Différences entre les versions de « Goûter les archives et les humanités numériques »

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<b>Josquin Debaz : </b>Caroline Muller, Frédéric Clavert, bonjour.
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<b>Frédéric Clavert : </b>Bonjour.
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<b>Caroline Muller : </b>Bonjour.
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<b>Josquin Debaz : </b>Vous êtes docteur et doctoresse en histoire contemporaine. Frédéric Clavert tu es équivalent de maître de conférences à l’Université de Luxembourg au C<sup>2</sup>DH.
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<b>Frédéric Clavert : </b>Le C<sup>2</sup>DH c’est donc pour <em>Centre for Contemporary and Digital History</em>. C’est, disons, un centre de recherche qui est centré à la fois sur l’histoire du temps présent et sur les nouvelles méthodologies numériques que l’on peut appliquer particulièrement à l’histoire contemporaine.
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<b>Josquin Debaz : </b>Et Caroline Muller, tu es maîtresse de conférences à l’Université de Rennes 2.
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<b>Caroline Muller : </b>Oui, tout à fait, où j’enseigne aussi l’histoire contemporaine.
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<b>Josquin Debaz : </b>Nous vous recevons aujourd’hui par rapport à un de vos projets communs, qui s’appelle <em>Le goût de l’archive à l’ère numérique</em>, qui fait écho à un livre de référence, écrit par Arlette Farge en 1989, qui met en avant l’archive comme un peu une spécificité des travaux d’historien et de toutes les facettes qu’il peut avoir, ce rapport à l’archive un peu comme une signature de leur métier, mais aussi comme un rapport corporel à une certain intimité, en fait, à leur objet.
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<b>Frédéric Clavert : </b><em>Le goût de l’archive</em>, dans ce qu’elle qualifie elle-même de petit livre, qui a eu énormément de succès, qui a été traduit en anglais, en allemand au moins et dans d’autres langues, Arlette Farge décrit un peu les conditions matérielles de consultation des archives. Quand on entend matériel, ça va du choix de la table dans la salle de lecture, de la place dans la salle de lecture du centre d’archives, à la matérialité de l’archive : la boîte qu’on ouvre, le papier, l’odeur du papier, la couleur du papier. Elle met ça en relation avec la manière dont on est capable, en tant que historien historienne, quand on est dans la salle de lecture du centre d’archives, de comprendre les acteurs – pour Arlette Farge ce sont souvent des femmes qui ont été emprisonnées donc actrices – de se mettre à leur place, de les faire parler, en fait de les laisser parler.<br/>
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Elle part du principe que l’interprétation des archives, parce qu’on interprète toujours les archives qu’on consulte comme historien et qu’historienne, commence toujours par les conditions matérielles de consultation des archives et par le lien matériel, physique, que l’on instaure avec l’archive.<br/>
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C’est quelque chose qui définit quasiment notre métier aujourd’hui, de fait, ce livre d’Arlette Farge, c’est l’image qu’on se donne de nous-mêmes, la plupart du temps, c’est vraiment l’image de la profession. J’ai commencé mes recherches pour ma thèse à la toute fin des années 90, le problème c’est que si moi j’ai encore connu un peu le monde d’Arlette Farge et encore, je ne recopie mes archives sur du papier, je prenais déjà mes notes sur un ordinateur, je pense que Caroline qui est un peu plus jeune, ne l’a jamais connu. C’est un monde qui n’existe plus vraiment sauf quand on est dans les quelques centres d’archives qui imposent encore le crayon et le papier, mais, en fait, on ne travaille plus du tout comme ça dans les salles de travail des centres d’archives.
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<b>Josquin Debaz : </b>Ça veut dire qu’on ne peut plus être historien ?
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<b>Caroline Muller : </b>Ça veut dire que je suis pas historienne dans ce cas-là !<br/>
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Concrètement, si vous voulez, quand j’ai écrit ma thèse, mon premier travail de recherche d’ampleur puisque c’est un petit peu la clef pour accéder à une carrière universitaire en France, pour devenir historien professionnel, quand j’ai fait ma thèse j’ai passé très peu de temps à fouiller dans les centres d’archives pour consulter des documents simplement parce que j’ai pris des photographies en masse des documents et je les ai lus sur mon ordinateur à la maison, à la bibliothèque mais finalement très peu dans le centre d’archives.<br/>
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En fait le fond de notre projet a d’abord été de réexaminer ça, cette possibilité de rapporter le document avec soi à la maison sans l’avoir véritablement lu en centre d’archives, qu’est-ce que ça change dans la manière dont on choisit nos sujets, dans nos rythmes de travail, dans les histoires qu’on produit et qu’on écrit ? Notre idée, notre hypothèse de base c’était de dire que ça change tout, en tout cas ça change beaucoup de choses : on prend au sérieux l’hypothèse de la recherche dans laquelle les conditions matérielles d’exercice ont un effet sur ce qu’on écrit à la fin, sauf qu’avec l’entrée dans l’ère numérique, eh bien tout a changé, ou presque.
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<b>Josquin Debaz : </b>Du coup, comme tout a changé vous avez décidé de mettre en place un dispositif ad hoc pour pouvoir en parler.
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<b>Caroline Muller : </b>D’abord, avec Frédéric on ne se connaissait pas avant de lancer le projet. J’ai twitté mes interrogations sur le sujet et Frédéric a saisi le tweet au bond. En fait, on a commencé à travailler ensemble déjà à distance via Twitter sans s’être rencontrés auparavant. C’est déjà un premier indice de mutation de la manière dont on travaille ensemble à l’ère numérique. Et puis, effectivement, on s’est dit qu’en travaillant sur des objets un petit peu nouveaux, on ne voulait pas s’enfermer dans les formats classiques de l’université, par exemple un livre écrit, stable ou juste un colloque. On a donc ouvert un livre en ligne, un livre en fait fluide au sens où les auteurs et les autrices ont la possibilité de le réécrire, de modifier leur article ou leur chapitre en permanence, en particulier en suivant les suggestions ou commentaires de gens qui passeraient, qui seraient intéressés et qui voudraient interagir.<br/>
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L’idée, finalement, c’est aussi d’adapter la proposition d’écriture à l’objet auquel on s’intéresse.
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<b>Josquin Debaz : </b>Cette démarche s’inscrit dans le cadre de ce qu’appelle depuis 10/15 ans les humanités numériques ?
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<b>Frédéric Clavert : </b>Je vais beaucoup te décevoir, mais, en fait, ce n’est pas un projet d’humanités numériques ; ça dépend, c’est toujours la même chose, ça dépend de comment on définit les humanités numériques, l’histoire numérique, etc. Ce qui nous intéresse ici c’est de regarder ce qui se passe entre les quelques historiens/historiennes qui restent qui refusent les évolutions numériques : on a organisé une journée où Arlette Farge débattait avec Sean Takats, qui est aujourd’hui un collège de l’Université de Luxembourg, qui fait partie de ceux qui ont dirigé le projet Zotero, un logiciel de gestion des références bibliographiques et ensuite avec ??? [8 min 20], Tropy qui, justement, est un logiciel qui gère les photos qu’on prend en centre d’archives, qui est beaucoup plus historien que Zotero. Et, en tout cas quand on lui dit que telle collection d’archives a été numérisée, comme elle connaît très bien les archivistes, Arlette  Farge va voir les archivistes et leur demande les originaux. Elle les connaît très bien, elle a expliqué qu’elle arrivait dans ces cas-là à travailler quand même souvent sur la version papier.<br/>
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Entre ces quelques cas un peu extrêmes et puis l’autre côté, c’est-à-dire les gens à la rigueur comme moi, c’est-à-dire qui ne travaillent quasiment plus sur les archives que par leur ordinateur, ce qui nous intéresse c’est de regarder tous ceux qui sont entre, c’est-à-dire tous ceux qui sont entre les historiens qui sont dans le monde d’Arlette Farge d’une manière et les historiens qui sont dans le monde des humanités numériques et regarder les pratiques informatiques entre ces deux extrêmes. Ce sont finalement ces pratiques-là qui nous intéressent avec une focalisation sur l’archive, mais on étend aussi un peu parce que je pense que le passage de l’écriture à la main, puis à la machine à écriture puis à l’ordinateur change aussi l’écriture, il n’y a pas que la lecture des archives ou leur analyse.
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Caroline utilise des mots plus élaborés pour ça, moi j’appelle ça « le ventre mou » des historiens et historiennes qui, en fait, ont intégré énormément de pratiques informatiques sans les documenter. C’est pour ça qu’on a essayé de mettre en avant, dans les articles les plus récents, la notion de pratique informatique discrète, toutes ces pratiques informatiques qu’on a de fait adoptées sans les expliciter, en partant du principe que dans ces pratiques informatiques – prendre des photos en centre d’archives ça pose aussi la question de comment on les classe sur l’ordinateur donc comment on les retrouve ou comment on les perd ; écrire avec un traitement de texte et non plus à la main ou à la machine à écrire, parce qu’après la notion de brouillon n’est plus du tout la même ; utiliser les réseaux sociaux numériques pour communiquer et interagir entre chercheurs – toutes ces pratiques changent, pour nous, la manière dont on fait de l’histoire et c’est ça qui nous intéresse.<br/>
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On n’est pas sur des projets comme la Time Machine, par exemple, qui ambitionne de tout numériser et de restituer ça, on ne sait pas encore très bien comment, d’une manière un peu interactive. On n’est pas non plus dans les centres d’archives à se concentrer uniquement sur l’objet papier, on est vraiment entre les deux.
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Qu’est-ce que ça change d’avoir son appareil photo ou son archive ?
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<b>Josquin Debaz : </b>Les humanités numériques est un terme un peu fourre-tout quand même, quelquefois qualifié de parapluie pour englober un peu tout ce qui n’était pas encore documenté, on va dire, par la tradition de certaines disciplines. Vous, vous le voyez plutôt comme un creuset de nouvelles approches, d’un renouveau ou, peut-être, d’un grain de sel qui est mis dans des pratiques plus anciennes.
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<b>Frédéric Clavert : </b>Le terme de grain de sel est assez intéressant. Du coup ce n’est pas un grain de sel, c’est toute la salière ! Je reprends l’exemple de l’appareil photo qui est très parlant parce qu’en fait, maintenant, on n’y va plus avec un appareil photo, on y va avec son smartphone pour prendre les photos et le smartphone c’est aussi l’intelligence artificielle qu’on emmène dans la salle de lecture. Dans quelle mesure ça change la manière dont on approche les archives, on ne sait pas encore, on ne sait pas nécessairement. On a quand même quelques idées sur quelques phénomènes, c’est juste qu’il faut s’y intéresser si on veut savoir quels sont les biais qu’on apporte aussi avec ces dispositifs.
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==12’ 08==
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<b>Caroline Muller : </b>Après, de fait

Version du 4 mars 2023 à 08:15


Titre : Goûter les archives et les humanités numériques, avec Caroline Muller et Frédéric Clavert

Intervenant·e·s : Caroline Muller - Frédéric Clavert - Josquin Debaz

Lieu : La Cantine numérique Brestoise

Date : 15 novembre 2023

Durée : 37 min 17

Podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : à prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Présentation

Quarante-troisième épisode. Nous recevons Caroline Muller, maîtresse de conférence à l’Université Rennes 2 et Frédéric Clavert, Assistant Professor au C2DH de l’Université du Luxembourg, pour leur travail sur le livre numérique Le Goût de l’archive à l’ère numérique. Ils nous parlent de l’évolution du métier d’historien, au travers de nouvelles pratiques et méthodes liées aux outils numériques, en rapport avec les archives, vous l’aurez supposé, mais aussi avec les collectifs de recherche et les modes de publication. On évoque encore les mouvements des humanités numériques et de la science ouverte.
Bonne écoute.

Transcription

Josquin Debaz : Caroline Muller, Frédéric Clavert, bonjour.

Frédéric Clavert : Bonjour.

Caroline Muller : Bonjour.

Josquin Debaz : Vous êtes docteur et doctoresse en histoire contemporaine. Frédéric Clavert tu es équivalent de maître de conférences à l’Université de Luxembourg au C2DH.

Frédéric Clavert : Le C2DH c’est donc pour Centre for Contemporary and Digital History. C’est, disons, un centre de recherche qui est centré à la fois sur l’histoire du temps présent et sur les nouvelles méthodologies numériques que l’on peut appliquer particulièrement à l’histoire contemporaine.

Josquin Debaz : Et Caroline Muller, tu es maîtresse de conférences à l’Université de Rennes 2.

Caroline Muller : Oui, tout à fait, où j’enseigne aussi l’histoire contemporaine.

Josquin Debaz : Nous vous recevons aujourd’hui par rapport à un de vos projets communs, qui s’appelle Le goût de l’archive à l’ère numérique, qui fait écho à un livre de référence, écrit par Arlette Farge en 1989, qui met en avant l’archive comme un peu une spécificité des travaux d’historien et de toutes les facettes qu’il peut avoir, ce rapport à l’archive un peu comme une signature de leur métier, mais aussi comme un rapport corporel à une certain intimité, en fait, à leur objet.

Frédéric Clavert : Le goût de l’archive, dans ce qu’elle qualifie elle-même de petit livre, qui a eu énormément de succès, qui a été traduit en anglais, en allemand au moins et dans d’autres langues, Arlette Farge décrit un peu les conditions matérielles de consultation des archives. Quand on entend matériel, ça va du choix de la table dans la salle de lecture, de la place dans la salle de lecture du centre d’archives, à la matérialité de l’archive : la boîte qu’on ouvre, le papier, l’odeur du papier, la couleur du papier. Elle met ça en relation avec la manière dont on est capable, en tant que historien historienne, quand on est dans la salle de lecture du centre d’archives, de comprendre les acteurs – pour Arlette Farge ce sont souvent des femmes qui ont été emprisonnées donc actrices – de se mettre à leur place, de les faire parler, en fait de les laisser parler.
Elle part du principe que l’interprétation des archives, parce qu’on interprète toujours les archives qu’on consulte comme historien et qu’historienne, commence toujours par les conditions matérielles de consultation des archives et par le lien matériel, physique, que l’on instaure avec l’archive.
C’est quelque chose qui définit quasiment notre métier aujourd’hui, de fait, ce livre d’Arlette Farge, c’est l’image qu’on se donne de nous-mêmes, la plupart du temps, c’est vraiment l’image de la profession. J’ai commencé mes recherches pour ma thèse à la toute fin des années 90, le problème c’est que si moi j’ai encore connu un peu le monde d’Arlette Farge et encore, je ne recopie mes archives sur du papier, je prenais déjà mes notes sur un ordinateur, je pense que Caroline qui est un peu plus jeune, ne l’a jamais connu. C’est un monde qui n’existe plus vraiment sauf quand on est dans les quelques centres d’archives qui imposent encore le crayon et le papier, mais, en fait, on ne travaille plus du tout comme ça dans les salles de travail des centres d’archives.

Josquin Debaz : Ça veut dire qu’on ne peut plus être historien ?

Caroline Muller : Ça veut dire que je suis pas historienne dans ce cas-là !
Concrètement, si vous voulez, quand j’ai écrit ma thèse, mon premier travail de recherche d’ampleur puisque c’est un petit peu la clef pour accéder à une carrière universitaire en France, pour devenir historien professionnel, quand j’ai fait ma thèse j’ai passé très peu de temps à fouiller dans les centres d’archives pour consulter des documents simplement parce que j’ai pris des photographies en masse des documents et je les ai lus sur mon ordinateur à la maison, à la bibliothèque mais finalement très peu dans le centre d’archives.
En fait le fond de notre projet a d’abord été de réexaminer ça, cette possibilité de rapporter le document avec soi à la maison sans l’avoir véritablement lu en centre d’archives, qu’est-ce que ça change dans la manière dont on choisit nos sujets, dans nos rythmes de travail, dans les histoires qu’on produit et qu’on écrit ? Notre idée, notre hypothèse de base c’était de dire que ça change tout, en tout cas ça change beaucoup de choses : on prend au sérieux l’hypothèse de la recherche dans laquelle les conditions matérielles d’exercice ont un effet sur ce qu’on écrit à la fin, sauf qu’avec l’entrée dans l’ère numérique, eh bien tout a changé, ou presque.

Josquin Debaz : Du coup, comme tout a changé vous avez décidé de mettre en place un dispositif ad hoc pour pouvoir en parler.

Caroline Muller : D’abord, avec Frédéric on ne se connaissait pas avant de lancer le projet. J’ai twitté mes interrogations sur le sujet et Frédéric a saisi le tweet au bond. En fait, on a commencé à travailler ensemble déjà à distance via Twitter sans s’être rencontrés auparavant. C’est déjà un premier indice de mutation de la manière dont on travaille ensemble à l’ère numérique. Et puis, effectivement, on s’est dit qu’en travaillant sur des objets un petit peu nouveaux, on ne voulait pas s’enfermer dans les formats classiques de l’université, par exemple un livre écrit, stable ou juste un colloque. On a donc ouvert un livre en ligne, un livre en fait fluide au sens où les auteurs et les autrices ont la possibilité de le réécrire, de modifier leur article ou leur chapitre en permanence, en particulier en suivant les suggestions ou commentaires de gens qui passeraient, qui seraient intéressés et qui voudraient interagir.
L’idée, finalement, c’est aussi d’adapter la proposition d’écriture à l’objet auquel on s’intéresse.

Josquin Debaz : Cette démarche s’inscrit dans le cadre de ce qu’appelle depuis 10/15 ans les humanités numériques ?

Frédéric Clavert : Je vais beaucoup te décevoir, mais, en fait, ce n’est pas un projet d’humanités numériques ; ça dépend, c’est toujours la même chose, ça dépend de comment on définit les humanités numériques, l’histoire numérique, etc. Ce qui nous intéresse ici c’est de regarder ce qui se passe entre les quelques historiens/historiennes qui restent qui refusent les évolutions numériques : on a organisé une journée où Arlette Farge débattait avec Sean Takats, qui est aujourd’hui un collège de l’Université de Luxembourg, qui fait partie de ceux qui ont dirigé le projet Zotero, un logiciel de gestion des références bibliographiques et ensuite avec ??? [8 min 20], Tropy qui, justement, est un logiciel qui gère les photos qu’on prend en centre d’archives, qui est beaucoup plus historien que Zotero. Et, en tout cas quand on lui dit que telle collection d’archives a été numérisée, comme elle connaît très bien les archivistes, Arlette  Farge va voir les archivistes et leur demande les originaux. Elle les connaît très bien, elle a expliqué qu’elle arrivait dans ces cas-là à travailler quand même souvent sur la version papier.
Entre ces quelques cas un peu extrêmes et puis l’autre côté, c’est-à-dire les gens à la rigueur comme moi, c’est-à-dire qui ne travaillent quasiment plus sur les archives que par leur ordinateur, ce qui nous intéresse c’est de regarder tous ceux qui sont entre, c’est-à-dire tous ceux qui sont entre les historiens qui sont dans le monde d’Arlette Farge d’une manière et les historiens qui sont dans le monde des humanités numériques et regarder les pratiques informatiques entre ces deux extrêmes. Ce sont finalement ces pratiques-là qui nous intéressent avec une focalisation sur l’archive, mais on étend aussi un peu parce que je pense que le passage de l’écriture à la main, puis à la machine à écriture puis à l’ordinateur change aussi l’écriture, il n’y a pas que la lecture des archives ou leur analyse.

Caroline utilise des mots plus élaborés pour ça, moi j’appelle ça « le ventre mou » des historiens et historiennes qui, en fait, ont intégré énormément de pratiques informatiques sans les documenter. C’est pour ça qu’on a essayé de mettre en avant, dans les articles les plus récents, la notion de pratique informatique discrète, toutes ces pratiques informatiques qu’on a de fait adoptées sans les expliciter, en partant du principe que dans ces pratiques informatiques – prendre des photos en centre d’archives ça pose aussi la question de comment on les classe sur l’ordinateur donc comment on les retrouve ou comment on les perd ; écrire avec un traitement de texte et non plus à la main ou à la machine à écrire, parce qu’après la notion de brouillon n’est plus du tout la même ; utiliser les réseaux sociaux numériques pour communiquer et interagir entre chercheurs – toutes ces pratiques changent, pour nous, la manière dont on fait de l’histoire et c’est ça qui nous intéresse.
On n’est pas sur des projets comme la Time Machine, par exemple, qui ambitionne de tout numériser et de restituer ça, on ne sait pas encore très bien comment, d’une manière un peu interactive. On n’est pas non plus dans les centres d’archives à se concentrer uniquement sur l’objet papier, on est vraiment entre les deux. Qu’est-ce que ça change d’avoir son appareil photo ou son archive ?

Josquin Debaz : Les humanités numériques est un terme un peu fourre-tout quand même, quelquefois qualifié de parapluie pour englober un peu tout ce qui n’était pas encore documenté, on va dire, par la tradition de certaines disciplines. Vous, vous le voyez plutôt comme un creuset de nouvelles approches, d’un renouveau ou, peut-être, d’un grain de sel qui est mis dans des pratiques plus anciennes.

Frédéric Clavert : Le terme de grain de sel est assez intéressant. Du coup ce n’est pas un grain de sel, c’est toute la salière ! Je reprends l’exemple de l’appareil photo qui est très parlant parce qu’en fait, maintenant, on n’y va plus avec un appareil photo, on y va avec son smartphone pour prendre les photos et le smartphone c’est aussi l’intelligence artificielle qu’on emmène dans la salle de lecture. Dans quelle mesure ça change la manière dont on approche les archives, on ne sait pas encore, on ne sait pas nécessairement. On a quand même quelques idées sur quelques phénomènes, c’est juste qu’il faut s’y intéresser si on veut savoir quels sont les biais qu’on apporte aussi avec ces dispositifs.

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Caroline Muller : Après, de fait