Différences entre les versions de « Sébastien Broca - Conférence - Adullact - Congrès 2014 - 2ème partie »

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'''Titre :''' Conférence de Sébastien Broca - Deuxième partie
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Publié [https://www.april.org/sebastien-broca-congres-adullact-2014-conference-deuxieme-partie ici]
 
 
'''Intervenant :''' Sébastien Broca
 
 
 
'''Lieu :''' Congrès de l'association Adullact
 
 
 
'''Date :''' Septembre 2014
 
 
 
'''Durée :''' 17 min 17
 
 
 
'''[https://www.youtube.com/watch?v=Tc3EgDV8nck Lien]''' vers la '''vidéo'''
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
== 00' ''transcrit MO''==
 
 
 
C'était pour introduire, un peu, cette problématique de la rémunération dans l'activité de développement libre et donc, parfois, la tension qui existe entre la revendication d'autonomie dans le travail et cette question de la rémunération.
 
 
 
C'est une notion qui me semble intéressante. Pour l’instant, en fait, j'ai dit deux choses. Première chose, l’activité du développeur de logiciels libres, c'est une activité autotélique, qui a sa fin en elle-même. Ce qui compte pour lui, c'est vraiment le contenu de son activité, ce n'est pas simplement un moyen pour autre chose. Et, deuxième chose que j'ai dite, c'est que cette activité, en tant qu'elle crée de la valeur, elle pourrait donner droit à rémunération. Sauf que là on peut se dire est-ce qu'il n'y a pas une contradiction entre ces deux trucs-là ? Est-ce que, dès lors qu'on donne de l'argent à quelqu'un pour faire quelque chose, dès lors qu'on perçoit une rémunération, est-ce que, finalement, ça ne corrompt pas, en quelque sorte, les motivations intrinsèques qu'on a pour faire quelque chose ? Donc, est-ce que le fait de gagner de l’argent ne change pas fondamentalement ce pourquoi on s'adonne à une activité ? Est-ce que, par exemple, dès lors que la programmation devient un gagne-pain, devient aussi un moyen de gagner sa vie, est-ce que, du coup, le développeur, finalement, le sens pour lui de son activité, est-ce qu'il ne change pas ?
 
 
 
Donc ça c'est un problème qui est assez bien répertorié dans la littérature économique. On appelle ça le ''crowding-out effect''. Donc ''crowding-out effect'', c'est cet effet qui se passe quand les motivations économiques en viennent à supplanter, ou à corrompre, les motivations intrinsèques qu'on a pour se livrer à une activité. L’exemple qu'on donne souvent du ''crowding-out effect'', qui est assez parlant, il me semble, c'est l'exemple du don sang. Il y avait un sociologue, Richard Titmuss, qui avait fait une enquête dans les années 70, où il avait comparé les systèmes de don du sang en Angleterre et aux États-Unis. Donc, aux États-Unis, les donneurs étaient payés pour donner leur sang, alors qu'au Royaume-Uni ils ne l'étaient pas. Et l’enquête de ce sociologue mettait en lumière le fait que, finalement, le système anglais marchait mieux parce que, dans le système américain, le fait que les donneurs reçoivent de l'argent pour donner leur sang, eh bien, ça les gênait. En fait, ça avait un effet corrosif sur les motivations sociales, altruistes, civiques, qui sont à la base du geste des gens qui vont donner leur sang. Il disait il y a, enfin il n'employait pas ce terme-là, mais il y a cette sorte de ''crowding-out effect'', le fait de donner une rémunération, eh bien du coup, ça éloigne, ça évince, ça corrompt les autres motivations qu'on a pour faire une activité.
 
 
 
Un autre exemple classique, qu'on connaît, c'est celui du vote. Ça nous semblerait absurde qu'on soit payé pour aller voter. Parce qu'il y a cette idée, quand même, que ça risquerait de corrompre nos réelles motivations civiques, qui devraient être ce pourquoi nous allons voter. Donc on a cette idée. J’ai pris cette citation d'un philosophe américain, Michael Sandel, qui dit que quand les gens s'investissent dans une activité qu'ils considèrent qu'elle a une valeur intrinsèque, leur offrir de l'argent peut affaiblir leur motivation en dépréciant, ou en excluant, leur intérêt intrinsèque ou leur engagement. Donc c'est, par exemple, ce qui se passe dans le cas du don du sang.
 
 
 
Donc ma question c'est, étant entendu que le hacking c'est bien une activité qui a une valeur intrinsèque pour ceux qui s'y adonnent, est-ce qu'on a, dans le hacking, ce risque du ''crowding-out effect'' ? Et vous allez dire tout ça pour ça, parce qu'il me semble que, en fait, pas vraiment. Parce que, par exemple, même si cette idée de ''crowding-out effect'' elle est intéressante, il me semble, mais c'est vrai qu'elle ne marche pas tout le temps. Il y a plein d'autres activités où il me semble qu'on n'a pas ce genre de phénomène. L'exemple qui me semble le plus évident c'est celui des chercheurs. On a tous cette idée que les chercheurs, les scientifiques pourquoi ils font ça ? C'est, en grande partie, parce qu'ils ont un intérêt intrinsèque pour la science, ils ont une sorte de ''libido sciendi'', une volonté de faire avancer la science en tant que telle. Mais pourtant, ça ne nous choque pas, qu'ils soient rémunérés pour faire de la recherche. On n'a pas forcément l'impression que le fait d’être rémunérés va affaiblir leur motivation ou va, comme ça, corrompre leur activité scientifique. On trouve ça aussi légitime qu'ils gagnent leur vie, finalement, même si ce qu'ils font les passionne.
 
 
 
Donc il me semble, qu'en fait, le véritable problème ce n'est pas tant la rémunération, c'est le fait que, parfois, la rémunération, ou l'argent en général, peut aller de pair avec une dégradation des conditions dans lesquelles s'accomplit l'activité.
 
 
 
''J'ai ma citation qui est n'importe comment.'' J'avais mis cette citation d'Eric Raymond, qui insiste sur le côté anti autoritaire des hackers, des développeurs de logiciel libre, qui dit « quand on veut vous donner des ordres, on veut vous empêcher de résoudre les problèmes qui vous fascinent ». Et j’avais mis cette citation pour dire que, effectivement, il me semble que le problème pour les développeurs de logiciels libres, ce n'est pas tant la rémunération en tant que telle, c'est le fait qu'il y a problème quand la rémunération va de pair avec une dégradation de leurs conditions de travail, et quand, par exemple, ils sont, pour être rémunérés, soumis à une hiérarchie qui les empêche de résoudre les problèmes qui les fascinent.
 
 
 
Si on dit à un développeur bénévole « tu vas faire la même chose qu'avant, dans les mêmes conditions, mais juste tu vas être payé », je ne pense pas qu'il y en ait beaucoup qui trouveraient à redire à ça. Par contre, si on leur dit « tu vas être payé, mais tu ne vas plus faire la même choses qu'avant. Tu vas travailler dans des conditions où tu seras moins libre, tu seras moins autonome, tu vas moins avoir le contrôle et le choix de faire ce que tu veux », là, peut-être qu'on a quelque chose qui est un petit peu plus problématique.
 
 
 
Ensuite, là j'attaque la partie de mon exposé sur laquelle je me suis dit, ce midi, que j'avais un petit peu exagéré et que j'avais peut-être un peu caricaturé les choses. On va voir ce que vous en pensez. J'avais, quand même un peu cette idée que, dans le logiciel libre, on n'avait pas encore vraiment trouvé les modèles économiques idéaux qui permettent de concilier l'autonomie dans le travail et le fait que les contributeurs soient rémunérés, soient payés pour ce travail. Et qu'on a encore, bien souvent, quelque chose qui ressemble un peu à un dilemme où, d'un côté, on a encore des communautés de développeurs bénévoles, comme Debian, qui est la plus connue, où les développeurs sont très libres de travailler comme ils le souhaitent, même si le poids de la communauté, dans Debian, peut aussi être très fort, mais c'est une autre question. Mais évidemment, ces développeurs dans Debian, par exemple, ne sont pas rémunérés directement pour le code qu'ils écrivent. Et pourtant, ce code, par exemple, il sert de base à la distribution Ubuntu, qui dépend d'une société commerciale, donc on a, quand même, ensuite, un rapport de ce code avec le monde marchand, et donc on a, quand même, quelque chose qui est, éventuellement, un peu problématique, d'avoir un travail bénévole qui, ensuite, rentre dans le cadre, même si c'est un peu de manière indirecte, d'un processus de valorisation marchande.
 
 
 
Et puis, d'un autre côté, si vous voulez, l'exemple qui serait un petit peu diamétralement opposé, c'est l’exemple du noyau Linux, où donc Linux, comme tous les projets de logiciels libres, était parti comme un projet vraiment de hobbyistes, avec des développeurs bénévoles, et puis, au fur et à mesure de son développement, donc les grandes entreprises, vous connaissez sûrement cette histoire, une des premières c'était IBM, elles se sont aperçues qu'elles avaient un intérêt à utiliser Linux, que ça leur permettait de faire des économies de R&D, qu'elles pouvaient mutualiser leurs développements, tant est si bien qu'aujourd'hui toutes les grandes entreprises informatiques et du web, collaborent à Linux, salarient même des développeurs pour ce faire, et donc Linux est aujourd'hui développé à environ 90 %, 85/90 %, par des développeurs salariés. Donc la part des hobbyistes, des gens qui font ça sur leur temps de loisir, s'est considérablement réduite.
 
 
 
Donc, d’un côté, évidemment, c'est très bien que les gens soient payés pour faire du Linux, mais, d'un autre côté, on peut se demander si en acceptant d’être salariés pour Intel, pour Google, pour Oracle, etc, est-ce que, quand même, ils ne renoncent pas un petit peu à ce pourquoi ils avaient décidé de coder en premier lieu ? Est-ce qu'ils ne renoncent pas, un petit peu, à cette autonomie dans le travail, cette passion qui les mouvait au départ ? Est-ce qu'ils réussissent à conserver, vraiment, des conditions de travail d'un emploi salarié pour une grande entreprise high tech ? Donc est-ce qu'on n'a pas, encore une fois, peut-être que je caricature un peu, mais bon ! En tout cas je voulais poser cette question, est-ce qu'on n'a pas une sorte de dilemme du hacker, qui d'un côté, soit il reste fidèle à un idéal de travail autonome et libre, mais au risque qu'il ne soit pas payé, et que ce travail demeure bénévole. Soit il intègre des entreprises plus classiques, mais au risque de perdre cette autonomie dans le travail.
 
 
 
 
 
==08' 55==
 
 
 
Là je voulais revenir,
 

Dernière version du 24 mai 2016 à 07:42


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