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'''Titre :''' Les câbles sous-marins, artères stratégiques
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Publié [https://www.librealire.org/les-cables-sous-marins-arteres-strategiques ici] - Janvier 2024
 
 
'''Intervenant·e·s :''' Camille Morel - Alexandre Jubelin
 
 
 
'''Lieu :''' Podcast le Collimateur
 
 
 
'''Date :''' Mai 2023
 
 
 
'''Durée :''' 1 h 12 min 30
 
 
 
'''[https://soundcloud.com/le-collimateur/les-cables-sous-marins-arteres-strategiques?utm_source=clipboard&utm_medium=text&utm_campaign=social_sharing Podcast]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''Illustration : celle du site
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.<br/>
 
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.</em>
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
<b>Alexandre Jubelin : </b>Bonjour à toutes et tous et bienvenue dans Le Collimateur, le podcast de l'Institut de recherche stratégique de l'école militaire, l’IRSN, consacré aux questions de défense et aux conflits armés.<br/>
 
Je suis Alexandre Jubelin. Aujourd'hui, pour parler d'une composante invisible ou presque et pourtant éminemment stratégique de la mondialisation contemporaine, c'est-à-dire des câbles sous-marins, j'ai le plaisir de recevoir Camille Morel, juriste, chercheuse associée à l'IESD l'Institut d'études de stratégie et de défense de l'université Lyon 3 et au CESM le Centre d'études stratégiques de la marine qui n’est pas très loin d'ici à l'École militaire, autrice surtout d'un petit livre paru il y a quelques semaines et judicieusement intitulé <em>Les câbles sous-marins</em> chez CNRS Éditions.<br/>
 
Bonjour. Bienvenue dans Le Collimateur.
 
 
 
<b>Camille Morel : </b>Bonjour.
 
 
 
<b>Alexandre Jubelin : </b>Je vais simplement dire que c'est un thème qui pourrait sembler un peu plus éloigné des perspectives habituelles du Collimateur et des thèmes plus directement militaires. On pourrait peut-être s'étonner de consacrer une émission à une infrastructure qui est très largement civile et qui dépasse, bien évidemment, le seul cadre militaire puisque c'est un pilier de la mondialisation et, plus largement, du système planétaire contemporaine, disons. Je dirais d'abord que je le fais déjà parce que c'est une question que je trouve absolument passionnante dans l'absolu et à laquelle on ne prête que très rarement attention, mais, d'une manière plus spécifique, c'est aussi une préoccupation qui est très directement militaire parce que stratégique.<br/>
 
On va en reparler, mais on peut dire que les câbles sous-marins sont utilisés et instrumentalisés, depuis qu'ils existent, à des fins notamment militaires et de puissance par ceux qui réussissent à les contrôler. C'est un enjeu sur lequel investissent de plus en plus les grandes puissances militaires, qu'il s'agisse des États-Unis et de leurs alliés, de la Russie ou encore de la Chine pour ne désigner que les principales <em>usual suspects</em>, aussi bien pour protéger leurs câbles comme pour se donner la possibilité d'agir sur ceux des autres.<br/>
 
Je peux signaler que la France s'est récemment positionnée sur la question, sans doute un peu après d'autres, on en reparlera, mais avec des ambitions claires. Il y a notamment eu une stratégie ministérielle des fonds marins, en février 2022. C'est aussi une question et une ambition qui est clairement apparente aussi bien dans la <em>Revue nationale stratégique</em> – il y a quelques mois on parlait depuis les fonds marins jusqu'aux orbites – que dans la loi de programmation militaire qui est en cours d'élaboration et de dévoilement ces semaines-ci.
 
 
 
Pour replacer tout cela dans un contexte stratégique et militaire plus récent, on peut dire que, par exemple, ce sont des capacités qu'on a notamment beaucoup évoquées au moment du sabotage des gazoducs Nord Stream parce que ça a potentiellement impliqué des capacités d'intervention, en l'occurrence de sabotage sur des infrastructures sous-marines, qui ont en particulier été développées avec en tête les câbles sous-marins. C’est un moment où on s'est notamment demandé qui savait faire ça et, sans grande surprise, ce sont beaucoup la Russie et les États-Unis vers lesquels les regards se sont tournés.
 
À ce moment-là, tout le monde s'est un peu rappelé que le fond des océans c'était aussi important et stratégique et j'aimerais donc profiter de cette émission pour détailler exactement pourquoi et comment au travers du prisme de ces câbles sous-marins.
 
 
 
Première question tout de même Camille Morel, puisqu'on va voir ça a beaucoup évolué au fil du temps, mais il faut peut-être replacer le contexte historique de ces infrastructures si critiques. Très bêtement, quand est-ce que commence cette pratique des câbles sous-marins, cette idée un peu saugrenue de poser des choses au fond de l'océan pour essayer de communiquer entre continents, au point de compter dessus pour les communications à l'échelle planétaire ?
 
 
 
<b>Camille Morel : </b>C'est une initiative des entrepreneurs privés, à l'époque, qui voient tout l'intérêt, en termes de communication, d'aller plus vite dans les échanges d'informations. Au milieu 19e siècle, 1851, pose du premier câble télégraphique sous-marin dans la Manche. L'idée c’était de relier historiquement les bourses de Londres et de Paris, puis d'aller relier même le continent américain. Là où on avait effectivement plusieurs jours de mer pour faire parvenir une information, vous alliez avoir cette idée magnifique qui va permettre, en quelques heures, de transmettre un message d'un bout à l'autre du monde.
 
 
 
<b>Alexandre Jubelin : </b>Ça prend quelques heures à l'époque ?
 
 
 
<b>Camille Morel : </b>Le télégraphe oui, quelques heures pour faire parvenir un message dactylographié, puisqu’on est à l'époque du télégraphe.
 
 
 
<b>Alexandre Jubelin : </b>D'accord. On peut dire que dans une première période, comme pour beaucoup de choses au 19e siècle, qu’il y a un acteur dominant qui est essentiellement la Grande-Bretagne. Comment cette première phase disons de diffusion de cette technologie, en tout cas de cette infrastructure, se met-elle en place ? Comment se déploie-t-elle ?
 
 
 
<b>Camille Morel : </b>Ce qui est intéressant avec les câbles télégraphiques c'est que c’est une initiative franco-britannique, je venais de le dire, mais très vite la Grande-Bretagne, qui est au centre du système financier à l'époque, va prendre les devants et va développer ce réseau de communication dans tout son empire en fait, notamment pour relier les colonies. On voit donc qu'il y a un réseau qui est centré sur la Grande-Bretagne et, peu à peu, des puissances comme la France, comme les États-Unis, vont chercher à développer aussi un parallèle à cette infrastructure, mais cette domination britannique très forte court jusqu'au début du 20e siècle.
 
 
 
<b>Alexandre Jubelin : </b>C’est intéressant parce que, évidemment, les Britanniques s'en servent pour faire toutes sortes de choses qu’ils ont à leur avantage et dans le cadre d'une stratégie de puissance, mais à quel moment est-ce que ça vient non pas être concurrencé, en tout cas à quel moment est-ce qu’il y a d'autres acteurs qui commencent vraiment à émerger ?
 
 
 
<b>Camille Morel : </b>Il y a cette conscience d'une dépendance qu'il faut dépasser, notamment des Européens donc de la France et de l’Allemagne, je dirais vers la fin du 19e siècle, avec plusieurs conflits, notamment 1898 un conflit hispano-américain. On entend qu’il se passe des choses sur ces câbles, qu'il y a aussi de l'information qui est censurée à plusieurs reprises, la crise de Fachoda, par exemple, on voit que des interceptions de télégrammes, etc.
 
 
 
<b>Alexandre Jubelin : </b>Je pensais parler plus tard de la crise de Fachoda, mais on peut le dire, c’est cette expédition Marchand ; Globalement c’est un face-à-face en plein milieu du Tchad, c'est une énorme crise diplomatique. C'est une expédition française contre une expédition britannique et, à ce moment-là, j’ai appris en vous lisant qu’il n’y a que les Britanniques qui sont capables de communiquer avec la métropole parce que ce sont eux qui contrôlent les câbles, donc les messages français n'arrivent pas.
 
 
 
<b>Camille Morel : </b>Exactement. On va dire qu’il y a déjà des actions soit de censure, soit d'interception ces de ces informations-là. Ça ravive l'idée que c'est stratégique, que cette information est précieuse et que si on en dispose, on a un gros avantage sur les autres parties au conflit ou à la crise. Cette prise de conscience se développe donc peu à peu. C'est essentiellement une conscience politique, il n’y a pas forcément les financements qui suivent. Ce sont des questions qui sont débattues longuement.
 
 
 
<b>Alexandre Jubelin : </b>Ça coûte cher à l’époque ?
 
 
 
<b>Camille Morel : </b>C'est une question un peu compliquée parce que ce sont des financements essentiellement privés, mais l’État subventionne ces infrastructures, donc on a, en fonction de la longueur du câble, en fonction de la distance à la destination reliée, pour qui est-ce qu'on pose ce câble, ça à faire varier grandement le prix du câble. Ce qui est sûr c'est que l'usage de cette technologie-là, en tant qu'utilisateur, est encore coûteuse. C’est un usage qui est forcément réservé à une élite de la population.<br/>
 
Peu à peu cette prise de conscience qu’on dépend d'un système, d’une infrastructure qui appartient à un État et que c'est quelque chose qu'on doit dépasser pour la souveraineté mais également en cas de conflit puisque se cristallisent certaines tensions, émerge la fin du 19e siècle et début du 20e. Je dirais que c'est à ce moment-là que, finalement, il y a des crédits et aussi des alliances qui sont passées, en tout cas des coopérations entre les États, notamment la France et l’Allemagne, par exemple, pour dépasser ce monopole. Il y a un peu différentiel entre le moment où la conscience politique naît, cette importance de développer ses propres lignes, en tout cas d'être en mesure de ne pas passer par le réseau britannique, mais un réseau privé.
 
 
 
<b>Alexandre Jubelin : </b>C’est très bien faire confiance aux Britanniques mais pas trop non plus.
 
 
 
<b>Camille Morel : </b>Exactement. On ne sait jamais ce que l'avenir réserve !<br/>
 
Et le moment où des crédits sont dégagés et là on voit que typiquement la parole est pas forcément suivie d'actes. Il y a un différentiel. Finalement, les seuls qui vont vraiment prendre la mesure de cet investissement, qui vont formellement subventionner des lignes, ça va être les États-Unis qui, progressivement, au cours du 20e siècle vont développer leur propre réseau et puis, plus généralement, vont commencer à recentrer peu à peu leur politique même sur les communications internationales, toute cette idée qu'il faut pouvoir rayonner par l'information, donc au-delà des câbles, même par les satellites, etc., l'investissement va être hêtre massif à ce niveau-là.
 
 
 
<b>Alexandre Jubelin : </b>C’est intéressant. Vous indiquez que les États-Unis ça commence pendant l'entre-deux-guerres globalement, mais, pendant longtemps, ce n'est pas du tout une concurrence significative, à l'instar de beaucoup d'autres choses. C'est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que le réseau américain commence vraiment à s'imposer et, avec ce réseau-là, aussi tout un tas de normes et même l'idéologie qui est derrière cette extension de ces lignes de communication.
 
 
 
<b>Camille Morel : </b>Exactement. C'est l'idéologie qui va prendre du temps, finalement, à naître, mais qui, ensuite, va donner de l'ampleur à cette ambition, même s'il y a déjà des investissements formels. Mais, avant de compenser ce retard, il y a un temps qui s’écoule qui est quand même assez important, donc la Grande-Bretagne garde un peu cette mainmise sur un temps long. D'ailleurs, c'est ce qui se traduit ensuite : dès la Première Guerre mondiale on voit que la majorité du réseau est encore possédée par la Grande-Bretagne et c'est aussi pour cela qu'elle va pouvoir agir, être en mesure d'agir stratégiquement dessus.
 
 
 
<b>Alexandre Jubelin : </b>Puisque là on est dans la deuxième moitié du 20e siècle, comment caractériserait-on cette idéologie, parce que l'idéologie n'est pas que de l'idéologie, il y a aussi des normes, des conventions, etc., qui en découlent ? Comment est-ce que ce système, largement à l'initiative et dépendant des États-Unis façonne, en quelque sorte, les télécommunications à l'échelle mondiale ?
 
 
 
<b>Camille Morel : </b>C’est une vaste question. En fait, il y a un ensemble de mesures, donc d’idéologie, qui donnent lieu, comme vous le disiez, notamment à tout un ensemble de normes. On voit que ces investissements financiers comptent beaucoup dans la réalisation des autoroutes de l'information, de l'investissement dans les satellites. À partir de 1950, on parle beaucoup moins des câbles sous-marins parce que les satellites prennent le relais et qu’il n’y a plus de sujet. À cette époque-là, les câbles sous-marins ne sont plus des câbles télégraphiques, c’est du câble coaxial. Ils sont moins performants que les satellites qui sont naissants et qui impressionnent. À ce moment-là, ce qui est spatial vend du rêve, donc on ne parle plus des câbles sous-marins, mais, par ailleurs, ça fait partie de cet ensemble de communications et, progressivement, les États-Unis vont aussi investir dans tout ce qui est lié au numérique. Peu à peu, on va arriver à l'émergence d'Internet, à la fibre optique. À ce moment-là, les États-Unis sont déjà, finalement, au centre d'un système qu’ils ont conçu, qu'ils ont pensé pendant toutes ces années.
 
 
 
<b>Alexandre Jubelin : </b>Du coup avec Internet qui, évidemment, est largement dominé par les États-Unis aussi bien technologiquement que structurellement, dans les premiers temps, les premières années, même les premières décennies, c’est ce que vous indiquez. On peut dire que maintenant nous sommes un peu arrivés dans une nouvelle ère où il y a d'autres acteurs qui sont plus privés, il y a donc des logiques différentes et aussi des leviers différents pour eux, notamment ce qu'on appelle souvent les GAFAM, d'une manière générale les entreprises privées, technologiques, qui investissent massivement. À quel moment est-ce qu'on entre dans cette ère, si tant est qu'on soit vraiment dans cette ère des GAFAM pour les câbles sous-marins, et quelles conséquences est-ce que ça a ? Qu'est-ce que ça change ?
 
 
 
<b>Camille Morel : </b>Les GAFAM investissent progressivement à partir de 2010.
 
 
 
<b>Alexandre Jubelin : </b>Je ne l’ai pas dit. Rappelons que GAFAM c’est Google, Amazon, Microsoft, Apple et Facebook.
 
 
 
<b>Camille Morel : </b>Les géants du Net américains s'introduisent dans ce marché à partir de 2010. Ils investissent d'abord en participant au consortium d'opérateurs qui est, en général, le format d'investissement dans les câbles sous-marins, donc ils deviennent propriétaires d'une part de ces câbles. Et puis, très rapidement, ils se rendent compte que leurs besoins en transfert de données augmentent parce qu’on utilise de plus en plus ces géants du Net et les contenus qu'ils fournissent. Il va donc y avoir un besoin et une volonté de s'autonomiser de certains coûts qui sont liés au passage de ces géants du Net par les opérateurs de communications qui font payer le prix fort à ces fournisseurs de contenu.
 
 
 
<b>Alexandre Jubelin : </b>Pour le dire clairement, c'est genre Orange ou AT&T qui vendent de la bande passante - ce n’est pas exactement ça, mais pas loin - à ces grandes entreprises qui en ont tellement besoin qu’elles en ont marre de se faire tondre la laine sur le dos à chaque fois.
 
 
 
==13’ 28==
 
 
 
<b>Camille Morel : </b>Exactement.
 

Dernière version du 7 janvier 2024 à 17:16


Publié ici - Janvier 2024