Différences entre les versions de « Faut-il breveter les logiciels »

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Publié [https://www.april.org/faut-il-breveter-les-logiciels-satt-aquitaine-science-transfert ici] - Juillet 2020
'''Titre :''' Table ronde : Faut-il breveter les logiciels ?
 
 
 
'''Animateur''' : Jacky Chartier
 
 
 
'''Intervenant :''' Céline Serrano, Pierre Breesé, Hervé Lardin, Owen Lagadec-Iriarte
 
 
 
'''Lieu :''' Aquitaine Science Transfert®
 
 
 
'''Date :''' Novembre 2013
 
 
 
'''Durée :''' 2 h 03 min
 
 
 
'''Lien vers la vidéo :''' [https://www.youtube.com/watch?v=-AloH5gJ4lE]
 
 
 
== 00' ''transcrit MO'' ==
 
 
 
'''Jacky Chartier :''' Je propose de commencer cette cinquième table ronde. Donc c'est la cinquième d'une série de huit tables rondes qui se sont déroulées depuis quelques mois maintenant et qui se termineront avant la fin de cette année. Donc la table ronde d'aujourd'hui s'intitule « Faut-il breveter les logiciels ? ». Cette table ronde est organisée par Aquitaine Science Transfert. Aquitaine Science Transfert est la société d’accélération du transfert technologique de la région Aquitaine. Les missions d'Aquitaine Science Transfert, juste en quelques mots avant de rentrer clairement dans le vif du sujet, sont pour le compte de ses actionnaires que sont l'université de Bordeaux, l’université de Pau et des Pays de l'Adour, le CNRS et l'Inserm, principalement d'assurer le suivi du portefeuille de titres ou d'assurer finalement la valorisation des résultats de la recherche, avec un pan important en termes de maturation, c'est-à-dire simplement investir le juste nécessaire qui permet à ce que les résultats de la recherche et des laboratoires de nos actionnaires, finalement puissent être correctement appréhendés et saisis par les entreprises ou les entités vers lesquelles on souhaite effectuer ce transfert. Voilà en quelques mots les missions d'Aquitaine Science Transfert.
 
 
 
Pour cette table ronde nous sommes en retransmission aussi au sein de l'université de Pau et des Pays de l'Adour et nous aussi en retransmission en direct par Internet. Nous pourrons, à certains moments, avoir des questions qui pourront venir de la part  des personnes connectées par le web, c'est pour ça que, du coup, je ne manquerai pas à certains moments de regarder sur la tablette si certaines informations ou si certaines questions ou précisions nous arrivent.
 
 
 
Donc pour cette table ronde nous avons fait le choix d'avoir quatre intervenants qui vont se présenter ensuite rapidement. Donc Céline Serrano qui est responsable du Patrimoine Brevets à la Direction du transfert et de l'innovation au sein de l'Inria, Pierre Breesé, qui est président de Fidal Innovation, Hervé Lardin, qui est le président de ProLibre et Owen Lagadec-Iriarte, qui est du coup le président d'IKlax. Je vous propose peut-être en quelques mots de commencer simplement par une courte présentation de qui vous êtes.
 
 
 
'''Céline Serrano :''' Oui donc Céline Serrano. Je suis à l'INRIA l'Institut National de Recherche en Informatique et Automatique, à la direction du transfert et de l'innovation et donc je gère le portefeuille de brevets de l'Inria, portefeuille de brevets qui est de taille très modeste, cent vingt familles, puisque la plus grosse production donc de l'Inria c'est essentiellement du logiciel. Donc voilà. Petit portefeuille de brevets mais qui m’occupe quand même pas mal.
 
 
 
'''Pierre Breesé :''' Pierre Breesé, je suis conseil en propriété industrielle, mandataire européen en brevets. Je suis physicien de formation au départ avec une formation complémentaire en droit de la propriété industrielle. J'ai commencé à travailler dans la recherche publique à L'Inserm. Il se posait d'ailleurs déjà des questions de protection des logiciels dans le domaine de l'imagerie notamment. Et donc je dirige un cabinet de conseil en propriété industrielle qui intervient auprès de start-up dans la recherche publique et de grandes entreprises et je suis souvent confronté à la question de « faut-il breveter ou non des innovations dans le domaine pour utiliser langue de bois des inventions mises en œuvre par ordinateur »?
 
 
 
'''Hervé Lardin :''' Bonjour je suis Hervé Lardin. Je suis ici pour représenter l’association ProLibre qui est le groupement des entreprises logiciel libre en Aquitaine et donc je suis également, évidemment, un entrepreneur dans ce domaine, selon qu'on me considère par un angle ou par un autre, je suis soit une société de service en logiciel libre, soit un éditeur en logiciel libre, les deux ayant tendance à se confondre. Nous en parlerons plus tard.
 
 
 
'''Owen Lagadec :''' Bonjour. Je suis donc Owen Lagadec, le président d'IKlax et de la société Apps and Co. Mon expérience dans les brevets c'est d'avoir conçu un brevet en partenariat avec le LaBRI, Laboratoire  Bordelais de Recherche Informatique, que nous avons amené jusqu'à devenir une énorme MPEG. Ça a été une des justifications de la brevetabilité on en parlera tout à l'heure. Mais toute la journée je fais un peu comme mon collègue à gauche, je fais de la prestation de service informatique, donc je suis amené à développer de nombreuses lignes de code et la question de la brevetabilité se pose, bien sûr.
 
 
 
'''Jacky Chartier :''' Alors avant de rentrer, j’allais dire dans le vif du sujet, ce qu'on propose finalement c'est d’aborder avec Pierre qui est peut-être le plus juridique des membres autour de la table et sans rentrer exclusivement et sans orienter l'ensemble de notre table ronde autour de questions juridiques, mais c'est un peu de renter avec Pierre Breesé justement sur quelques notions et peut-être quelques définitions qui vont permettre à tout le monde d’être d'accord sur, finalement, de quoi parle t-on quand on parle de logiciel, quand on parle de programme d'ordinateur, quand on parle peut-être d'algo, enfin en quelques mots.
 
 
 
'''Pierre Breesé :''' Il y a un empereur chinois qui expliquait que pour que son peuple vive en harmonie il faut lui offrir un dictionnaire. Et je pense qu'on pourra débattre en harmonie si on utilise les mêmes mots pour désigner la même chose et c'est vrai que dans ce domaine entre guillemets « de la brevetabilité des logiciels », beaucoup de confusions viennent de ce qu'on n'utilise pas forcément les bons termes et donc on va partager les définitions pour être sûrs qu'on parle des mêmes choses. Quand on parle de programme d'ordinateur, que ce soit pour le juriste ou pour le technicien, pour le développeur, c'est une liste d'ordres qui indique à un ordinateur ce qu'il doit faire. On est à peu près d'accord là-dessus. Le terme de code, qu'on va utiliser probablement les uns et les autres, c'est un jeu d'instructions spécifiques à un type de processeur qui va être exécuté par une machine, donc un processeur, pour réaliser le programme informatique. Il peut être en langage machine, direct, ou dans un langage évolué qui ensuite est interprété. Le logiciel, puisque c'est le terme qui est employé dans cette thématique, le logiciel qu'on utilise tous, OpenOffice ou Word ou d'autres, souvent est constitué de plusieurs programmes d'ordinateur, parfois un très grand nombre de programmes d'ordinateur, des DLL, des applications, parfois des programmes extérieurs à l'ordinateur qui fonctionnent ensemble. L'algorithme, on peut le dire, c'est le précurseur du programme d'ordinateur, c’est la représentation schématique de la succession d'instructions qui vont être exécutées par le programme d’ordinateur.
 
 
 
Juste pour terminer sur cette présentation terminologique, quand on parle de propriété intellectuelle, qu'est-ce que ça recouvre ? Ça recouvre les droits de propriété industrielle dont le brevet, la marque, les dessins et modèles, et la propriété littéraire artistique ou plus simplement le droit d'auteur. Dans tous les cas la propriété intellectuelle c'est juridiquement un droit d'interdire. Le détenteur d'un droit de propriété intellectuelle a le droit d'interdire à un tiers l'usage de ce qui est protégé. Lorsqu'il s'agit d'un brevet, le titulaire du brevet est en droit d'interdire à un tiers l'exploitation de l'invention brevetée et l'invention brevetée c'est aujourd’hui une solution technique à un problème technique. Celui qui est détenteur d'un droit d'auteur est en droit d'interdire à quiconque l'utilisation de ce qui est protégé par le droit d'auteur et peut l'organiser en concédant une licence qui peut être libre ou qui peut prendre des formes diverses et variées.
 
 
 
'''Jacky Chartier :''' Ou qui est donc concrètement, si quelqu'un ou si par exemple '''je''' code et je crée un logiciel, quels sont mes droits finalement et comment je peux revendiquer dans un premier temps ce que j'ai fait et qu'il est à moi ?
 
 
 
'''Pierre Breesé :''' Alors ce qu'un développeur va produire, bien sûr va se traduire par un programme, par du code, qui peut faire l'objet de deux types de droit de propriété intellectuelle. Il peut faire l'objet d'un brevet, il peut être considéré comme une invention brevetable, on y reviendra tout à l'heure et à ce moment-là c'est le régime des inventions des salariés qui s'applique ; et il s'applique en ce sens que les inventions réalisées par un salarié dans le cadre de sa mission inventive appartiennent à l'employeur. Et le législateur, en matière de brevet, a été relativement généreux puisqu'il a prévu que, certes l'invention brevetable appartient à l'employeur, mais le salarié a droit à une rémunération supplémentaire. Mais cette création, ce développement, peut aussi, est aussi constitutif d'une œuvre de l’esprit, protégée par le droit d'auteur. Le droit d'auteur, dans le domaine de l'informatique, connaît une exception au régime général puisque, en France, les droits d'auteur portant sur un logiciel créé par un salarié appartiennent à l'employeur. Donc même statut que pour les brevets, avec une petite différence, c'est que là le législateur n'a pas jugé opportun de prévoir une rémunération supplémentaire. Bien sûr l’employeur peut, s'il est généreux, le faire, mais en tout cas la loi ne prévoit pas, de façon nécessaire, cette rémunération supplémentaire au profit du développeur salarié qui a produit un logiciel protégé par le droit d'auteur.
 
 
 
'''Hervé Lardin :''' Je voudrais juste apporter une petite précision. Le brevet appartient à l'arsenal juridique existant dans le domaine général de la propriété industrielle, par contre le brevet n'appartient pas à l'arsenal juridique propre au domaine du logiciel. Le logiciel est clairement exclus du domaine de la brevetabilité. Il ne peut pas y avoir de protection d'un logiciel par l'utilisation du brevet.
 
 
 
'''Pierre Breesé :''' Voilà. C'est un sujet qui est forcément polémique. Bien sûr que je ne partage pas ce point de vue. Le logiciel, comme un fauteuil, comme une table, est un objet qui peut être brevetable, ou pas, suivant certaines circonstances. La remarque que vous avez faite effectivement s'appuie sur une formulation que j'admets un peu en ??? du code de la propriété intellectuelle en matière de brevet, et qui a été repris dans toutes les législations internationales. Comment est formulée cette disposition ? Et je comprends votre remarque. C'est un article qui est divisé en trois alinéas. Premier alinéa, indique que sont brevetables les inventions nouvelles, inventives, et susceptibles d'applications industrielles. Jusque là ça semble clair. Juste une remarque, vous remarquez qu'on n'a pas déterminé ce qu'est une invention, alors que dans la vieille loi de 68 c’était défini.
 
 
 
Deuxième alinéa. Ce deuxième alinéa précise que toutefois ces éléments sont exclus de la brevetabilité, ne sont pas considérés comme des inventions brevetables au sens du premier alinéa, un certain nombre de choses : les découvertes scientifiques, les méthodes intellectuelles en tant que telles et les programmes d’ordinateur. Alors on dit, eh bien voilà, vous avez tout à fait raison, les programmes d'ordinateur ne sont pas brevetables, l'alinéa deux le précise expressément.
 
 
 
Alinéa trois, précise, toutefois ces éléments n'en sont exclus qu'en tant que tels. Alors là vous voyez effectivement la difficulté d'interprétation : qu'est-ce qu'un programme d'ordinateur « en tant que tel » qui n'est pas brevetable et un programme d'ordinateur « pas en tant que tel » qui est brevetable ? Je reconnais que ça peut sembler un peu byzantin mais, heureusement, la jurisprudence a aujourd'hui apporté un éclairage sur ce qui est considéré comme une invention et relève donc du brevet, y compris dans le domaine de l'informatique, et ce qui est un programme d'ordinateur « en tant que tel » ou une méthode intellectuelle ou une méthode économique « en tant que telle » qui n’est pas brevetable. Et ça, ça a été l'objet de vingt ans de débats, de jurisprudence mais qui est en train de se stabiliser, avec une évolution importante des États-Unis qui étaient très laxistes et qui se sont rapprochés très fortement de la position française.
 
 
 
Et quand je disais, tout au début, que j'utilisais un peu la langue de bois pour parler de brevetabilité des inventions mises en œuvre par  ordinateur, c'est parce que le législateur a été vigilant à ne pas créer de confusion en parlant de brevetabilité des programmes d’ordinateur ou des logiciels, comme on l'a fait pour cette table ronde, mais en utilisant ce terme plus neutre et je pense à un point qui sera abordé tout à l'heure. Aujourd’hui on admet que dans le domaine de l'informatique on a un résultat qui est brevetable lorsqu'on est face à une solution technique à un problème technique ; y compris lorsqu’il s'exprime sous une forme de code informatique. Je vais vous donner des exemples de logiciels entre guillemets « brevetés » que vous utilisez tous les jours, et notamment ceux qui nous écoutent à distance. Les logiciels, les codecs de compression et de décompression de fichiers audio ou vidéo sont protégés, certains sont maintenant dans le domaine public, mais à un moment il y avait quatre cent trente cinq brevets qui portaient sur donc la compression, qui a fait l'objet de la norme ensuit MPEG. Pourquoi est-ce que ce sont des solutions qui sont brevetables ? Parce qu'elles apportent une solution technique à un problème technique qui est, par exemple, de réduire la taille du fichier tout en préservant la qualité d'écoute inchangée ; ou qui permettent de réduire la bande passante nécessaire pour transmettre une information sans en dénaturer le sens. Donc on est bien dans une solution technique à un problème technique, qui devient brevetable, si elle est nouvelle et inventive, et qui s'exprime aussi, bien sûr, sous forme de code qui est protégé par le droit d'auteur. Et cette solution technique qui consiste à échantillonner à telle fréquence le signal puis à appliquer une transformation, une formule de Fourier, puis à supprimer telle fréquence etc, peut être implémenter sous un grand nombre de formes logicielles, un grand nombre de codes. Mais ce qui sera protégé c'est la formulation technique qui est, disons, le précurseur du code informatique qui sera ensuite développé et protégé par le droit d'auteur, éventuellement exploité sous une forme libre.
 
 
 
==16' 12 ==
 
 
 
'''Jacky Chartier :''' Donc on comprend un peu la démarche relative à la notion, peut-être, de brevetabilité des solutions techniques à un problème technique qui peuvent être mises en œuvre par un ordinateur. Alors peut-être directement quelque chose qu'on entend aussi souvent notamment en relation avec la protection ou la notion de protection des logiciels. Beaucoup de gens nous disent « moi j'ai protégé mon logiciel à l'Agence de Protection des Programmes », justement cette notion de « j'ai protégé mon logiciel à l’Agence de Protection des Programmes », est-ce que déjà l'Agence de Protection de Programmes, alors peut-être Céline Serrano, Owen Lagadec, est-ce que finalement l'Agence de Protection des Programmes protège en tant que tel le logiciel ? Est-ce qu'on est dans une démarche finalement obligatoire, contraignante auprès d'un office ? Finalement qu'est-ce que ça peut signifier quand on entend « j'ai protégé mon logiciel auprès de l'Agence de Protection des Programmes » et est-ce que finalement il ne l'est pas déjà avant même de faire cette démarche ?
 
 
 
'''Céline Serrano :''' Avant même de faire la démarche je pense qu'on a automatiquement le droit d'auteur, le copyright dès la création en fait du logiciel. A priori il n'est pas obligatoire de déposer à l'Agence de Protection des Programmes.
 
 
 
A l'Inria c'est quelque chose qu'on pratique énormément, on en fait cent cinquante par an, à peu près, dans un but d'avoir une preuve de la création donc de cette œuvre logicielle et d'avoir donc une reconnaissance de la paternité Inria. Ça nous permet aussi, nous, en interne, de tracer des auteurs, d'avoir les auteurs du logiciel et en même temps les ayants droit, c'est-à-dire les organismes qui ont contribué aussi à la production de ce logiciel, puisque la plupart des équipes de l'Inria sont des équipes communes avec des partenaires académiques. Et finalement à l'Inria ça va nous permettre aussi de recenser une partie de la production logicielle. On va utiliser donc le dépôt APP aussi comme une façon de recenser ce qu'on produit. Mais ce n'est pas du tout obligatoire. C'est beaucoup moins coûteux qu'un brevet, c'est plus simple. Il suffit de graver un ou deux CD, donc c'est une procédure qui est assez simple et peu coûteuse, et qui peut, en cas de litige, nous apporter donc la preuve de la création du logiciel.
 
 
 
'''Pierre Breesé :''' Effectivement c'est important d'avoir à l'esprit qu'une œuvre de l’esprit, et notamment un programme d'ordinateur, est protégée sans qu'on n'ait rien à faire, dès la conception de l’œuvre. C'est-à-dire même avant que l'on l'ait transcrite sous forme de lignes de code, etc. Néanmoins, pour se prévaloir de ses droits, il faut pouvoir en rapporter la preuve et le rôle de l'APP est donc un tiers de confiance à qui on peut faire confiance sur le fait que ce qui a été déposé a bien été conçu à une date antérieure et correspond bien à ce qu'on a déposé. Donc c'est un moyen de preuve utile pour identifier ce dont on peut se prévaloir d'un droit qui préexistait avant ce dépôt. Alors qu'en matière de brevet le droit n'existe qu'après avoir accompli la formalité de rédiger une demande de brevet, de la déposer, de payer des taxes, 268 euros, ça reste raisonnable, mais il n'y a pas de droit qui préexiste avant l'accomplissement de cet acte administratif de dépôt.
 
 
 
'''Jacky Chartier :''' Juste avant que tu ne prennes la parole c'est simplement pour vous demander à tous intervenants de bien parler près du micro parce qu'on fait remarquer du coup en messages que, dans certains cas, on ne vous entend pas suffisamment.
 
 
 
'''Owen Lagadec :''' Les messages marchent donc !
 
 
 
'''Jacky Chartier :''' Oui, tout à fait.
 
 
 
'''Owen Lagadec :''' Petit détail important pour ceux qui ne maîtriseraient pas particulièrement la différence entre l'APP et la brevetabilité, c'est une notion quand même fondamentale dans ce qu'on va discuter. Quand on brevette on dit comment on a fait. Quand on dépose à l'APP, on a simplement créé une date d’antériorité, et ça c'est une différence fondamentale, parce que c'est bien la question de la brevetabilité des logiciels, sans rentrer dans trop de détails. Le logiciel ça peut se résumer à « j'ai choisi un chemin pour aller au même endroit que toi ». Quand on dépose à l'APP, c'est comme d'écrire un bouquin d'histoire de, peu importe ''le Rouge et le Noir de Stendhal'' on pourrait la même histoire d'une autre manière, mais l'histoire reste la même. On ne dépose pas un brevet sur le principe de l'histoire.
 
 
 
Alors que quand on fait un tire-bouchon on résout un problème technique qui paraît évident même en voyant l'objet. Et c'est là que dans les brevets il y a un vrai souci, et en tout cas une difficulté à choisir entre un brevet dans lequel on va dévoiler la recette qu'on a utilisée et on considère donc que c'est la recette qui a de la valeur, alors que quand on dépose à l'APP c'est plutôt comme du copyright, on dépose le fait d'avoir codé le logiciel de '''cette''' manière-là. Mais quelqu'un pourrait le coder d'une autre manière, à ce moment-là l'APP n'intervient plus. C'est un petit détail juridique mais qui a son importance dans la partie stratégique future, c'est pour ça que c'est le contexte qui va un peu conditionner aussi le choix entre les deux.
 
 
 
'''Jacky Chartier :''' Du coup puisque tu as le micro, juste peut-être trente secondes, tu es aussi confronté à des clients qui te demandent finalement quand tu fais du code pour eux d'apporter cette preuve de dépôt à l'Agence de Protection des Programmes.
 
 
 
'''Owen Lagadec :''' On est un peu dans de la sémantique. Quand on parle d'un logiciel, au sens du grand public et même du nôtre, c'est finalement le produit final qui est désigné comme le logiciel, c'est-à-dire c'est la boîte que j'ai achetée à la FNAC ou c'est, moi qui développe beaucoup d'applications pour les mobiles, c'est l'application iPhone qui est publiée sur l'Appstore qui paraît être le logiciel final pour le client. Et moi dans mon droit de prestataire, c'est bien sur cet objet final que je lui donne le droit d'exclusivité.
 
 
 
En revanche je ne donne pas de droit sur les codes. C'est-à-dire la manière dont je suis arrivé à ça, je me garde le copyright dessus, parce que quelqu’un d'autre pourrait lui faire strictement la même application avec un autre phénomène. En revanche, effectivement pour lui, pour mon client, la question se pose souvent « Comment vous me garantissez que personne ne fasse la même chose « ? Je ne peux pas. Je ne peux pas parce que mon logiciel est une somme de sous-logiciels eux-mêmes, qui sont une somme de sous-logiciels et ça c'est incompréhensible pour le grand public et pourtant c'est l'enjeu même de la brevetabilité. C'est si on ne comprend pas cet algorithmie-là on voudrait poser un logiciel sur l’idée, du coup, et on revient au final, aller juste une idée, j'ai refait ça comme ça, or la méthode du logiciel c'est vraiment quels outils de programmation j'ai utilisé pour aboutir au résultat ;  et c'est en ça, on y reviendra sans doute, mais démontrer qu'un logiciel peut-être breveté c'est qu'il faut résoudre cette question-là. Vous arrivez-là, mais votre méthode ? En quoi vous pouvez prouver qu'en gros pour le grand public elle est incompréhensible, voire pour l'homme de l'art. Et c'est là qu'il y a l'innovation particulière à trouver.
 
 
 
'''Hervé Lardin :''' Oui je voudrais reprendre sur les deux aspects qui viennent d’être présentés. La notion de la brevetabilité ou même l'existence d'un brevet sur un logiciel, si c’était possible, ne préjuge en rien de sa validité juridique. Les logiciels, en tant que tels, sont clairement exclus du champ de la brevetabilité. Les logiciels sont des œuvres de l'esprit et en tant que tels bénéficient automatiquement d'un droit, qui est un droit qui existe pour toute œuvre de l’esprit, qui est le droit d'auteur. Le droit d'auteur est inclus automatiquement dès lors que vous créez un logiciel. Ce droit d'auteur vous pouvez être amené effectivement à devoir faire la preuve que vous en êtes en détenteur. Cette preuve peut-être apportée donc à l'aide de l'APP que je ne connaissais pas avant aujourd'hui, mais nous, dans l'univers dans lequel on vit, la publication du logiciel me semble déjà de nature à faire la preuve de la paternité.
 
 
 
Pour reprendre un peu ce qui vient juste d’être dit, l'histoire du gâteau au chocolat est très intéressante. C'est-à-dire si vous faites une recette de gâteau au chocolat qui soit innovante et qui va intéresser les gens, cette recette-là c'est le code. Donc vous pouvez publier cette recette et la signer, mettre votre nom et c'est vous qui avez créé la recette. Mais vous pourriez par ailleurs, selon un autre process qui n'a rien à voir avoir le droit d'auteur, dire je dépose un brevet sur le fait de fabriquer un gâteau au chocolat. De ce fait, tous les autres qui voudraient fabriquer des gâteaux au chocolat, si votre brevet a été accepté, à ce moment-là seraient obligés de venir vous voir pour discuter ou vous pourriez les attaquer parce qu'ils ont fait un gâteau au chocolat.
 
 
 
C'est un exemple assez clair et il se trouve qu'effectivement nous, en Europe, de ce côté-ci de l’Atlantique, nous avons un organisme qui s'appelle l'OEB, l'Office européen des brevets, qui enregistre les brevets. Eux leur métier c'est d’enregistrer des brevets. Ils gagnent de l'argent en enregistrant des brevets. Et il y a un métier corollaire ce sont tous les gens qui travaillent pour aider à enregistrer les brevets et ensuite les défendre. Donc cette activité propre d'enregistrement des brevets n'a pas de constance juridique, n'est pas reconnue légalement. C'est-à-dire qu'il y des brevets déposés sur des choses aussi grotesques que le gâteau au chocolat. Il y a un brevet déposé, par exemple, sur la barre de progression d'un téléchargement. Celle que vous voyez s'afficher, il y a un brevet là-dessus. Fort heureusement, je dirais, le brevet n'est pas reconnu juridiquement. Personne ne va venir m'attaquer en tant que créateur de logiciel parce que j'ai mis une barre de progression de téléchargement, parce qu'effectivement le brevet n'a pas de validité juridique. Mais le brevet a été déposé, l'OEB a enregistré le brevet. La personne qui l'a déposé a payé pour que son brevet soit enregistré. Mais le brevet en tant que tel ne sert pas à protéger une œuvre de l'esprit. Une œuvre de l'esprit est naturellement protégée par le droit d'auteur qui vous garantit, de manière très forte, contre toute forme d'exploitation à votre insu de votre œuvre. 
 
 
 
'''Pierre Breesé :''' Bon je pense qu'il faut reclarifier les choses parce que c’était un peu du n'importe quoi.
 
 
 
Première chose, les idées sont de libre parcours. Donc l'idée de faire un gâteau au chocolat c'est de libre parcours, ni le droit d'auteur ni rien ne permettra d'interdire une idée d’être partagée, etc. Ce qui sera protégé c'est la façon de formaliser cette idée, elle peut se faire par l'écriture d'une recette et à ce moment-là on aura une protection sur la calligraphie de cette recette ou sur le texte qui ???, mais pas sur le principe de la recette elle-même. Et si cette recette représente une solution à un problème technique elle pourra être brevetée. Le brevet ne portera jamais sur un idée, sur un résultat, mais sur les choix techniques qui permettent de réaliser cette idée et d'autres pourront trouver d'autres choix techniques pour la réaliser également. Donc première chose.
 
 
 
Deuxième chose. L'Office européen des brevets, comme l'INPI, comme l'office américain des brevets ne sont pas des organes dans la nature, ils appliquent un droit, le même droit qui est appliqué par le tribunal. Donc ce qui est examiné par l'Office européen des brevets se fait en application donc du code de la propriété intellectuelle pour la France, de la Convention sur le brevet européen qui est également le texte qui sera appliqué par les tribunaux s'ils doivent se prononcer sur une présumée contrefaçon. Les offices procèdent à un examen de fond. Alors effectivement vous pouvez déposer un fil à couper le beurre si vous voulez. Le brevet sera déposé, il ne sera pas accordé. S'il était accordé les tiers peuvent faire opposition et il arrive que des brevets soient malgré tout délivrés. Ils seront annulés s'ils ne méritaient pas de l’être.
 
 
 
Dernière chose. Ce micro que je tiens en main, il est protégé par le droit d'auteur comme l'est protégé le logiciel développé par les uns et les autres. Sa forme esthétique est protégée par le droit d'auteur et ses solutions techniques à un problème technique sont elles protégées par un brevet. Pour n'importe quel objet, ce gobelet est protégé par le droit d'auteur pour son design, pour ses cannelures qui représentent un choix de la personne qui a dessiné ce gobelet, comme le logiciel est protégé par le droit d’auteur pour celui qui a écrit le code, et par ailleurs s'il apparaît que le renforcement de ce gobelet permettant de réduire la masse de plastique pour le mouler est une solution technique nouvelle et inventive, il sera aussi protégé par un brevet. Donc un même objet peut être protégé, présente différents attributs protégés par le droit d'auteur pour certains, par le brevet pour d'autres. C'est vrai pour le logiciel comme c'est vrai pour une brouette, un micro ou un gobelet.
 
 
 
'''Jacky Chartier :''' Donc, peut-être avant, j'allais dire de terminer sur cet aspect, non pas sur la stratégie puisque, à un moment donné on en viendra quand même à quelle stratégie nous conduit à quoi. Alors je dirais, du coup, autour de cette assemblée, on a donc au moins trois personnes qui finalement se sont trouvées, enfin se trouvent confrontées régulièrement à, j'allais dire, des dépôts de solutions techniques à un problème technique pouvant impliquer un programme d'ordinateur ,au sens de dépôt de demande de brevet. Donc au niveau de l'Inria, il y a plus d'une, il y en à peu près en terme de brevets issus de l'Inria qui finalement
 
 
 
'''Céline Serrano :''' Une centaine de familles.
 
 
 
Jacky Chartier :''' Il y a une centaine de familles.
 
 
 
'''Céline Serrano : De brevets, oui.
 
 
 
'''Jacky Chartier :''' D'accord du coup, eh bien je pense qu'en effet, Pierre le disait tout à l'heure, il y a eu pas de mal de brevets aussi qui ont été suivis dans le cadre de dépôts de son côté, et notamment aussi Owen tout au début de la création de ta société, tu t'es orienté, en relation avec le LaBRI par exemple, à du dépôt de brevets. Alors sans rentrer forcément dans les détails peut-être un ou deux exemples ou un ou deux éléments qui ont pu faire l'objet de quelque chose qui a nécessité ou justifié cette demande de dépôt de brevets. Enfin sans être trop long, mais est-ce qu’il n'y a pas un ou deux exemples qui peuvent venir à l'esprit et qui nous serviront peut-être à illustrer les questions stratégiques à un moment donné ?
 
 
 
==30' 52 ==
 
'''Céline Serrano :''' Au niveau Inria, on va breveter préférentiellement tout ce qui concerne des dispositifs, donc tout ce qui peut être, qui peut faire appel à du matériel en fait, à du hardware. On peut avoir ce genre d'activité. Tout ce qui est interface aussi avec des dispositifs matériels. Ça ce sont des choses, on va effectivement regarder le caractère brevetable, c'est-à-dire nouveau, inventif de ce genre de productions à l'Inria. Par contre, je ne sais pas, un langage de programmation, là effectivement toutes les déclarations d'invention qui arrivent dans ce genre de domaine, de sujet, tout ce qui est mathématiques appliquées, là ces déclarations d'invention sont refusées, on ne va pas du tout dans ce genre de brevet.
 
Alors c'est très souvent aussi à la demande de certains partenaires industriels qui ont une grosse activité de brevets où là, eh bien effectivement, l'Inria peut suivre la stratégie de ces industriels et faire des co-dépôts avec ces industriels qui ont une grosse activité brevets.
 
 
 
L'Inria va déposer prioritairement ses brevets aussi pour les start-up puisqu'on pense que ça peut être un réel plus donc pour les start-up de l'Inria, donc pour certaines start-up on a une grosse activité de dépôt de brevets qu'on leur concède en licence par la suite.
 
 
 
'''Pierre Breesé :''' Je peux peut-être donner l'exemple de deux brevets sur lesquels je suis intervenu au cours des semaines écoulées. Le premier concerne une application qui se trouve d'ailleurs maintenant dans les applications Apple. Le problème : c'est une application qui permet de réveiller lorsqu'on approche d'une station de métro, d'une station de train. Ce sera bien utile, j'ai raté la station de la ligne 9, parce que j’étais en train de téléphoner. Donc c'est une application qui est destinée à déclencher un signal lorsqu'on arrive, on approche de la station de gare, de la station de métro. En fait il y a un vrai problème technique parce que la couverture GPS n'est pas assurée en permanence dans le métro, ou dans certaines conditions. Bien entendu, si on veut avoir une fiabilité absolue, il faut pouvoir résoudre un problème technique qui est celui d'assurer le suivi de la position, y compris en l'absence de couverture GPS. Donc là, alors c'est une application purement logicielle, qui coûte 4 euros 99, que vous téléchargez sur app store, qui n'est que du code, mais qui est bien une solution technique à un problème technique, qui passe sur l'analyse, la signature des vibrations, etc, captées par le petit capteur de l'Apple etc, pour, comment dire, extrapoler la position, y compris en l'absence de couverture. Donc un exemple où on est clairement dans un problème technique pour lequel on a apporté une solution technique qui s'est avérée nouvelle et inventive, qui est, bien sûr, implémentée sous forme de code, mais qui pour autant est brevetable et protégée par le droit d'auteur sur le code qui a été ensuite distribué par l'app store.
 
 
 
Une autre solution technique qui a été purement logicielle qu'on a brevetée pour un fabriquant de raquettes de tennis dont Nadal se sert et a remporté Roland Garros, cette société donc a déjà intégré des capteurs gyroscopiques pour avoir, en temps réel, une information sur la vitesse de la balle au moment de l'impact. Et elle cherchait à raffiner l'information qu'elle fournit à des joueurs semi-professionnels, notamment en ce qui concerne l'effet de la balle. Et donc, la question qui se posait, c'est comment est-ce qu'on peut donner une information sur la vitesse relative de la balle sur la raquette de tennis. Et là on a travaillé avec des mathématiciens pour analyser les vibrations et trouver une signature qui permet de fournir une information sur la vitesse de rotation relative de la balle et donc l'effet de la balle. Là aussi c'est purement logiciel, ce sont des mathématiques, mais ça répond à une solution technique à un problème technique. Et des exemples comme ça il y en a un grand nombre.
 
 
 
Donc de qu'on brevette ce n'est pas Word, Excel ou OpenOffice. Ce sont vraiment des solutions qui peuvent mettre en œuvre des outils mathématiques, des outils logiciels, mais toujours dans cette logique de fournir une solution technique à un problème technique.
 
 
 
Et en général quand je suis face à un informaticien qui se pose cette question, dire on ne va pas faire de dogme, on va faire quelque chose de très simple. On va regarder les bases de données brevets pour identifier des brevets qui se rapprochent de votre finalité. Par exemple des brevets sur la reconstruction des trajectoires en l'absence de couverture GPS. Et là on va réagir pour déterminer ce qu'on a fait de différent. Et l'inventeur en général dit « ça, ça ressemble, mais attention, si on prend les perturbations magnétiques ça ne sa pas marcher parce que etc. ». Et donc là il va exprimer quels sont les choix différenciants qu'il a fait par rapport à cet existant, et on va pouvoir déterminer si ces différenciations sont de nature ergonomique, esthétique, auquel cas ça ne relève pas du brevet ; ou si ces différences sont de nature technique, apportent une solution technique à un problème  posé par ce qui existait déjà, auquel cas, on est dans le domaine du potentiellement brevetable et après se posera une autre question « est-ce que ce qui est potentiellement brevetable mérite de l’être » et ça c'est par rapport à la finalité visée.
 
 
 
'''Owen Lagadec :''' L'histoire de notre brevet à nous. Pour la faire simple, le contexte c'est, je suis musicien passionné et dans la musique, vous ne le savez peut-être pas, mais la musique que vous écoutez à la radio est d'abord produite avec ce qu'on appelle du multipiste, c'est-à-dire tous les instruments sont enregistrés séparément. Et en tant que musicien j'étais un peu frustré de ne pas pouvoir écouter de la musique en pouvant couper, en étant capable de couper la guitare, le piano ou la voix. D'autre part il sa trouve que je suis guitariste et quand je fais des concerts je ne fais jamais le même solo de guitare sur le même morceau. Je me suis dit il y a là une perte de créativité. Donc j'ai cherché une solution technique pour résoudre ça. On a donc conçu une technologie qui permet d'intégrer dans un seul format de fichier, c'est-à-dire un point quelque chose, tous les instruments dissociés. Et puis je me suis rapproché du LaBRI à Bordeaux pour réaliser ça et s'est posé donc le premier problème. Nous sommes deux entités différentes, avec des stratégies intellectuelles différentes et des stratégies à long terme différentes. Comment est-ce qu'on peut allier ou plutôt comment est-ce qu'on peut rassurer les deux entités ? La première réponse était on va figer la propriété intellectuelle de chaque apport sous une certaine forme. On n’était pas encore au brevet mais on peut se rapprocher là de ce qu'on fait avec l'Agence de la Protection des Programmes.
 
 
 
Et puis deuxième élément, moi j’étais un petit poucet donc au pays basque et puis s'est posée la problématique du modèle économique. Or le modèle que j'avais choisi c’était celui du MP3. Le MP3 gagne sa vie avec du ''licensing'', c'est-à-dire chaque fois que vous achetez un lecteur MP3, le consortium qui possède l'exploitation de la licence touche quelque chose. En choisissant ça je me retrouvais confronté à deux sous problèmes, l'internationalisation du droit : ce qui est valable en France n'est absolument plus valable dans le reste du monde, en tout cas pas en totalité. Et deuxièmement pour atteindre le niveau du MP3 je devais devenir un standard, c'est-à-dire que mon format point iKlax devait devenir un standard. Il se trouve que, le monde est ainsi fait, on pourrait en discuter, mais le monde est ainsi fait que lorsque vous devez intégrer votre technologie comme une norme alors vous êtes confronté à plein d’industriels en l’occurrence c’était Microsoft, Pionner et autres, qui eux-mêmes ont construit leurs technologies en important leurs brevets à l'intérieur.
 
 
 
Si on débarque dans cette norme avec une technologie du libre, c'est-à-dire le libre face au privé dans un seul domaine, alors j'avais un problème de moyens pour pouvoir me défendre et ainsi de suite. Donc toute cette problématique étant posée, on a décidé de poser un brevet qui a permis de figer dans le temps qui étaient les inventeurs et quelles étaient les entités qui possédaient ça, mais également d'avoir un élément juridique tangible à mettre, à confronter, à tous les industriels avec lesquels on négociait lorsqu’on a intégré notre technologie dans la norme. C'est donc ainsi qu'on a fait toute cette démarche et donc, nous, notre brevet n'a pas été sur le format de fichier parce que ce n’était pas brevetable. La solution technique qu'on a résolue c'est que, lorsque l'on écoutait une piste, on faisait des règles de liaison avec les autres pistes. Par exemple lorsqu'on écoutait la guitare il était alors impossible d'éteindre la basse. C’était ce qu'on appelait des règles d'inclusion. Ensuite on avait des règles d’exclusion : si vous éteignez la batterie alors la guitare s'éteint aussi parce que les deux ne peuvent pas marcher ensemble. Et c'est là-dessus qu'on a réussi à poser un brevet, non pas sur le lecteur final qui lit la technologie, ni sur le format de fichier parce qu'en tant que tel on ne pouvait pas le déposer.
 
 
 
Mais je fais quand même un parallèle parce que vous avez parlé de MPEG et comme je connais un peu le truc, je vous donne un autre exemple qui montre à quel point toute la discussion qu'on va avoir est quand même confrontée à l'internationalisation du droit. Il se trouve que dans le fichier MP3, vous savez quand vous le mettez dans votre lecteur, vous avez le titre du morceau qui est en train d’être joué, vous avez sa durée. Et ça c'est intégré, pour ne pas faire trop compliqué, dans ce qu'on appelle les métadonnées d'un format de fichier. Les métadonnées, c'est comme votre carte d’identité à vous, ça dit tout ce qu'il y en en vous, à peu près. Et bien en Corée du Sud, par exemple, on peut breveter cette petite métadonnée. C'est-à-dire le fait d'avoir mis une balise qui s’appelle titre dans un format de fichier, ça c'est brevetable. Ça c'est impossible à faire en France parce qu'il n'y pas de démonstration d'innovation technique là-dedans. Voilà aussi pourquoi la stratégie des brevets avait été choisie dans mon cas, c'est que, déjà qu'on était tout petits, on était en plus, là je mets un peu les pieds dans le plat mais je donne mon point de vue, mais on était en plus contraints par le droit français, ce n'est même plus européen, c'est par le droit français là-dessus, pour lequel la brevetabilité des logiciels doit vraiment être constituée par une innovation vraiment large. Alors que le simple fait d’apporter un petit élément dans un logiciel peut parfois tout changer. Mais voilà, il y a certains domaines où ce n’était pas faisable, en tout cas avec tout ça, on a fait ce choix-là. Je ne sais pas s'il était bon, mais c’était le contexte.
 
 
 
'''Jacky Chartier :''' Alors dans les quelques éléments que tu viens de nous donner là, tu viens justement d'aborder, à un moment donné, tu as dit on n’était pas dans le domaine du libre. Alors on va peut-être aussi  échanger un peu sur cette question, forcément, d'autant plus que le choix qu'on avait fait autour de la table était finalement de faire venir Hervé. Hervé qui a une société de services qui vit finalement de la mise en œuvre de solutions libres. Avant de rentrer dans les détails de la société en tant que telle, peut-être des activités ou de l'entité ProLibre, peut-être simplement quelques éléments sur ce qu'on appelle un logiciel libre, déjà entre, j'allais dire, les éternels dilemmes, le gratuit, le pas gratuit, le ceci, le cela, sans rentrer trop longtemps, parce que je pense qu'on pourrait rester jusqu'à dix-huit heures sur la thématique, en quelques lignes. Pierre éventuellement si tu veux compléter tu pourras le faire aussi. Peut-être quelques éléments sur ce qu'on appelle finalement, ou sur cette notion de logiciel libre.
 
 
 
'''Hervé Lardin :''' En fait ça découle de ce qu'on a dit précédemment. Un logiciel, s'il n’entre pas dans le champ d'application du brevet, par contre, a des droits qui lui sont attachés qui sont des droits d'auteur. Et moi en tant qu'auteur d'un logiciel je peux décider de conclure un contrat avec un tiers qui peut être l'utilisateur, mais qui peut être un industriel, qui peut être une autre société, un tiers, à qui je vais concéder tout ou partie de ces droits. Donc il s’agit d'un contrat, la licence logiciel libre, c'est un contrat que passe le détenteur des droits patrimoniaux, des droits d'auteur, avec un tiers qui va pouvoir bénéficier et avoir les obligations qui sont liées à ce contrat.
 
 
 
Des contrats il en existe énormément. Il existe des contrats qu'on dit privatifs, c'est-à-dire l'utilisateur, le destinataire du contrat, est privé d'un ensemble de droits sur le logiciel et il existe des contrats qu'on dit libres qui donnent à l’utilisateur un ensemble de droits sur le logiciel pour lequel on conclut ce contrat. Pour qu'une licence soit libre, je vais le répéter mais tout le monde doit le connaître par cœur, il faut que cette licence accorde trois droits à l’utilisateur : le droit d’utiliser le logiciel, ce qui n'est pas le cas dans la plupart des licences des logiciels que vous utilisez, vous n'avez pas le droit de l’utiliser dans certaines conditions; le doit de regarder comment est fait le logiciel et de le modifier ; et le troisième droit c'est le droit de distribuer ce logiciel. Si ces trois droits sont attachés au contrat que je conclus avec le tiers qui peut être, je  le répète, un utilisateur ou un industriel, à ce moment-là, dans ce cas-là, cette licence est dite libre. Voilà.
 
 
 
'''Jacky Chartier :''' Du coup si je complète juste une petite chose suite à ce qui a été dit en introduction, je fais du code, si je n'ai pas d'employeur, tel que le disait Pierre au départ, alors je suis bien titulaire de mon code et, entre guillemets, je fais et je peux faire exactement ce que tu viens de nous expliquer. Si par contre j'ai un employeur, les droits sur mon code, enfin une partie des droits, donc les droits patrimoniaux sont liés, enfin sont dédiés, sont dévolus à mon employeur et c'est finalement lui qui va choisir un peu de faire ce contrat en respectant plus ou moins. Mais voilà, je pense que c'est peut-être la seule notion que moi je souhaitais rajouter, finalement c'est, en qualité de salarié, la dévolution que je dois avoir à certains moments à mon employeur. Tu voulais rajouter quelque chose ?
 
 
 
==45' 20 ==
 
 
 
Pierre Breesé : Oui ce point est important
 

Dernière version du 15 juillet 2020 à 11:14


Publié ici - Juillet 2020