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<b>Delphine Sabattier : </b>Bonjour à tous. Vous écoutez <em>Politiques Numériques</em>, alias POL/N. Je suis Delphine Sabattier.<br/>
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Aujourd’hui, émission spéciale parce que demain, non, aujourd’hui, à l’heure où vous écoutez, vous, cette émission, c’est la Journée internationale des droits des femmes, alors on va parler de la place des femmes et, même au-delà, de l’importance de la mixité, de la diversité dans les métiers et les filières technologiques et puis des actions politiques, peut-être même législatives, qui pourraient s’avérer utiles dans ce domaine.<br/>
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Mon invitée politique, aujourd’hui, Marta de Cidrac, sénatrice LR des Yvelines. Bonjour.
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<b>Marta de Cidrac : </b>Bonjour.
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<b>Delphine Sabattier : </b>Vous avez été la secrétaire de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes et puis, aujourd’hui, vous êtes surtout une fidèle de tous les événements, de toutes les initiatives autour des femmes dans le numérique, dans la tech. Vous êtes notamment la marraine de la dernière édition des Trophées Européens de la Femme Cyber, d’ailleurs, on a une représentante du CEFCYS [Cercle Femmes Cybersécurité] que je vais présenter dans quelques instants. Comment en êtes-vous venue à vous impliquer autant sur cette question de la mixité des femmes dans le registre des technologies, dans ce domaine particulier ?
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<b>Marta de Cidrac : </b>En fait, je dirais que cela s’est presque imposé à moi. Avant même de devenir sénatrice, donc membre de la Délégation aux droits des femmes entre 2017 et 2020, comme vous l’avez rappelé, j’observais que, dans beaucoup de domaines, la place des femmes n’était pas tout à fait à la hauteur à laquelle on espérait qu’elle le soit et le numérique m’a happé. Vous voyez que nous sommes dans une époque où, en fait, tout devient numérique, tout devient tech, tout devient objet connecté, tout devient réseaux et médias. Je n’ai absolument aucune expertise dans ce domaine d’un point de vue technique, moi-même je suis architecte de métier. En revanche, il me semblait fondamental de pouvoir informer, expliquer à nos jeunes femmes quels sont les enjeux derrière les métiers de la tech pour les femmes de manière spécifique – nous sommes le 8 mars, il est important de le rappeler –, mais aussi, plus amplement, pour notre pays et pour, en fait, tout ce qui aujourd’hui devient très prégnant dans notre société, à savoir l’intelligence artificielle. Ce n’est qu’un aspect de tout ce qui est tech, en matière numérique, je pense qu’on va revenir là-dessus, on voit bien qu’il y a énormément de biais qui sont liés, en réalité, à nos sociétés qui, aujourd’hui, s’interrogent beaucoup sur ces sujets-là et cette intelligence artificielle devient un outil pour nous tous aujourd’hui, y compris pour les pouvoirs publics. Or, beaucoup de biais sont encore présents, y compris dans l’intelligence artificielle, à travers les informations de cette intelligence artificielle générative que l’on connaît tous et qui, aujourd’hui, reproduit des stéréotypes dont on voudrait véritablement ne plus avoir à parler.
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<b>Delphine Sabattier : </b>Également en studio avec nous, Marta de Cidrac, nous avons Manon Dubien. J’imagine que vous vous connaissez bien, toutes les deux, puisque, Manon, vous êtes la vice-présidente du CEFCYS, le Cercle des Femmes de la Cybersécurité, vous êtes chargée des affaires de certification de cybersécurité, au sein d’un grand groupe, à titre professionnel, mais, à titre plus personnel vous êtes très engagée en faveur de l’inclusion dans la filière de la cybersécurité. Comment en êtes-vous venue justement, à rencontrer Marta de Cidrac, à l’impliquer dans vos événements ?
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<b>Manon Dubien : </b>Bonjour. Merci de me recevoir, je suis ravie.<br/>
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C’est vrai que cela fait plusieurs années que l’on connaît Marta. Quand je dis « on », c’est le Cercle des Femmes de la Cybersécurité puisqu’elle est très impliquée avec nous, elle nous soutient sur nos événements, notamment notre événement phare dans le domaine de la cybersécurité qui est le Trophées Européens de la Femme Cyber, à l’échelle européenne, quand même, et, à ce titre, nous avons des marraines tous les ans, donc on a le plaisir d’avoir Marta.
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<b>Delphine Sabattier : </b>C’est difficile de trouver, chez les politiques, des personnalités impliquées ?
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<b>Manon Dubien : </b>Surtout que nous sommes une association apolitique, nous sommes vraiment dans les actions de terrain, donc tout le monde est bienvenu parmi le CEFCYS et c’est très important, quand même, d’avoir des soutiens politiques, puisque nous n’avons pas cette influence-là. Pour porter vraiment cette voix d’inclusion dans la cybersécurité, il est primordial d’avoir quelques politiques qui nous soutiennent, c’est pour cela que nous sommes ravies.
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<b>Delphine Sabattier : </b>À côté de vous, vous voyez un homme quand même en studio, aujourd’hui. Guy Mamou-Mani, merci. Bonjour.
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<b>Guy Mamou-Mani : </b>Bonjour.
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<b>Delphine Sabattier : </b>Entrepreneur, <em>business angel</em>, prof en école de commerce, conférencier. Vous avez coprésidé pendant une vingtaine d’années l’une des premières entreprises françaises de services numériques, le groupe Open. Vous êtes aussi passé par la présidence du Syntec Numérique est devenu Numeum. Vous avez été le vice-président du Conseil national du numérique, pendant un an ou deux, c’est ça ?
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<b>Guy Mamou-Mani : </b>Oui, pendant ans deux ans.
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<b>Delphine Sabattier : </b>Pendant deux ans. Vous avez récemment publié <em>Pour un numérique humain</em>, aux éditions Hermann, et vous êtes le cofondateur, c’est aussi mais principalement pour cela, je dirais, que je vous ai invité, de ce mouvement #JamaisSansElles. Qu’est-ce qui fait qu’un jour vous vous êtes dit « tiens, il faut absolument, désormais, que quand on nous sollicite pour des interventions publiques, qu’on n’y aille pas juste entre hommes, qu’on ait aussi des femmes à nos côtés. » ?
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<b>Guy Mamou-Mani : </b>Tout a commencé quand j’étais président du Syntec Numérique ; j’avais lancé une commission, Femmes du numérique. On avait fait une étude, à l’époque, qui reste encore valable, malheureusement, sur la présence des femmes dans le numérique. On avait trouvé qu’il n’y avait que 27 % de femmes dans l’industrie du numérique et encore, j’insiste toujours pour préciser que ce chiffre est arrangé, parce que, dans ces 27 %, vous avez le marketing, toutes les fonctions transversales, et si on se cantonne à la partie technique, en particulier à l’intelligence artificielle, comme le dit Marta, on se retrouve entre 10 et 15 %. Je suis dans des conseils d’administration ou d’orientation de l’EPITA [École pour l’informatique et les techniques avancées], ESIEA [École supérieure d’informatique électronique automatique], toutes ces écoles d’informatique, et c’est dramatique parce que ces chiffres ne s’améliorent pas.<br/>
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En fait, dans cet engagement depuis 15 ans, je me suis retrouvé une fois devant une situation, avec un échange de tweets, où on mettait en avant qu’il y avait à l’Élysée une table ronde qui parlait du numérique avec 12 hommes. J’ai eu cette réaction instinctive de dire « à partir de maintenant, je ne participerai plus à une table ronde, une émission de radio ou de télé, s’il n’a pas au moins une femme. » Il faut expliquer pourquoi. J’ai la conviction qu’une jeune fille qui va passer le bac, qui est excellente dans les matières scientifiques si, chaque fois qu’elle voit une table ronde, une émission sur le numérique où il n’y a que des hommes, elle dit « ce n’est pas pour moi ». On a donc cette nécessité de mettre en avant des rôles modèles de façon à attirer des jeunes filles dans ces métiers qui sont si importants, comme on l’a déjà expliqué maintes fois.<br/>
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Je tiens quand même à dire que cette association s’est parfaitement développée avec deux femmes fantastiques qui sont Tatiana Salomon et Natacha Quester-Séméon, qui ont fait un travail extraordinaire, et, maintenant, je crois qu’il y a près de 500 hommes qui ont signé de cet engagement, ce qui est énorme.<br/>
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Je voudrais dire aussi que j’ai soutenu le CEFCYS depuis le début, d’ailleurs j’ai été membre du jury des trophées et je soutiens toutes les affaires qui s’adressent au numérique.
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<b>Delphine Sabattier : </b>C’est finalement un petit monde parce que vous connaissez aussi très bien notre intervenante à distance, Caroline Ramade.
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<b>Guy Mamou-Mani : </b>Évidemment !
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<b>Delphine Sabattier : </b>Bonjour Caroline.
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<b>Caroline Ramade : </b>Bonjour.
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<b>Delphine Sabattier : </b>Merci beaucoup d’être connectée dans <em>Politiques Numériques</em>. Vous êtes ancienne responsable de l’innovation de la mairie de Paris et directrice générale de WILLA, ex Paris Pionnières, qui est le plus grand incubateur de femmes fondatrices en Europe et puis vous avez lancé 50inTech, en 2019, avec cette volonté de créer le réseau de référence des femmes dans la tech. Votre objectif, surtout, tient dans ce nom, 50inTech, arriver à ce 50 % de femmes dans la tech, dans les métiers technologiques, dans cette filière. Je précise que vous êtes aussi administratrice du ONU Femmes France depuis 2018. Est-ce ce que vous avez vu les choses évoluer depuis 2018/2019, Caroline ?
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<b>Caroline Ramade : </b>On va essayer d’être positif. Les chiffres n’ont malheureusement pas beaucoup évolué quand même, on reste à 22 % de femmes dans des rôles techniques en Europe, 17 % en France. Je pense que ce qu’on a vu évoluer, c’est la question de la prise de conscience, et la prise de conscience aussi des entreprises, qu’elles avaient un rôle énorme à jouer. Quand j’ai monté 50inTech qui, aujourd’hui, crée des solutions tech pour féminiser la tech – on a une plateforme, qui s’appelle Gender ??? [8 min 50], qui permet d’aller sourcer des profils tech en France et en Europe, et on a développé un Gender Score qui permet aux entreprises, basé sur leur data et leur politique, d’aller leur faire de la recommandation d’actions basées sur ce qu’on a vu qui marchait le mieux, donc de les ranker aussi par rapport à des entreprises tech en Europe, pour comprendre là où elles pouvaient évoluer.<br/>
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Ce chiffre qui est absolument choquant et qui existe depuis quelques années, c’est qu’on a une femme sur deux qui quitte après 35 ans pour des raisons de discrimination au travail et dans la cybersécurité, puisque on a des membres éminents chez 50inTech, je crois que c’est encore pire, je crois qu’elles quittent après trois ans d’expérience.<br/>
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En fait, il y a, on va dire, quatre problématiques majeures qui les font quitter la tech : elles sont bloquées dans leur carrière, il y a un manque de progression des femmes dans les carrières tech, ce qui impacte la question du salaire, il y a 19 % d’écart de rémunération inajustée en Europe, ce qui plus que la moyenne européenne qui est à 13 % pour le reste des professions et à 5 % compétences égales, expériences égales, ce qui, dans des carrières pénuriques, ne devrait pas exister.<br/>
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Le troisième point c’est un problème de flexibilité et d’équilibre vie pro/vie perso, puisque les politiques parentales ne sont pas bien mises en œuvre avec des moyennes d’âge qui sont souvent autour de 29 ans.<br/>
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Dernier point. Dans les univers où vous avez 80/90 % d’hommes, les stéréotypes s’appliquent et les remarques sexistes sont très communes avec, aussi, une remise en cause de leur légitimité à être dans la tech, ce qui les fait partir.<br/>
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On a donc un enjeu de rétention et là je voudrais apporter un message d’espoir. Aujourd’hui, on lance un mouvement qui s’appelle #NoWomenNoTech, qui se base aussi sur la dernière étude de McKinsey qui, je pense, est assez fondamentale. On parle beaucoup d’éducation, ce qui est nécessaire et là je rapproche tout ce qui est dit sur la nécessité d’amener les jeunes filles à la tech, mais tant qu’on n’aura pas des rôles modèles que sont les mères, les cousines, les tantes, les copines, qui sont heureuses dans cette industrie, en fait le <em>butterfly effect</em>, l’effet papillon, ne fonctionne pas.<br/>
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Cet enjeu de la rétention des femmes et de la promotion des femmes dans l’écosystème est clé pour créer ces rôles modèles, donc amener ces jeunes filles pour avoir plus de femmes dans les conférences, plus de femmes dans les entreprises, plus de femmes à haut niveau, partout. Il y a trois leviers dans cette étude de McKinsey qui s’appelle « Comment closer la pénurie de talents en Europe ». Elle démontre qu’on pourrait atteindre 3,9 millions de talents en plus rien qu’en focussant sur la rétention à trois endroits :
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<li>créer des structures inclusives, donc accélérer le changement de politique interne dans les entreprises et veiller à ce que les questions de harcèlement soient réglées, tout ce que je viens d’évoquer, en parlant des salaires, etc. ;</li>
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<li>le deuxième point c’est les promouvoir, on a seulement une femme sur six exécutive en Europe dans la tech alors qu’elles sont plus en bas de l’échelle, ce n’est pas normal, il y a une déperdition, donc il y a un biais, quelque part, qui ne les fait pas progresser et le premier rang managérial est impacté ;</li>
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<li>le troisième point c’est qu’on a des jeunes filles qui font des STEM, aujourd’hui, mais qui se retrouvent dans des écoles assez masculines et qui n’ont pas envie de rejoindre ces entreprises parce qu’elles ne leur donnent pas envie d’y aller. Donc changer la culture, leur dire qu’elles vont être traitées différemment, qu’elles vont avoir des perspectives extraordinaires parce que la tech est extraordinaire.</li>
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Eh bien avec ça, dans les calculs de McKinsey, je vous ramène à cette étude, on pourrait atteindre 47 % de femmes dans la tech d’ici 2050, juste en travaillant le biais, l’attaque de la rétention et de la promotion des femmes et l’attraction des femmes qui sont aujourd’hui dans les STEM et qui ne vont pas vers la tech.<br/>
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Je pense que c’est vraiment un point essentiel dans le débat. La responsabilité sociétale des entreprises qui sont dans ce secteur est essentielle.
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<b>Delphine Sabattier : </b>Vous disiez, Caroline, qu’on avait vraiment un problème, en particulier dans la cybersécurité, pour retenir les femmes tout au long de leur carrière. Je voulais vous faire réagir, bien évidemment, Manon. Êtes-vous heureuse, déjà, comment ça se passe ?
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<b>Manon Dubien : </b>Dans mon domaine, oui, très heureuse, je suis toujours la seule fille. Mais c’est vrai qu’on ne voit que 14 % de femmes dans la cybersécurité, maintenant 17, ça évolue très doucement, trop doucement. Pourquoi les femmes se rejoignent-elles dans des associations ? Pour se soutenir, parce qu’elles n’ont pas ce soutien-là en entreprise, il y a une réelle souffrance et je rejoins totalement Caroline là-dessus. On voit que les entreprises, bien souvent, ne font absolument aucun effort pour intégrer les femmes.
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<b>Delphine Sabattier : </b>J’ai reçu, dans une autre émission, Fanny Forgeau, qui a d’ailleurs été célébrée lors des Trophées Européens de la Femme Cyber et, justement, j’ai bien aimé qu’elle nous dise « pour moi tout va bien. Je m’amuse dans mon job, je suis heureuse de travailler dans la cybersécurité, on est bien accueilli. » Alors, visiblement, elle est bien tombée !
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<b>Manon Dubien : </b>Elle est très bien tombée.
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<b>Delphine Sabattier : </b>Mais ce n’est pas toujours le cas.
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<b>Manon Dubien : </b>Elle a été aidée par les hommes, vraiment.
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<b>Delphine Sabattier : </b>C’est ce qu’elle raconte.
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<b>Manon Dubien : </b>Il y a vraiment une mentalité qui est extraordinaire chez Yogosha chez qui elle travaille.
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<b>Delphine Sabattier : </b>On a besoin de ces rôles modèles, on nous dit que c’est aussi une question de responsabilité sociétale des entreprises.<br/>
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Du côté du politique, comment peut-on s’emparer de ce sujet ?
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<b>Marta de Cidrac : </b>On peut s’emparer de différentes façons. Je souscris totalement à l’analyse qui a été faite, évidemment, on ne peut pas la nier.<br/>
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Je pense qu’il y a le sujet, évidemment, de l’aval, c’est-à-dire une fois que les femmes sont formées, quelles perspectives de carrière ont-elles dans ce domaine-là ? Mais je pense qu’il y a aussi tout le travail que les pouvoirs publics doivent faire en amont, à savoir, vis-à-vis de nos jeunes filles et de nos jeunes garçons. Je crois que c’est fondamental et il faut le rappeler. Je dis volontairement « jeunes filles et jeunes garçons » parce que je crois que c’est un sujet qui nous concerne tous et qui nous concerne tous en tant que parents au moment de l’orientation vers les formations que l’on donne aux petits garçons ou aux petites filles.<br/>
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Par exemple, lorsqu’on va à un salon d’étudiant où les écoles essayent d’attirer telle ou telle jeune profil, inscrire telle ou telle jeune fille, jeune homme, on observe, on voit souvent que les parents n’orientent pas leurs filles vers ces métiers-là. Je crois que c’est un vrai sujet sociétal.<br/>
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Pour répondre à votre question : comment moi, par exemple en tant que législateur, en fait comment les pouvoirs publics peuvent-ils se saisir de ce sujet-là ? Je crois qu’il est fondamental de rappeler deux choses.
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C’est vrai que ce n’est pas forcément dans notre culture française, mais très tôt, dès l’école – le collège, le lycée, je ne vais pas dire que c’est presque trop tard –, mais dès le début de la scolarité, l’école républicaine, l’école de la France, doit pouvoir donner cette perspective aux jeunes garçons comme aux jeunes filles en leur expliquant deux choses : d’une part on a besoin des jeunes femmes, on a besoin de cette ressource-là, 50 % de la population, voire un peu plus, est féminine, comment se passer de cette manne, en fait de toute cette matière grise qu’on perd pour la suite ; et puis deuxième sujet d’information, c’est que ce sont des métiers qui payent bien, ce sont des métiers qui attirent. Or, nous sommes encore dans une société dans laquelle il y a le patriarcat, pardon cher Guy, qui est encore omniprésent. On parle encore de « chef de famille », c’est quand même quelque chose qui n’est pas tout à fait anodin dans l’imaginaire global que nous pouvons tous voir, entendre, y compris dans nos propres familles.<br/>
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Donc à un moment donné, je crois que pour les femmes, au-delà même du secteur de la tech, les pouvoirs publics doivent s’en saisir : il faut qu’on explique à tout le monde, garçons et filles, « va dans ce secteur-là parce que c’est important ». On reviendra aussi sur les biais. Je reprends, par exemple, l’intelligence artificielle : les gens qui travaillent là-dedans sont eux-mêmes complètement déformés par les biais sexistes de leur propre éducation. Comment voulez-vous que l’intelligence artificielle ne devienne pas, elle-même, sexiste ? Premier sujet : il nous faut des femmes dans ce domaine-là, au plus haut niveau, dans l’opérationnel lui-même. Il faut que les pouvoirs publics trouvent les moyens de les encourager à travers des textes, à travers peut-être des contraintes légales, il faut y réfléchir très sérieusement.<br/>
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Le deuxième sujet ce sont les finances. Je plaide, depuis toujours, quel que soit le secteur : il faut absolument expliquer aux jeunes femmes que ce n’est pas tabou de vouloir bien gagner sa vie. L’émancipation de la femme passe par là. Je viens d’un secteur, le bâtiment, je suis architecte de métier et, à un moment donné, vous avez peut-être lu, entendu cela, dans les 80/90 on disait « waouh, génial, la profession d’architecte se féminise terriblement, génial ! ». En fait on voit bien que ça correspondait à une période où cette profession-là se paupérisait.<br/>
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Cette petite anecdote, cette petite alarme qu’il faut que nous ayons tous en tête : l’émancipation des femmes, quel que soit le domaine, va passer aussi par l’émancipation financière et la tech, pour moi, est un excellent vecteur, d’abord parce qu’on a besoin de femmes et aussi parce que, je le dis toujours aux jeunes femmes « ça paye bien, allez-y mesdames, allez-y ! »
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==18’34==
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<b>Delphine Sabattier : </b>Il y a cette partie sensibilisation

Version du 10 mars 2024 à 17:49


Titre : Numérique : « On a besoin des femmes ! »

Intervenant·e·s : Marta de Cidrac - Manon Dubien - Guy Mamou-Mani - Caroline Ramade - Delphine Sabattier

Lieu : Podcast Politiques Numériques, alias POL/N

Date : 8 mars 2024

Durée : 50 min

Podcast

Présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Il y a 52% de femmes dans le monde... seulement 15% dans l'Intelligence artificielle !
Émission spéciale de Politiques Numériques pour la Journée internationale des droits des femmes.
Quelle est la place des femmes dans les métiers et les filières technologiques ? Quelles actions politiques, législatives, pourraient s’avérer utiles ?

Transcription

Delphine Sabattier : Bonjour à tous. Vous écoutez Politiques Numériques, alias POL/N. Je suis Delphine Sabattier.
Aujourd’hui, émission spéciale parce que demain, non, aujourd’hui, à l’heure où vous écoutez, vous, cette émission, c’est la Journée internationale des droits des femmes, alors on va parler de la place des femmes et, même au-delà, de l’importance de la mixité, de la diversité dans les métiers et les filières technologiques et puis des actions politiques, peut-être même législatives, qui pourraient s’avérer utiles dans ce domaine.
Mon invitée politique, aujourd’hui, Marta de Cidrac, sénatrice LR des Yvelines. Bonjour.

Marta de Cidrac : Bonjour.

Delphine Sabattier : Vous avez été la secrétaire de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes et puis, aujourd’hui, vous êtes surtout une fidèle de tous les événements, de toutes les initiatives autour des femmes dans le numérique, dans la tech. Vous êtes notamment la marraine de la dernière édition des Trophées Européens de la Femme Cyber, d’ailleurs, on a une représentante du CEFCYS [Cercle Femmes Cybersécurité] que je vais présenter dans quelques instants. Comment en êtes-vous venue à vous impliquer autant sur cette question de la mixité des femmes dans le registre des technologies, dans ce domaine particulier ?

Marta de Cidrac : En fait, je dirais que cela s’est presque imposé à moi. Avant même de devenir sénatrice, donc membre de la Délégation aux droits des femmes entre 2017 et 2020, comme vous l’avez rappelé, j’observais que, dans beaucoup de domaines, la place des femmes n’était pas tout à fait à la hauteur à laquelle on espérait qu’elle le soit et le numérique m’a happé. Vous voyez que nous sommes dans une époque où, en fait, tout devient numérique, tout devient tech, tout devient objet connecté, tout devient réseaux et médias. Je n’ai absolument aucune expertise dans ce domaine d’un point de vue technique, moi-même je suis architecte de métier. En revanche, il me semblait fondamental de pouvoir informer, expliquer à nos jeunes femmes quels sont les enjeux derrière les métiers de la tech pour les femmes de manière spécifique – nous sommes le 8 mars, il est important de le rappeler –, mais aussi, plus amplement, pour notre pays et pour, en fait, tout ce qui aujourd’hui devient très prégnant dans notre société, à savoir l’intelligence artificielle. Ce n’est qu’un aspect de tout ce qui est tech, en matière numérique, je pense qu’on va revenir là-dessus, on voit bien qu’il y a énormément de biais qui sont liés, en réalité, à nos sociétés qui, aujourd’hui, s’interrogent beaucoup sur ces sujets-là et cette intelligence artificielle devient un outil pour nous tous aujourd’hui, y compris pour les pouvoirs publics. Or, beaucoup de biais sont encore présents, y compris dans l’intelligence artificielle, à travers les informations de cette intelligence artificielle générative que l’on connaît tous et qui, aujourd’hui, reproduit des stéréotypes dont on voudrait véritablement ne plus avoir à parler.

Delphine Sabattier : Également en studio avec nous, Marta de Cidrac, nous avons Manon Dubien. J’imagine que vous vous connaissez bien, toutes les deux, puisque, Manon, vous êtes la vice-présidente du CEFCYS, le Cercle des Femmes de la Cybersécurité, vous êtes chargée des affaires de certification de cybersécurité, au sein d’un grand groupe, à titre professionnel, mais, à titre plus personnel vous êtes très engagée en faveur de l’inclusion dans la filière de la cybersécurité. Comment en êtes-vous venue justement, à rencontrer Marta de Cidrac, à l’impliquer dans vos événements ?

Manon Dubien : Bonjour. Merci de me recevoir, je suis ravie.
C’est vrai que cela fait plusieurs années que l’on connaît Marta. Quand je dis « on », c’est le Cercle des Femmes de la Cybersécurité puisqu’elle est très impliquée avec nous, elle nous soutient sur nos événements, notamment notre événement phare dans le domaine de la cybersécurité qui est le Trophées Européens de la Femme Cyber, à l’échelle européenne, quand même, et, à ce titre, nous avons des marraines tous les ans, donc on a le plaisir d’avoir Marta.

Delphine Sabattier : C’est difficile de trouver, chez les politiques, des personnalités impliquées ?

Manon Dubien : Surtout que nous sommes une association apolitique, nous sommes vraiment dans les actions de terrain, donc tout le monde est bienvenu parmi le CEFCYS et c’est très important, quand même, d’avoir des soutiens politiques, puisque nous n’avons pas cette influence-là. Pour porter vraiment cette voix d’inclusion dans la cybersécurité, il est primordial d’avoir quelques politiques qui nous soutiennent, c’est pour cela que nous sommes ravies.

Delphine Sabattier : À côté de vous, vous voyez un homme quand même en studio, aujourd’hui. Guy Mamou-Mani, merci. Bonjour.

Guy Mamou-Mani : Bonjour.

Delphine Sabattier : Entrepreneur, business angel, prof en école de commerce, conférencier. Vous avez coprésidé pendant une vingtaine d’années l’une des premières entreprises françaises de services numériques, le groupe Open. Vous êtes aussi passé par la présidence du Syntec Numérique est devenu Numeum. Vous avez été le vice-président du Conseil national du numérique, pendant un an ou deux, c’est ça ?

Guy Mamou-Mani : Oui, pendant ans deux ans.

Delphine Sabattier : Pendant deux ans. Vous avez récemment publié Pour un numérique humain, aux éditions Hermann, et vous êtes le cofondateur, c’est aussi mais principalement pour cela, je dirais, que je vous ai invité, de ce mouvement #JamaisSansElles. Qu’est-ce qui fait qu’un jour vous vous êtes dit « tiens, il faut absolument, désormais, que quand on nous sollicite pour des interventions publiques, qu’on n’y aille pas juste entre hommes, qu’on ait aussi des femmes à nos côtés. » ?

Guy Mamou-Mani : Tout a commencé quand j’étais président du Syntec Numérique ; j’avais lancé une commission, Femmes du numérique. On avait fait une étude, à l’époque, qui reste encore valable, malheureusement, sur la présence des femmes dans le numérique. On avait trouvé qu’il n’y avait que 27 % de femmes dans l’industrie du numérique et encore, j’insiste toujours pour préciser que ce chiffre est arrangé, parce que, dans ces 27 %, vous avez le marketing, toutes les fonctions transversales, et si on se cantonne à la partie technique, en particulier à l’intelligence artificielle, comme le dit Marta, on se retrouve entre 10 et 15 %. Je suis dans des conseils d’administration ou d’orientation de l’EPITA [École pour l’informatique et les techniques avancées], ESIEA [École supérieure d’informatique électronique automatique], toutes ces écoles d’informatique, et c’est dramatique parce que ces chiffres ne s’améliorent pas.
En fait, dans cet engagement depuis 15 ans, je me suis retrouvé une fois devant une situation, avec un échange de tweets, où on mettait en avant qu’il y avait à l’Élysée une table ronde qui parlait du numérique avec 12 hommes. J’ai eu cette réaction instinctive de dire « à partir de maintenant, je ne participerai plus à une table ronde, une émission de radio ou de télé, s’il n’a pas au moins une femme. » Il faut expliquer pourquoi. J’ai la conviction qu’une jeune fille qui va passer le bac, qui est excellente dans les matières scientifiques si, chaque fois qu’elle voit une table ronde, une émission sur le numérique où il n’y a que des hommes, elle dit « ce n’est pas pour moi ». On a donc cette nécessité de mettre en avant des rôles modèles de façon à attirer des jeunes filles dans ces métiers qui sont si importants, comme on l’a déjà expliqué maintes fois.
Je tiens quand même à dire que cette association s’est parfaitement développée avec deux femmes fantastiques qui sont Tatiana Salomon et Natacha Quester-Séméon, qui ont fait un travail extraordinaire, et, maintenant, je crois qu’il y a près de 500 hommes qui ont signé de cet engagement, ce qui est énorme.
Je voudrais dire aussi que j’ai soutenu le CEFCYS depuis le début, d’ailleurs j’ai été membre du jury des trophées et je soutiens toutes les affaires qui s’adressent au numérique.

Delphine Sabattier : C’est finalement un petit monde parce que vous connaissez aussi très bien notre intervenante à distance, Caroline Ramade.

Guy Mamou-Mani : Évidemment !

Delphine Sabattier : Bonjour Caroline.

Caroline Ramade : Bonjour.

Delphine Sabattier : Merci beaucoup d’être connectée dans Politiques Numériques. Vous êtes ancienne responsable de l’innovation de la mairie de Paris et directrice générale de WILLA, ex Paris Pionnières, qui est le plus grand incubateur de femmes fondatrices en Europe et puis vous avez lancé 50inTech, en 2019, avec cette volonté de créer le réseau de référence des femmes dans la tech. Votre objectif, surtout, tient dans ce nom, 50inTech, arriver à ce 50 % de femmes dans la tech, dans les métiers technologiques, dans cette filière. Je précise que vous êtes aussi administratrice du ONU Femmes France depuis 2018. Est-ce ce que vous avez vu les choses évoluer depuis 2018/2019, Caroline ?

Caroline Ramade : On va essayer d’être positif. Les chiffres n’ont malheureusement pas beaucoup évolué quand même, on reste à 22 % de femmes dans des rôles techniques en Europe, 17 % en France. Je pense que ce qu’on a vu évoluer, c’est la question de la prise de conscience, et la prise de conscience aussi des entreprises, qu’elles avaient un rôle énorme à jouer. Quand j’ai monté 50inTech qui, aujourd’hui, crée des solutions tech pour féminiser la tech – on a une plateforme, qui s’appelle Gender ??? [8 min 50], qui permet d’aller sourcer des profils tech en France et en Europe, et on a développé un Gender Score qui permet aux entreprises, basé sur leur data et leur politique, d’aller leur faire de la recommandation d’actions basées sur ce qu’on a vu qui marchait le mieux, donc de les ranker aussi par rapport à des entreprises tech en Europe, pour comprendre là où elles pouvaient évoluer.
Ce chiffre qui est absolument choquant et qui existe depuis quelques années, c’est qu’on a une femme sur deux qui quitte après 35 ans pour des raisons de discrimination au travail et dans la cybersécurité, puisque on a des membres éminents chez 50inTech, je crois que c’est encore pire, je crois qu’elles quittent après trois ans d’expérience.
En fait, il y a, on va dire, quatre problématiques majeures qui les font quitter la tech : elles sont bloquées dans leur carrière, il y a un manque de progression des femmes dans les carrières tech, ce qui impacte la question du salaire, il y a 19 % d’écart de rémunération inajustée en Europe, ce qui plus que la moyenne européenne qui est à 13 % pour le reste des professions et à 5 % compétences égales, expériences égales, ce qui, dans des carrières pénuriques, ne devrait pas exister.
Le troisième point c’est un problème de flexibilité et d’équilibre vie pro/vie perso, puisque les politiques parentales ne sont pas bien mises en œuvre avec des moyennes d’âge qui sont souvent autour de 29 ans.
Dernier point. Dans les univers où vous avez 80/90 % d’hommes, les stéréotypes s’appliquent et les remarques sexistes sont très communes avec, aussi, une remise en cause de leur légitimité à être dans la tech, ce qui les fait partir.
On a donc un enjeu de rétention et là je voudrais apporter un message d’espoir. Aujourd’hui, on lance un mouvement qui s’appelle #NoWomenNoTech, qui se base aussi sur la dernière étude de McKinsey qui, je pense, est assez fondamentale. On parle beaucoup d’éducation, ce qui est nécessaire et là je rapproche tout ce qui est dit sur la nécessité d’amener les jeunes filles à la tech, mais tant qu’on n’aura pas des rôles modèles que sont les mères, les cousines, les tantes, les copines, qui sont heureuses dans cette industrie, en fait le butterfly effect, l’effet papillon, ne fonctionne pas.
Cet enjeu de la rétention des femmes et de la promotion des femmes dans l’écosystème est clé pour créer ces rôles modèles, donc amener ces jeunes filles pour avoir plus de femmes dans les conférences, plus de femmes dans les entreprises, plus de femmes à haut niveau, partout. Il y a trois leviers dans cette étude de McKinsey qui s’appelle « Comment closer la pénurie de talents en Europe ». Elle démontre qu’on pourrait atteindre 3,9 millions de talents en plus rien qu’en focussant sur la rétention à trois endroits :

  • créer des structures inclusives, donc accélérer le changement de politique interne dans les entreprises et veiller à ce que les questions de harcèlement soient réglées, tout ce que je viens d’évoquer, en parlant des salaires, etc. ;
  • le deuxième point c’est les promouvoir, on a seulement une femme sur six exécutive en Europe dans la tech alors qu’elles sont plus en bas de l’échelle, ce n’est pas normal, il y a une déperdition, donc il y a un biais, quelque part, qui ne les fait pas progresser et le premier rang managérial est impacté ;
  • le troisième point c’est qu’on a des jeunes filles qui font des STEM, aujourd’hui, mais qui se retrouvent dans des écoles assez masculines et qui n’ont pas envie de rejoindre ces entreprises parce qu’elles ne leur donnent pas envie d’y aller. Donc changer la culture, leur dire qu’elles vont être traitées différemment, qu’elles vont avoir des perspectives extraordinaires parce que la tech est extraordinaire.

Eh bien avec ça, dans les calculs de McKinsey, je vous ramène à cette étude, on pourrait atteindre 47 % de femmes dans la tech d’ici 2050, juste en travaillant le biais, l’attaque de la rétention et de la promotion des femmes et l’attraction des femmes qui sont aujourd’hui dans les STEM et qui ne vont pas vers la tech.
Je pense que c’est vraiment un point essentiel dans le débat. La responsabilité sociétale des entreprises qui sont dans ce secteur est essentielle.

Delphine Sabattier : Vous disiez, Caroline, qu’on avait vraiment un problème, en particulier dans la cybersécurité, pour retenir les femmes tout au long de leur carrière. Je voulais vous faire réagir, bien évidemment, Manon. Êtes-vous heureuse, déjà, comment ça se passe ?

Manon Dubien : Dans mon domaine, oui, très heureuse, je suis toujours la seule fille. Mais c’est vrai qu’on ne voit que 14 % de femmes dans la cybersécurité, maintenant 17, ça évolue très doucement, trop doucement. Pourquoi les femmes se rejoignent-elles dans des associations ? Pour se soutenir, parce qu’elles n’ont pas ce soutien-là en entreprise, il y a une réelle souffrance et je rejoins totalement Caroline là-dessus. On voit que les entreprises, bien souvent, ne font absolument aucun effort pour intégrer les femmes.

Delphine Sabattier : J’ai reçu, dans une autre émission, Fanny Forgeau, qui a d’ailleurs été célébrée lors des Trophées Européens de la Femme Cyber et, justement, j’ai bien aimé qu’elle nous dise « pour moi tout va bien. Je m’amuse dans mon job, je suis heureuse de travailler dans la cybersécurité, on est bien accueilli. » Alors, visiblement, elle est bien tombée !

Manon Dubien : Elle est très bien tombée.

Delphine Sabattier : Mais ce n’est pas toujours le cas.

Manon Dubien : Elle a été aidée par les hommes, vraiment.

Delphine Sabattier : C’est ce qu’elle raconte.

Manon Dubien : Il y a vraiment une mentalité qui est extraordinaire chez Yogosha chez qui elle travaille.

Delphine Sabattier : On a besoin de ces rôles modèles, on nous dit que c’est aussi une question de responsabilité sociétale des entreprises.
Du côté du politique, comment peut-on s’emparer de ce sujet ?

Marta de Cidrac : On peut s’emparer de différentes façons. Je souscris totalement à l’analyse qui a été faite, évidemment, on ne peut pas la nier.
Je pense qu’il y a le sujet, évidemment, de l’aval, c’est-à-dire une fois que les femmes sont formées, quelles perspectives de carrière ont-elles dans ce domaine-là ? Mais je pense qu’il y a aussi tout le travail que les pouvoirs publics doivent faire en amont, à savoir, vis-à-vis de nos jeunes filles et de nos jeunes garçons. Je crois que c’est fondamental et il faut le rappeler. Je dis volontairement « jeunes filles et jeunes garçons » parce que je crois que c’est un sujet qui nous concerne tous et qui nous concerne tous en tant que parents au moment de l’orientation vers les formations que l’on donne aux petits garçons ou aux petites filles.
Par exemple, lorsqu’on va à un salon d’étudiant où les écoles essayent d’attirer telle ou telle jeune profil, inscrire telle ou telle jeune fille, jeune homme, on observe, on voit souvent que les parents n’orientent pas leurs filles vers ces métiers-là. Je crois que c’est un vrai sujet sociétal.
Pour répondre à votre question : comment moi, par exemple en tant que législateur, en fait comment les pouvoirs publics peuvent-ils se saisir de ce sujet-là ? Je crois qu’il est fondamental de rappeler deux choses. C’est vrai que ce n’est pas forcément dans notre culture française, mais très tôt, dès l’école – le collège, le lycée, je ne vais pas dire que c’est presque trop tard –, mais dès le début de la scolarité, l’école républicaine, l’école de la France, doit pouvoir donner cette perspective aux jeunes garçons comme aux jeunes filles en leur expliquant deux choses : d’une part on a besoin des jeunes femmes, on a besoin de cette ressource-là, 50 % de la population, voire un peu plus, est féminine, comment se passer de cette manne, en fait de toute cette matière grise qu’on perd pour la suite ; et puis deuxième sujet d’information, c’est que ce sont des métiers qui payent bien, ce sont des métiers qui attirent. Or, nous sommes encore dans une société dans laquelle il y a le patriarcat, pardon cher Guy, qui est encore omniprésent. On parle encore de « chef de famille », c’est quand même quelque chose qui n’est pas tout à fait anodin dans l’imaginaire global que nous pouvons tous voir, entendre, y compris dans nos propres familles.
Donc à un moment donné, je crois que pour les femmes, au-delà même du secteur de la tech, les pouvoirs publics doivent s’en saisir : il faut qu’on explique à tout le monde, garçons et filles, « va dans ce secteur-là parce que c’est important ». On reviendra aussi sur les biais. Je reprends, par exemple, l’intelligence artificielle : les gens qui travaillent là-dedans sont eux-mêmes complètement déformés par les biais sexistes de leur propre éducation. Comment voulez-vous que l’intelligence artificielle ne devienne pas, elle-même, sexiste ? Premier sujet : il nous faut des femmes dans ce domaine-là, au plus haut niveau, dans l’opérationnel lui-même. Il faut que les pouvoirs publics trouvent les moyens de les encourager à travers des textes, à travers peut-être des contraintes légales, il faut y réfléchir très sérieusement.
Le deuxième sujet ce sont les finances. Je plaide, depuis toujours, quel que soit le secteur : il faut absolument expliquer aux jeunes femmes que ce n’est pas tabou de vouloir bien gagner sa vie. L’émancipation de la femme passe par là. Je viens d’un secteur, le bâtiment, je suis architecte de métier et, à un moment donné, vous avez peut-être lu, entendu cela, dans les 80/90 on disait « waouh, génial, la profession d’architecte se féminise terriblement, génial ! ». En fait on voit bien que ça correspondait à une période où cette profession-là se paupérisait.
Cette petite anecdote, cette petite alarme qu’il faut que nous ayons tous en tête : l’émancipation des femmes, quel que soit le domaine, va passer aussi par l’émancipation financière et la tech, pour moi, est un excellent vecteur, d’abord parce qu’on a besoin de femmes et aussi parce que, je le dis toujours aux jeunes femmes « ça paye bien, allez-y mesdames, allez-y ! »

18’34

Delphine Sabattier : Il y a cette partie sensibilisation