République numérique - Avancées - Limites - Émission Libre@Toi

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Titre : République numérique - Quelles avancées ? Quelles limites ?

Intervenants : Emmanuel Charpentier, April - Lionel Maurel, La Quadrature du net - Nicolas Joyard, Regards citoyens - Benjamin Jean, Open Law - Nathalie Martin, Wikimédia - Pierre-Carl Langlais, Savoirs Communs - OliCat, Libre@Toi.

Lieu : Radio Libre@Toi

Date : Juillet 2016

Durée : 1 heures 55 min

Licence : Verbatim

Pour écouter l'émission


Statut : Transcription MO

00'

OliCat : Bonjour et bienvenue à tous et à toutes à l’écoute de Libre @Toi à la radio. Dans quelques instants on va commencer ce débat qu’on vous promet depuis une semaine maintenant, que nous teasons à force de communication sur les réseaux sociaux. Un débat autour de la loi République numérique, portée par Axelle Lemaire et Emmanuel Macron. Un débat qui va réunir autour d’une question assez simple — quelles avancées, quelles limites ? de nombreuses associations qui ont participé à cette première consultation citoyenne autour d’un projet de loi. On aura donc des intervenants de l’April, de Regards citoyens, d’Open Law, de La Quadrature du Net et de Savoirs Communs. Je vous les présenterai individuellement évidemment dans quelques instants. Un petit peu de musique libre le temps que tout le monde s’installe autour de la table.

Musique

Et je vous rappelle que vous pourrez participer en direct à ce débat en vous connectant simplement à notre chat : chat.libre-a-toi.org.

Musique

08’ 25

Bonjour et bienvenue à tous et à toutes sur Libre@toi à la radio. Je vous rappelle que vous pouvez participer à ce débat qui ne va plus tarder à débuter, en vous connectant sur le chat de la radio : chat.libre-a-toi.org. Alors une émission, aujourd’hui, en direct et en public nombreux. On les remercie d’être venus. Si vous pouviez crier et balancer vos culottes, on serait content. Ouais voilà ! Ils sont là ! Qui se teint donc au magasin général de l’Espace Les Grands Voisins qui se trouve à Denfert-Rochereau. Vous pourrez d’ailleurs, si vous le souhaitez, dans le cours de l’après-midi, nous rejoindre parce que je pense qu’on va squatter et poursuivre les débats au-delà de ce direct que nous allons amorcer. On va l’amorcer ce débat, cette table ronde plutôt, autour de la loi République numérique portée par le cabinet d’Axelle Lemaire et son ministre Emmanuel Macron. Une loi qui a été définitivement adoptée le 20 juillet, donc on est au cœur, là, de l’actualité. Et une loi qui a initié une consultation citoyenne inédite, puisqu’il s’est agi, pour tous, d’être en capacité, au travers d’une plateforme mise en place pour l’occasion, d’amender, de contribuer, de faire évoluer un texte qui était issu, à la base, de propositions du CNNum. C’est quoi ? Conseil national du numérique. Voilà. J’ai toujours un petit problème avec les acronymes. L’idée que le gouvernement poursuivait en 2014, en lançant cette initiative, c’était de permettre à l’État, c’était une grande volonté de Manuel Valls, premier ministre, permettre à l’État de réussir sa mutation en république numérique.

Une concertation qui a eu lieu donc au Conseil national du numérique, a directement le projet de loi pour une République numérique qui a été soumis, pendant trois semaines, à une discussion publique et interactive. Finalement le projet de loi a été présenté le 9 décembre 2015 en Conseil des ministres. Pour la première fois un projet de loi a donc été cocréé avec les internautes. Le projet de loi pour une République numérique a été adopté (?) en première lecture à l’Assemblée et c’était le 26 janvier 2016. Alors trois semaines, 21 000 participants, ce qui est quand même assez énorme. Plus de 8 000 contributions ce qui est également beaucoup. Un texte donc, alors là c’est le ministère qui nous le dit, a été largement amendé et augmenté. C’est un petit peu le sens des débats je pense qu’on va avoir aujourd’hui, le niveau d’amendements, on va pouvoir en discuter.

Niveau chiffres, on apprend, mais ça on pouvait se douter que le gouvernement n’hésiterait pas à nous présenter cela, l’ensemble des articles qui étaient proposés à la base par le gouvernement aurait été accueilli favorablement par 80 % des contributeurs de la plateforme. C’est intéressant. Dix nouveaux articles ont été créés et cinq seulement sont nés de la consultation. Et près de 90 contributions ont été intégrées. Donc on voit le rapport : 8 000 contributions. 90 intégrations. C’est un petit peu avoir.

L’intérêt de cette consultation c’était de permettre à un ensemble d’associations, de collectifs, militant sur l’ensemble des questions qui sont censées être embrassées par ce projet de loi République numérique à savoir les Communs par exemple, l’open data, la possibilité de permettre aux publications scientifiques par exemple d’être diffusées de façon plus large, moins restrictive. Bref, énormément de thèmes qui sont portés depuis de nombreuses années par des associations et collectifs que Lionel Maurel de La Quadrature, c’est la casquette qu’il porte aujourd’hui, a réuni pour nous pour cette émission. On va notamment retrouver, et là je prends mes petites fiches pour les noms parce que je suis absolument nul pour les noms, Regards citoyens, c’est Nicolas Joyard qui représente l’association. On a Manu de l’April, echarp pour les initiés des réseaux. Pour La Quadrature donc on a Lionel Maurel. Pour l’association Open Law on a Benjamin Jean, qui est en face de moi. Wikimédia est représentée par Nathalie Martin et Savoirs Communs par Pierre-Carl.

Effectivement c’était beau. Il s’agissait de faire entrer l’État dans la modernité du numérique. Effectivement la loi, maintenant qu’elle est votée on peut en parler, comporte des avancées notables sur certains sujets. Cette loi a suscité des débats souvent houleux sur certains points, avec plusieurs reculs du gouvernement, on verra plus particulièrement dans quels domaines. Le processus participatif d’élaboration a aussi soulevé des avis partagés. C’est vrai que, de base, on se dit que c’est vraiment super de pouvoir permettre à tous de construire, voire de coconstruire un projet de loi. Pour autant, la coconstruction réelle de la loi avec la société civile est un fait avéré ou un simple habillage qui finit par masquer les classiques jeux d’influence ? En gros est-ce qu’on n’a pas retrouvé les mêmes logiques de lobbying autour de la construction finale de cette loi ?

J’arrête de parler et le laisse tout de suite la parole à nos intervenants. Alors, peut-être, l’un d’entre vous a une première mini-synthèse à réaliser de ce qu’on évoquait là autour des réels apports finalement pour la citoyenneté et pour la construction, la coconstruction commune. C’était vraiment génial ou il y a des choses à améliorer ?

Manu de l’April : Bon alors je vais commencer.

OliCat : La question était nulle, mais tu as compris. Allez vas-y !

15’ 40

Manu : Manu de l’April. Et bien sûr, c’est nul parce que tu es très optimiste et là-dessus tu vas avoir du mal autour de la table, je n’en doute pas. Moi j’aime bien être optimiste et je vais en faire preuve. C’est que, effectivement, c’est intéress’’’ant qu’on ait commencé une élaboration de la loi en demandant aux citoyens leur avis. Le résultat, on va en discuter, je suis sûr qu’on sera tous d’accord sur le fait que c’est assez piètre. Mais on a un bon début. Cette idée de demander aux citoyens de participer et c’est une participation qui n’a pas mal fonctionné, sur trois semaines seulement, sur un sujet qui est super pointu, qui est particulièrement inintéressant, clairement. Il y a eu des contributions vraiment fortes de la société civile, de tout le monde, des associations, de quelques entreprises et d’institutions qui se sont réveillées un petit peu au dernier moment. Donc le mécanisme lui-même est original. C’est juste que, eh bien on s’en doutait dès le début, il est abouti à pas grand-chose.

OliCat : Un avis partagé ? Ou ?

Nathalie Martin : Au niveau de Wikimédia France on a milité spécifiquement pour une disposition qui s’appelle la liberté de panorama. Donc c’est le droit de pouvoir prendre des photos de bâtiments, de sculptures monumentales, se trouvant dans l’espace public alors qu’ils sont encore soumis au droit d’auteur et ce jusqu’à 70 ans après la mort de l’architecte ou du créateur. Je serai un peu plus négative, je pense, puisqu’en fait notre proposition au moment de la consultation s’est placée en huitième position des plus votées favorablement, ce qui était très bien ! Et Axelle Lemaire, à ce moment-là, nous a dit : « Il est hors de question que nous on puisse soutenir ça parce qu’il va y avoir une levée de boucliers des sociétés de perception et de répartition des droits », donc qui sont nos principaux ennemis dans ce combat, et elle nous a demandé plus ou moins explicitement de laisser tomber, de nous concentrer sur l’article 8 de défense des communs. Et finalement on a dû entrer dans le jeu traditionnel du lobbying. Par rapport nous, à notre expérience, on ne peut pas dire spécialement que ça ait changé la donne.

OliCat : Je me permets juste, l’article 8 autour des communs, pour autant, ne semble pas avoir…

Nathalie Martin : Non, non plus. Mais ça c’est une autre histoire, je pense. On pourra la raconter.

OliCat : OK ! Donc en gros Axelle Lemaire s’est autocensurée par rapport à un lobbying même pas exercé des sociétés collectrices.

Nathalie Martin : Déjà exercé, largement depuis des années.

OliCat : Antérieurement, en fait.

Nathalie Martin : Oui.

OliCat : On vous a demandé de vous concentrer sur… Voilà on vous a donné un bac à sable là autour des communs et finalement ni l’un ni l’autre.

Nathalie Martin : Ni l’un ni l’autre. Mais on n’est pas revenus quand même à certaines choses, mais par nous-mêmes, en réalité.

OliCat : On reviendra quand même aux choses qui ont été obtenues.

Manu : Parvenues à monter dans le top 10 des propositions et à montrer que les citoyens pouvaient se mobiliser derrière ce genre de sujet. C’est un point de départ !

Pierre-Carl : Un exemple qui a mieux marché. Je suis pour Savoirs Communs, mais je suis aussi très actif sur ces questions liées au libre accès, à l’accès ouvert aux publications scientifiques. Donc il y a un mouvement qui a débuté depuis quasiment le début du Web, en fait, donc un premier site Web et des publications scientifiques en ligne. Et donc c’est lié au fait que les chercheurs ne sont pas payés pour publier. On ne touche aucun droit lorsqu’on publie sur une revue scientifique. Donc on donne tout à l’éditeur.

Et au contraire, au sein de communautés, il y a plutôt une volonté de partage. Et donc, ce qui est intéressant pour le coup là, le système contributif a quand même fonctionné là-dessus, mais pas pour le reste, globalement. C’est qu’effectivement il y a eu une très forte de la communauté scientifique pour améliorer les termes qui étaient initialement proposés en termes de libre accès. Donc l’idée c’était que tout chercheur peut déposer, au bout de telle période, sa publication, même s’il a signé un contrat avec l’éditeur qui dit le contraire. Donc de passer par-dessus et de permettre à n’importe quel chercheur de republier. Et donc les termes étaient beaucoup plus restrictifs au départ et vu qu’on était, par exemple, jusqu’à deux ans d’attente avant de pouvoir publier en ligne pour les textes qui étaient en sciences humaines et sociales. Il y a eu une très forte mobilisation des chercheurs qui a permis de raccourcir notamment ces durées. Donc est passé de 12 mois à 24 mois pour effectivement sciences ??? médicales et sciences humaines et sociales à 6 et 12 mois.

Donc ce sont des choses qui ont quand même fonctionné et qui ont aussi fonctionné sur une disposition qui est plus pointue, qui est le text mining. L’idée c’est tout un ensemble de techniques qui permettent d’explorer de très grands corpus de textes pour extraire toute une série d’informations. Par exemple c’est un projet qui s’appelle Text to Genome (?) qui est élaboré au Royaume-Uni et qui permet d’extraire des informations de millions d’articles scientifiques sur le génome humain pour ensuite les affecter à chaque gène et donc de pouvoir les retrouver facilement. Donc de révolutionner la manière de ce qu’on faisait avant ce qu’on appelait l’état de l’art qui était de récupérer des informations.

Le problème c’est que pour ce projet ils ont mis trois mois pour faire la partie purement technique du projet. Ils ont mis des années pour avoir les accords avec les éditeurs, pour avoir le droit de récupérer les corpus et de pouvoir les analyser. Et donc, l’idée qui a été mise en place au Royaume-Uni, c’est d’introduire une exception au droit d’auteur pour pouvoir faire ces explorations de textes à des fins de recherche publique. Au départ c’était initialement mentionné dans la version de la loi qui avait fuité en juillet dernier, en juillet 2015, retiré en septembre à nouveau sous la pression des ayants droit parce que le problème par rapport à ce que je disais pour l’open access, c’est que là il faut modifier le code du droit d’auteur, d’où levée de boucliers. Ce qui s’est passé à nouveau c’est qu’il y a eu cette poussée au moment de la consultation pour faire adopter une mesure text mining, etc., et qui n’a pas immédiatement abouti, mais qui ensuite s’est prolongée pendant tout le débat et a réussi à aboutir.

Je pense qu’on est, effectivement, sur quelque chose qui est resté de l’ordre de l’amélioration incrémentale par rapport au processus existant de lobbying, de discussions, de négociations, etc., qui préexistait déjà, mais qui, sur certains sujets, lorsqu’il y a des coalitions suffisamment fortes qui arrivent à se monter, je pense que c’est là aussi où c’est utile c’est de faire rencontrer des gens, de faire monter quelque part des fronts communs, là-dessus ça peut potentiellement marcher.

OliCat : Donc c’est un des enseignements : finalement c’est la capacité à mobiliser une communauté d’intérêt, et à faire en sorte que ses positions avancent et s’inscrivent dans la longueur, pour le coup.

Pierre-Carl : Tout à fait. Avancent et qu’il y ait suffisamment de monde. Tout à fait. Et c’est là où je pense aussi à une différence entre le domaine scientifique et le domaine de la liberté de panorama. C’est que dans le domaine scientifique les créateurs des contenus sont pour le partage.

OliCat : Oui et puis les créateurs de contenus scientifiques sont dans une situation assez particulière par rapport aux publications.

Pierre-Carl : Exactement. Les principaux éditeurs sont tous internationaux, pas français. Il n’y a en a aucun en France. Il n’y a pas l’équivalent d’une grosse société culturelle en France. Donc on est dans une logique où, de fait, les principaux interlocuteurs reconnus comme valables sont plutôt dans une position qui pousse vers le partage.

OliCat : Donc là ce que tu évoquais, du coup, une refonte des problématiques de droit d’auteur par rapport aux publications scientifiques, c’est quelque chose qui a avancé dans le cadre de cette loi et le texte des data mining va être quelque chose qui va voir le jour demain autour d’une plateforme ?

Pierre-Carl : Oui. Alors il y a eu énormément des débats à l’Assemblée, au Parlement. Ils ont essayé de faire des montages sans modifier le droit d’auteur, mais ça ne marchait pas, enfin c’était totalement foireux. Et donc à la fin ils s’y sont finalement résignés, en partie je pense ça a joué, c’est que le Royaume-Uni avait mis en place son exception. Aux États-Unis ils ont le fair use qui a plus ou moins pu s’y adapter. Donc il y avait quand même des pressions en disant internationalement ça bouge sur le sujet. La France peut prendre du retard alors qu’on a quand même des institutions qui sont assez en phase dans ce domaine comme l’Inria. Donc il y avait quand même une certaine pression pour que ça avance. Donc ce qui fait que dans le texte actuel figure, dans le texte qui a été v’’’oté le 20 juillet, grosso modo l’idée que tout chercheur peut récupérer, en fait, des éléments d’une source licite. Par exemple les abonnements auxquels il a accès, il peut aspirer tous les articles et pouvoir ensuite faire des sortes de grands panoramas avec de la liste de données et ainsi de suite.

OliCat : OK. Mais là on est encore dans une exception qui va concerner la communauté des chercheurs.

Pierre-Carl : Exactement, et ne concerne que les chercheurs. Et les discussions actuellement au niveau européen, alors la grande question c’était de savoir si « va-t-on au niveau européen ou si on fonce au niveau français ? », et ça prend beaucoup de temps. Et c’est vrai qu’au niveau européen la question effectivement est posée. C’est « est-ce qu’on limite ça uniquement à la recherche ou est-ce qu’on intègre ? » Parce que finalement il y a déjà ce critère de source licite, donc l’idée qu’on doit pouvoir accéder librement à la source. Ce qui implique à la fois toutes les sources qui sont en principe en libre consultation sur le Web. Par exemple on ne dit pas qu’on peut les recopier. Donc là, tout ça, ça peut être concernéet ce qui implique toutes les sources auxquelles on est abonné et ainsi de suite. Donc quelque part ça fait déjà un garde-fou suffisant. Mais en l’état, actuellement, c’est plutôt pour la recherche. Après je pense, quelque part on envoie un peu la balle en disant « qu’est-ce que ça va donner ensuite ». Et s’il arrive que les recherches dans ce domaine portent véritablement je pense que ça pourra pousser vers des exceptions plus larges

OliCat : Alors Open Law juste à côté, Benjamin. Déjà on n’est pas forcément tous, là à l’écoute, au courant des combats des uns et des autres en matière d’associations. Est-ce que tu peux juste nous dire c’est quoi le créneau d’Open Law ? Et après bien sûr tu pourras t’exprimer.

24’ 40

Benjamin : Oui. Tout à fait. Et après j’enchaînerai sur le sujet qui nous réunit aujourd’hui.