Interview d’Adrienne Charmet - Polygeek

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Titre : Interview d’Adrienne Charmet par Adrien

Intervenants : Adrienne Charmet - Adrien

Lieu : Polygeek#56 - Privacy Go

Date : Août 2016

Durée : 32 min 38

Licence : Verbatim

Pour écouter l'enregistrement


Statut : Transcription MO

Transcription

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Voix Off : Je vous demande de vous arrêter.

Adrien : Bonjour. Je suis avec Adrienne Charmet qui est porte-parole et coordinatrice es campagnes de La Quadrature du Net depuis 2014. Et auparavant tu étais présidente puis directrice des programmes de Wikimédia France, entre 2019 et 2014. Tu es une militante, spécialiste, en gros, de tout ce qui touche au Libre, à la protection de la vie privée, liberté d’expression sur Internet, la neutralité du Net, tout ça. Du coup ce sont des sujets qui nous sont chers à Polygeek. Le sujet qu’on voulait explorer aujourd’hui c’est celui de la protection de la vie privée, des données personnelles. C’est un sujet qui est relativement large. Il y a beaucoup de choses à dire en ce moment sur ça. Et peut-être que pour commencer on pourrait revenir sur un évènement qui a marqué l’actualité il y a quelques mois, l’affaire de l’iPhone de San Bernardino.

Pour un petit rappel c’est le FBI qui avait demandé à Apple de déverrouiller un iPhone dont le propriétaire était impliqué dans un crime. Et il s’en est suivi quelques semaines/mois de bagarre médiatique et judiciaire jusqu’à ce que le FBI annonce qu’il l’avait débloqué par ses propres moyens. C’est quoi le regard que vous jetez sur ça quelques mois après cette histoire ?

Adrienne Charmet : La première chose à dire, peut-être, sur cette histoire, c’est que n’est pas simplement un crime. Il n’avait pas servi simplement à un crime, il avait servi à un acte terroriste et ça change pas mal de choses. Parce que ça a mis en lumière pas mal de problèmes qui se posent aujourd’hui avec la pression du risque terroriste. Ce n’est pas la première fois que le FBI demande à Apple de déverrouiller des iPhones. Ce n’est pas la première fois que le chiffrement pose un problème. Mais la raison pour laquelle ça a été aussi médiatisé et peut-être la raison pour laquelle Apple a tenu une position très ferme là-dessus c’est que l’argument du terrorisme est devenu, en fait, une sorte d’argument moral. Il faut se souvenir que ce n’était même pas, on va dire, deux/trois mois après les attentats de novembre en France. Quel regard on porte là-dessus ?

D’une part, on va dire, on a deux problèmes sur cette question-là. On a la question des outils qui deviennent inviolables, donc d’un chiffrement lourd, qui n’est pas maîtrisé par un intermédiaire mais maîtrisé directement par l’utilisateur. C’est-à-dire que l’argument d’Apple est de dire : « Je ne peux déverrouiller, moi, cet iPhone. Ce que vous me demandez de faire c’est de créer une porte dérobée qui peut servir à déverrouiller cet iPhone mais aussi d’autres. » On est obligés de remonter plus haut, on va dire, dans la conception de l’appareil pour pouvoir le déverrouiller. Donc ça c’est la première question : qu’est-ce qu’on fait avec ce chiffrement robuste, maîtrisé par l’utilisateur où, en fait, si l’utilisateur ne donne pas la clef de déchiffrement, personne ne peut y accéder ?

Le deuxième problème qui se pose, c’est un problème de pression sur le principe du chiffrement en lui-même. Alors quelle est notre position là-dessus ? Nous on n’a pas publiquement dit on soutient Apple, etc., même si dans la pratique on soutenait la position que Apple soutenait. Nous on est partisans depuis très longtemps du droit au chiffrement, à l’anonymat et à la vie privée. Ça veut dire qu’on soutient un droit absolu, pas simplement dans les affaires de terrorisme. Il ne s’agit pas de dire on soutient le droit des terroristes à chiffrer : on soutient le droit du chiffrement. Point barre. C’est-à-dire que dans un univers où on a une explosion des communications électroniques de toute nature, que ce soit d’aller consulter des sites internet, d’effectuer des transactions ou de communiquer avec des personnes, on a donc une explosion des communications électroniques. On a une explosion ou du moins une exposition de la surveillance qui est exercée sur ces communications. On l’a vu avec l’affaire Snowden, mais on le voit aussi avec des lois en France comme la loi sur le renseignement qui tape directement sur les données de connexion et sur les télécommunications. Et du coup, une vie privée des citoyens, des gens, qui est, en fait, massivement attaquée par ces deux aspects. C’est-à-dire, à la fois, on expose nous-mêmes, en permanence, beaucoup plus notre vie privée, de manière soit consciente, soit inconsciente. On fait la plupart de nos démarches administratives sur Internet, nos achats sur Internet, nos communications avec les gens passent majoritairement par des mails, des Skype, des conversations par voie d’Internet beaucoup plus maintenant que par du courrier papier ou voilà ! On a une exposition massive de la vie privée des gens et une surveillance ou une capacité de surveillance massive. Donc affirmer le droit au chiffrement c’est quelque chose de fondamental et l’affirmer y compris quand on est dans des cas dramatiques, y compris quand on est dans des cas sensibles comme celui de San Bernardino où on a cette personne qui a commis des actes de terrorisme, des crimes, etc., il faut bien avoir conscience de la différence entre accéder à un appareil et poser le principe qu’il n’y a plus rien d’inviolable.

Pour nous l’enjeu est vraiment là, donc c’était hyper important que Apple ne cède pas sur cette question-là. Finalement le FBI, a priori, a réussi à craquer l’iPhone avec l’aide peut-être d’une boîte israélienne spécialisée dans ces questions-là. On ne peut pas se satisfaire de se dire eh bien voilà, on commence par dire qu’il faut empêcher le chiffrement de bout en bout et le chiffrement robuste parce que dans les cas de terrorisme ça pourrait être un problème. On sait très bien que si on ouvre la porte, si on commence à céder sur la question du chiffrement, on va continuer à céder : au début on commence par le terrorisme et la pédophilie, et ensuite ce sont les crimes lourds et puis ça devient les délits et puis ensuite, en fait, on n’a plus rien du tout de protégeable. Donc notre position est vraiment là, de se dire y compris dans les cas dramatiques, on doit absolument protéger ce principe et l’ancrer, le solidifier, parce que le rapport de force entre la volonté d’intrusion et de surveillance des États et l’exposition majeure de la vie privée des internautes, eh bien le rapport de force n’est pas équilibré si on n’a plus la capacité de chiffrer ses communications.

Adrien : Tout ça fait écho à PRISM, à l’affaire Snowden, et tout le système de surveillance généralisée qui avait été dévoilé. Est-ce que, finalement, on peut vraiment faire les confiances à Apple et aux autres grands groupes de l’Internet et de l’informatique pour protéger et stocker nos données personnelles comme ça été le cas dans cette histoire-là ? Ou est-ce que non ?

Adrienne Charmet :Je crois que par principe il ne faut pas faire confiance à des intermédiaires ou il faut leur accorder la confiance limitée dont on peut être sûr, en fait. Pourquoi est-ce que Apple, mais aussi Google s’est déclaré soutien d’Apple dans cette histoire, et Microsoft qui n’était pas trop à l’époque de cette histoire d’iPhone mais aujourd’hui est en train ses politiques de sécurité. Pourquoi est-ce qu’ils font ça ? Ce n’est pas parce que ce sont des grands bienfaiteurs de l’humanité, c’est parce qu’ils s’en sont pris plein la gueule à l’époque de l’affaire Snowden. C’est-à-dire que, tout d’un coup, ce qui est important de comprendre dans l’affaire Snowden, ce n’est pas tant de se dire il y a de la surveillance. Mon Dieu, les espions espionnent ! Oui, tout le monde s’en doute ! En revanche quelque chose qui a été découvert et exposé à ce moment-là, c’est le degré de collaboration, volontaire ou involontaire, des grandes entreprises de l’Internet avec les services de renseignement. C’est le cas aux États-Unis, c’est le cas aujourd’hui en France aussi, où eh bien je reviens toujours à la loi sur le renseignement, on a des dispositifs qui ciblent directement les opérateurs.

Donc s’ils l’ont fait c’est parce qu’ils ont perdu des parts de marché, c’est parce qu’ils ont eu de la pression. Ce n’est pas tant les particuliers qui se sont détournés de ces boîtes, mais ce sont les entreprises qui ont arrêté de mettre leur cloud d’entreprise ou qui ont réfléchi à d’autres solutions. Donc c’est bien qu’il y ait cette pression parce que ça les force à développer des politiques de sécurisation et de chiffrement. Certains le font en disant « confiez-nous toutes vos données et nous on les sécurise ! » Ça va être, par exemple le cas de Facebook, enfin le passage en https de toutes les grosses boites. Tous les gros mailers se sont mis à passer en https, mais eux ont toujours, finalement, accès à ces informations. C’est intéressant que se développent des solutions soit d’appareils intégralement chiffrés, soit de messageries très chiffrées comme WhatsApp ou Signal, où là les boîtes n’ont même plus la capacité de déchiffrer le contenu. En revanche, tant que leur modèle économique n’aura pas changé ! Alors Apple ou Microsoft n’ont pas tant un modèle économique basé sur l’exploitation des données personnelles, mais Google, par exemple, ou Facebook, ou Twitter ont un modèle économique intégralement basé sur le tracking de leurs utilisateurs pour leur proposer de la publicité.

Donc là on arrive au point faible de l’histoire. Est-ce qu’on peut faire confiance à une entreprise pour protéger nos données quand son business est d’exploiter nos données ? Il y a vraiment besoin d’aller trouver des modèles économiques alternatifs pour pouvoir, déjà, avoir une autre solution que d’avoir une exploitation massive des données. Donc, non, pas de confiance là-dessus et pas de confiance non plus dans des entreprises qui sont dans une logique de grossir toujours plus en intégrant toujours plus et en interopérant toujours plus de services. À La Quadrature, on défend très fortement la décentralisation d’Internet, en disant, enfin ce sont les bons vieux proverbes paysans de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. À partir du moment où on est en mesure de cloisonner un peu plus les endroits où on laisse des traces, eh bien forcément c’est plus sécurisant. On peut choisir d’avoir des outils plus sécurisés que d’autres. Si je prends l’exemple de WhatsApp, la mécanique, la technologie de WhatsApp est hypersécurisée, mais c’est Facebook qui a accès à tout. Moi je ne vais pas utiliser WhatsApp, parce que je veux pas que ce soit Facebook qui ait accès à tous mes contacts, à toutes ces informations-là. Heureusement, existent à côté d’autres solutions, qui utilisent les mêmes technologies mais qui ne sont pas liées à Facebook, mais pour combien de temps ? Voilà.

Donc il y a deux raisons pour lesquelles je ne ferai pas confiance et on ne fera pas confiance à ces entreprises, la première c’est leur politique d’exploitation des données personnelles, et la deuxième c’est leur concentration. Et même des boîtes comme Apple qui ne font pas une énorme exploitation des données personnelles à des fins publicitaires, elles font une énorme exploitation des données personnelles à des fins de vendre dans leur Store, dans leur Apple Store, tout un tas de choses et de prioriser. Apple, on tourne en circuit fermé, donc en fait il y aune énorme forteresse, une énorme muraille à l’extérieur, mais à l’intérieur c’est tout autant exploité qu’ailleurs, donc c’est presque la même chose qu’un Google.

11’ 02

Adrien : La problématique c’est aussi