situent depuis l’extraction jusqu’à la fabrication. Ça c’est pour l’objet en lui-même.

Si prend un tout petit peu de recul, prenons un exemple tout simple, cette visioconférence qui va durer une heure, ou une heure de vidéo Netflix, ce sont indirectement trois secteurs qui travaillent. Il y a le secteur datacenter, les fameuses fermes de données qui vont gérer les données, les stocker, les transmettre, s’assurer que tout se passe bien. Ensuite on a le réseau qui transporte la donnée et puis on est tous devant un ordinateur avec une webcam, peut-être un téléphone, que sais-je, des enceintes connectées, c’est le troisième tiers.

On a ces trois tiers qui doivent cohabiter. Juste pour démystifier, aujourd’hui le tiers le plus impactant ce ne sont sûrement pas les datacenters, les datacenters comptent pour à peu près 15 à 20 % de l’empreinte d’un service, une heure de vidéo par exemple ; à peu près pareil pour le réseau, le transport de la donnée. Ce qui va être le plus impactant aujourd’hui ce sont nos ordinateurs, nos smartphones. Pourquoi ? Parce qu’il y a quatre milliards et demi d’utilisateurs du numérique, donc nous sommes très nombreux à avoir plein de petits appareils individuels et toutes ces gouttes-là mises dans la piscine olympique des impacts environnementaux, vous voyez que ce sont ces petites gouttes d’eau qui font les grandes rivières.

Donc un cycle de vie particulièrement impactant depuis l’extraction des matières premières, la fabrication avant même l’usage. Et si on considère l’usage des datacenters, des réseaux et beaucoup trop d’équipements, vous mettez tout ça ensemble et vous avez une petite bombinette environnementale.

Marie-Catherine Mérat : D’accord. Ludovic Fournier, on a discuté il n’y a pas longtemps. Quand on parle d’impact environnemental du numérique, on parle aussi d’énergie, l’énergie nécessaire pour produire un téléphone, un ordinateur. Quelle est cette énergie ? Vous avez travaillé sur la question récemment.

Ludovic Fournier : Oui effectivement. Je rejoins tout à fait ce qui a été dit jusqu’à présent par rapport à tous ces différents tiers et par rapport à toute cette énergie et aux matières premières qui sont nécessaires pour fabriquer les terminaux que ce soit les ordinateurs, que ce soit les téléphones. J’aime bien, pour comparer un petit peu l’ensemble, donner trois paramètres : à la fois la quantité de gaz à effet de serre qui est émise durant la fabrication, durant l’utilisation ; à la fois l’énergie qui est nécessaire à la fabrication et à l’utilisation de tout ce numérique ; et à la fois la matière qui est nécessaire pour fabriquer les différents terminaux.
Le gaz à effet de serre est une matière, on le voit bien, le dioxyde de carbone ; les matières premières nécessaires à la fabrication, on le voit bien aussi, il y a du cuivre, il y a du platine, il y a du pétrole, du plastique et ainsi de suite.
Souvent on parle de l’énergie qui est nécessaire à la fabrication et à l’utilisation. J’aime bien recoller cette énergie à de la matière derrière, parce que derrière ce terme « énergie » se cachent des matières qui sont principalement le pétrole qu’on va utiliser pour transporter les différents objets ; il faut savoir que quand on fabrique un ordinateur, un smartphone, les minerais sont extraits à un endroit, le raffinage est fait à un autre endroit, l’assemblage est fait encore à un autre endroit. On va devoir transporter par bateaux, par camions, tous ces objets. Il va également y avoir besoin de charbon derrière toute cette énergie qui va permettre, par exemple, de chauffer toutes les fonderies qui permettent d’obtenir les métaux, de raffiner les métaux, également pour produire de l’électricité ; il y a aussi besoin de gaz pour produire de l’électricité. L’uranium va également être utilisé dans les centrales nucléaires pour produire de l’électricité. On a une tout petite partie de la production d’énergie qui provient de l’éolien, qui provient également du solaire. On a aussi une petite partie de cette énergie qui provient des barrages hydrauliques avec de l’eau.

Quand on parle de l’énergie qui est nécessaire on a toutes ces matières premières qui sont derrière.

Un autre point que j’aime bien montrer par rapport à tout cette phase, toute cette énergie qui est nécessaire à la fois pour produire et pour utiliser : si on prend l’énergie qui est nécessaire pour produire un ordinateur, on va prendre un ordinateur portable, classique, comme celui avec lequel je fais ce webinaire, c’est environ 1 850 kW/h selon les chiffres du Shitft Project ; si on devait pédaler pour fabriquer, pour produire cette énergie qui nous permet d’aller chercher des minerais, qui nous permet de les raffiner, qui nous permet de les assembler, qui nous permet de les transporter, pour produire notre ordinateur et l’utiliser, il faudrait pédaler pendant environ cinq ans et demi si on considère une semaine de 35 heures de travail.
Pour produire un téléphone, qu’on va utiliser environ deux ans, il faudrait pédaler sept mois rien que pour produire l’énergie qui est nécessaire à la fabrication du téléphone.

Ce qui est génial c’est qu’on ne pédale pendant cinq ans et demi pour un ordinateur, on ne pédale pas pendant sept mois pour fabriquer son téléphone, on utilise des matières premières et on ne voit pas que, finalement, on utilise peu de ces matières premières : c’est 250 kg de charbon pour produire l’ordinateur, 30 kg de charbon pour produire le téléphone. Ce que je veux dire par ce peu et qui est extraordinaire, c’est que grâce à ces matières avec lesquelles on produit de l’énergie, il faut de relativement faibles quantités de matière par rapport à l’énergie qui serait nécessaire de la part d’un humain.

Et de même, dernier point de comparaison. Si on devait produire, en pédalant, l’énergie qui nous permet de regarder une vidéo dix minutes, il faudrait pédaler 30 minutes et pas pédaler à 10 km/h, pas en mode tranquille, il faudrait pédaler à 25/35 km/h, pendant 30 minutes, pour pouvoir regarder 10 minutes de vidéo.

Voilà un petit peu ce qu’il en est par rapport à ces impacts et voilà ce qui se cache derrière le mot « énergie » que l’on retrouve souvent quand on fait des points de comparaison. Derrière il y a des matières, c’est important de le souligner, ce qui montre encore une fois, une fois de plus, que le numérique paraît dématérialisé, mais, en réalité, c’est très matérialisé. Derrière il y a de la matière, notamment dans l’énergie que l’on utilise à la fois pour produire et à la fois pour utiliser ces appareils.

Marie-Catherine Mérat : En vous écoutant on comprend bien l’importance du recours aux images pour faire comprendre, prendre conscience au grand public de l’impact environnemental du numérique.

Isabelle Chabanon-Pouget vous êtes face au public, vous l’accompagnez dans cette culture numérique à Universcience et vous avez notamment proposé une médiation qui s’appelait « Voyage au cœur de nos téléphones intelligents ». Avez-vous l’impression que cette prise de conscience est déjà là ?

Isabelle Chabanon-Pouget : Petit à petit. Les personnes qui viennent voir la médiation « Voyage au cœur de nos téléphones intelligents » sont des gens qui sont déjà un peu sensibilisés.

Marie-Catherine Mérat : Avez-vous recours, comme ça, à des images fortes pour essayer justement de les sensibiliser ?

Isabelle Chabanon-Pouget : Dans cette médiation on parle des deux premières étapes du cycle de vie de production d’un téléphone portable, on parle de l’extraction des matières premières et on parle de la consommation énergétique du numérique.

Des images. On fait manipuler des objets sur une carte. Dans le numérique on a l’impression que tout est virtuel, mais, comme on l’a dit précédemment, en fait derrière tout est matériel. On a une carte et on prend des téléphones, des éléments de téléphone, des câbles et on essaye de les repositionner sur la carte pour montrer que tout est vraiment réel. Les câbles sous-marins sont représentés par des câbles pour que le public prenne vraiment conscience que derrière tout est matériel.

13’ 32

Marie-Catherine Mérat : À vous écouter, tous les trois, on a quand même l’impression que tout ça est assez sombre, que l’avenir est assez sombre. Vincent Courboulay, en préparation de ce webinaire, vous me disiez qu’il ne s’agit pas d’opposer l’utilisation du numérique à l’impact environnemental. Il est important d’en comprendre les enjeux, mais il ne s’agit pas de dire que le numérique c’est le grand méchant.

Vincent Courboulay  : Non, bien sûr que non.

Je reprends cet objet-là [téléphone portable]. Il a été très bien dit ce que représente cet objet-là en termes énergétiques, mais à l’intérieur de cet objet-là j’ai un réveil, un appareil photo, une radio, un lecteur de podcast, un enregistreur, un agenda. Là-dedans j’ai plein de choses que je n’ai plus besoin d’acheter à côté.

L’idée n’est pas de dire je regarde simplement par le petit bout de lorgnette les impacts environnementaux qui sont, oui, catastrophiques. Aujourd’hui nous sommes dans un monde qui est numérique pour le meilleur et pour le pire aussi. L’objectif c’est de dire que peut-on faire pour réduire le pire parce qu’on sait que le meilleur existe ? Avant de faire rentrer tout le monde sur scène, vous faisiez le constat que 90 personnes sont inscrites aujourd’hui à ce webinaire, il y en avait moins, ça permet peut-être à toute la France de participer à ce webinaire sans avoir à se déplacer. Une heure de vidéo Netflix est l’équivalent d’un kilomètre en voiture. OK, très bien. Mais si j’avais dû venir à Paris pour assister à ce webinaire, j’aurais été ravi de vous rencontrer en présentiel, mais il y a plein d’autres impacts cachés, différents de l’utilisation, de l’effet rebond. L’idée n’est pas d’être simpliste. Nous passons notre temps, dans les médias, à traiter le sujet de façon trop simpliste. Aujourd’hui il suffit de dire que le sujet est complexe, qu’il y a des outils, il y a des utilisations, il y a des utilités qui sont vraiment intéressantes, importantes, pédagogiques, de modélisation, d’information. Aujourd’hui l’idée n’est pas de dire qu’il y a le monde des gentils et il y a le monde du numérique, ce n’est pas vrai. Aujourd’hui il y a des urgences climatiques et sociales. Pour réduire ces impacts et pour aller vers un monde le plus résilient possible, le numérique est un objet qui est intéressant.

Que peut-on faire pour utiliser cet objet intéressant dans le meilleur sens du terme en limitant le plus possible ses effets négatifs ? L’enjeu est là. Il n’est surtout pas de dire que la frugalité numérique, autant dire le moins numérique, est la solution. Je suis désolé s’il permet à tout le monde d’avoir des détections de cancer plus tôt, de pouvoir faire des visios, d’avoir de l’information accessible plus facilement et des échanges plus facilités, c’est bien, utilisons ce numérique-là. Si c’est pour de la fake news ou du bullshit, là, effectivement, on peut se poser des questions.

Marie-Catherine Mérat : On en vient à la question du numérique responsable. On pourrait se dire OK, moi je veux bien être responsable, mais comment je fais ? J’en viens à la question de l’éducation. Par exemple quelques données. Dans le cadre du plan de relance post-covid 19, l’État prévoit d’investir 105 millions d’euros à compter de 2021 pour soutenir des projets pédagogiques de transformation numérique dans l’ensemble des écoles. Cela inclut l’équipement des écoles en termes de matériel, de réseau. Est-ce qu’on n’a pas là des injonctions fondamentalement contradictoires ? Équiper toutes les écoles, il y a aussi l’intelligence artificielle, on va l’utiliser de plus en plus pour accompagner les apprentissages, très vertueux, on veut aider, on veut individualiser, etc., mais c’est de l’intelligence artificielle.
On a des injonctions contradictoires. Que peut l’enseignant dans tout ça ? Que faire ? Je m’adresse à vous Louis Derrac.

Louis Derrac. : Bonjour et merci de m’avoir invité à cet échange. Vous commenciez déjà à dire certains éléments que je me suis notés.

Si vous me le permettez, je voudrais juste commencer en disant que ça rentre aussi un petit peu dans notre sujet, dans l’éducation. Il faut commencer par dire que le numérique a un impact, une empreinte, elle est évidente, mais comme pour toutes nos activités humaines. C’est intéressant d’ailleurs qu’on parle autant du numérique en ce moment alors qu’on devrait parler de l’avion, de la consommation de masse, etc. Mais, et c’est là où on arrive à l’aspect éducatif, le numérique a un impact et il présente certaines différences, certaines particularités que je vais vous lister et ce n’est pas du tout exhaustif.

Déjà on parle toujours de numérique et, en fait, ce terme numérique aujourd’hui n’incarne plus rien. D’abord adjectif technique, il est devenu ensuite un adjectif commun puis est devenu un substantif, un terme, « le numérique », qui regroupe à la fois des terminaux individuels, des interfaces réseaux, des logiciels, des usages, ce dont parlait Vincent plus tôt. On voit qu’en utilisant le terme numérique on a un peu abdiqué de la complexité de cet écosystème, c’est une première différence. C’est une complexité. Cette complexité a été effectivement invisibilisée, largement et sciemment, on y reviendra parce que, pour le coup, c’est un choix que cet impact carbone du numérique ait été invisibilisé par les ingénieurs, par les marketeurs parlant de cloud, parlant de nuage, faisant en sorte que ça ne se voit plus. Par ailleurs, les technologies numériques, contrairement à d’autres, sont effectivement en constante augmentation de manière exponentielle. Là on voit bien qu’on a un problème sur cette question d’impact puisqu’il y a une injonction forte à plus de numérique, vous l’avez dit, dans le monde de l’éducation mais même dans le monde de l’administration. Aujourd’hui, pour accéder à la plupart de ses droits, il y a une injonction à être équipé d’un certain nombre de matériels numériques, la défenseure des droits fait des rappels réguliers sur le fait qu’il y a un vrai problème à ce niveau-là, elle n’est pas la seule. On voit bien qu’on a quelques différences.

Maintenant, sur le plan éducatif je noterais qu’il y a trois écueils sur lesquels il ne faut pas tomber, et vous en avez cité un, déjà éviter les injonctions en tout cas contradictoires. Si l’école veut se mettre à former à une forme de sobriété numérique, il faut être cohérent. Il faut absolument commencer par se demander quelle est la place que doit prendre le numérique dans le système éducatif. Aujourd’hui on voit qu’il y a quand même plutôt une politique d’équipement massif et individuel, ce qui est inexplicable d’un point de vue sobriété numérique, là où pourrait mutualiser ces équipements. D’ailleurs les équipements sont souvent doublonnés. Dans les établissements ils sont utilisés dans un cadre scolaire, mais ils sont aussi présents dans certains lieux extra-scolaires comme les médiathèques, les centres d’accueil divers et variés qui sont financés, pilotés par des collectivités. En rappelant ce que disait là aussi Vincent, que le coût, l’impact le plus fort est dans la fabrication dont on parle à chaque fois qu’on équipe de terminaux.

Une deuxième chose c’est peut-être de ne pas tomber dans l’écueil du développement durable qui est enseigné à l’école. Je pense qu’on en reparlera dans la discussion, je vais juste l’évoquer. C’est juste de tomber dans une éducation aux écogestes, ce qui est bien, mais qui ne sera pas suffisante puisque ce qui est important ça va être plutôt, et là on en est loin, il y a chemin à faire, d’éduquer en fait à des alternatives, éduquer à ce que sont les technologies numériques, au fait que ce sont des choix techniques, politiques, économiques, culturels et qu’il y a aujourd’hui des modèles dominants, mais qu’il y a aussi des alternatives. J’enseigne dans le supérieur et je vois que les jeunes que j’ai devant moi sont effectivement très conscients des enjeux écologiques, commencent à comprendre les enjeux spécifiquement des technologies numériques, mais ils découvrent totalement qu’il est permis de penser des modèles alternatifs.

Et enfin, mon troisième sujet, c’est qu’en fait il est difficile d’éduquer à un numérique responsable parce qu’il est déjà difficile d’éduquer au numérique. L’enseignement français est très disciplinaire, on a eu beaucoup de mal et c’est encore un sujet d’éduquer au numérique dans l’enseignement disciplinaire où le numérique, encore une fois ce numérique, est un sujet transdisciplinaire. Il pourrait être enseigné dans toutes les disciplines. On en a fait une discipline, les sciences numériques et technologie, qui, en fait, montre ses limites dans le sens où c’est très technique, il y a peu d’enjeux culturels, peu d’enjeux philosophiques, peu d’enjeux politiques et c’est peut-être là où justement on pourrait parler de numérique responsable.

Marie-Catherine Mérat : Une petite précision, les enseignants me diront si je me trompe, mais il existe donc et vous avez un petit peu, une éducation au développement durable de l’école primaire au lycée à travers toutes les disciplines. Dans les programmes il est question d’éduquer au développement durable dans toutes les disciplines. C’est intégré dans les programmes depuis 2020, notamment en technologie normalement « doit être menée une réflexion sur les relations sur les humaines et l’environnement, une réflexion sur les cycles de vie et les contraintes environnementales lors de la conception d’un objet ». J’imagine qu’une éducation à la sobriété numérique ou à la responsabilité numérique pourrait se faire dans ce cadre-là, par exemple.

Louis Derrac : Oui, ça pourrait, mais on se retrouve déjà de base, comme souvent dans ce genre d’éducation, à des difficultés de formation des enseignants, voire de recrutement d’enseignants spécifiques. Comme il est dit dans le chat ça n’empêche pas que certains le font. D’ailleurs je pense que cette éducation a naturellement fait venir à elle des enseignants et des professionnels qui sont déjà intéressés et sensibilisés à ces questions, mais c’est vrai que c’est très inégal.

Je rappelle qu’il y a 800 000 enseignants en France, on parle bien de quelque chose d’assez énorme et je reviens sur le fait que c’est difficile. Une fois qu’on a dit qu’il y a des écogestes on ne s’adresse qu’à des consommateurs, on n’est pas en train d’éduquer, en tout cas de créer des citoyens, de faire naître des citoyens capables d’être des acteurs d’alternatives en matière de numérique.

Marie-Catherine Mérat : Je relève un commentaire très intéressant, très important de Tristan : « Que faire face aux décisions d’équipements individuels décidées par les collectivités territoriales comme la région Île-de-France qui équipe les élèves individuellement avec des équipements pas forcément adaptés et qui font l’objet d’une maintenance pas très pertinente ? ». Effectivement que peut l’enseignant puisque ce n’est pas lui qui prend ces décisions ? Je ne sais pas qui souhaite répondre ? Peut-être Vincent Courboulay sur cette thématique.

Vincent Courboulay : À part le fait de dire qu’on subit et éventuellement on peut remonter le fait qu’on n’est pas content. Je vais donner un exemple. À l’université où je suis on nous dit tous les trois ans : « Félicitations, vous avez droit à un nouvel ordinateur, si vous le voulez vous nous le demandez et on vous le donne ». Aujourd’hui ce n’est pas du tout satisfaisant. Il faut faire un travail de fourmi. Est-ce qu’il faut prendre son bâton de pèlerin ? Est-ce qu’il faut utiliser les associations de parents ?, je ne sais pas. Est-ce qu’il faut aller voir du côté de ses élus ? En tous les cas aujourd’hui il faut changer la responsabilité. La responsabilité n’est pas de dire qu’on va changer pour tout le monde, mais on va changer si vous avez besoin.

Par contre, ce que j’entends pour discuter beaucoup avec les territoires et les élus, voire les DSI, c’est que gérer ponctuellement la demande nous prend tellement plus d’énergie et de temps que de gérer tout d’un coup, de façon massive que, du coup, ils préfèrent faire ça.
Le problème c’est que si vous regardez cette problématique du spectre environnemental c’est une catastrophe.
Si vous élargissez cette problématique au spectre de la gestion humaine de ce dossier, la balance est un petit peu plus complexe.

Si vous intégrez maintenant ça à la gestion économique en disant on a un parc uniforme, etc., c’est encore plus complexe que ça.

Si on veut aborder une problématique de façon vraiment pertinente, il faut envisager vraiment cette approche multifactorielle qui souvent, très rapidement, tombe sur « ah oui, mais finalement peut-être qu’on peut le comprendre ». Je n’ai pas de réponse à ça.
J’entends quand on me dit « on va tout changer parce que en termes d’homogénéité du parc ce sera beaucoup plus facile pour nous de gérer parce que sinon on n’a pas la bande passante ». La situation est complexe.

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Marie-Catherine Mérat : En même temps