NFT, pourquoi ce succès

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Titre : NFT, pourquoi ce succès ?

Intervenant : Stéphane Bortzmeyer

Lieu : Parinux - Soirées de Conversation du Libre

Date :

Durée : 53 min 38

Podcast


Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Les NFT sont à la mode en ce moment : leurs partisans mettent en avant le fait qu’ils permettent d’introduire de la rareté, dans le monde du numérique où la copie est au contraire facile et bon marché. Comment font-ils, techniquement ? Quels sont les pièges ? Et, même si ça marche, est-ce une bonne idée ?

Transcription

??? quelque chose il faut déjà se demander à quoi ça sert. Quel est le problème que ça essaye résoudre ? Qu’est-ce qu’on veut faire.

NFT, vision d’en haut

D’abord une vision d’en haut. Je pense que ça va beaucoup frustrer les gens qui sont informaticiens, vous allez dire « je ne comprends pas, c’est impossible comme truc, ça ne peut marcher ! ». Je vous demande d’être patients. On en parlera après. Il faut d’abord comprendre ce qu’on essaye de réaliser.

NFT veut dire Non-fungible tokens, personne ne comprend ce que ça veut dire, ce n’est pas grave. Ça veut résoudre un problème.
Je ne sais pas si vous avez lu le roman Solaris de Stanislas Lem par exemple. C’est de la science-fiction. Les explorateurs sont dans une fusée en orbite autour d’une planète. Il se passe tout un tas de phénomènes rigolos, notamment les morts ressuscitent à bord du vaisseau et on ne meurt plus. Il y a un type, dans l’expédition, que ça dérange. Il trouve que ça casse l’ordre normal des choses donc il cherche des solutions, il cherche comment empêcher que les gens vivent éternellement. C’est assez rigolo parce que, intuitivement, on a l’impression que tout le monde serait ravi qu’on puisse vivre éternellement, que les morts ressuscitent, mais il y a un type que ça dérange.
Dans le monde du numérique la copie est simple, rapide, pas chère. C’est un gros du numérique, c’est la raison pour laquelle on l’a inventé, c’est super, on peut faire des copies, mais il y a des gens que ça dérange. Il y a des gens que ça dérange. Ce qui dérange surtout c’est, du fait que la copie est simple, rapide et pas chère, les biens sont non-rivaux. « Non-rival » c’est un terme d’économie qui désigne le fait que si une personne utilise un bien cela ne gêne pas les autres. Typiquement, je lis un article sur Wikipédia, ça n’affecte pas votre capacité à le lire aussi. Je ne vais pas user l’article en le lisant. Au contraire, les pains au chocolat sont rivaux. Si je mange un pain au chocolat, vous ne pouvez plus le manger après.
Donc ce sont des caractéristiques importantes du numérique et positives. Moi je trouve que c’est une bonne chose, mais il y a des gens que ça dérange. Les gens que ça dérange préféreraient la rareté parce que quand il y a de la rareté il peut y avoir un marché, on peut vendre. C’est difficile de vendre quelque chose qui est copiable de manière triviale, comme on l’a vu des tas de fois. Donc pas mal de gens préféreraient un système où il y a de la rareté et de la rivalité. Le but fondamental des NFT c’est de recréer de la rareté et de la rivalité alors que l’humanité a bossé pendant des siècles pour mettre au point une technique, l’informatique, qui ne permet de ne plus avoir, en tout cas pour l’information, de rareté et de rivalité.
De ce point de vue-là on peut comparer ça aux DRM. Comme les DRM, ça va essayer de rendre un bien qui normalement est simple, rapide et pas cher à copier, en quelque chose qui est difficile à copier.
Pour répondre à Clotilde, DRM ce sont les menottes numériques, ça veut dire Dgital rights management. C’est l’ensemble des techniques qui empêchent de copier un fichier numérique. Par exemple sur Netflix ou d’ailleurs sur Salto, les films sont diffusés en utilisant des techniques qui font qu’on ne peut pas facilement capter le flux vidéo que vous envoie Netflix pour le copier et le distribuer à ses copains.

NFT, applications pratiques

À quoi ça peut servir, comme ça, cette rareté, cette rivalité ? La grosse utilisation à laquelle on pense c’est le marché de l’art. Traditionnellement, le marché de l’art propose ce caractère unique de l’objet. Un peintre fait un tableau.
Donc les applications pratiques c’est le marché de l’art qui, traditionnellement, repose sur ce côté unique. Léonard de Vinci peint La Joconde, il n’y en a qu’une, à partir de là elle vaut plus cher. S’il y avait un moyen, on parlait de science-fiction, comme dans la science-fiction, s’il y avait des duplicateurs de matière qui produisent un million de Joconde, on ne pourrait pas la vendre de la même façon.
Ce n’est pas tout à fait vrai que tout l’art repose là-dessus. Dans le domaine de la sculpture ça fait très longtemps qu’il y a des cas où le sculpteur fabrique un moule et ensuite on peut en tirer pas mal d’objets. Évidemment de nos jours, avec une imprimante 3D, c’est encore plus facile. Mais une grande partie du marché de l‘art repose sur cette idée d’unicité et on va essayer, avec les NFT, de le recréer.
Un autre intérêt du marché de l’art pour les NFT, c’est que c’est un marché qui est largement irrationnel où on peut faire n’importe quoi, ça marchera toujours et puis ça n’est pas perçu comme un problème si on met des limites. Si vous mettez des limites, via un brevet, à un médicament, par exemple un vaccin contre la Covid 19, on va dire que vous êtes méchant. Alors que dans le domaine de l’art vous pouvez faire ce que vous voulez.
Ça permet, en fait, de retrouver la notion d’œuvre unique qu’on avait perdue avec le numérique. C’est un côté un peu paradoxal, le numérique nous donnait l’abondance, on veut restreindre cette abondance pour revenir à la rareté, pour faire un marché intéressant.

Ça ne s’applique qu’à l’art. La grosse utilisation des NFT ce sont tous les trucs qu’on collectionne, genre cartes Pokémon, photos de joueurs de baseball. L’idée c’est que ce n’est pas complètement copiable, ce ne sont pas des objets uniques, mais ce ne sont pas non plus des objets qui sont en quantité illimitée. Donc ça peut bien se prêter à l’utilisation des NFT.

Arrivé là, les informaticiens dans la salle sont déjà passés en PLS, ils disent « ce n’est pas possible on ne peut pas empêcher la copie, on peut toujours copier des bits, ce n’est pas infaisable ». Si vous êtes un de ces barbus, libristes, qui n’utilisent que du logiciel libre et qui ne veut pas écouter les messages de la Hadopi, vous allez avoir la réaction qui est de dire « ça ne peut pas marcher. C’est forcément une escroquerie, ça ne peut pas marcher ! »
Dans ce cas-là c’est un peu plus compliqué. On va voir après comment ça fonctionne. C’est vrai qu’on peut toujours copier des bits. Pour expliquer à Clotilde j’avais pris l’exemple de Netflix qui avait des DRM, vous pouvez toujours, par exemple quand vous regardez un film sur Netflix, filmer votre écran et diffuser ; la qualité sera moins bonne, mais si c’est bien fait ça peut être acceptable. C’est pour ça que les libristes disent souvent que les DRM ça ne marche pas. Si on est prêt à mettre suffisamment d’efforts, à accepter des inconvénients, effectivement vous pouvez dire que ça ne marchera pas parfaitement. Mais, en général, les gens qui sont dans le business ne demandent pas un truc qui marche parfaitement, ils ne demandent pas un truc qui marche dans tous les cas. Ils demandent un truc qui marche suffisamment pour qu’on puisse se rapporter de l’argent par-dessus. Le fait qu’il y ait des copies faciles, il suffit de les rendre difficiles, pas impossibles parce que, effectivement, c’est en général impossible. Je le disais à GNUtoo, une solution simple c’est qu’on filme l’écran et ça c’est impossible de l’empêcher. On ne peut pas complètement l’empêcher, mais on peut le rendre difficile.
Les NFT ça va être, en pratique, l’idée que les copies sont toujours possibles, mais, en tout cas, on va essayer de faire en sorte qu’il y ait quelque chose qui soit difficile à copier. Et c’est l’idée astucieuse de NFT, c’est en ça que c’est plus astucieux que les DRM, techniquement ça marche mieux que les DRM.

NFT, première étape

Comment on fait des NFT ?
La première étape pour un NFT, vous partez d’un fichier numérique. Les NFT c’est conçu pour le monde numérique. On peut toujours partir de quelque chose qui est un concept ou une idée. À priori, le but des NFT c’est de faire des choses avec des fichiers numériques. Le fichier numérique ça peut être une image, ça peut être un son, ça peut être un fichier pour une imprimante 3D, ce qu’on veut, un bête fichier numérique donc des bits.
Ensuite vous ajoutez des métadonnées. C’est une étape importante, parce que juste un fichier numérique ça ne vous dit rien. Ce qu’il faut, c’est avoir des métadonnées qui vont certifier des choses. Par exemple vous allez avoir une métadonnée qui va être « la Hadopi vous garantit que cette chanson est bien une chanson de Emma Leprince ».,donc que c’est une chanson authentique et pour ceux qui ne connaissent Emma Leprince, je pense que tout le monde connaît Emma Leprince, mais sinon j’ai mis la vidée dans les liens, ne regardez pas tout de suite parce que ça vous empêchera d’écouter. Dans la chanson, dans le clip de la Hadopi, Emma Leprince est censée enregistrer en 2022. Donc l’année prochaine tout le monde pourra rigoler en disant « il n’est pas sorti le clip d’Emma Leprince, c’est nul ! »
Ces métadonnées sont une étape très importante de NFT, ça jouera un rôle important, ça certifie des choses : une date, un auteur, des choses comme ça.
Une fois que vous avez le fichier numérique et ses métadonnées, vous signez cryptographiquement, donc une bête signature cryptographique que vous faites avec PGP, OpenSSL, ce que vous voulez, peu importe, vous signez.
Qui est le « vous » ? C‘est ça qui est intéressant. Il y a un acteur, quelque part, qui n’est pas forcément l’auteur du fichier numérique. C’est un acteur quelconque, c’est pour ça que je commence par « vous » prenez un fichier numérique, ce n’est pas forcément vous qui l’avez fait. Vous prenez un fichier numérique qui existe, vous mettez les métadonnées et ensuite vous faites une signature cryptographique. À partir de là il n’y aura de là plus de modifications possibles, ni au fichier numérique, ni aux métadonnées, sinon ça invalidera la signature.
Là on reste dans le classique, une signature cryptographique c’est un vieux truc, il n’y a rien de très nouveau.

L’étape suivante, on transforme ça en vrai NFT, nécessite de réviser ce que sont les contrats automatiques, parce que sans contrat automatique, il n’y a pas de NFT.

Rappel sur les contrats automatiques

Contrat automatique, vous verrez souvent le terme de <em<Smart Contracts, c’est en anglais donc ça fait mieux, c’est comme quand on dit open source au lieu de logiciel libre. En plus c’est bien quand c’est smart. Le terme est très mauvais, tout à fait inadapté, pas seulement parce que c’est du marketing, mais aussi parce qu’on ne demande pas à ces contrats d’être smarts, au contraire, on leur demande plutôt d’être bêtes puisqu’ils vont devoir faire quelque chose de validable.
Un contrat automatique c’est un programme. Le mot « contrat » est d’ailleurs est lui-même contestable. C’est un programme qui va être exécuté sur une chaîne de blocs, il y a une chaîne de blocs dans le lot, et par tous les nœuds de la chaîne de blocs, puisque le principe d’une chaîne de blocs – une vraie chaîne de blocs, pas les machins qu’on vous vend en disant Private bloc chain ou ???, une vraie chaîne de blocs – c’est de pair à pair. Les différents nœuds qui exécutent le code qui gère la chaîne de blocs ne se connaissent pas, ne s’aiment pas, ne se font pas confiance, donc il faut qu’on arrive à un consensus alors que les différents acteurs ne sont pas forcément d’accord, sympas, ne se font pas forcément confiance.
Pour ça, tous les nœuds vont exécuter le programme, en utilisant que des données qu’il y a dans la chaîne de blocs, ils vont mettre le résultat dans la chaîne de blocs. Comment tout le monde fait les mêmes calculs, chacun peut vérifier que le résultat est correct, parce que tout le monde voit que oui, on a vu la même chose.
C’est ça qui fondamentalement permet à la chaîne de blocs de fonctionner.
Par exemple dans le cas de bitcoin, le programme exécuté est beaucoup plus trivial, ce sont simplement des transferts d’argent. Il y a aussi le minage, mais il y a surtout du transfert d’argent. Alice donne de l’argent à Bob. Comme tous les nœuds de la chaîne bitcoin ont fait la même opération, tous peuvent vérifier combien Alice a avant, combien elle a après, combien a Bob avant, combien il a après, et se mettre d’accord. Le but de la chaîne de blocs c’est qu’on arrive à un consensus alors que les acteurs ne se font pas confiance.
L’idée du contrat automatique va un peu plus loin que bitcoin, les programmes qu’on exécute ce n’est pas seulement des transferts d’argent, ce sont des programmes quelconques. En termes techniques, des programmes écrits dans un langage de Turing, exécutés par une machine de Turing, c’est-à-dire un calculateur universel.
Tout ça ce sont des grands mots, mais un langage de Turing, c’est simplement un langage de programmation où on peut faire ce qu’on fait dans tous les autres langages de Turing. Par exemple, si vous avez écrit un programme en PHP, vous pouvez faire un programme en LISP qui fait la même chose, et réciproquement. Les deux langages sont équivalents dans le sens de Turing, c’est-à-dire que vous pouvez tout programmer. C’est plus ou moins facile, c’est plus ou moins agréable, mais vous pouvez tout programmer.
Donc dans les contrats automatiques, on peut tout programmer.

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Puisqu’on peut tout programmer, on peut, par exemple, gérer une succession d’achats et de ventes. C’est très simple, c’est très proche de ce que fait Bitcoin. Vous avez quelque chose qui est un bien virtuel, puisque la chaîne de blocs va être virtuelle, c’est tout du numérique, il change de main en main, c’est-à-dire que des gens en utilisant la monnaie de cette chaîne, en utilisant des token, la monnaie de cette chaîne, peuvent acheter, vendre et quelque chose, une donnée numérique, va passer de main en main. Comme tout est enregistré dans la chaîne de blocs et qu’elle est publique, tout le monde peut vérifier qu’il n’y a pas de triche.
Donc voilà le principe des contrats automatiques. Vous voyez d’ailleurs pourquoi ils ne doivent pas être smarts, pourquoi ils doivent être bêtes, c’est que les gens qui confient leur argent au contrat et qui l’utilisent pour faire des choses réelles, il faut pouvoir valider le contrat, vérifier qu’il fait bien ce qu’on croit qu’il fait.
Vous savez que la validation d’un programme c’est une opération compliquée. Je crois que Turing avait montré qu’un truc aussi simple que vérifier qu’un programme s’arrête au bout d’un moment, eh bien c’est impossible. Il n’y a pas de démonstration générale, que ça soit possible, sauf pour des programmes triviaux. Par exemple, c’est trivial de démontrer que ??? s’arrête. Mais, pour la plupart des programmes, ça n’est pas possible. Donc au minimum il faut que le contrat, le programme, soit suffisamment simple pour qu’on puisse le valider. On verra que dans les NFT actuels c’est souvent ça le problème.

Un exemple classique d’une chaîne de blocs qui met en œuvre ce système des contrats automatiques, c’est la chaîne de blocs Ethereum. C’est la deuxième chaîne de blocs. Ce qu’il y a de bien avec des chaînes de blocs c’est que chacun peut choisir son critère où il est le premier. En valorisation, en monnaie fiable, c’est-à-dire en euro, Bitcoin est loin devant. En nombre de nœuds, Ethereum est devant. Donc Ethereum peut se proclamer la première chaîne de blocs, ou la deuxième si on traduit en euros. Toutes les autres sont très loin derrière. Il y a aujourd’hui deux chaînes de blocs publiques sérieuses qui fonctionnement c’est Bitcoin et Ethereum. Toutes les autres trucs sont de l’expérimental, des trucs dans un garage, des choses comme ça. Ethereum permet de faire exécuter des programmes quelconques.
Question GNUtoo : qu’est-ce qui empêche les codes infinis ? C’est que pour exécuter du code, il faut payer. Ça se paye avec de l’essence. L’essence est payée elle-même en ether, la monnaie d’Ethereum. Quand vous voulez faire exécuter un contrat, vous devez sortir de l’essence. Quand il n’y a plus d’essence, eh bien le programme s’arrête. D’ailleurs ça a une conséquence pour les NFT, c’est-à-dire que l’artiste qui veut, par exemple, vendre ses œuvres en NFT, il doit commencer par payer pour que son œuvre soit mise dans la chaîne de blocs et sous la garde du contrat. Il doit commencer par payer alors qu’il n’est pas sûr qu’il vendra quoi que ce soit.

NFT, deuxième étape

Après ce petit détour sur les contrats automatiques, on va passer à la deuxième étape.
À la première étape des NFT on avait juste le fichier numérique et signé des métadonnées, ce qui est banal et ce qu’on faisait avant. Maintenant, la deuxième étape c’est qu’on va mettre ça dans la chaîne de blocs.
Souvent on ne met pas le fichier complet dans la chaîne de blocs, parce que, comme il faut payer, y compris pour le stockage ; il faut tout payer parce que la chaîne de blocs est répartie sur toute la planète. Il n’y a aucune raison que les nœuds qui la composent stockent vos données gratuitement. Tout doit être payé.
En général, le fichier lui-même n’est pas mis dans la chaîne de blocs. On y met un ??? cryptographique ou une autre forme de résumé du fichier et on met le fichier ailleurs. C’est un autre piège des NFT, c’est que le fichier n’étant pas dans la chaîne de blocs, il peut disparaître, il peut être à un endroit, par exemple sur une machine qui est dans un centre de données d’OVH à Strasbourg et puis paf !, ça brûle et le fichier est perdu.
La chaîne de blocs, elle-même, est à peu près indescriptible puisque, rappelez-vous, Ethereum est la chaîne de blocs qui a le plus de nœuds répartis sur toute la planète. Donc la chaîne de blocs elle-même est à peu près indestructible, par contre, comme en général le fichier n’est pas directement mis dans la chaîne, il peut se perdre.

Une fois que vous avez mis ça dans la chaîne de blocs, il y a un contrat automatique qui est chargé de gérer. Qu’est-ce que va faire le contrat automatique ? Il va simplement indiquer quel est, à un moment donné, le propriétaire. Et s’il y a une vente, eh bien le contrat automatique va dire « voilà, si je reçois tant d’ethers, à ce moment-là je transfère à l’adresse qui a envoyé les ethers en question. »
Rappelez-vous qu’un contrat automatique c’est écrit dans un langage Turing, vous pouvez faire ce que vous voulez. Par exemple, un truc qui est fait parfois dans les NFT, c’est qu’un pourcentage de chaque vente est donné à l’artiste originel. C’est-à-dire qu’à sa première vente l’artiste n’arrête pas ses revenus, chaque vente successive lui rapportera de l’argent. C’est une des possibilités qu’on peut faire. En fait, on peut faire ce qu’on veut dans un contrat automatique, c’est ça le principe.
À partir de là, les mécanismes qui garantissent la sécurité de la chaîne de blocs feront qu’il n’y aura qu’un propriétaire du NFT à un moment donné, le dernier qui a payé. C’est donc en ça qu’on dit que les NFT vous permettent d’être propriétaire d’une œuvre. C’est un peu jouer avec les mots. En fait, si on veut être tout à fait rigoureux, la variable « propriétaire du contrat automatique » désigne une personne, plus exactement une adresse dans la chaîne de blocs et c’est elle qu’on va appeler le propriétaire, mais ce n’est pas forcément ce qu’un juriste appellerait propriétaire.

À partir de là vous voyez l’idée, c’est qu’on pourra acheter ou vendre, c’était ça le principe au départ, c’était de créer de la rareté, de l’unicité, pour qu’on puisse retrouver les méthodes classiques du marché de l’art, c’est-à-dire qu’on achète un tableau. Soit on achète un tableau à un artiste reconnu, on le paye cher, on le mettra dans son salon, tout le monde pourra admirer « waouh, vous avez les moyens de vous payer ça », soit on prend des risques, on achète un artiste inconnu, c’est moins cher. S’il devient très connu et que ça rapporte beaucoup d’argent, on est super content, et s’il ne devient pas connu on a perdu son fric, ce sont des choses qui arrivent.
Si vous voulez faire la même chose avec les NFT, vous pouvez mettre l’œuvre dans votre salon et vous dites à tout le monde « j’ai un NFT là-dessus c’est moi le propriétaire », On verra que ça soulève tout un tas de problèmes philosophiques rigolos.

Le fichier de base est copiable, oui, tout à fait. En fait, les NFT ce n’est pas la jouissance, c’est la propriété. Avec un tableau classique, la jouissance et la propriété sont liées. Si vous avez mis le tableau dans votre salon, dans un cadre privé, vous et vos amis êtes les seuls à pouvoir en jouir parce que vous êtes le propriétaire. Par contre, avec les NFT, on sépare les deux. Tout le monde peut continuer à jouir de l’œuvre si elle est disponible quelque part, par contre vous en êtes le seul « propriétaire », mais il va falloir mettre quelques guillemets autour de propriétaire.
Si on perd son portefeuille NFT, demande caps, perd-on la propriété ? Oui, c’est un problème général des chaînes de blocs. D’ailleurs c’est un problème général de tous les trucs fondés sur la cryptographie. Par exemple, dans un domaine que je connais bien, celui des noms de domaines, il y a toujours de petits malins pour dire « les gens qui vendent des noms de domaines sont des voleurs – je crois même qu’il y a un bouquin là-dessus – il vaudrait mieux qu’on ait un système où les gens soient propriétaires de leur nom de domaine qu’ils ont créé eux-mêmes, que ça soit authentifié par de la cryptographie, et comme ça on n’a pas besoin d’intermédiaires –, Namecoin par exemple, c’était ça l’allusion.
L’inconvénient de ce système-là c’est que la seule preuve de possession c’est la clef cryptographique. Si on la perd, par exemple parce qu’elle était stockée sur une machine OVH à Strasbourg, c’est fichu on ne peut plus rien faire et si quelqu’un d’autre la copie, eh bien il peut faire tout ce qu’il veut. C’est une grosse différence. Par exemple, si vous prenez un nom de domaine acheté traditionnellement chez un bureau d’enregistrement, vous avez un login, un mot de passe, vous perdez le mot de passe, vous avez des moyens de récupérer votre compte ; ça peut être compliqué, on va vous demander des papiers, on va peut-être vous faire payer, mais vous arriverez quand même à récupérer votre nom domaine comme ça. Par contre, sur un système type Namecoin, vous perdez la clef privée, c’est fichu. L’exemple le plus fameux c’est cet Anglais qui avait jeté un vieil ordinateur, qui ne marchait plus, avant de se rappeler qu’il y avait la clef privée de ses bitcoins dessus. Quand on dit « j’ai trois bitcoins sur mon disque dur », c’est un abus de langage. En fait, on a sur son disque dur la clef privée qui permet de dépenser trois bitcoins qui sont quelque part dans la chaîne. Là il avait perdu l’ordinateur, donc la clef privée et là c’est foutu, il n’y a aucun recours possible.
Effectivement tous les cryptomaniaques, c’est une sous-catégorie des libristes fanatiques, barbus, radicalisés, ce sont les cryptomaniaques qui voient toutes les solutions par de la crypto. Un des inconvénients est que ça nécessite une gestion rigoureuse des clefs. La gestion des clefs est double : empêcher la perte et empêcher la copie. Par exemple backuper des clefs chez les autres, ça résout le problème de la perte, ça ne résout pas le problème de la copie, au contraire, ça l’aggrave puisqu’il y a plus d’endroits où on peut piquer la clef. C’est un problème classique de la sécurité.

Exemple de vente d’une œuvre d’art

Tout à l’heure, avant qu’on commence, il y avait une discussion : pourquoi parle-t-on beaucoup des NFT maintenant ? Pourquoi est-ce que c’est à la mode en ce moment ? Une des raisons c’est qu’il y a eu une vente spectaculaire. Si vous regardez la page en question, je vous mets l’URL dans le chat, la vente en question date du 11 mars. [Non, non n’est pas bien de spoiler, l’histoire de la joueuse de tennis c’est le transparent suivant et puis ce n’est pas tout à fait pareil, parce que justement n’est pas un fichier numérique.]
Pour revenir à l’œuvre d’art, c’est une œuvre d’art d’un artiste qui s’appelle Beeple. C’est un fichier numérique, à l’origine, qu’on trouve à plusieurs endroits et qui a été vendu pour l’équivalent de 70 millions de dollars, pas mal !, ce qui, pour un artiste vivant, est vraiment colossal. Je crois que c’est la troisième vente d’un artiste vivant avec David Hockney et ???. Même pour le marché de l’art contemporain, qui a l’habitude de prix délirants et de trucs pas possibles, c’est quand même assez colossal et c’est un NFT. Ce qu’a acheté l’heureux gagnant des enchères c’est uniquement le fait que, quelque part, dans une chaîne de blocs, il y a un contrat automatique qui a noté que l’adresse du propriétaire c’est son adresse à lui, c’est-à-dire le compte. S’il n’a pas perdu sa clef privée, il pourra faire des choses, rajouter, mettre en vente par exemple, peut-être gagner plus d’argent, des choses comme ça.
Cet exemple-là a plusieurs intérêts. D’abord, comme j’ai dit, ça date du 11 mars, c’est très récent et ça a beaucoup contribué à ce qu’on parle des NFT, à ce que ça soit à la mode, à ce que plein de gens en parlent, c’est une somme importante. D’autre part c’est fait par Christie's. Pour ceux qui ne connaissent pas le marché de l’art, Christie's c’est une des deux grosses boîtes de vente sur le marché de l’art, donc une boîte connue, réputée.
Rappelez-vous quand je parlais de comment on construit un NFT, la première étape, je vous avais dit qu’on prend un fichier numérique, on ajoute des métadonnées, on signe. La question c’est qui peut ajouter des métadonnées et qui va signer ? Eh bien qui veut ! N’importe qui peut prendre un fichier numérique, le télécharger, n’importe qui peut ajouter des métadonnées soit en éditant le fichier, soit en mettant un fichier à côté et puis en mettant tout dans une archive Zip, TAR, ce qu’on veut, et n’importe qui peut ensuite signer. Mais pour que ça ait de la valeur, c’est certainement mieux si les métadonnées et la signature ont été mises par quelqu’un en qui on a confiance. À priori, beaucoup de gens font confiance à Christie's. Comme je ne suis pas un grand expert dans le marché de l’art, je ne sais pas si cette confiance est méritée. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que beaucoup de gens font confiance à Christie's. Donc quand ils disent, par exemple, « c’est bien un tableau de Beeble », c’est pris au sérieux.

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Un autre exemple c’est la vente d’un droit