Différences entre les versions de « Rien à cacher - Vie privée : guide de survie en milieu hostile - Questions du public »

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche
(Contenu remplacé par « Catégorie:Transcriptions Ajouté [https://www.april.org/rien-cacher-vie-privee-guide-de-survie-en-milieu-hostile-laurent-chemla-pses2015 ici] »)
 
(Une version intermédiaire par le même utilisateur non affichée)
Ligne 1 : Ligne 1 :
 
[[Catégorie:Transcriptions]]
 
[[Catégorie:Transcriptions]]
  
'''Titre :''' Rien à cacher - Vie privée : guide de survie en milieu hostile
+
Ajouté [https://www.april.org/rien-cacher-vie-privee-guide-de-survie-en-milieu-hostile-laurent-chemla-pses2015 ici]
 
 
'''Durée :'''  13 min
 
 
 
'''[http://data.passageenseine.org/2015/webm/PSES2015_rien-a-cacher.webm Lien]''' vers la vidéo
 
 
 
'''Statut :''' transcrit MO
 
 
 
Il s'agit de la fin de la conf de laurent Chemla, les questions du public >>> Quand la transcription a été faite, cette partie ne figurait pas sur le site de PSES. C'est au moment de la finalisation que je m'en suis rendu compte...
 
 
 
L'intention est d'ajouter cette partie sans créer une nouvelle page.
 
 
 
==33’ 00==
 
 
 
Et maintenant je vais vous laisser la parole. Encore une fois je préfère les débats aux conférences.
 
 
 
'''Public :''' Ça fait plusieurs mois que j’ai commencé à fouiller, à essayer de regarder un peu quand est-ce qu’a eu lieu ce changement de mentalité. Globalement aujourd’hui, la piste que j’ai c’est plutôt 1998, c’est-à-dire Google. Je ne sais pas si c’est l’élément déclencheur ou pas, ou si c’est une cause ou une conséquence. Je ne sais pas trop. Est-ce que toi tu as une piste là-dessus, sur ce qui a fait que les gens, effectivement la génération d’avant ou le début de la génération de maintenant, avaient une position complètement différente sur la vie privée ?
 
 
 
'''Laurent :''' Sur ta réponse à Facebook, ça rejoint un peu mon argumentaire général, donc à classer dans « ce qui te semble anodin aujourd’hui demain te sera reproché. »
 
 
 
'''Public :''' Ouais, c’est ça.
 
 
 
'''Laurent :''' On est dans le même type de procédé. Sur les raisons, c’est compliqué. Il y a tout un tas d’éléments. Alors peut-être, pourquoi pas Google, je crois quand même que 1998 c’est un peu tôt, et qu’à l’époque Google n’avait pas une influence suffisante.
 
 
 
'''Public :''' Enfin dans ces eaux-là, en tout cas, quoi !
 
 
 
'''Laurent :''' Mais bon ! Il y a d’autres choses qui se sont passées. Le début de la télé-réalité aussi, ça change dans la tête des gens la notion d’intimité et de vie privée. Moi, je prends souvent aussi des trucs comme la généralisation des <i>babyphones</i>. C’est quelque chose de très con. Mais le fait de surveiller son gamin en permanence, d’avoir en permanence un micro branché dans la chambre de son gosse, il me semble que quand même, peut-être même inconsciemment, mais pour les gens c’est, voilà. Que mon gosse, même à l’état de larve vagissante n’ait plus la moindre vie privée, je ne suis pas sûr que ça renforce énormément la valeur de la vie privée dans l’esprit des gens, si tu veux. Il y a tout un tas d’éléments comme ça. Bon, l’évolution technique, forcément aussi. Le fait d’avoir des ordinateurs reliés les uns aux autres, le fait de pouvoir se parler à distance beaucoup plus facilement qu’avant, y compris en se voyant. Le fait du passer du téléphone à la visio, ce sont des choses vachement importantes. Au téléphone tu as cette notion d’intimité : tu peux te gratter les couilles quand tu es au téléphone avec ta mère !
 
 
 
'''Public :''' Même au niveau technique, on a quand même eu aussi un basculement. C’est-à-dire qu’avant on a eu les téléphones, c’était déjà compliqué, c’était quand même centralisé, enfin pas centralisé, c’était le réseau commuté et autres. Et maintenant on en est à Google, VoIP. Tout le monde a tout balancé en clair. À ce niveau-là, on a eu aussi un changement de mentalité. Je pense qu’il y a beaucoup de gens, on leur expliquerait comment techniquement marche le réseau — alors ils n’ont peut-être pas envie de le savoir, mais on leur expliquerait comment ça marche ils se diraient « ouais, OK, je vais peut-être arrêter la vidéoconférence ou le truc comme ça ! » Mais ils s’en foutent ! Ils ne veulent même pas le savoir, en fait !
 
 
 
'''Laurent :''' Le problème c’est qu’ils ne veulent pas le savoir ; ce n’est pas qu’ils s’en foutent. Je pense que si on arrivait à les convaincre de le savoir, ils s’en foutraient moins. En tout cas, pour répondre à ta question, je ne crois pas qu’il y ait un truc en particulier, mais un ensemble de choses qui font ça et aussi, très probablement, un discours public de nos décideurs. Je crois que le glissement sémantique de vidéosurveillance à vidéoprotection n’est pas anodin. Il est volontaire ! Ce n’est pas quelque chose que, d’un seul coup, les maires ont décidé « tiens je vais de changer de mot ! » C’est aussi comment faire rentrer dans la tête des gens qu’on ne les surveille pas, on les protège ! Tout va bien ! Ce ne sont pas que des aspects techniques, il y a aussi, quelque part, très probablement, une volonté.
 
 
 
'''Public :''' Il y a clairement de tout ! Il n’y a pas que de la technique.
 
 
 
'''Laurent :''' Une volonté. Un agenda pour que la vie privée devienne moins importante dans l’esprit du public. Il me semble qu’on ne peut pas négliger non plus cette piste-là. Beaucoup de mains qui se lèvent d’un seul coup.
 
 
 
'''Public :''' Ma remarque va porter plutôt sur un autre public que le tien, j’ai l’impression. Moi, je me suis surtout adressée à des pré ados, ados et jeunes adultes. J’ai l’impression qu’il y a un truc de génération qui est assez fort, parce que ces personnes-là ont intégré, justement, toute cette socialisation différente sur la question de la vie privée. En fait, du coup, quand j’ai essayé de faire un peu de prévention sur les libertés numériques, la vie privée, auprès de ces publics-là, ce qui en sortait c‘est que c’est presque un défi de ne pas avoir de vie privée, de ne rien avoir à cacher. C’est comme si : « Tu es sûr que tu n’as rien à cacher ? Eh bien non, je n’ai rien à cacher ! » Et les premiers argumentaires que tu montrais sur tes <i>slides</i>, comme quoi « ah oui, tu n’as rien à cacher, et si tu chantais sous ta douche, et s’il y avait des micros, est-ce que tu continuerais à chanter ? » Les réponses, de manière presque un peu bête et méchante, sont « je continuerais à chanter, je n’ai rien à cacher. De toutes façons, je m’en fous ! », et de manière assez systématique comme réaction. Et j’ai l’impression, c’est parce que du coup, comme je disais, ce sont des personnes qui ont intégré beaucoup plus massivement cette notion de « je n’ai rien à cacher, on ne doit rien avoir à cacher et si j’ai quelque chose à cacher c’est un problème ! » Et la question de vie privée, j’ai l’impression, je peux me tromper, n’a presque plus de sens pour ces personnes-là, alors que j’ai l’impression que la question de l’intimité, pour le coup, parlerait plus. On revient sur cette question sémantique, effectivement, comme tu disais, l’aspect législatif ; enfin l’argumentaire législatif ne parle pas pour l’intimité, mais j’ai l’impression qu’on touche à quelque chose d’un peu plus humain et un peu moins socialement construit. Donc un peu plus transgénérationnel quand on parle d’intimité. Et moi, ça me pose un problème de dire aux gens « on a tous quelque chose à cacher ! » Parce qu’en fait, la question ce n’est pas de cacher quelque chose mais plutôt, à mon sens, d’avoir du pouvoir sur ce qu’on diffuse d’informations sur soi et, ce qui relève de l’intime, c’est ce sur quoi je veux être la seule à avoir du pouvoir en termes de diffusion, de savoir à qui j’en cause et de comment ça se <i>thread</i> ensuite, quoi. Est-ce que c’est clair ?
 
 
 
'''Laurent :''' Entendons-nous bien juste sur un point. Quand je choisis d’utiliser l’argument « oui tu as quelque chose à cacher » et de le montrer, ça n’est pas pour convaincre la personne qu’elle doit se cacher. C’est pour qu’elle prenne conscience de l’importance de la vie privée en général. Évidemment, il y a très longtemps, enfin très longtemps, en tout cas il y a quelque temps avant de commencer à me pencher sur ces questions au point de mettre en marche CaliOpen et d’autres, j’avais un peu ce type de discours-là. C’est-à-dire que je disais : « La vie privée, un peu pour paraphraser encore Manach, est une affaire de vieux cons ». On vit dans un village global. À l’époque on vivait tous dans des villages, tout le monde savait tout de nous et ça ne posait pas de problème. La vie privée, c’est une notion très moderne, quelque part, et qui n’a peut-être pas tant d’importance que ça.
 
 
 
Je n’ai commencé à changer d’avis moi, perso, que quand j’ai commencé à prendre conscience du fait que sans vie privée il n’y a pas de vie publique ou très peu. Que sans vie publique il n’y a pas de démocratie ou très peu. Et c’est là où j’ai commencé à changer de discours et à dire « OK, donc il ne faut pas négliger ce truc-là ». Si même moi je me suis fait avoir, c’est encore pire, peut-être, et c’est peut-être pour ça que je suis si ardent maintenant, enfin énervé en tout cas, c’est sûr, ardent peut-être pas à mon âge. Mais le fait d’avoir failli me faire avoir, aussi, qui a marché sur moi en tout cas, c’est ça, c’est : tu ne peux pas avoir de pensée indépendante si tu ne la confrontes pas aux autres. Et tu ne la confrontes pas aux autres si tu n’as pas de vie privée. Tu peux la confronter aux livres et encore, c’est compliqué. Et même ça, la confronter aux livres, ce n’est pas si simple que ça parce que quand tu as une pression sociale « oh là, là tu lis cette saloperie ! » L’exemple moderne, là aujourd’hui, le plus récent, c’est : vous allez rentrer dans l’algorithme du gouvernement si vous allez regarder une vidéo de décapitation. Il est parlant cet exemple. Ce n’est pas un bouquin, bien sûr, une vidéo de décapitation, mais c’est de la curiosité. On veut comprendre qu’est-ce qui pousse ces gens-là à faire ça, à quel degré d’horreur on les a peut-être nous-mêmes poussés, avec nos sociétés occidentales et la façon dont on les a traités.
 
 
 
Ce type de questionnement-là, si je sais que je vais être pris dans un algorithme qui va surveiller toutes mes correspondances, je ne vais pas aller regarder la vidéo, je ne vais plus me poser ces questions-là, et si je ne me pose pas de questions je deviens un petit robot quelque part, au bout d’un moment. Le détournement ne va pas se faire du jour au lendemain. Ce n’est pas parce que le projet de loi est passé aujourd’hui que là on va arrêter de se voir et de discuter de ça. Mais petit à petit, peut-être que demain, enfin dans quelques mois, on apprendra qu’un groupe d’activistes s’est fait arrêter parce qu’ils étaient en train d’organiser l’installation dans une ZAD. Petit à petit ! Ça, pour le coup, ça rentre parfaitement.
 
 
 
'''Public :''' C’est déjà arrivé.
 
 
 
'''Laurent :''' Voilà ! Ça commence et ça continuera. Ça rentre parfaitement dans le projet de loi renseignement. Quand ce type d’exemple-là va se multiplier, les gens vont juste arrêter de vouloir s’installer dans des ZAD ou, en tout cas, il y en aura beaucoup moins qui le feront. Et donc, encore une fois, on perd en liberté. Encore une fois, ça n’est pas du jour au lendemain, mais ça installe dans l’esprit du public qu’il y a une pression légale pour ne pas faire des choses qui pourraient déranger l’État et donc, ne les faites pas ! Et cette pression-là, elle est trop grave pour qu’on l’ignore donc il faut trouver des arguments. Il faut qu’on les trouve ces arguments, y compris pour les jeunes.
 
 
 
'''Public :''' Je pense que tu prêches des convaincus. Mais justement, j’ai l’impression que l’argumentaire que tu proposais, même si le fond devrait être le même auprès des jeunes, je pense qu’il devrait être différent, en termes de stratégie.
 
 
 
'''Laurent :''' On est sans doute parfaitement d’accord. Mais j’ai peu l’occasion de discuter avec des jeunes, je n’aime pas ça ! Les jeunes ! Discuter j’aime beaucoup !
 
 
 
'''Public :''' Bonjour. Henri. Toute la problématique de la vie privée, c’est qu’en fait, il n’y a pas une vie privée, il y a plusieurs vies privées, dans le sens où ce que j’invoque comme étant ma vie privée quand je suis au boulot n’est pas la même chose que ce j’invoque comme étant ma privée quand je suis chez moi, qui n’est pas non plus ce que j’invoque comme vie privée quand je parle à mon assureur, à mon banquier, etc. Ce qui complique encore la chose c’est que, par rapport à ça, ce qui est moi, ma vie privée, n’est pas forcément ce que moi j’invoque comme étant de ma vie privée, et on l’a bien vu à l’instant, n’est pas forcément ce que vous, vous invoquez comme étant de votre vie privée.
 
 
 
C’est un sujet éminemment complexe et qui se rapporte à l’individu. Donc on ne peut pas avoir une communication globale aujourd’hui et fondamentalement affirmative sur le domaine de la vie privée, parce que chacun va l’interpréter à sa manière. Et ce qui est sûr c’est que chacun, par contre, va l’interpréter à l’aune des services qui lui sont rendus par les nouvelles technologies. Et aujourd’hui, une des raisons qui fait qu’il ne s’intéresse pas à la technique, c’est parce que ça lui rend des services et il a l’impression que ces services il les paie peu cher. Donc le problème n’est pas un problème de vie privée, ce n’est pas un problème de technique non plus, c’est un problème de communication, comme Tristan Nitot l’a montré avec « Ni Pigeons, ni Espions. » Qu’est-ce qui a marché comme exemple ? Ce n’est pas du tout ceux auxquels il pensait, c’est que, tout d’un coup, les gens ont capté sur la question de l’argent, et rien que sur la question de l’argent.
 
 
 
L’argument massue en tout cas, de com’ sur la vie privée, c’est sûr qu’il reste à trouver. Mais, pour terminer avec une vision un tout petit peu positive, moi je suis extrêmement optimiste d’une part, parce qu’il y a ces discussions. Moi je suis sur ce sujet-là depuis 2004, il y a ces conférences-là qui existent. Mais plus encore, je suis très surpris, quoi qu’on pense de la boîte, ce n’est pas le sujet : une des premières capitalisations boursières au monde, Apple, aujourd’hui, depuis deux <i>keynotes</i> est en train de mettre comme élément stratégique différenciateur la gestion des données personnelles de ses clients. On le croit ou ne le croit pas, ce n’est pas la question. Le fait est que cette boîte qui a 800 millions de comptes dans ses serveurs, aujourd’hui, son discours, la dernière <i>keynote</i> si vous l’avez regardée, tous les arguments pour vendre les nouveaux services c’est : nous, nous protégeons les données personnelles de nos clients. Ce qui est sûr c’est que ce discours-là va commencer à changer les mentalités. Donc c’est très bien qu’on soit là, en ce moment, pour avancer sur ce terrain parce que c’est maintenant que les choses vont commencer à changer et ce sont des boîtes comme Apple et d’autres qui vont nous aider à avancer là-dessus.
 
 
 
'''Laurent :''' On va devoir s’arrêter parce qu’on a déjà très largement dépassé l’horaire et laisser la place aux suivants parce qu’il y a d’autres conférences après.
 
 
 
''Applaudissements.''
 

Dernière version du 20 septembre 2016 à 12:46


Ajouté ici