Numérique : on avance quand on régule - Joëlle Toledano

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Titre : Numérique : on avance quand on régule - Joëlle Toledano

Intervenants : Joëlle Toledano - Laurent Guérin - Emmanuel Goffi - Cyrille Chaudoit - Thibaut le Masne

Lieu : Trench Tech - Esprits Critiques pour Tech Ethique

Date : 28 février 2023

Durée : 1 h 05 min 19

Podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Diverses voix off : Tu as suivi les trucs de Jo Biden au mois de janvier ? Tu sais, il prend chaque année la parole je crois que c’est face au Congrès, c’est le discours de l’union nationale ou un truc comme ça. Là. Il a quand même dit, il a axé son discours sur « il faut qu’on s’unisse, les démocrates et les républicains pour faire front face aux Big Tech ». Il n’a jamais donné aucun nom. Il a balancé des scuds, il disait « ces entreprises qui mènent des expériences sur les enfants pour faire du profit, qui étouffent l’innovation ». C’est d’ailleurs un peu le propos de Joëlle.

C’est assez violent et c’est quand même assez surprenant d’entendre ça d’un chef d’État. Je ne sais pas ce que tu en penses.

En même temps ça vient s’inscrire, comme je viens de te dire, dans une logique où chaque année il fait un peu appel à l’union nationale. Mais là, que ce soit autant ciblé sur les Big Tech ! Il l’avait un peu dit, je crois me souvenir de ça, d’une certaine manière, dans sa campagne électorale.

Leur force et leur rapidité sont limitées par un monde qui est bâti sur des normes. Par conséquent tu auras l’avantage sur eux, tu seras plus fort et plus rapide.

Voix off : Trench Tech - Esprits Critiques pour Tech Ethique.

Cyrille Chaudoit : Bonjour à vous. À toi auditrice fidèle ou nouveau venu dans Trench Tech, Cyrille, derrière le micro, pour vous accueillir aujourd’hui. Bienvenue à toi aussi Thibaut.

Thibaut le Masne : Merci. Bienvenue Cyrille.

Cyrille Chaudoit : Et puis une bise à Mick qui n’est pas là aujourd’hui parmi nous, on t’embrasse.
Encore un épisode pour exercer ensemble notre esprit critique pour une tech éthique. Trench Tech c’est le talk -show qui décortique les impacts de la tech sur notre société.
Aujourd’hui nous allons avoir du boulot. On rentre dans la matrice, celle des Big Tech et de l’intention de plus en plus pressante de certains États de les réguler. De cette nouvelle mythologie siliconée, qui infuse dans nos sociétés, les figures tutélaires sont des startups nées dans un garage, devenues titans au gré de leur appétit d’industrie, bien grasses et même un peu empâtées. Oui, je me souviens. Au temps jadis, il y a 20 ans à peine, cette nouvelle économie, comme on l’appelait, avait la dalle mes petits amis, un appétit féroce de décentralisation, maître mot de cet Internet naissant promettant alors de nous libérer d‘un choix étriqué, se résumant à quelques empires nés de la précédente révolution industrielle : disrupter, ubériser, les mots n’étaient plus assez forts pour clamer notre ivresse de pouvoir à nouveau choisir dans quels bras nous jeter. Google, Apple, Facebook, Amazon. Ah ! Quelle délicieuse étreinte ! Mais arrête, tu me fais mal à serrer aussi fort. La fin justifie les moyens. Oui, mais l’amour rend aveugle aussi et, à force de tout bouffer sur les marchés qu’elles entreprirent de décentraliser, les Big Tech finirent par devenir nouvel empire à la place de l’ancien empire, en mieux ou en pire.zbr/> À part ces jeux de mots douteux, on peut en retenir que beaucoup d’entre semblent aujourd’hui à l’épreuve des balles, comme neo dans Matrix. Too big to fail, vraiment ? C’est ce que nous allons voir dans notre grand entretien avec Joëlle Toledano. D’abord en se demandant simplement pourquoi il est nécessaire de réguler le numérique, puis en explorant comment on s’y prend concrètement, notamment en Europe, avant d’imaginer en quoi nous pouvons dire que, grâce à la régulation, tout n’est peut-être pas encore joué.
Nos échanges seront ponctués d’un nouveau moment d’égarement de Laurent Guérin et d’une Philo Tech d’Emmanuel Goffi à écouter sans limites. Enfin, avant de nous quitter, nous débrieferons, juste entre vous et nous, des idées clefs de cet épisode qui promet de disrupter les disrupteurs.

Joëlle vient de nous rejoindre dans le studio. On va pouvoir désormais l’accueillir. Bonjour Joëlle.

Joëlle Toledano : Bonjour.

Thibaut le Masne : Bonjour Joëlle.

Cyrille Chaudoit : Joëlle, on se tutoie ?

Joëlle Toledano : Oui, tout à fait !

Cyrille Chaudoit : Joëlle, tu es docteur en mathématiques et en économie, tu as mené une double carrière, universitaire et en entreprise et, à ce titre, tu es donc à la fois professeure émérite en économie associée à la Chaire Gouvernance et Régulation de l’université Paris-Dauphine, mais aussi membre de l’Académie des technologies, membre du Conseil national du numérique et tu sièges au conseil d’administration d’un certain nombres de startups. Tu t’investis particulièrement dans les sujets de politique publique et de régulation. Le numérique, les fréquences et la blockchain sont au centre de tes travaux et c’est d’ailleurs ce que l’on retrouve, entre autres, dans ton dernier ouvrage Gafa : Reprenons le pouvoir ! publié chez Odile Jacob en 2020 et qui a reçu le Prix du livre d'Économie 2020, le Prix Colbert et le Prix Turgot. Mazette ! Tout est juste ?

Joëlle Toledano : Absolument !

Cyrille Chaudoit : Lançons notre grand entretien en commençant par vérifier s’il est bien nécessaire de réguler l’industrie du numérique.

Voix off : Trench Tech - Esprits Critiques pour Tech Ethique.

Thibaut le Masne : Dans l’univers du numérique, il ne semble pas exister de champion européen. C’est comme si nous avions loupé le tournant, misé sur le mauvais cheval. Je ne vais pas reparler du Minitel, la nouvelle invention technologique, et pendant que nous nous sommes dit « probablement que ça ne marchera jamais », un peu comme les smartphones, oui, un téléphone c’est fait pour téléphoner et pas pour prendre des photos ! Maintenant que les Big Tech sont bien présents, d’ailleurs ils sont plus ??? [5 min 15] que big, à mon sens, et dont le potentiel qu’il soit financier, économique avec les emplois, etc., pèse lourd sur les États, il semblerait que nous n’avons que la régulation pour revenir dans le game.
Moi qui suis plutôt un adepte du digital, peux-tu nous dire ce que tu entends par numérique et surtout pourquoi cet univers est si spécifique ?

Joëlle Toledano : Ce que j’entends par numérique, ce que nous entendons, c’est tout ce que nous faisons en permanence, y compris aujourd’hui, c’est-à-dire utiliser tous ces outils qui ont maintenant des caractéristiques techniques et économiques tout à fait spécifiques par rapport aux autres industries et qui explique, au fond, qu’ils sont au cœur de tous les sujets qu’on va évoquer.
L’économie numérique a ceci de particulier qu’il y a des économies d’échelle et ce qu’on appelle aussi des effets de réseau qui font que dès qu’une activité se développe, elle a le choix entre devenir le leader incontesté et périr. C’est l’histoire qu’on a tous entendu du winner takes all, winner takes most : c’est-à-dire que ou on arrive à passer à un niveau qui permet ensuite de faire de très gros profits parce que les coûts sont limités au regard de la croissance du chiffre d’affaires, je simplifie à outrance, ou on n’y arrive pas et, dans ce cas-là, on disparaît.
Et c’est lié non seulement aux économies d’échelle qu’on connaissait des réseaux physiques, mais par ce qu’on appelle les effets de réseau qu’on connaît tous et qui font plus il y a de monde qui utilise une plateforme et plus c’est intéressant. Non seulement, je dirais, plus il y a de clients d’Uber plus c’est intéressant, mais il faut aussi plus de taxis, plus de VTC pardon, j’ai fait le mauvais choix de mot ; ce sont les deux qui s’auto-entretiennent : plus il y a de VTC et plus les voitures arrivent vite et, dans ce cas-là, je préfère y aller que d’attendre un taxi beaucoup plus longtemps, etc.

Cyrille Chaudoit : C’est ça l’effet de réseau ?

Joëlle Toledano : L’effet réseau c’est cet élément qui fait qu’à ce moment-là – chez les économistes on utilise parfois le mot d’effet d’avalanche – une fois qu’on a commencé à gagner, on gagne tout, ou presque ; c’est ce qui se passe et c’est la logique de l’économie numérique.

Thibaut le Masne : C’est surtout que cette économie est ultra-rapide. Quand on essaie de regarder en arrière, comme le disait Cyrille dans son introduction, il y a 20 ans les leaders n’existaient pas. Ils n’étaient même pas en idée.

Joëlle Toledano : Tu as tout à fait raison, mais la rapidité, justement, c’est intrinsèque à cette bagarre pour le leadership dont je viens de vous parler. Si on a été fascinés à un moment – maintenant c’est un peu passé, on ne voit plus beaucoup, encore que l’on revoie un peu dans ChatGPT – par la rapidité avec laquelle tous ces acteurs se développaient, c’est parce que, justement, ils étaient engagés dans cette course de gagner avant les autres et que, dans ce cas-là, il fallait s’étendre le plus vite possible aussi bien évidemment dans chaque pays dans lequel ils se développaient, mais dans le plus de pays possible. L’un des éléments, pas le seul, mais qui explique la difficulté de certains de nos acteurs, c’est que les États-Unis c’est effectivement quand même plus grand que la France, il y a plus de clients, donc il faut aller plus vite, plus rapidement, dans plus de pays pour avoir ces effets de volume qui sont absolument cruciaux pour gagner la bagarre.

Cyrille Chaudoit : C’est précisément à cause de cet emballement, cet effet d’avalanche, cet effet domino, que tout est allé très vite, qu’il faut désormais essayer de réguler pour quoi ? Ralentir le rythme ou parce que c’est allé tellement vite que le marché n’a pas pu suivre, donc ça a créé des oligopoles ou des monopoles ? Concrètement est-ce qu’on peut définir réguler ? C’est quoi réguler ?

Joëlle Toledano : Je vais répondre successivement à tes deux questions, puisqu’il y en a deux.
En fait, ce qui s’est passé c’est que ce winner takes all a été diagnostiqué comme analyse de l’économie numérique au début du 21ᵉ siècle, c’était partagé. Et tous ces acteurs étaient entrés, en général, en mettant dehors leurs prédécesseurs. Ils ne sont pas arrivés dans une terre rase, ils ont pris, effectivement, le leadership, donc ils savaient qu’ils étaient à la merci du suivant. Comme ils savaient qu’ils étaient à la merci du suivant, je ne sais pas si vous vous souvenez de cette phrase qu’on entendait beaucoup, « la concurrence est à un clic ». Et c’est parce qu’ils avaient peur de la concurrence à un clic qu’ils ont, pour certains d’entre eux, qui sont ceux qu’on appelle après les GAFA, mené des stratégies visant à mettre la concurrence à beaucoup plus d’un clic, si je puis dire, et à verrouiller les marché sur lesquels ils se sont implantés à la fois en développant de plus en plus leurs activités par des activités connexes, en multipliant les services, etc., et en mettant en place toute une série de stratégies : à la fois des stratégies d’acquisition, c’est aussi des stratégies de développement en tâche d’huile et de prédation sur les marchés connexes pour, justement, les absorber ; ce sont toutes ces stratégies d’auto-préférence, tout ce qui a fait tous les contentieux qu’on a connus après, parce qu’ils ont voulu verrouiller les marchés pour, justement, ne pas avoir la concurrence en un clic et c’est ce qu’il s’agit de réguler quand on parle de la régulation autour des pratiques anti-concurrentielles. On parlera probablement aussi d’une autre régulation qui est sur les contenus, qui n’est pas du tout indépendante. Ce qui fait le verrouillage des marchés c'est la stratégie qu’ils ont menée. Et la régulation, si je peux répondre à ta deuxième question, c’est effectivement l’idée de s’attaquer à ça.
La régulation, en général, c’est le fait d’intervenir sur un marché pour en faire évoluer la structure en suivant ce qui se passe au niveau de ce marché, les pratique des acteurs. Il y a différentes formes de régulation des marchés. Tu peux réguler un marché pour mettre de la concurrence ou, au contraire, dire : je voudrais qu’il y ait un service universel ou un service public, qu’il puisse y avoir, par exemple, de la péréquation tarifaire ; le marché ne le fera pas tout seul et un régulateur interne pour le faire. Il y a différentes formes de régulation économique.

Cyrille Chaudoit : Ce qui est intéressant dans ce que tu nous disais juste avant c’est que finalement, dans toute industrie de tout temps, vouloir mettre des barrières à l’entrée c’est un principe de base. Quand tu crées une entreprise, tu essayes de verrouiller un petit peu ton marché, en tout cas de te protéger de la concurrence. Ce que tu nous dis c’est que cette barrière à l’entrée c’est souvent un actif, une machine-outil, ça peut être n’importe quel type d’actif, y compris immatériel. Là, ce que tu nous dis, c’est que les barrières à l’entrée, en tout cas le verrouillage, tu utilises carrément un mot encore plus fort le verrouillage du marché, c’est passer par autre chose que ces pratiques, entre guillemets, « plus classiques », c’est véritablement d’absorber tous les petits copains qui étaient autour pour éviter, justement, qu’il y ait une concurrence. Ça touche véritablement à la stratégie et au business modèle de ces entreprises, de ces Big Tech.

Joëlle Toledano : Le business modèle a été effectivement de s’étendre. D’ailleurs, au début on a beaucoup parlé de plateformes et maintenant j’ai tendance à parler plutôt d’écosystème. En fait, ces acteurs ont créé des écosystèmes de sorte que tu n’aies pas envie d’en sortir. Au fond, Amazon a commencé par vendre des livres et maintenant il vend tout, ce qui fait que plus de la moitié des Américains, quand ils cherchent à acheter quelque chose, c’est sur Amazon qu’ils vont, parce qu’ils savent qu’ils ont probablement tout et puis, en tout état de cause en plus, ils ont payé pour la distribution, donc ça va être gratuit, etc. C’est un exemple, mais ils ont verrouillé soit en faisant des acquisitions, mais pas toujours, en ayant aussi des pratiques qui, petit à petit, augmentaient, si je puis dire, la taille de l’écosystème et faisaient en sorte que les acteurs qui en dépendaient en dépendent de plus en plus et en mettant en place leurs propres lois : quand tu es sur la Marketplace d’Amazon, tu dépends effectivement des règles qu’Amazon met en place ; quand tu ??? [14 min 00], eh bien ta dépense en publicité sur Google représente, de mémoire, presque un tiers du chiffre d’affaires. Tu es dans des cadres de dépendance qui sont complètement définis, c’est ce qu’on peut appeler la régulation privée.

Thibaut le Masne : Mais globalement, au début, ce marché était ouvert à tout le monde. Certes, ils ont étendu leur sphère d’influence, mais, quelque part, c’était libre à tout le monde de leur faire.
Je vais reprendre encore l’adage, parce que je le dis souvent, on dit « l’Amérique innove, la Chine copie et l’Europe réglemente. » Finalement la vraie question – je reviens toujours dessus – est-ce que la réglementation ce n’est pas le pouvoir du faible : je n’ai pas eu d’idées, mais la réglementation ça j’y arrive ?

Joëlle Toledano : D’abord, la réglementation et la régulation, en français, sont deux choses différentes. D’ailleurs, je te signale que ce n’est pas neutre parce qu’en anglais c’est le même mot, en français il y a deux mots.

Thibaut le Masne : Ce qui est intéressant d’ailleurs.

Joëlle Toledano : Indépendamment de cette phrase qui, effectivement, provient sûrement d’un Américain !

Thibaut le Masne : On sait que cette phrase t’agace, c’est pour ça qu’on te la sort.

Joëlle Toledano : En réalité, elle est totalement fausse. Il y a évidemment des mauvaises réglementations et des mauvaises régulations, évidemment !, mais je ne connais pas de marché sans règles. Qu’il y ait à un instant donné des règles et éventuellement des règles qui évoluent parce que le marché a évolué, c’est le cœur de l’économie de marché. Donc non, pas cette phrase !

Thibaut le Masne : Il n’y a pas de marché sans régulation. Quand on pense régulation de marché, j’ai plutôt tendance à penser spontanément à la régulation du marché du tabac, du médicament, des armes, disons à tout un tas d’industries. Bref, on pense plutôt d’abord protection des citoyens et du consommateur. Avec le numérique c’est aussi le cas, mais tu nous dis que c’est d’abord pour protéger le marché de lui-même, en quelque sorte, et de ses prédateurs. C’est ça qu’il faut comprendre ?

Joëlle Toledano : Quand on regarde la régulation qui est en train de se mettre en place, le double objectif c’est à la fois protéger, déverrouiller le marché parce que le marché est verrouillé et même s’il y a des acteurs qui veulent y rentrer ils n’y arrivent pas parce que, effectivement, les barrières constituées à l’entrée sont trop élevées. C’est ce qu’on a fait dans les télécoms : dans les télécoms on est parti d’un acteur, aujourd’hui, si tu prends le marché français, il y a quatre grands acteurs, et on a régulé pour obtenir de la concurrence. Ce n’est pas mal élevé de réguler, ce n’est pas mal élevé de déverrouiller le marché, ça amène parfois des effets bénéfiques sur les consommateurs ; j’ironise, bien évidemment, quand je dis parfois.
Il s’agit effectivement remettre de la dynamique concurrentielle et c'est au bénéfice non seulement du marché, mais des consommateurs. Par ailleurs, c’est aussi protéger les consommateurs d’un certain nombre de pratiques dont on voit bien qu’elles sont néfastes. Quand tu peux acheter – je ne veux me concentrer sur le sujet d’Amazon, les autres ont aussi leurs problèmes – mais quand tu peux achète sur une place de marché sans problème des objets qui sont interdits, il y a un problème, il faut trouver des solutions pour que ça ne soit pas facile d’acheter des objets qui, par ailleurs, ne respectent pas les normes européennes ou sont même interdits.

Thibaut le Masne : En parlant d’interdiction et de marché parallèle, on va faire un petit arrêt par une chronique de Laurent Guérin qui va nous parler d’amour dans le métavers.

17’ 55

Chronique de Laurent Guérin « J’ai trouvé l’amour dans le métavers »

Thibaut le Masne : Laurent, tu as trouvé l’amour dans le métavers. Mais what?, l’amour dans le métavers !

Laurent Guérin : Non, je n’ai pas trouvé l’amour dans le métavers, j’ai menti éhontément dans le titre de cette chronique afin de t’attirer dans mes filets. Je me suis dit aussi que ce serait bon pour le référencement Google d’utiliser amour et métavers dans la même phrase. Après tout, c’est ce que fait la reine auto-déclarée du métavers Paris Hilton. Oui, the queen of the metavers is back. Elle est de retour ladies and gentlemen, Paris Hilton et elle a créé le Parisland, une oasis de fraîcheur et de couleurs acidulées dans lequel Anne Hidalgo n’est pas mairesse et il y a peut-être une relation de cause à effet.
Hasard du calendrier, en fait pas du tout, cet univers virtuel nous tombe dessus juste à temps pour la Saint-Valentin, comme ça tombe bien ! Les joueurs et joueuses entant dans Parisland pourront rencontrer virtuellement cinq autres joueurs, accomplir des enquêtés et finalement choisir un partenaire, nous explique-t-on, un partenaire de jeu. Oui ! Enfin non. Un partenaire de jeu, un conjoint quoi ? Tu as bien compris, Paris créer la première agence matrimoniale du métavers, le précurseur des applications de rencontre dans les mondes virtuels, le paradis des ondes sensuelles, oui, j’entends encore l’onde sensuelle de ta bouche sur mes lèvres. Mais comment t’atteindre ?
Pour atteindre l’amour, et pas pour le sauver, on n’en est pas là – car comment retrouver le goût de la vie qui pourra remplacer le besoin par l’envie – il te faudra sauter à pieds joints dans le jeu The Sandbox, trouver le Parisland, acheter des tenues, eh bien voyons !, sélectionner des alliances, enquêter sur le secret d’un hamburger et sauver un naufragé, autrement dit capter le SOS d’un terrien en détresse.

Thibaut le Masne : Et toi, Laurent, je suis sûr que tu es allé dans la ville de l’amour 3.0, le Parisland.

Laurent Guérin : Eh oui, comme je cherche l’amour, j’y suis effectivement allé. Il faut dire que la promesse était alléchante. Ça disait : « Lorsque les joueurs auront terminé toutes les quêtes et fait leur choix de partenaire de jeu, un fabuleux mariage et une grande fête seront organisés toute la nuit avec Paris Hilton comme DJ. » Une aubaine pour un gas comme moi qui rêve depuis tout petit d’épouser une blonde au platine. Malheureusement, je te jure que c’est vrai, j’ai cliqué sur un mauvais bouton, pendant Microsoft Overture, un morceau de 12 minutes 27 secondes qui se lance en préambule de certains logiciels, j’avais commencé à faire autre chose. C’est ainsi que lorsque le métavers s’est ouvert j’étais vert, car je me suis retrouvé coincé dans MetaChinatown, au propre comme au figuré, étant donné que je n‘arrivais plus à quitter le programme. On était en plein dans Microsoft ??? [20 min 20], un mouvement de 14 jours qui débute là où ta patience termine et que tu ne peux cesser à moins de forcer la fermeture.
Échauffé par ma chute à Chinatown, je décidais finalement de ne pas chiner l’amour dans le métavers, me disant que si un chasseur doit savoir chasser sans son chien, un célibataire doit savoir chopper sans son avatar. Me vint alors en tête la question suivante : mais elle est où ? que j’eus aussitôt envie d’entonner « mais elle est où ? Mais elle est où mon amoureuse ? » Eh oui, que sont devenues les croyances de ma jeunesse entretenues par des dizaines de films de Disney dans lesquels un prince charmant à la chevelure flamboyante trouvait une princesse comme partenaire de jeu. J’éructe, Paris Hilmon, Walt Disney, même combat. Vous nous faites croire qu’on peut trouver l’amour au coin de la rue ou au coin de la blockchain, du bloc, mais macache !, et pour Disney, ça fait 100 ans que ça dure. En effet, l’entreprise reine du divertissement a dévoilé, lors du Super Bowl, un spot larmoyant pour célébrer son centenaire.

Thibaut le Masne : Tu me diras que du pays imaginaire au Web 3 il n’y a qu’un pas.

Laurent Guérin : En effet, c’est l’occasion parfaite pour te rappeler que Disney est une valorisation de 200 milliards de dollars. Des marques comme Marvel, Pixar, Lucasfilm, EBC, la Fox, rien que ça ! Niveau propriété intellectuelle, tu trouves Star Wars,, tous les super héros de Marvel – Spider-Man, Black Widow, Captain America, Iron Man, X-Man, Les quatre fantastiques, etc., mais aussi Pirate des Caraïbes, Indiana Jones, ??, Cars, nemo, Le Roi lion, en plus de toutes les princesses et même Grey's Anatomy ou encore Les Simpson. Finalement, il n’y a que Paris Hilton que Disney n’a pas achetée.

Quand tu possèdes de telles marques et franchises et un patrimoine vieux de 100 ans de mémoire collective, laisse-moi te dire que le Web 3 représente un potentiel démentiel que le géant du storytelling a tout juste commencé à exploiter. La Fox a ainsi investi 100 millions de dollars dans Blockchain Creative Labs qui a pour mission de forger l’avenir de la création, de la distribution et de la monétisation de contenus, en connectant les créateurs et les communautés à la technologie Blockcain.
Disney a également signé un accord de distribution et vente de biens numériques ou digital collectibles avec l’application VeVe. Tu peux y acheter, entre autres, des versions numériques de Comics mais aussi d’autres biens comme des modélisations 3 D. Toutes les transactions sont enregistrées sur une blockchain, pas encore consultable et la marque aux grandes oreilles se garde bien d’utiliser d’utiliser la terminologie NFT.
J’ai repéré pour toi un exemplaire numérique de premier comic avec Oncle Picsou, paru en 1953, 10 000 exemplaires vendus à 10 dollars soit un revenu de 100 000 dollars. 200 000 dollars pour l’édition ??? [22 min 45] en 1972, 100 000 dollars pour une édition avec Mickey en 1982 ou encore 320 000 dollars pour la ??? [22 min 50] en 3 D de Retour vers le futur 2. Depuis deux ans on estime à sept millions de dollars les revenus des NFT qui n’en sont pas pour Disney, une goutte d’eau sur les 84 milliards de revenus générés en 2022.

Si tu doutais donc du pouvoir de la Blockchain, solution technologique capable de te certifier l’authenticité d’un bien numérique, demande-toi donc pourquoi le numéro 1 mondial du divertissement explore la vente en édition limitée numérique de morceaux choisis de son catalogue riche de millions de possibilités. Imagine ensuite le nombre d’icônes qui pourraient être collectionnables, on parle de digital collectibles, et multiplie chaque icône par le nombre d’exemplaires en vente et son prix, ajoute à ça un pourcentage que Disney touche lors des reventes entre collectionneurs, ce qui n’était pas possible dans le monde physique, essaye de faire un ratio sur le dix prochaines années et, au doigt mouillé, je te prédis que les biens numériques pourraient rapporter à Disney un milliard de dollars en 2033. Alors je te donne rendez-vous dans dix ans même jour, même heure, même pomme, sans Paris Hilton qui, à défaut de nous avoir aidés à trouver l’amour, nous aidera peut-être à trouver la maille.

Voix off : Trench Tech - Esprits Critiques pour Tech Ethique.

24’ 00

Cyrille Chaudoit : Décidément le Web 3, les NFT, il y a vraiment de quoi s’égarer, forcément. Joëlle, tu es adepte du métavers, tu es prête à aller chercher l’amour dans le métavers ?

Joëlle Toledano : Oh ! Non ! Ça non!

Cyrille Chaudoit : Revenons-en à nos moutons, plus sérieusement à la régulation dans le monde du numérique et face à l’aquoibonisme ambiant sur à peu près tous les sujets, je suis bien obligé de te poser la question fatidique : n’est-il pas trop tard pour réguler ces fameux géants de la tech ?

Joëlle Toledano : Je ne crois pas du tout.

Cyrille Chaudoit : Non.

Joëlle Toledano : De toute façon c’est une condition nécessaire à l’existence de géants, de moins géants européens qui arrivent à se déployer, à se développer. Ça ne veut pas dire que c’est une condition suffisante, loin s’en faut, mais c’est une condition nécessaire, puisque sinon, en se développant, les acteurs qui sont aux côtés, ce que j’ai essayé de présenter tout à l’heure, se retrouvent verrouillés ou pieds et poings liés ou partiellement coincés par ces grands acteurs qui, eux, ont pris leur marques et ont pris le temps, si je puis dire, de se déployer et d’empêcher le déploiement des autres. Donc je pense que ce n’est pas trop tard.

Cyrille Chaudoit : Ce n’est pas trop tard. Justement puisqu’on a vu dans la première séquence pourquoi il était utile de le faire et qu’on a reposé quelques définitions, à présent essayons d’aller dans le concret : comment fait-on pour réguler si tu me dis qu’il n’est pas trop tard ? En la matière, on sait, en tout cas on a l’impression que l’Europe fait figure de proue, on pense notamment au RGPD, au Digital Services Act, autrement appelé DSA, au Digital Market Act, autrement appelé DMA, bientôt au DGA, Data Governance Act, moi-même je me prends les pieds dedans, l’IA Act en gros, bref !, il y a beaucoup de choses. Tu nous disais qu’il y a une différence entre réguler et réglementer, néanmoins tous ces acts sont des réglementations. Est-ce qu’on peut déjà brièvement revenir dessus et selon, toi, est-ce que c’est la bonne marche à suivre ?

Joëlle Toledano : Juste, quand même, un point. Au fond, dans énormément de pays le diagnostic que j’ai rapidement esquissé est partagé. On n’est pas les seuls à avoir fait ce diagnostic, un rapport du Sénat américain fait le même, chez les Britanniques c’est pareil, etc. Le diagnostic est partagé. Effectivement après, les solutions pour y arriver ne sont pas les mêmes selon les pays où on se trouve. Si tu m’avais demandé « dessine-moi la régulation que tu veux », je n’aurais pas fait le Digital Market Act ou le Digital Services Act, mais pour l’instant on a ça. Que font-ils ? À quoi vont-ils servir ? Même si ce n’est pas pour moi le bouton idéal, ce sont des boutons qui sont intéressants, ça vaut le coup d’y aller et de commencer à travailler.

Au fond, le Digital Market Act répond aux difficultés que j’ai indiquées tout à l’heure qui sont à la fois le verrouillage, la régulation privée par des acteurs et avec des régulations qui souvent ne sont pas les mêmes que ce que font les lois dans un pays ou en Europe, etc. Le Digital Market Act a comme ambition de déverouiller les marchés, de modifier le partage de la valeur et de faire en sorte que les marchés soient effectivement plus fluides et les consommateurs plus protégés, pour faire très simple.

Le Digital Services Act, en fait, c’est le complément, si tu veux, du Digital Market Act .
La Commission européenne a eu cette idée un peu étrange qui a consisté, en prenant des services qui étaient des services de plateformes où il y avait à la fois des acteurs sur un marché et puis des contenus qui étaient fournis aux consommateurs éventuellement gratuitement, à séparer les problèmes. Elle a considéré qu’il fallait, d’un côté, s’occuper des problèmes de contenus et, de l’autre, s’occuper des problèmes d’organisation du marché ; ce n’est pas ce que j’aurais fait.

Cyrille Chaudoit : C’est là-dessus que tu n’es pas d’accord.

Joëlle Toledano : C’est là-dessus que je ne suis pas d’accord. D’une certaine façon ça peut ne pas être grave à partir du moment où on rentre dans les sujets. Pourquoi ? La difficulté principale à laquelle se heurte l’ensemble des institutions, en Europe comme ailleurs, c’est cette asymétrie d’informations absolument abyssale du fait qui fait que quand des autorités de concurrence ont voulu s’attaquer à des problèmes qui apparaissaient assez largement comme anticoncurrentiels, tout le monde les percevait comme anti-concurrentiels, eh bien soit les autorités de la concurrence rament et elles ont mis sept/huit ans pour arriver à les condamner, soit elles n’y arrivent pas vraiment. C’est pour ça qu’on a considéré qu’il fallait d’autres outils, des outils qui s’appliquaient, comme on dit en jardon, ex-ante, c’est-à-dire des obligations que doivent respecter les acteurs avant même, si je puis dire, d’avoir été pris en faute. Ce sont donc ces obligations qui sont dans le Digital Market Act. On a comme ça, dans le Digital Market Act, une vingtaine d’obligations qui s’imposent, en tout ou partie, aux grandes plateformes qu’on appelle les GAFAM et plus largement les Big Tech, qui sont d’une certaine taille, qui ont une certaine puissance. Elles ont donc ces obligations.
Dans le Digital Services Act on leur dit « en dehors de ces obligations de type organisation du marché – ça peut être interdiction de l’auto-référence, ça peut être vous n’avez pas le droit de prendre des informations pour vous et ne pas les distribuer aux entreprises qui les génèrent sur votre plateforme ».

Cyrille Chaudoit : Toutes les clefs qui ont permis de verrouiller le marché, comme vous l’avez expliqué tout à l’heure.

Joëlle Toledano : Exactement. C’est ce qui définit, en gros, les interdictions et les obligations. Mais un autre texte dit que les propos haineux, ce n’est pas bien ; que le fait qu’il y ait des commerçants dont on ne sait pas qui ils sont, qui vendent n’importe quoi, ce n’est pas bien non plus, je résume, je simplifie à outrance, mais, au fond, qui revient dans les textes européens depuis le début du 20e siècle, qui est une sorte de présomption d’irresponsabilité des plateformes sur les contenus qui sont à l’intérieur. Il y a cette présomption d’irresponsabilité qui, maintenant, se transforme en « voilà toutes les obligations qui vous avez pour, quand même, faire en sorte que les règles nationales ou européennes soient respectées et, si vous ne respectez pas toutes ces obligations qui vont des obligations de retrait de contenus jusqu’au fait de tester les algorithmes, de vérifier les risques qu’ils présentent, etc., là encore il y a pas mal d’obligations, si vous ne faites pas tout ça, à ce moment-là on est amené à vous attaquer, à vous condamner, etc.
Il y a donc deux parties, deux textes qui s’attaquent au problème des Big Tech et à leur comportement.

Cyrille Chaudoit : Donc, en caricaturant aussi, le DMA protège le marché, le DSA protège plutôt l’utilisateur, plutôt le citoyen.

Thibaut le Masne : L’utilisateur.
J’ai plusieurs questions qui viennent autour de tout ça, qui vont se résumer par : est-ce que ce sujet-là prend ?, finalement pour plusieurs raisons. On voit déjà sur la partie RGPD où globalement – je fais la caricature, tu me pardonneras – nous étions très forts, vent debout sur la protection de nos données, et quand on a eu des petits soucis de gaz on a dit aux États-Unis « pardon je donne mes données et vous me donnez du gaz en échange », parce qu’on n’a plus de gaz de la Russie. La question : est-ce que, finalement, on ne fait pas un peu à chaque fois un pas en avant trois pas en arrière, la façon dont ça se déroule et, en même temps – je crois que le en même temps c’est un peu le sujet politique du moment – on s’aperçoit que le RGPD est quand même beaucoup copié dans les grands États, notamment en Chine, aux États-Unis ils sont en train de réfléchir à mettre un RGPD américain. À quoi bon ou, plutôt, est-ce que ça prend vraiment ? C’était le sens de ma question avec plein de choses autour.

Joëlle Toledano : Tu crois que tu as posé une question, mais tu en as posé au moins cinq.

Thibaut le Masne : C’est ma spécialité et des fois je fais aussi cinq fois la même.

Cyrille Chaudoit : Il termine toujours par un sujet super sympa avec l’invité, le RGPD puisqu’on sait que tu adores ça.

Joëlle Toledano : Du coup, je ne sais même plus laquelle je vais prendre. Je vais essayer de dénouer.

Thibaut le Masne : Est-ce que ça marche tout ça ou est-ce que c’est du vent ?

Joëlle Toledano : Ça peut marcher. Une phrase est très pratiquée par les régulateurs, c’est « le diable est dans les détails ». Tu m’as dit un truc, ce n’est même pas un détail, c’est un truc énorme : dire que les Chinois ont fait un RGPD, ce n’est franchement pas un détail. Donc non, vraiment pas. Ils ont juste fait un RGPD mais où l’État peut faire ce qu’il veut de données.

Thibaut le Masne : Ce n’est pas la même chose. L’angle n’est pas pris de la même façon.

Joëlle Toledano : Ils ont simplement fait une régulation sur les données, mais ça ne veut pas dire que c’est la même. C’est le premier point.
Le deuxième c’est que RGPD est l’exemple typique où, derrière le texte, on a mis en place une organisation de la régulation qui n’est pas bonne, tout simplement, qui fait que l’entreprise est régulée en fonction de ce qu’on appelle son pays d’origine. Une entreprise française on voit bien que son pays d’origine c’est la France. Un truc s’est passé : les Américains ont fait ce qu’on appelle en jargon du regulatory shopping, c’est-à-dire qu’ils sont allés s’installer dans les pays où ils estimaient qu’ils seraient mieux traités.

Cyrille Chaudoit : Comme où, par exemple ?

Thibaut le Masne : Je crois c’est un pays vert.

Joëlle Toledano : Par exemple, presque tous en Irlande, un est au Luxembourg mais autrement presque tous en Irlande et effectivement, du coup, le RGPD est plutôt bien appliqué pour les entreprises françaises mais pas forcément bien pour celles qui sont en Irlande, même si on commence à voir des fumées apparaître sur quelques traitements différents, mais ça a mis au moins cinq ans.

Thibaut le Masne : C’est vrai aussi pour leur fiscalité. Tout ce qui est un peu contraignant finalement.

Joëlle Toledano : Toute la question sur le DMA et le DSA, et c’est le cœur du sujet, le cœur du problème, c’est comment ils vont être appliqués. Quand même, comme nous ne sommes pas complètement idiots, je parle là des États européens, on n’a pas mis en place la même structure de régulation pour le DSA et le DMA que pour le RGPD. Il y a une grosse partie de la régulation qui, pour échapper ces effets liés aux pays, va avoir lieu au niveau européen. Donc ce problème que j’ai indiqué disparaît.
Un autre apparaît quand même, c’est que maintenant la Commission a commencé à bouger sensiblement, mais jusqu’à il n’y a pas longtemps elle n’avait pas bien compris, j’ironise un peu, que pour traiter ce genre de sujet il fallait des gens compétents et il n’y avait que des juristes et des économistes. Là il faut des técos, il faut des gens qui comprennent. Le sujet, maintenant, c’est que la Commission se dote de moyens significatifs et techniquement compétents pour s’emparer des sujets et être capable de mettre effectivement en place des régulations qui fonctionnent. Deuxièmement, qu’elle ne reste pas dans sa tour d’ivoire et qu’elle s’appuie sur les moyens des États membres pour avoir des relais nationaux qui soient capables de mettre en place, là encore, des compétences, des systèmes d’information qui touchent les utilisateurs, entreprises comme consommateurs, État par État, etc.
Le cœur de DMA et DSA et des résultats qu’on aura dépend d’un mot, le meilleur mot est un mot anglais, enforcement et, pour l’instant, nous ne sommes pas très bons là-dedans donc il va falloir que ça change.

Cyrille Chaudoit : Pour clore cette séquence, j’aimerais quand même t’entendre, puisque tu as écrit ce fameux livre GAFA - Reprenons le pouvoir !, avec un certain nombre de pistes que tu proposes. En quelques mots simplement quelles seraient les pistes qui n’ont pas encore été explorées aujourd’hui ou pas suffisamment prises à ton goût et que tu aimerais voir mises en place et déployées prochainement ?

Joëlle Toledano : Je souhaitais qu’on ne saucissonne pas les problèmes et qu’on les traite. Je pense que le modèle économique et les contenus ce sont évidemment deux moitiés de la pomme. Ce sont les entreprises qu’il faut réguler et ce n’est pas dire « tel régulateur s’occupe de tel bout du problème, tel régulateur de tel autre bout, etc. » J’aurais souhaité que les sujets – les modèles économiques et les contenus – soient pris globalement ; c’était mon souhait. Cela étant, je ne voudrais finir sur une note pessimiste. Mon expérience de la régulation, j’ai été régulatrice des télécoms, c’est que ça ne se fait pas en jour. Le sujet c’est d’apprendre, d’évoluer et faire évoluer les organisations et les objectifs. C’est ça la différence avec la réglementation.
On va apprendre des tas de choses en commençant. Maintenant, il faut qu’il y ait les bonnes cordes de rappel avec la régulation, comme la régulation des télécoms évolue dans le temps. J’aurais aimé qu’on passe tout de suite à une régulation qui s’applique effectivement globalement, je pense que ça aurait permis d’aller plus vite. En tout état de cause, comme ça ne se fera pas en un jour, ce n’est peut-être pas très grave parce qu’on va apprendre des tas de choses si on y met les moyens.

Cyrille Chaudoit : C’est quelque chose qu’on va pouvoir continuer de creuser dans la toute prochaine partie de Trench Tech. Pour faire plaisir à Thibaut qui nous parlait de RGPD à la sauce chinoise, si j‘ose dire, nous allons retrouver la Philo Tech d’Emmanuel Goffi qui revient sur le crédit social à la chinoise.

39’ 05

Philo Tech d’Emmanuel Goffi « Crédit social chinois »

Voix off : De la philo, de la tech, c’est Philo Tech.