Quelles libertés face à Internet

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Titre : Quelles libertés avons-nous face à Internet ?

Intervenants : Eric Guichard, maître de conférence à l'ENSSIB - Pierre-Yves Gosset, délégué général de Framasoft.

Lieu : Cafés éthique - École centrale - Lyon

Date : Mai 2015

Durée : 25 min 07

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Licence de la transcription : Verbatim

Statut : Transcrit MO

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Présentateur : Bonjour à tous et merci à vous tous d’être venus si nombreux pour ce café éthique. Aujourd’hui on va parler de la protection des données personnelles sur Internet. Actuellement Internet est vraiment devenu le vecteur principal d’informations, de communication, qui est utilisé à échelle planétaire. Il nous paraissait légitime, en fait, de faire un café éthique sur la manipulation des données personnelles qu’on échange.

J’imagine que vous le savez tous, mais aujourd’hui est votée la loi sur le renseignement à l’Assemblée nationale et cette loi vise, justement, à collecter en masse les données personnelles des citoyens afin de détecter des comportements suspects. Donc on va aussi parler du rôle de l’État dans la protection des données personnelles.

On a la joie de recevoir Pierre-Yves Gosset qui est délégué général de Framasoft, l’association qui vise à Dégoogliser Internet, et Éric Guichard qui est maître de conférences à L’Enssib [École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques] et qui a travaillé aussi À Ulm. Je vous en prie.

Éric Guichard : Bonjour et je crois que je vais commencer par dix minute brèves de présentation et d’introduction du programme. Je rappelle ici le titre c’est « Le problème éthique autour de la protection des données personnelles sur Internet ». Je vais faire bref en dix minutes, mais rappeler quand même ce qui était écrit c’est-à-dire énormément de sites internet possèdent une partie de nos informations privées, mais il n’y a aucune transparence pour savoir ce qu’ils en font réellement. Il y a aussi des risques de piratage, etc.

Ce que je voudrais faire remarquer, d’abord féliciter les organisateurs parce qu’au niveau de la synchronisation ils ont fait parfaitement les choses : c’est le jour du vote du projet de loi relatif au renseignement. Et rappeler aussi que ce qui est vraiment très fort dans ces journées autour de ces cafés éthiques c’est la question de l’éthique dont je rappelle, dit-on traditionnellement, c’est une science qui traite des principes régulateurs de l’action et le la conduite morale.

Au sujet des données personnelles, ce qui me semble important et l’actualité nous le rappelle, c’est qu’on rencontre une étrange alliance des États et des entreprises. Je pense que Pierre-Yves Gosset et moi-même allons assez lourdement insister sur le fait que, autour de l’Internet et du numérique, il se produit des représentations, il se produit des croyances, parfois des vérités, mais ce n’est pas souvent le cas, qui font que, en fait, ce qu’on pourrait appeler notre carte politique, par exemple en France gauche/droite, etc., est particulièrement brouillée. Je donnerai quelques exemples. En l’occurrence, pour la question des données personnes, on réalise une étrange alliance entre les États et les entreprises à l’heure où on n’arrête pas de nous expliquer qu’il faut que L’État arrête de réguler, qu’il se mette en retrait, etc. Ce sont des pratiques qui sont attestées depuis vingt à trente ans, par exemple en Europe et aussi aux États-Unis, et là où on voudrait imaginer une sorte d’émancipation de l’entreprise par rapport à l’État, on retrouve des alliances tout à fait traditionnelles qui peuvent renvoyer par exemple à l’histoire française du 19e siècle et du 20e siècle.

L’autre point, que je voudrais peut-être aborder rapidement, c’est la question du profilage qui, effectivement, s’articule assez étroitement avec celle de la surveillance en disant que profilage et surveillance sont un peu les deux mamelles des industries contemporaines ; en faisant remarquer que, on pourra en reparler dans le début, ce n’est pas quelque chose qui est gravé dans le marbre. C’est-à-dire que j’essayerai d’insister sur le fait qu’une technique est beaucoup plus plastique qu’on peut l’imaginer et qu’il est tout à fait possible d’imaginer un modèle économique qui ne soit pas centré sur la surveillance étroite, exagérée de nos pratiques.

On va se rappeler d’ailleurs, pour les gens qui connaissent l’histoire de l’Internet, que c’est un détournement inattendu des logs, les fameux access logs qui existaient au tout début de l’invention des moteurs de recherche, simplement pour essayer de minimiser les bugs. C’était des logs qui étaient destinés aux informaticiens et non pas à des mesures d’usage.

J’aurais, je pense, la possibilité de rappeler le fait que si on a une facilité, c’est-à-dire que si on profile voire on surveille aujourd’hui les utilisateurs de l’Internet c’est aussi que c’est facile et que cette facilité découle du statut de l’Internet et de l’informatique qui sont, en fait, des techniques que j’appelle scribales, c’est-à-dire tout à fait articulées avec de l’écriture. Or avec de l’écriture on peut faire, et vous le savez puisque vous avez fait, je pense presque tous, Maths sup et Maths spé, énormément d’algèbre, énormément de maths, mais on a la possibilité de retravailler des objets de manière beaucoup plus simple que dans un strict régime d’oralité.

Peut-être que je pourrais commencer par un point qui me semble aussi très important, c’est la notion de technique. La notion de technique, je vais être très bref, on peut en reparler comme on veut dans le débat, est une notion – ça évolue un peu en ce temps peut-être du fait de l’Internet et du numérique – mais qui est souvent méprisée. Si on se rappelle : on fait de la théorie, par exemple en maths et en physique, et éventuellement on passe aux applications techniques. Si vous êtes en sciences humaines vous avez, en général, historiquement, une sorte de plus grand mépris pour la technique, les techniciens, les ingénieurs. Vous savez très bien qu’on met très souvent ensemble les ingénieurs et les techniciens pour dire « ah oui, ce sont les gens qui appliquent, ceux qui se prétendent experts, etc., mais ce ne sont pas les grands intellectuels, les grands penseurs, etc. » Et cette critique va vous être peut-être adressée encore pendant quelques années.

En fait si on réfléchit bien, la notion de technique est en lien très étroit avec trois autres notions : la pensée, la culture et l’art.

L’idée que la technique soit en lien étroit avec la pensée, c’est une découverte de Jack Goody qui dit : « Il y a une technique dont on se sert tout le temps, c’est l’écriture. » Si vous regardez, pour aller très vite, dans le détail effectivement, c’est : la technique c’est souvent répétitif, ce sont des recettes de cuisine qu’on applique et en même temps il faut apprendre, etc. Et, en fait, on ne peut pas imaginer la moindre pensée un peu sophistiquée s’il n’y a pas l’écriture. Par exemple, si vous n’avez pas l’écriture, vous n’avez pas l’électricité, vous n’avez pas les mathématiques et vous n’avez pas Internet. Bon !

Donc ça signale quand même pas mal de changements. Il y a d’autres personnes comme ???, Gilles Gaston Granger, qui ont aussi insisté sur ce point-là.

La technique est aussi étroitement associée à la notion de culture. Il ne faut pas voir la culture comme quelque chose qui s’opposerait à la technique. En fait, la culture, vous avez énormément de gens qui vous le disent, Goody mais aussi Stéphane Vial qui a fait un très bon ouvrage qui s’appelle L’être et l’écran qui est sorti en 2013 ou 2014, qui montre bien, par exemple, dans le domaine du <em<design et de la culture générale au sens large que toutes nos représentations sur l’autre, sur le monde, etc. sont au moins médiatisées par une toute une série d’objets techniques. Regardez par exemple tout ce que vous savez intuitivement, tout ce que le commun des mortels sait sur l’infiniment petit et l’infiniment grand, c’est quelque chose qui ne pourrait pas exister s’il n’y avait pas eu certes la théorie de la relativité, mais aussi énormément de télescopes, de microscopes, etc. Donc ne pas oublier ça que les techniques d’une certaine manière peuvent aider à représenter le monde, voire à le formater d’une certaine manière. Donc on voit un lien fort entre la technique et la culture.

Il y a aussi un lien fort entre la technique et l’art. Pensez simplement à la manière dont la photo, ??? en a très bien parlé, a subverti la peinture. La peinture qui était aussi un moment, il y avait une peinture soi-disant hautement artistique, mais il y avait aussi une peinture de réplication des notables de la ville, etc., avec des possibilités de détournement, de rabattement sur des choses tout à fait commerciales des fois.

Donc il faut absolument penser que la technique, la pensée, la culture et l’art sont des choses qui sont excessivement liées et je pense que Pierre-Yves Gosset dira « et du coup la politique ! »

Du coup, il faut faire très attention aux gens qui ont tendance à culpabiliser la technique. Les gens qui culpabilisent la technique on va dire, c’est facile, ce sont des technophobes, etc., et il faut se méfier aussi des technophiles.

Les choses sont un peu plus perverses a qu’on peut l’imaginer dans la mesure où vous avez maintenant des mouvements qui veulent produire une critique du numérique et à juste titre – parce que l’université française, par exemple, est particulièrement silencieuse en matière d’esprit critique alors que c’est sa tradition, au moins en sciences humaines – qui vont faire une critique du numérique en disant que le numérique est, nativement, par essence, constitutif d’une société de surveillance. C’est-à-dire que globalement vous avez des personnes, et là je le dis clairement, ce sont des personnes qui sont plutôt des bords, des franges de l’extrême gauche et de l’anarchisme, qui ne vont pas critiquer les personnes parce qu’elles surveillent trop, qu’elles ont des goûts militaristes ou qu’ils veulent réduire les libertés des gens, mais c’est parce que ça serait la faute à l’essence de la technique, c’est la technique du numérique.

C’est quelque chose qui est un peu embêtant, parce que si d’un seul coup la technique se retrouve intrinsèquement coupable, eh bien à ce moment-là la pensée, la culture et l’art sont aussi coupables de quelque chose. Donc faites très attention à cette tendance qui est assez importante à Paris et dans des institutions de type l’École centrale que je ne citerai pas.

Voilà. Ceci dit je vais maintenant, très brièvement parce que je pense que j’ai déjà presque trop parlé, vous donner le plan de ce dont je pourrais débattre avec vous et avec Pierre-Yves Gosset ; ça pourrait se décrire sous cette forme. Il y a au niveau des traces personnelles qui circulent sur Internet on pourrait peut-être les décomposer entre traces personnelles envoyées et traces personnelles stockées à l’extérieur.

Les traces personnelles envoyées, je voudrais juste évoquer le cas des cookies qui étaient longtemps refusés qui sont surutilisés au point d’être une banalité, ça ne choque plus personne ! Si des fois ça vous plaît de récupérer certains logiciels libres, si vous allez sur le site sourceforge.net et que vous prenez un navigateur qui refuse les cookies, sourceforge vous envoie une bannière, avec un joli drapeau bleu blanc rouge, en vous disant : « La législation de votre pays nous oblige à savoir si vous acceptez ou vous refusez les cookies. Cliquez sur OK pour dire que vous acceptez les cookies. » Vous cliquez sur OK et il ne se passe rien parce que, en fait, vous avez refusé les cookies. Énormément de sites vous font ce jeu-là. C’est-à-dire vous acquiescez sur le fait que nous vous adressons des cookies et vous n’avez aucun moyen de contrevenir au système. Alors si, il y en a des solutions, mais c’est un peu compliqué.

Pareil, les traces d’ordinateur, très vite je pense que tu en parleras un peu, dire que ce n’est plus simplement les douze paramètres basiques de la circulation par exemple par les biais des cgi-bin pour les pages dynamiques ; maintenant avec les préférences et les navigateurs, est-ce que vous utilisez plutôt VLC ou iTunes, etc., on arrive à vous profiler rapidement parmi 1800 boîtes.

Il y a aussi les traces des téléphones qui sont beaucoup plus pernicieuses parce qu’on n’y connaît rien. Et vous avez par exemple Luc Saccavi, de l’Inria [Institut national de recherche en informatique et en automatique] à Grenoble, qui expliquait qu’avec le simple accéléromètre de votre téléphone portable, on peut savoir si vous travaillez ou pas. Par exemple si vous tapez sur un clavier d’ordinateur ça émet des vibrations, etc.

Au sujet des traces stockées, il y a les requêtes adressées aussi principaux moteurs de recherche, aux dépôts en ligne comme Google Docs, Dropbox, Flickr, etc. À Gmail qui, dirai-je très rapidement, implique des innocents. Ça veut dire que si vous ne voulez que globalement votre mail soit archivé, surveillé, etc., mais que vous envoyez un mail à quelqu’un qui a une adresse Gmail, eh bien vous êtes un peu mal.

Parler éventuellement d’information résiduelle sur les images. Les personnes qui connaissent ???, on pourra en parler.

Après on pourra évoquer divers acteurs entre l’industrie capitaliste, les informaticiens, les utilisateurs qui des fois sont un peu naïfs.

Insister peut-être sur les représentations et notamment, peut-être dans le débat, repérer un peu des discours et des croyances, par exemple les discours sur l’open et le close data. Là on est dans quelque chose qui n’est pas très rationnel. En fait on propose aux États de divulguer les données qu’ils ont agrégées, mais on ne propose jamais ça aux entreprises. Or si vous voulez travailler sur Internet, essayez de demander à Orange ou à Free par exemple des données assez massives sur leurs réseaux, ils vous diront que c’est propriété privée, etc.

Sur l’histoire des techniques détournées, stabilisées, plastiques, je dirai juste un mot en rappelant qu’il est très aisé de réorienter une technique par le biais de la loi. Je donne des exemples de Feinberg. À un moment des bonnes âmes se sont dit que c’était quand même sordide de faire travailler des enfants sur des machines à tisser, en 1850, aux États-Unis. Et l’industrie a répondu : « Ce n’est absolument pas possible parce que si ce ne sont plus des enfants qui travaillent, il faut casser nos machines, il faut en refaire d’autres, et du coup, il va y avoir la concurrence, les pays étrangers vont en profiter, etc. » Les Américains ont tenu ferme ; il y a une loi qui a interdit le travail des enfants et, en dix ans, toutes les machines à tisser étaient à hauteur d’homme ou de femme adulte. Il s’est passé des choses analogues pour les portes de sortie des théâtres quand il y avait des incendies. Les moteurs des bateaux du Mississippi qui explosaient trop et on a posé des régulations pour que ça ne se produise plus ; c’était des centaines de morts chaque fois. Et je pense que, de la même manière, on peut imaginer des lois au niveau national et international qui interdisent le commerce du profilage et ne vous inquiétez pas, en l’espace de cinq à dix ans, l’industrie informatique et les industries environnantes sauront s’adapter sans souci.

Après restera donc les questions sur les informations des dernières années et sur les informations d’aujourd’hui. Je te laisse la parole.

15’ 38

Pierre-Yves Gosset : Merci.