Neutralité du net, hégémonie des GAFA : la démocratie prise dans la toile - Deuxème partie

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Titre : Neutralité du net, hégémonie des GAFA : la démocratie prise dans la toile

Intervenants : Benjamin Bayart - Sébastien Soriano - Guillaume Erner

Lieu : France culture - Émission Les invités du matin - Deuxième partie

Date : décembre 2017

Durée : 24 min

Écouter le podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Statut : Transcrit MO

Transcription

Guillaume Erner : Se dire qu’aller à Cahors juste avant les fêtes pour faire ses courses en canards et autres choses. Mais on va parler d’autre chose concernant Cahors, concernant ses zones grises et ses questions d’accès à Internet et au téléphone mobile puisque nous sommes en compagnie non seulement de Benjamin Bayart qui est président de la Fédération des Fournisseurs d’Accès à Internet associatifs, qui peuvent permettre donc de combattre les zones grises, mais aussi de Sébastien Soriano qui est président de l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes, autrement dit de l’ARCEP. Sébastien Soriano, on a entendu cette annonce hier de SFR. SFR avait promis de fibrer la totalité de la France, autrement dit donc d’installer la fibre optique pour permettre à tout le monde d’avoir accès à Internet et finalement SFR renonce, probablement pour des questions relevant des finances de l’entreprise. Votre réaction ?

Sébastien Soriano : Eh bien écoutez, nous sommes vigilants à ce que SFR, quel que soit son mode d’action, reste un opérateur très engagé dans l’investissement. La France est extrêmement en retard dans la couverture du territoire. Nous sommes le 28e pays européens sur 29 en accès à Internet fixe à très haut débit et le 24e pays sur 28, pardon pas sur 29, en accès à la 4G mobile.

Guillaume Erner : Ça veut dire quoi ? Il y a beaucoup trop de zones grises.

Sébastien Soriano : Il y a beaucoup trop de zones blanches ; ça ne va pas assez loin. Et donc il faut que le secteur des télécoms, les opérateurs, investissent massivement pour couvrir les territoires.

Guillaume Erner : Pourquoi ils ne le font pas ?

Sébastien Soriano : Ils ne l’ont pas assez fait par le passé, sans doute parce qu’ils ont été trop accaparés par des guerres de prix et donc nous notre régulation vise à responsabiliser les opérateurs aussi pour qu’ils investissent dans les réseaux. Je ne vais pas rentrer dans les détails des mesures que nous avons prises, mais nous avons pris une batterie de mesures qui a permis maintenant l’investissement de 25 % en trois ans. Alors j’en reviens à SFR. SFR doit maintenir un investissement fort et nous avons été heureux lorsqu’ils ont dit qu’ils avaient des ambitions importantes.

Guillaume Erner : Donc vous êtes heureux maintenant.

Sébastien Soriano : C’est plus compliqué parce que pour autant les annonces de SFR ont contrarié un certain nombre de territoires qui s’étaient déjà engagés dans des projets de couverture. Donc l’annonce de SFR, ce n’est pas tant une annonce de renoncer à des ambitions, c’est une annonce de réalisme, pour composer avec ces territoires, pour être plus dans une logique de partenariat qu’une logique de concurrence. Et à cet égard nous pensons que c’est un geste de raison de la part de SFR et nous espérons que ça ne se traduise pas par moins d’ambition de la part de cet opérateur.

Guillaume Erner : Il y a quelque chose quand même qui n’est pas très clair à ce sujet. Lorsque l’on décide donc de développer la fibre, la fibre ça coûte très cher ; il y a un réseau qui, à priori, pourrait fonctionner c’est le réseau des fils de cuivre, autrement dit de l’ADSL qui permet l’accès à Internet alors certes peut-être moins vite mais en tout cas ça permet d’avoir accès à Internet. Pourquoi l’ARCEP, pourquoi le gouvernement ne fait-il pas l’accès à Internet via l’ADSL sur la totalité du territoire, Sébastien Soriano ?

Sébastien Soriano : Eh bien parce que les électrons .

Guillaume Erner : Qui sont à l’intérieur des fils.

Sébastien Soriano : Qui se baladent dans ces fils de cuivre, eh bien vous savez, quand ils doivent faire une trop longue distance, ils se fatiguent et donc ils n’arrivent pas à porter un débit internet suffisamment important lorsque la ligne est trop longue. Or la ligne téléphonique a été construite dans les années 70-80 pour faire du téléphone, pas pour faire de l’Internet. Et donc la physique a la vie dure, et dans 70 % des lignes téléphoniques françaises, c’est-à-dire en dehors de toutes les agglomérations, eh bien ça n’est pas possible d’avoir plus de 30 mégabits.

Guillaume Erner : Même si on fait des relais ?

Sébastien Soriano : Voilà, absolument. Quelle que soit l’électronique qu’on met aux deux bouts de ce fil de cuivre. Et donc il y a un énorme chantier national qui est de remplacer cette infrastructure de cuivre par un nouveau réseau, tout neuf, en fibre optique et ça, évidemment, ça coûte cher.

Guillaume Erner : Ça coûte cher, mais on se dit que c’est important puisque vous dites qu’il y a beaucoup de zones grises. Il y a des zones grises en matière d’accès à Internet et des zones grises en matière d’accès au téléphone mobile. Alors là c’est une autre problématique, parfois c’est la double peine, ça se situe dans les mêmes zones et là aussi qu’est-ce que vous préconisez Sébastien Soriano ? Qu’est-ce qu’il est possible d’espérer ?

Sébastien Soriano : Sur le fixe et l’Internet très haut débit il y a déjà un plan et le gouvernement devrait annoncer aujourd’hui une accélération de ce plan. Mais nous à l’ARCEP, ce qu’on constate c’est que aujourd’hui, la réalité des Français, c’est que le mobile est devenu leur mode d’accès par défaut au réseau. Et donc il y a une urgence absolue à accélérer la couverture du territoire en mobile en 4G.

Guillaume Erner : Mais concrètement ça veut dire quoi ?

Sébastien Soriano : Concrètement ça veut dire qu’il faut que les opérateurs mobiles installent des nouveaux pylônes, je sais ce n’est pas très joli, dans les zones rurales qui permettent d’accroître la couverture, d’accroître la qualité et que sur ces poteaux ils n’amènent pas seulement la 2G, la 3G, mais qu’ils amènent aussi la 4G, la data, ce qui permet d’accéder à Internet.

Guillaume Erner : À quelle échéance ?

Sébastien Soriano : Le secteur mobile est un secteur qui investit beaucoup donc ça ne peut être que progressif. Donc il faut que ce soit un effort progressif.

Guillaume Erner : Ça veut dire quoi ? Sur quelles dates, parce que là on a l’impression que ça fait déjà beaucoup d’années que c’est attendu, y compris dans des centres-bourgs qui ne sont toujours pas couverts. Je vois dans la Drôme, il y a des centres-bourgs qui sont des zones grises.

Sébastien Soriano : Bien sûr. Il y a une première chose, c’est d’apporter la 4G où il n’y a que la 2G et la 3G. Et ça, c’est quelque chose qui peut se faire assez rapidement parce qu’il suffit, en gros, de mettre à niveau un certain nombre d’équipements sur des pylônes qui existent déjà. Ça ça peut se faire, je ne sais pas, en deux ou trois ans. Ce qui est plus difficile c’est de construire des nouveaux pylônes, parce qu’il faut des autorisations, il faut les installer, ça coûte de l’argent. C’est ça qui ne peut être que progressif et donc c’est difficile, pour moi, de vous donner un chiffrage précis parce qu’on a trop parlé aux Français en matière de pourcentage de la population en disant « ne vous inquiétez pas 99 % est couvert, 99,5 ». Moi je ne veux pas me lancer dans ce genre d’exercice. Nous ce que nous avons proposé au gouvernement pour être concrets, c’est d’avoir un deal avec les opérateurs, qui soit gagnant pour tout le monde. Les opérateurs utilisent des fréquences qui sont la propriété de la nation, comme les radios d’ailleurs, et ces fréquences, d’habitude, on les fait payer aux opérateurs avec des enchères parfois très juteuses qui se comptent en milliards d’euros. Nous ce que nous proposons au gouvernement, pour une fois, c’est de faire une opération dans laquelle au lieu de demander aux opérateurs des grandes sommes d’argent on leur demande des engagements extrêmement forts, plusieurs milliards d’euros d’investissement pour couvrir les zones rurales. Nous avons fait une proposition très documentée en ce sens au gouvernement, il y a une dizaine de jours maintenant. Le gouvernement est donc dans un dialogue avec les opérateurs pour arriver à ce résultat. Nous pensons que c’est indispensable pour répondre à l’exaspération des Français dans les zones rurales.

Guillaume Erner : Benjamin Bayart, votre point de vue là-dessus ? Et je vous pose la question parce que vous êtes président de la Fédération des Fournisseurs d’Accès à Internet associatifs, autrement dit des gens qui décident de se réunir pour avoir accès à Internet, par exemple dans les zones grises.

Benjamin Bayart : Oui. Par exemple. La fédération est composée d’une trentaine de fournisseurs d’accès à Internet associatifs. Il y a des types d’opérateurs très différents, mais l’un des types d’opérateurs ce sont des gens qui en avaient marre de ne pas avoir de réseau chez eux et qui ont décidé de le fabriquer. Parce que effectivement, soit on attend qu’un grand groupe industriel, piloté par trois polytechniciens et deux énarques, dans son plan d’investissement vienne couvrir le centre-bourg en 2030.

Guillaume Erner : Parce que ça serait plutôt en 2030 !

Benjamin Bayart : Soit on se dit qu’est-ce que je peux faire moi, la semaine prochaine, pour qu’il y ait du réseau chez moi ? Et en fait, les techniques ne sont pas hypers complexes. Il vaut mieux avoir des petites bases en informatique. C’est un peu plus compliqué que la borne Wifi qu’il y a dans votre salon, mais pas beaucoup plus et on sait faire des choses. La grande différence c’est qu’on ne va pas attendre que un opérateur vienne. On va décider de prendre les trois, quatre, cinq, dix, qui savent faire un petit peu d’informatique, qui ont un peu de temps libre, et on va regarder comment on construit le réseau. OK ! Comment on construit un réseau chez nous. En général on ne déploie pas de la fibre parce que les techniques sont relativement complexes. Quand on dit que la fibre est chère il ne faut pas se tromper. Le fil de cuivre coûte très cher et le fil de fibre, c’est-à-dire la fibre optique elle-même ne coûte rien. C’est du verre, donc c’est du sable, ça ne coûte rien par rapport au cuivre. En revanche, c’est faire des trous partout pour poser les tuyaux qui coûte cher. Donc ça, quand on n’a pas envie de le faire et qu’on veut couvrir des zones blanches, on fait ça avec du Wifi et on a moyen de faire des très hauts débits, très corrects avec du Wifi.

Guillaume Erner : Mais justement, on a l’impression que de plus en plus, Benjamin Bayart, l’utopie initiale d’Internet qui est donc d’avoir des fournisseurs d’accès associatifs, d’avoir des logiciels open data ou en tout cas des logiciels libres que l’on peut bidouiller dans son coin, des services sympathiques qui permettent, par exemple, de partager le canapé du salon, tout cela a basculé dans une autre dimension beaucoup moins libertaire, beaucoup plus business ; vous m’avez dit beaucoup plus orientée vers les affaires et finalement peut-être beaucoup plus inquiétante.

Benjamin Bayart : Beaucoup plus inquiétante oui, parce que, en général, ces grands groupes industriels ont une logique qui n’est pas, comment dire, qui n’est pas très éthique. Il ne faut pas croire que cet Internet utopique des débuts, du partage, etc., aie disparu. En revanche il a disparu presque entièrement des médias, pour une raison simple, les journalistes regardent essentiellement le chiffre d’affaires. On peut dire « Google est un grand groupe », mais on n’est pas capable de dire « le mouvement associatif est un grand groupe » parce qu’il ne fait pas du milliard d’euros de chiffre d’affaires. Donc c’est très compliqué. En fait, vous ne pouvez pas parler de 6 000 associations qui font chacune quelque chose, c’est trop compliqué à appréhender vu de loin. En local, on est identifié. Je prends un exemple très simple : ce qu’on fait dans l’Yonne.

Guillaume Erner : Où ça dans l’Yonne ?

Benjamin Bayart : Dans plein de petites villes de l’Yonne, le réseau fait presque 180 km de long, donc on sort un peu du département. L’opérateur local c’est SCANI, c’est une société coopérative, sans but lucratif, qui construit du réseau et qui a raccordé plusieurs centaines d’abonnés sur plusieurs dizaines de villages, et qui va raccorder la petite maison perdue qui n’est même dans le hameau, la ferme isolée. Et comment on fait ? Eh bien on met des relais en Wifi sur le silo à grains, sur le clocher de l’église, et on fabrique du réseau comme ça et on a même, en rase campagne, 30 ou 50 mégas.

Guillaume Erner : Et une fois qu’on a le réseau on peut se connecter à Facebook, et là les ennuis commencent tout simplement parce que hier, vous l’avez peut-être entendu, l’ex vice-président en charge de la croissance de l’audience de Facebook, déjà tout un programme, a déclaré des choses assez inquiétantes. Il s’appelle Chamath Palihapitiya. On l’écoute.

Voix du traducteur : Je peux contrôler les choix de mes enfants ; ils ne sont pas autorisés à utiliser cette merde. Je me sens extrêmement coupable. Nous avons créé des outils qui déchirent le tissu social sur lequel est fondé notre société. C’est vraiment là où nous en sommes. Vous n’en avez pas conscience, mais vous êtes programmé. Ce n’était pas intentionnel. Maintenant c’est à vous de décider à quel point vous êtes prêt à renoncer à votre indépendance intellectuelle. Nous organisons notre vie autour de cette fausse image de la perfection parce que nous sommes récompensés par des signaux instantanés, cœur, likes, pouces bleus et on leur donne de l’importance et on les confond avec la vérité. C’est juste mauvais !

Guillaume Erner : Un ex vice-président donc de Facebook qui explique que grosso modo ce service a apporté la peste et le choléra aux humains et notamment aux enfants. Sébastien Soriano, vous présidez l’ARCEP, l’autorité de régulation, qu’est-ce que l’on peut faire ? Qu’est-ce qu’il y a de vrai là-dedans ?

11’ 43

Sébastien Soriano : C’est assez intéressant ce mouvement des repentis.