Neutralité du net, hégémonie des GAFA : la démocratie prise dans la toile

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Titre : Neutralité du net, hégémonie des GAFA : la démocratie prise dans la toile

Intervenants : Benjamin Bayart - Sébastien Soriano - Guillaume Erner

Lieu : France culture - Émission Les invités du matin -Première partie

Date : décembre 2017

Durée : 16 min

Écouter le podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Statut : Transcrit MO

Transcription

Guillaume Erner : J’espère que mes invités vont être loquaces ce matin, surtout que l’on va rester aux États-Unis, puisque la décision qui est attendue aujourd’hui ce serait celle que Donald Trump mette fin à la neutralité du Net avec beaucoup de conséquences, comme on va le voir, en compagnie de Sébastien Soriano. Bonjour. Vous êtes président de l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes. À côté de vous se trouve Benjamin Bayart. Vous êtes président de la Fédération des Fournisseurs d’Accès à Internet associatifs et cofondateur de La Quadrature du Net. On va commencer par des définitions, Benjamin Bayart, la neutralité du Net qu’est-ce que ça signifie ?

Benjamin Bayart : En fait, ça signifie que l’opérateur du réseau n’opère du réseau n’opère pas de discrimination ni sur la source, ni sur la destination, ni sur le contenu. Ça a plein de petites conséquences. Ça veut dire que je sois en train de regarder un film commercial, par exemple le Star Wars qui sort, ou un contenu publicitaire, ou un film amateur, mon fournisseur d’accès à internet doit le transporter en faisant les mêmes efforts. Ça paraît être du bon sens. Quand j’envoie une lettre par la poste, que ce soit une lettre gentille ou une lettre méchante, le facteur la transporte de la même manière. La neutralité du Net, sur le principe, c’est ça. Après, ça a des conséquences économiques plus complexes et c’est réalisé de manière technique de manière plus complexe.

Guillaume Erner : Oui. Précisément, sur le plan technique, comment s’y prendre ? Parce que moi je me représente Internet comme des tuyaux ; ces tuyaux peuvent aller plus ou moins vite ?

Benjamin Bayart : Oui et non. Et surtout ils peuvent être plus ou moins gros.

Guillaume Erner : Expliquez-nous ce que ça signifie.

Benjamin Bayart : Regardez ça non pas comme des tuyaux, mais comme des routes. Il y a la ville Facebook qui vous intéresse beaucoup, vous voulez y aller tous les matins. Vous vous habitez dans la vile Orange ; pour aller entre les deux il y a un petit chemin vicinal. Démerdez-vous ! Si on y met une autoroute, vous y allez plus vite ; si on y met un petit chemin, vous y allez moins vite. Choisir la taille des tuyaux qui servent à faire l’interconnexion du réseau, qui servent raccorder les différents points du réseau, ça structure la vitesse à laquelle ça peut aller.

Guillaume Erner : J’imagine que le réseau des routes est extrêmement compliqué sur Internet. Est-ce qu’un fournisseur d’accès a la possibilité de construire des routes spécifiques vers certains sites ? Est-ce que c’est humainement faisable d’envisager quelque chose de ce type, Benjamin Bayart ?

Benjamin Bayart : Oui ! C’est tout à fait possible à envisager, c’est même relativement simple. Un petit opérateur, vraiment petit, a entre 200 et 500 interconnexions. Les gros en ont plutôt 25 ou 30 000. Donc oui, c’est tout à fait possible à faire. Et surtout, l’élément important à comprendre, c’est que le fournisseur d’accès à Internet est quelqu’un qui a un gros pouvoir de nuisance. C’est-à-dire non seulement il peut sous dimensionner certaines routes, mais il peut aussi décider de nuire. Il peut décider de bloquer.

Guillaume Erner : Pour nuire à qui ?

Benjamin Bayart : C’est une question de point de vue. S’il empêche l’accès à un site ou s’il ralentit à un site on peut considérer qu’il nuit au site, ou on peut considérer qu’il nuit à l’internaute. Ou bien il nuit au site parce qu’il détruit son business ; ou bien il nuit à l’internaute parce qu’il porte atteinte à sa liberté d’accéder à l’information et à sa liberté d’accéder à du contenu.

Guillaume Erner : Pourquoi déciderait-il de nuire à un site ? Quelles sont les logiques commerciales, puisque évidemment il s’agit de cela ?

Benjamin Bayart : La logique commerciale, la plus facile à expliquer c’est celle que m’a faite un ancien patron d’une époque où j’ai bossé chez certain grands opérateurs, je ne dirai pas lequel, qui était très triste parce que l’entreprise dans laquelle on bossait dépensait des centaines de millions d’euros pour faire des trous dans les trottoirs, poser des bouts de réseau, envoyer des box chez les clients, etc.

Guillaume Erner : On ne voit vraiment pas de qui il s’agit !

Benjamin Bayart : Et qu’en échange de tous ces efforts-là, on touchait 30 euros par mois du client. À côté Meetic. Meetic, ils ne font pas un seul trou dans un trottoir, je pense qu’ils ne font même pas un trou dans un mur. Ils mettent à disposition une base de données, un site web un peu bien fichu et les gens s’abonnent en payant 30 euros par mois. Et lui il dit : « Ça me fait chier, je veux ma part ! » C’est exactement un raisonnement de mafieux.

Guillaume Erner : C’est-à-dire quoi ? Faire du chantage à tel ou tel service en disant « si vous souhaitez que les utilisateurs accèdent dans de bonnes conditions à vos services, il va falloir payer ? »

Benjamin Bayart : Oui. C’est exactement le principe du racket mafieux. « Ce serait dommage que votre petit business subisse des avanies, quand on pense qu’il suffirait que vous nous versiez 10 %. »

Guillaume Erner : Ça tombe bien Benjamin Bayart parce qu’à côté de vous il y a le shérif français Sébastien Soriano. Vous, vous êtes le président de l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes. Est-ce que la neutralité du Net est respectée aujourd’hui en France ?

Sébastien Soriano : Oui, globalement. Déjà la première chose, c’est qu’il y a des règles du jeu qui existent, qui ont été posées par un règlement européen en 2015. Donc un règlement européen, il faut savoir que c’est un acte politique assez fort, puisque ça suppose un consensus entre toutes les institutions européennes. Et donc ce règlement européen pose un principe de non-discrimination et de droit d’accès des utilisateurs à Internet. Pour prendre un peu, pour filer un peu la métaphore qui a été présentée précédemment, je dirais que la neutralité du Net c’est un peu la liberté de circulation dans l’univers virtuel. Cette liberté. aujourd’hui. est garantie par les régulateurs des télécoms, qui est notre travail en France à l’ARCEP ; c’est-à-dire que nous contrôlons, on met des radars, un peu pour continuer dans cette métaphore, nous contrôlons, en fait, que les opérateurs ne sont pas en train de créer plusieurs internets. Donc pour ça nous avons un certain nombre instruments et aujourd’hui nous considérons que la neutralité du Net est globalement respectée en France, pour tout un tas des raisons sur lesquelles je peux revenir. Il y a évidemment des petits cailloux sur lesquels on travaille, mais globalement ça fonctionne bien.

Guillaume Erner : On parle de petits cailloux. Par exemple un caillou, vous allez nous dire si c’est un gravier ou quelque chose de plus important. On dit, par exemple, que lorsqu’on est sur SFR et qu’on cherche à accéder à Skype, ce n’est pas forcément évident. C’est vrai ? C’est faux ? Sébastien Soriano.

Sébastien Soriano : Ça fait partie des choses que nous devons contrôler. Si c’est vrai c’est mal, c’est interdit ; c’est susceptible d’être sanctionné jusqu’à 3 % du chiffre d’affaires de l’opérateur concerné, donc ça fait partie typiquement des choses qu’on doit regarder. Ce qu’on a « nettoyé », entre guillemets, depuis l’entrée en vigueur de cette neutralité du Net, ce sont les pratiques les plus triviales, les blocages techniques qui existaient.

Guillaume Erner : D’accord.

Sébastien Soriano : Par exemple le fait que votre abonnement à Internet vous interdise de faire du peer-to-peer, ça, ça n’est pas possible. Ça ont l’a levé.

Guillaume Erner : Le peer-to-peer, il faut expliquer en quoi ça consiste.

Sébastien Soriano : Ce sont les échanges pair à pair entre les réseaux, typiquement pour s’échanger des fichiers informatiques.

Guillaume Erner : Parfois un peu de pirate aussi !

Sébastien Soriano : Nous ne regardons pas la nature des échanges. Le peer-to-peer peut être pour de très bonnes ou de très mauvaises raisons. Nous ne sommes pas le gendarme des contenus.

Guillaume Erner : D’accord. Vous êtes là pour assurer la fluidité de tuyaux. On a l’impression également du côté, cette fois-ci, des opérateurs commerciaux que, finalement, c’est un service ouvert à la concurrence et donc s’ils veulent faire des routes à plusieurs vitesses eh bien ils devraient pouvoir le faire. Quel est le point de vue du président de l’ARCEP, Sébastien Soriano ?

Sébastien Soriano : Eh bien nous pensons que les réseaux de communication ne sont pas une marchandise comme les autres, parce que ce sont des infrastructures sur lesquelles se construit la société et l’économie numérique de demain, c’est-à-dire notre futur. Et ces infrastructures doivent se développer comme un bien commun, pour reprendre une expression de Jean Tirole, notamment avec son ouvrage Économie du bien commun. Et le travail du régulateur ça n’est pas de se substituer au marché, je ne suis pas en train de dire qu’on va nationaliser les opérateurs, mais c’est de faire en sorte que le marché se développe au service d’un intérêt général pour la société. Et donc que les opérateurs qui véhiculent l’ensemble des informations, tout l’Internet, c’est-à-dire vraiment la société de demain respectent un certain nombre de règles du jeu.

Guillaume Erner : Benjamin Bayart pour La Quadrature du Net qui est, je le précise d’ailleurs, une association qui milite pour la liberté pleine et entière sur le Net, qu’est-ce que vous en pensez de ce que vient de dire Sébastien Soriano ?

8’ 02

Benjamin Bayart : Je suis globalement d’accord, pas totalement pour les mêmes raisons .