Freezone - Émission du 05-11-2016

De April MediaWiki
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Titre : Épisode 19 de Freezone

Intervenant : Lionel Maurel - OliCat

Lieu : Asso Libre à Toi

Date : Novembre 2016

Durée : 32 min 05

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Licence de la transcription : Verbatim

Statut : Transcrit MO

Description

A surveiller : L’affaire « Dancing Baby » arrive devant la Cour suprême des États-Unis. Depuis presque 10 ans, une mère se bat en justice à cause d’une vidéo de 29 secondes publiée sur YouTube où l’on voir sa fille danser au son de la chanson « Let’s Go Crazy ». Alors que le chanteur est mort, après avoir perdu contre la mère, Universal Music s’accroche encore et veut une revanche devant la Cour suprême. Derrière le ridicule de cette affaire, il y a pourtant des questions importantes en jeu, notamment sur l’automatisation des demandes de retrait des contenus sur les plateformes.

Justice privée : En 2015, le Ministère de la Culture a organisé la signature de chartes entre les ayants droit, les intermédiaires de paiement et les régies publicitaires pour lutter contre les sites contrefaisants en asséchant leurs recettes. Pour cela, une liste noire de sites a été élaborée, sans avoir été jamais publiée. Le propriétaire du site 1fichier.com qui soupçonnait de figurer sur cette liste a fait une demande CADA pour obtenir ce document. Mais la commission constate que cette liste n’existe pas au Ministère de la Culture. Seuls les ayants droit en disposent. Un parfait exemple du risque de laisser se développer une justice privée au nom de la protection du droit d’auteur…

Pépite (pas) Libre : Cette semaine est sorti le documentaire Nouveau Monde tourné par Yann Richet, qui présente une série d’alternatives pour sortir des différentes crises que nous traversons. Bien que proche de Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent, ce film s’en démarque parce qu’il met l’accent sur l’impact positif d’internet et insiste sur l’importance de l’Open Source et des licences libres pour le passage à l’échelle des alternatives. Pourtant, le film lui-même n’est pas sous licence libre, ce qui crée une certaine contradiction entre le fond et la forme, et ce d’autant plus qu’il a été en partie financé via un crowdfunding. Comment expliquer ce genre d’incohérences et verra-t-on un jour un film qui aille jusqu’au bout dans la défense des alternatives, y compris dans son mode de diffusion ?


Transcription

00’

Musique

Olicat : Bonjour et bienvenue à tous et à toutes, à l’écoute de Freezone épisode 19 aujourd’hui. Bonjour à toi Lionel !

Lionel : Bonjour !

Olicat : Aujourd’hui un épisode de Freezone qui va nous faire discuter ensemble de trois actualités dont une pépite pas libre.

Lionel : Ouais !

Olicat : Comme quoi, une fois n’est pas coutume. Il ne faut surtout pas s’habituer à la routine dans Freezone, donc très bien. Une news à surveiller. Une news relative à ce que tu as nommé la justice privée, en tout cas un exemple qui nous montre à quel point ce type de dérive est possible lorsqu’on veut absolument faire plaisir aux ayants droit. On va commencer tout de suite avec la news à surveiller. Tu aimes bien nous exhumer ou nous faire part de procès, un peu ridicules de notre point de vue, qui nous arrivent souvent, d’ailleurs, des États-Unis d’Amérique et là il s’agit précisément de l’affaire dancing baby. Tu veux nous la résumer un petit peu cette affaire ?

Lionel : Oui. C’est un cas peut-être des plus célèbres de dérive.

Olicat : Qui dure depuis dix ans.

Lionel : Ouais, là on est presque à dix. À la base, c’est une mère de famille américaine qui filme son fils dans sa cuisine en train de se trémousser sur Let's Go Crazy de Prince.

Olicat : Donc un truc très banal.

Lionel : Voilà. Et elle fait une petite vidéo de 29 secondes qu’elle met sur YouTube.

Olicat : Et c’est là où ça ne va pas.

Lionel : Évidemment voilà ! Universal, qui a des droits sur la chanson, envoie une notification de retrait et obtient de YouTube le retrait. Et c’est là où ça devient intéressant, c’est que cette femme, qui s’appelle Stéphanie Lenz, décide que non, que ça ne se passera pas comme ça. Elle réagit. Elle fait une contre notification et elle arrive au bout du compte à obtenir à ce que sa vidéo soit remise en ligne. Elle, ce qu’elle dit, c’est qu’elle a le droit de le faire puisqu’il y a un truc aux États-Unis qui s’appelle le >i>fair use, l’usage équitable. Elle estime que c’est applicable à son cas. Donc elle obtient la remise en ligne de la vidéo, mais elle ne s’arrête pas là, elle dit : « Moi je ne vais pas m’arrêter là, je vais vous attaquer en justice aussi, pour atteinte à mon droit d’utiliser ce contenu. » Bon, ça prend des proportions !

Olicat : Mais ça va quand même devant la Cour suprême.

Lionel : Il y a eu un premier procès, un second en appel et là, maintenant, je le mets dans l’actualité aujourd’hui, parce que c’est arrivé, au bout de dix ans, jusqu’en haut, jusqu’à la Cour suprême des États-Unis.

Olicat : Hallucinant.

Lionel : Qui va donc examiner le cas dancing baby.

Olicat : Alors là on est dans le cas assez classique d’un ayant droit qui exerce son droit de retrait. Pour autant, ce que tu nous dis Lionel, c’est que ça pose la question de la façon dont ces retraits automatiques sont opérés sans considération des contextes, en fait, et des usages.

Lionel : Oui, c’est ça en fait. Il y a une raison pour laquelle notamment Universal s’y accroche et puis aussi Stéphanie Lenz est soutenue par l’EFF aux États-Unis, c’est l’Electronic Frontier Foundation, c’est l’association de défense des libertés qui a des avocats très performants.

Olicat : Oui, parce que là on est au-delà de la vidéo de son gamin qui se trémousse sur Prince.

Lionel : En fait il y a un truc derrière tout ça., c’est que déjà, Universal, au début, avait soulevé un argument vraiment stratégique où il disait : « Oui, il y a le fair use dans la législation », c’est-à-dire ce droit d’usage équitable. En gros ça dit : « Si vous utilisez un contenu sans faire vraiment de concurrence à l’œuvre originale, en apportant une valeur ajoutée, voilà, il y a des critères à prendre en considération, alors, du coup, la loi vous donne la possibilité de le faire » Et Universal disait : « Oui, ça existe, mais vous ne pouvez pas l’utiliser pour attaquer, en fait. Vous ne pouvez pas l’utiliser pour attaquer en justice un ayant droit. Vous pouvez seulement l’utiliser pour vous défendre si vous êtes attaqué dans un procès. » Donc eux voulaient absolument défendre cette interprétation pour ne pas risquer justement d’être attaqués par les gens.

Olicat : Absolument !

Lionel : Et ça, ça a été rejeté dans les deux premiers niveaux. Si tu veux, les deux premiers procès ont donné raison à Stéphanie Lenz en disant « non ce n’est pas seulement un moyen de défense, c’est aussi un droit donc vous pouvez attaquer quelqu’un quand il bafoue votre droit à l’usage équitable. » Donc ça c’est le premier point important. Il y en a un second c’est que les juges ont donné raison à la mère de famille, mais ils ont dit : « Un titulaire de droits a le droit de faire des demandes de retrait, mais il doit observer de bonne foi si le fair use n’est pas en jeu dans l’affaire. »

Olicat : OK !

Lionel : Tout le gros point central touche là.

Olicat : Est là précisément !

Lionel : Qu’est-ce que ça veut dire « examiner de bonne foi ». On sait que ça ne veut pas dire faire un examen approfondi. Ils n’ont pas à payer un cabinet d’avocats pour faire une étude du cas. Mais il faut quand même qu’ils regardent de manière, voilà. Et donc ça va se trancher là-dessus à la Cour suprême. Là où ça a vraiment un impact stratégique c’est : est-ce que « de bonne foi » est compatible avec une surveillance automatisée des contenus par un robot

Olicat : C’est ça, les fameux robots copyright dont on a déjà parlé dans Freezone.

Lionel : Du coup, si jamais « de bonne foi » ça veut dire qu’il faut vraiment qu’il y ait un regard humain, parce que le fair use ça ne peut pas s’apprécier par une machine.

Olicat :Non, absolument !

Lionel : C’est impossible. Donc du coup il faut qu’il y a un regard humain. Si « de bonne foi » ça veut dire avec un regard humain ça peut, de manière indirecte, si tu veux, remettre en cause complètement la surveillance par algorithme des contenus sur YouTube et au-delà.

Olicat : En quoi un procès, à priori ridicule, est ultra stratégique pour nous en tout cas.

Lionel : Oui, ça peut avoir un impact.

Olicat : Qui combattons ce genre de sanction automatique, sans appréciation des contextes et des droits, finalement, qui sont établis et pas remis en cause jusqu’à présent.

Lionel : Voilà c’est ça.

Olicat : Est-ce qu’on va aller jusqu’à remettre en cause le fair use, justement pour s’enferrer dans ce type de pratique du robot copyright.

Lionel : En fait, c’est ce qui se passe actuellement, c’est-à-dire que, de fait, YouTube méconnaît complètement le fair use par son système automatisé de retrait des contenus.

Olicat : Là qu’est-ce qu’on peut regretter ? C’est que pas plus de mères de famille ou autres ne fassent de procès, en vérité.

Lionel : Ah mais oui, carrément. En fait c’est ça, c’est un aspect du problème. C’est-à-dire qu’on ne peut faire bouger dans la justice que s’il y a des procès, mais encore faut-il avoir les reins solides pour s’attaquer à Prince et à Universal.

Olicat : C’est ça. Il faut quand même être suivi par l’Electronic Frontier Foundation.

Lionel : C’est sûr.

Olicat : OK, donc c’est à suivre. On a une idée de délais de passage devant la Cour suprême ?

Lionel : Là, à mon avis, c’est premier semestre de l’année prochaine. Ça va aller assez vite parce que la Cour fait déjà, on voit qu’ils instruisent déjà. Donc c’est premier semestre.

Olicat : OK. Donc un Freezone 40.

Lionel : Oui, ça serait bien !

Olicat : À peu près pour commenter les résultats de cette affaire. Justice privée, c’est la deuxième news que tu as sélectionnée pour ce Freezone 19, cette semaine, Lionel. Alors elle toute fraîche celle-là. Elle date d’hier, en tout cas, je l’ai vue hier sur PC INpact, notamment, excellent magasine en ligne.

Lionel : Oui, ça m’a fait bondir. J’avais prévu autre chose, et puis j’ai changé.

07’ 54

Olicat : Alors en 2015, tu nous re-contextualises tout ça, le ministère de la Culture a organisé la signature de chartes, au pluriel, entre les ayants droit, les intermédiaires de paiement et les régies publicitaires, pour lutter contre les sites contrefaisants en asséchant, évidemment, leurs recettes publicitaires. Pour cela, une liste noire de sites a été élaborée. Elle n’a jamais, évidemment, été publiée. Le propriétaire du site 1fichier.com, bien connu de ceux qui s’échangent des fichiers sur Internet, soupçonnait de figurer sur cette liste et a fait une demande CADA pour obtenir ce document. Justement, c’est quoi une demande CADA ?

Lionel : C’est le droit d’accès aux documents administratifs. C’est un droit qui existe depuis 1978 où, quand une administration a un document, tu peux en demander la communication. Il y a des conditions, mais c’est quand même un droit assez large.

Olicat : Et les demandes de codes sources qui ont été faites récemment sont dans le cadre d’une CADA.

Lionel : C’est ça. C’est parce que la justice a considéré que les logiciels étaient des documents administratifs.

Olicat : OK ! Alors revenons à nos moutons. La Commission constate que cette liste n’existe pas au ministère de la Culture, donc curieux. Et là ce que tu nous dis, finalement, et c’est là que ça achoppe, clairement, c’est que les ayants droit, eux, en disposent de cette liste. Un parfait exemple, nous dis-tu, du risque de laisser se développer une justice privée au nom de la protection du droit d’auteur. Et ça, c’est grave !

Lionel : Oui, c’est une dérive. Dès qu’on a vu cette histoire de charte en 2015, c’était Fleur Pellerin qui était à la manœuvre de ce truc. Leur but c’était, tu sais, de lutter contre les sites de streaming et de directupload, parce que HADOPI ne peut pas lutter contre ça.

Olicat : Eh non !

Lionel : Donc ils se sont dit « on va prendre un billet détourné, on va aller frapper au porte-monnaie, on va les empêcher de pouvoir avoir des ressources financières. Mais pour ça, ils n’avaient absolument pas envie de passer une loi parce qu’ils savent que ça c’est le genre de sujet qui peut être extrêmement tetchy.

Olicat : Oui, enfin ils savent passer des décrets en pleine de Toussaint aussi !

Lionel : C’est sûr. Ouais. On a vu ! C’est clair.

Olicat :On verra si on a cinq minutes pour en parler.

Lionel : Du coup, ils se font des accords sous forme de chartes avec donc les intermédiaires de paiement, c’est genre Paypal et compagnie, et les régies publicitaires. Et dans l’accord ils disent : « On établira une liste de sites massivement contrefaisants », et donc ces sites sont blacklistés, ça veut dire qu’ils ne peuvent plus faire affaire avec ces intermédiaires-là.

Olicat : C’est ça et c’est le problème de 1fichier qui manifestement avait des difficultés à trouver des intermédiaires bancaires pour facturer ses services.

Lionel : C’est ça. Tout à fait. Donc lui, il veut vendre ses listes-là, il demande au ministère de la Culture la liste, mais le ministère de la Culture, en fait, la liste il ne l’a pas. C’est-à-dire que non seulement il ne l’a pas, mais il n’en a même pas connaissance, tu vois !

Olicat : C’est ça qui est hallucinant. C’est-à-dire qu’il y a signature entre un ministère et des entreprises privées que sont les ayants droit, de chartes, sur la base de documents que le ministère lui-même ne contrôle pas.

Lionel : Ouais. Ils ont complètement laissé les titulaires de droits s’arranger avec les intermédiaires. Moi, personnellement, je ne défends absolument pas les sites de streaming et de directupload.

Olicat : Ce n’est pas le sujet !

Lionel : On est bien d’accord, ce n’est pas du tout, pour moi, une façon saine de partager la culture. Mais le problème que ça pose c’est comment tu estimes qu’un site est contrefaisant ? C’est complexe. 1Fichier.com c’est un intermédiaire technique. Oui je pense que dans le lot il doit y avoir des fichiers protégés qui passent, tu vois !

Olicat : Absolument !

Lionel : Mais ce n’est pas comme ça que ça marche. Ils ont une non-responsabilité de principe. Il faut qu’ils montrent qu’ils ont mis en place des garanties dans leurs CGU, dans leurs procédures de retrait, et après ça ne se règle pas en blacklistant le site en entier. Donc voilà, on est arrivés à une forme de justice privée. Ça fait longtemps qu’on dit que ça mène immanquablement à ce genre de choses.

Olicat : Que la dérive est évidente.

Lionel : Et connaissant le mode de fonctionnement des sociétés de gestion collective et des ayants droit en France, ça ne pouvait que mener à ce genre de pratique opaque. Heureusement 1fichier.com a l’air de dire qu’il va attaquer en justice.

Olicat : Oui, justement, j’allais dire à partir de là comment mettre à jour sur la scène de la justice ce type de pratique ?

Lionel : Bien sûr. Maintenant il peut attaquer en justice. Il va essayer de demander à ce qu’un juge fasse une injonction dans le cadre d’un procès pour obtenir cette liste. Mais elle ne sera pas rendue publique, en plus, tu vois !

Olicat : Non !

Lionel : Ça crée un précédent, je trouve. Et en fait, quand on se battait conte ACTA, il y a très longtemps, on se battait typiquement contre ça.

Olicat : Ouais, absolument !

Lionel : Et c’est devenu réalité, personne ne s’en est vraiment aperçu parce que ça s’était fait par petites touches, mais voilà, on y est quoi !

Olicat : Alors c’est Yann Richet qui va être à l’honneur de ta pépite pas libre de la semaine. Alors évidemment, on suivra cette histoire avec 1fichier. On espère, évidemment, qu’ils attaqueront en justice et qu’ils obtiendront cette fameuse liste. Après le problème avec ce genre de développement c’est que personne ne va se mobiliser autour de ces questions, en vérité, enfin de façon massive, populaire, etc., et ça reste très compliqué.

Lionel : Oui. C’est compliqué. Bien sûr.

13’ 00

Olicat : Alors la pépite pas libre concerne Yann Richet et un documentaire