Différences entre les versions de « Du logiciel libre aux communs - Simon Sarazin »

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Il y a d’autres exemples.
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Il y a d’autres exemples. J’entendais hier que Blender, qui est un logiciel libre de graphisme, il y a de plus en plus, en fait, des entreprises qui mettent carrément à disposition des développeurs non pas dans leur entreprise, mais au sein de la fondation. C’est-à-dire que c’est une entreprise qui paye quelqu’un pour qu’il aille bosser à la fondation sur le cœur du développement du logiciel libre. Je trouve que ce sont des démarches qui commencent à être intéressante puisque, du coup, on a vraiment des équipes cœur qui peuvent être dédiées au logiciel, mais qui ne sont pas juste dans les mains de la société mais qui sont même pilotées par la fondation. Ça ce sont des mécanismes intéressants.
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D’ailleurs un autre élément majeur et je pense que c’est peut-être sur ça qu’il faut vraiment réfléchir, c’est la capacité du monde du logiciel libre à avoir réussi à prendre la place dans beaucoup de domaines et dans de plus en plus de domaines. Avoir réussi à prendre la place de gros : par exemple Linux est en train, petit à petit, de grappiller sur Microsoft. En termes d’efficacité, on le sait tous, c’est devenu bien plus puissant. En tout cas, dans le monde des serveurs, c’est Linux qui a remporté la place. Mais typiquement Blender, dont je parlais à l’instant, qui est un logiciel libre de vidéo, pour créer de la 3D et de la vidéo, Blender est utilisé maintenant, c’est un logiciel libre, est utilisé par les plus gros : par Pixar, par Disney. Les équipes, maintenant, travaillent avec Blender, alors qu’il y avait des logiciels propriétaires qui coûtaient une fortune, c’est Blender qui a pris la place. Et on commence à le voir dans plus en plus de domaines où, finalement, le logiciel libre est en train de prendre les positions, la place dans plus en plus d’espaces.
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On espère que c’est ce qui va se passer dans tous les communs que je vous ai montré tout à l’heure, par exemple dans les places de marché. Aujourd’hui, il y a vraiment très peu de places de marchés, de nouvelles places de marché, qui sont pensées comme des communs. La plupart sont en train de devenir la propriété de grosses sociétés ; je prends l’exemple d’Amazon. On espère qu’on va réussir à créer, exactement comme le logiciel libre a su le faire, à créer tout ce mouvement qui permet de construire des communs dans d’autres domaines. Là je reprends, du coup, la citation d’André Gortz qui était dans l’intitulé de cette petite présentation, qui est de dire « est-ce que le logiciel libre ce n’est pas justement le mouvement qui nous trace une voie pour trouver une sortie de course, une sortie au modèle capitaliste ? » C’est peut-être un peu pour conclure.
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Le schéma ne s’arrête pas là puisqu’il y a deux gros blocs : institutions publiques et acteurs marchands. Je ne vais pas trop détailler, mais l’idée globale c’est de dire les communs peuvent difficilement marcher, fonctionner en dehors de l’institution publique et du monde marchand. Parce que l’institution publique elle vient quand même légiférer, elle vient quand même donner des accès, et le monde marchand vient développer aussi une économie autour, qui n’aurait sans doute pas permis à certains logiciels de se développer. Le tout c’est juste de réussir à coordonner l’institution publique et le monde marchand avec les communs là où, aujourd’hui, en gros, le travail se fait juste entre les deux. Et nous, ce qu’on voudrait, c’est mettre au milieu le mouvement des communs pour qu’il puisse par exemple inciter l’État à n’utiliser que du Libre, plutôt que de financer du propriétaire ou de soutenir des places de marché qui seraient communes. En tout cas, qu’il y ait vraiment une capacité à repositionner le monde des communs comme troisième acteur et acteur majeur vis-à-vis du monde marchand et des institutions publiques et de reléguer l’institution publique et le monde marchand à leur place qui serait bien réduite à celle qu’ils prennent aujourd’hui.
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Il y a tout un travail à faire. Il y a une réflexion pour construire des institutions qui viendraient aider à, justement, repositionner les communs, déjà à renforcer les communeurs, tous les gens qui contribuent aux communs. Donc qu’il y ait une alliance entre les développeurs du Libre mais aussi les contributeurs aux anciens communs qui sont les bois communaux, mais aussi les nouveaux communeurs qui travaillent dans des lieux ou qui montent des espaces de travail ou qui contribuent à Wikipédia. Qu’il y ait une vraie alliance. C’est pour ça qu’il y a une volonté de créer des sortes d’assemblées des communs – on les a appelés comme ça, mais peut-être que ça s’appellera autrement demain – c’est l’idée d’avoir des espaces où tous ceux qui contribuent à ces ressources partagées puissent se relier. Que la culture libre aussi influence même s’il ne faut pas non plus qu’on prenne la culture libre à la lettre, je pense qu’il y a aussi énormément à apprendre de la culture historique de la gestion des communs. Il y a un enjeu à construire ces assemblées des communs, à construire plein de petites structures de soutien. [Si on zoome.] Il y a ces idées de créer de structures juridiques exactement comme celles dans le logiciel libre, mais adaptées aux communs. Parce que ce que vous avez vu tout à l’heure, la Software SPI-Inc qui détient, pas qui détient, mais qui soutient des projets libres. On pourrait imaginer la même chose dans le monde des communs. Nous on est en train de créer à Lille la <em>Legal Service For Commons – L1</em>, pour dire que c’est à Lille, mais c’est l’idée de créer des assos qui viennent soutenir juridiquement les communs pour éviter qu’ils ne se prennent tous les pièges de création d’assos et tout ça.
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La <em>Contributive Service For Commons</em>, ce n’est pas encore construit, mais c’est l’idée d’avoir une structure qui puisse aider à rémunérer les contributeurs aux communs, donc avoir un statut juridique quand on contribue à des communs pour se rémunérer.
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Je passe parce que c’est encore très exploratoire, mais ça ne suffira pas il nous faudra une structure aussi qui fait vraiment le pont entre le monde des communs et l’institution publique et marchande. C’est-à-dire qu’il faut une structure de gouvernance, en fait, qui viendrait un peu aider à dire stop quand le monde marchand prend trop de place ou quand l’institution publique ne respecte pas les communs. En ce moment l’État est de plus en plus intéressé par OpenStreetMap qui est une cartographie participative libre, qui est de plus en plus puissante, un peu comme ce que j’expliquais tout à l’heure, qui est en train de prendre beaucoup de place et qui, d’ailleurs, remplace du coup des institutions qui faisaient ce travail-là avant. Et donc l’État est en train d’utiliser ça, mais pour autant il n’est pas en train de financer directement ce commun-là, il n’est pas en train des mécanismes pour le financer. Alors il va y contribuer parce qu’il va améliorer les données, mais en même temps pour l’instant il 'y a pas une pensée de l’institution pour reverser des financements. C’est là où on se dit qu’il y aurait peut-être besoin d’une sorte d’institution intermédiaire qui peut aider à organiser les réciprocités, par exemple inciter l’État, je ne sais pas par quel mécanisme, mais à reverser à un moment donné un financement ou en tout cas faire un lobby pour qu’il y a des règles plus saines de réciprocité.
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Là on est en train de réfléchir à différents outils. Mais tu en parleras beaucoup mieux, Lionel, tout à l’heure, avec toutes les licences à réciprocité. J’ai mis le terme <em>Contributive Commons</em>, mais derrière il y a plein d’outils de réciprocité qui sont à créer.
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Et puis la <em>General Politic license</em>, c’étaitun délire pour copier la <em>General Public License</em> qui est une licence utilisée dans le logiciel libre, pour créer une licence qui empêche les politiques de s’octroyer le bénéfice des communs, mais tout en leur permettant quand même de le faire, puisqu’il y a un truc assez emmerdant dans le monde des communs. C’est qu’à la fois il y a des politiques qui s’octroient la création de certains communs, par exemple Martine Aubry, pour ne pas la citer, avait mis dans son bilan qu’elle avait soutenu notre espace de travail sauf qu’en fait elle a soutenu un autre lieu, mais elle ne nous a jamais soutenus, nous. Mais voilà ! Du coup, elle a englobé dans son bilan notre production à nous. À la limite, nous on n’en a pas trop tenu rigueur, mais on pourrait peut-être avec une sorte de licence comme ça revenir vers elle ou, en tout cas, s’autoriser à faire de la com' pour dire « non, ce n’est pas vrai. » Il y aurait peut-être besoin d’un outil.
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L’autre mécanisme qui nous embête aujourd’hui c’est qu’un politique à qui on voudrait donner le droit d’utiliser le fait qu’il y ait des communs, on ne peut pas, enfin on ne le fait pas. C’est peut-être pour ça qu’à chaque fois ils recréent leur propre projet pour avoir un temps pour l’inaugurer, pour pouvoir se vanter d’avoir inauguré un nouveau projet. Peut-être qu’un mécanisme intéressant ce serait de faire en sorte qu’on autorise un politique à venir inaugurer un commun qui existe depuis dix ans, au moins ça éviterait qu’il en crée un nouveau à côté, qui nous concurrence, puisque c’est ce qu’ils ont tendance à faire. Enfin, c’est typiquement l’État français qui veut relancer un système d’exploitation français alors qu’il existe déjà Linux. On pourrait peut-être lui dire : « Écoute, Hollande on t’autorise à inaugurer la création de Linux.fr, Linux français, en échange tu donnes beaucoup de sous au modèle »,ou, je ne sais pas. En tout cas il y a un truc à imaginer, même si c’est hyper périlleux, pour éviter qu’à chaque fois ils dépensent notre argent à recréer des ressources qui sont concurrentes aux nôtres, qui sont fermées. Je n’en dis pas plus.
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Ça c’était une ouverture sur le futur politique de ce mouvement-là, il y a plein de choses à faire. Voilà, si vous avez des questions ou des points d’approfondissement sur certains sujets, n’hésitez pas.
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On va passer le micro, peut-être.

Version du 18 janvier 2017 à 18:18


Titre : Du logiciel libre aux communs

Intervenant : Simon Sarazin

Lieu : Capitole du libre - Toulouse

Date : Novembre 2016

Durée : 50 min 50

Visualiser la conférence

Licence de la transcription : Verbatim

Statut : Transcrit MO


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Présentateur : Deuxième séquence de la thématique des communs, après une introduction générale ce matin. Beaucoup de monde était là ce matin ? Il y en a qui nous rejoignent cet après-midi. On va parler aujourd’hui avec Simon Sarazin des communs au niveau du logiciel libre. Il va vous présenter ça mieux que je ne puis le faire, là, maintenant. Je vais simplement présenter Simon en deux mots. Simon qui arrive de Lille, Lille où il anime, entre autres choses, un tiers lieu qui s’appelle La Coroutine et qui fonctionne vraiment comme un commun, à tous les niveaux, avec une gouvernance très originale. Simon est vraiment ce qu’on appelle un communeur, donc quelqu’un qui contribue, le plus clair de son temps, aux communs, par sa réflexion, par ses propositions, par son action quotidienne aussi où il expérimente au quotidien notamment la question de l’enjeu de la rétribution des communeurs. C’est un sujet qu'il abordera demain après midi ici même. Aujourd’hui il va nous parler de logiciel libre et des communs. Voilà. À toi Simon.

Simon Sarazin : Bonjour à tous. Le micro, je ne sais pas s’il enregistre. C’est bon ? Parfait. Juste pour démarrer un petit peu de méthodologie : il y a un framapad pour prendre des notes si vous le souhaitez. Le raccourci c’est : frama.link/librecommuns. Je mettrai aussi le lien vers la présentation que je fais actuellement. Si vous-même vous avez des notes ou des questions pendant la présentation, n’hésitez pas à les mettre dessus. Pour la petite présentation je vais montrer quelques sites internet et puis un schéma global qu’on va découvrir petit à petit, qui est un schéma que j'utilise de plus en plus pour essayer de comprendre les enjeux autour des communs.

La thématique, en fait que je n’avais pas vraiment choisie, mais que je trouvais vraiment intéressante – c’est Manuel qui avait mis ça comme intitulé, finalement je l’ai gardé : du logiciel libre aux communs – vise, un petit peu, à réfléchir à ce qu’apporte le logiciel libre dans la culture des communs, puisque les communs ont un historique bien antécédent au logiciel libre. Qui était là, à la présentation ce matin, de Bernard, sur les communs ? Ouais, trois/quatre personnes. Qui connaît la notion de communs, qui est à l’aise avec cette notion-là ? Ou plutôt qui n’est pas du tout à l’aise avec la notion de communs ? D’accord, Et qui est à l’aise avec la notion du logiciel libre ? Et qui ne connaît rien du tout au logiciel libre ? Il n’y en a qui ne connaissent pas du tout ? Si, si, tout monde. OK ! Bon, eh bien ça va être plus simple !


La notion de communs, très rapidement, ce serait l'extension du logiciel libre, de l'approche du logiciel libre à tous les domaines sauf que ce n’est peut-être pas bon de dire ça, parce que les communs ont un historique bien plus ancien que le logiciel libre. Et puis le logiciel libre se contente à un commun immatériel donc qui peut être facilement diffusé, là où la création de communs de type des lieux ou des champs ou des terrains, ou la nature comme l'air ou l'eau sont des communs qui sont beaucoup plus difficiles à gérer puisque c’est physique, donc ça nécessite des gouvernances un peu différentes.

On résume les communs très rapidement, mais je ne vais pas refaire une présentation de manière générale sur les communs, mais par une ressource qui va être partagée, avec une communauté qui arrive à la gérer et des règles qui vont être mises en place par cette communauté-là. Dans le logiciel libre, la ressource c’est le logiciel et vous avez une communauté qui apprend à la gérer, à mettre en place de règles, une gouvernance. Mais bon, voilà !

Le domaine des communs s’étend très largement à plein d’autres espaces. Quasiment tous les éléments de la société peuvent être pensés comme des communs. Vous avez les communs historiques, tout là-haut. Si vous avez besoin d’exemples, je peux m’amuser à résumer, mais il y a à chaque fois quelques exemples. Je pense que pour les communs historiques c’est assez intéressant : les fours à pain, les pêcheries, les bois communaux, les prés communaux. Ça existe encore : les bois communaux ou les prés communaux, il y a encore des villages qui utilisent le pré communal pour aller trouver du foin ou pour récupérer du bois. Les ???, il y en a 12 000 en France, ce sont des regroupements d’agriculteurs qui mutualisent les machines agricoles. Les AMAP, il y en a plus de 1200, en 2012 ça s’est accéléré. Les habitats partagés, c’est pareil. Les cinémas associatifs, on en trouve encore énormément, je crois qu’en Bretagne il y en a au moins une vingtaine, une trentaine. Menuiseries associatives : par exemple à Grenoble, il y en a une dizaine de menuiseries associatives. Mais chaque ville, en général, compte une menuiserie associative qu’il faut aller dénicher parce qu’elles sont souvent pas très visibles, mais ça va être des passionnés de menuiserie qui vont, en général, gérer ça et vous allez avoir plein de matos à disposition pour faire des choses.

Les nombreuses associations sportives, culturelles, même si beaucoup se sont professionnalisées et du coup eh bien la notion d’une communauté qui gère la ressource ça s’est un peu amenuisé, parce que c’est plus un salarié qui gère ou un conseil d’administration qui va décider et des fois rentrer dans l’association ; ça met du temps. Pouvoir faire des choses, ça met du temps. Mais il y a encore beaucoup d’associations qui fonctionnent vraiment comme des communs au sens où c’est vraiment une communauté qui met en place des règles.

Les chemins, les systèmes d’irrigation, les épiceries participatives. Ça c’est, on va dire historique, parce que ce sont des communs qui existent depuis des dizaines voire des centaines d’années ou des milliers d’années.

Les ressources naturelles donc l’air, l’eau, tout ce qui nous environne dans la nature et qui a besoin d’être géré en logique de communs si on ne veut pas un épuisement de ces ressources.

Et puis, plus récemment, énormément, on va dire, de nouveaux enjeux autour des communs puisqu’il y a des places de marché qui commencent à être très bien gérées en logique commune, comme les places de marché du village qui sont gérées, certes, par la mairie, mais il est assez simple de pouvoir prendre une place de marché dans la place du village. Sauf qu’aujourd’hui on a des places de marché qui sont en train de complètement se bouleverser avec, en particulier, le numérique qui sert de mise en lien bien plus puissante que celle d’aller sur la place de marché de la ville ou du village puisque là on est en lien avec le mode entier. Là vous avez des places de marché comme la place de marché de Amazon, Airbnb, toutes ces plateformes-là, mais qui sont aujourd’hui pas du tout pensées comme des communs. C’est plutôt une société qui prend le marché, avec d’ailleurs des choses assez amusantes. On se rend compte que le terme covoiturage est en train de disparaître et qu’il y a de plus en plus une grande utilisation du terme blablacar. En fait, c’est même une culture qui, petit à petit, se fait accaparer. Peut-être que demain on appellera plus des librairies, on appellera des boutiques Amazon, parce qu’il y a Amazon qui est en train, maintenant, de mettre en place des magasins de vente de livres. Donc il y a un enjeu autour d’appendre à gérer ensemble les places de marché.

Le matériel libre est en pleine explosion. Vous avez de plus en plus de gens qui créent des ressources communes matérielles. Ce sont quand même beaucoup plus les plans, la connaissance autour du matériel, donc ça va être des plans, mais ça va être aussi des gens qui aident des agriculteurs, comme l’Atelier Paysan, à produire leur propre matériel, donc à fabriquer leur propre matériel et qui, derrière, diffusent tous leurs plans pour que les autres agriculteurs puissent aussi s’inspirer du matériel qui a été construit par un autre. Donc il y a énormément de communs dans le monde du matériel.

Dans le monde de la santé, par exemple, vous avez des projets assez hallucinants d’échographies open source qui vont avoir des coûts de 10 à 100 fois moins cher que le système échographique classique et que, en plus, on peut presque fabriquer soi-même.

Projets spatiaux. Voitures open source. Dans le monde du matériel il y a de plus en plus de ressources qui sont mises en partage, qui sont gérées par des communautés. Il y a des lieux, le développement des tiers-lieux, des coworking, même si beaucoup ne sont peut-être pas vraiment pensés communs, parce que peut-être très entrepreneuriaux ou très institutionnels. Il y en a aussi une intéressante partie des espaces qui sont en train de se créer, je parle des fab labs, du coworking, des makerspaces, enfin tous ces espaces un peu hybrides qui sont en train de se développer un peu partout. Les ateliers d’artisans, d’artistes. Même des brasseries collectives qui sont en train de se monter. Tous ces espaces-là, il y en a une bonne partie qui est pensée comme des communs, c’est-à-dire que ça va être des logiques associatives mais très inclusives, où il est très simple de prendre parti et de contribuer au fonctionnement de l'espace.

Moi je suis à Lille, à La Coropoutine, qui est un tout petit espace de travail partagé. On essaie vraiment de le gérer dans une culture collaborative. Par exemple on a neutralisé le CA. Il n'y a pas un CA, mais c'est une démocratie directe : tous les membres actifs ont le pouvoir.

L’enjeu des monnaies aussi. Il commence à y avoir des communs autour de la création monétaire puisque, aujourd’hui, la création monétaire n’est pas du tout un commun, c’est un modèle qui date de, je ne sais pas combien de centaines ou de milliers d’années, de création monétaire par la dette. Il y a plein d’autres mécanismes. Il y a des protocoles de monnaie. Et puis les protocoles de l’Internet sont vraiment des ressources qui ont été mises en partage, donc là qui sont plus proches de la culture du logiciel libre.

Et les communautés apprenantes ; vous avez énormément de communautés apprenantes. Je pense au monde des enseignants, le monde des bibliothécaires, par exemple, qui sont des communautés qui ont une forte capacité à partager. Et puis tous les réseaux, les collectifs qu’on retrouve sur le Web ou maintenant dans les groupes Facebook, qui ensemble apprennent et développent des connaissances. Ce sont finalement des communs, ce sont des communautés. Leur commun, on va dire, c’est leur capacité à apprendre ensemble et c’est tout ce qu’ils diffusent comme connaissances.

Ça c’est juste une petite présentation très large sur ce que sont les communs avant de repartir sur cet enjeu qui nous intéresse cet après-midi qui est qu’est-ce que la culture libre ? Qu'est-ce que le logiciel libre apporte dans tous ces communs ? Et pourquoi c’est intéressant de se creuser un peu la question sur ça ?


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Donc je vais passer à une slide un peu plus compliquée et essayer de réfléchir à qu’est-ce que la culture et surtout ce que nous amène le logiciel libre. En quoi ça peut être intéressant dans le monde des communs.

C’est un peu un contre-pied à un article que j’avais vu il y a peu de temps par des anti-technologistes qui ont peut-être raison, un peu, de critiquer l’arrivée de la techno et tout ça, mais qui en venaient à jeter un peu le bébé avec l’eau du bain, qui en venaient à dire que le logiciel libre et toute la culture qui est associée au logiciel libre n’était pas intéressante pour le mouvement des communs, parce que je pense qu’il y a la peur du trop numérique. Sauf que, certes, le trop numérique est un danger, est un risque écologique dans notre société, et l’enjeu ce n’est pas tant de mettre du numérique partout. L’extension du logiciel libre à tous les domaines, ça ne veut pas dire qu’on va mettre du numérique partout, mais ça veut peut-être dire qu’il y a une culture dans le libre qui a réussi à faire que le logiciel libre s’est développé, qui peut intéresser le monde des communs et aussi le monde, plus historique, du développement des communs.

Je vais essayer de rendre ça un peu sympa, parce que c’est vrai que ça peut paraître un peu effrayant comme ça.

En fait, depuis un petit moment, on s’amuse à analyser les communs qui se développent vis-à-vis de cinq/six éléments qui sont comment le commun, comment la ressource est travaillée vis-à-vis de ces dispositifs de financement, de sa gouvernance, des aspects juridiques. Enfin voilà, quelques éléments. On va essayer de les balayer assez rapidement et, pour chaque élément, réfléchir à, en fait, qu’est-ce que nous apporte – en tout cas, moi c’est un peu une expérience personnelle – mais je vous laisserai aussi exprimer des éléments que le logiciel libre amène et qui peuvent être intéressants dans l’univers des communs, et je vais commencer juste par la contribution qui est, peut-être, le plus gros pavé.

Finalement, dans le monde du logiciel libre, il y a une vraie capacité à faire que les gens contribuent ensemble sur du code. Donc des gens du monde entier qui réussissent, à un moment donné, à mutualiser sur du logiciel. Et, finalement, qu’est-ce qui fait que tout ça fonctionne ? Pourquoi il y a une telle capacité à organiser la contribution ? Alors que dans plein d’autres espaces, je pense typiquement les bibliothèques, non peut-être pas les bibliothèques mais les librairies, n’ont pas su créer de ressources communes ou de places de marché concurrentes à Amazon. Je pense qu’il y a pas mal d’éléments intéressants. J’en ai listé une petite dizaine que moi j’ai découvert, assez étonnamment, en participant à la création de notre espace de travail à Lille, parce que j’étais à côté de libristes. Au tout départ, le lieu qui a été créé, c’était des gens qui venaient du logiciel libre, qui ont lancé l’espace, et ils nous amenaient des éléments culturels qui m’ont surpris au début. En fait, petit à petit, j’ai compris l’enjeu de ces éléments culturels que moi je n’avais jamais pas du tout, qu’on ne m’avait jamais appris à l’école, mais que eux avaient développés parce que depuis l’âge de quinze ans ils participaient à des communautés du logiciel libre.

Donc on va retrouver des éléments qui sont assez intéressants. Par exemple la contribution libre à tous, dans la plupart des logiciels libres, tout le monde a le droit de contribuer et tout le monde a le droit de contribuer là où il le souhaite. Vous remarquerez que c’est assez peu fréquent. Il n’y a pas tant de structures qui permettent ça. Il y a une sorte de mantra aussi. Là, pour le coup, c’était Guillaume qui vient un peu de cet univers du libre, qui avait mis des affiches dans la salle de réunion plannig is ??? et meeting is toxic. Ça peut-être un peu étonnant. Quand moi j’avais suivi trois formations dans mon école sur le management et l’accompagnement de projet, on avait fait du Gant à chaque fois, dans chacune de mes formations et puis tout se crée à partir de réunions. Il faut toujours faire des réunions pour faire des choses et là, lui il affichait ça dans la salle de réunions ; ça peut-être un peu choquant.

En fait c’est cette idée que, quand on planifie, on n’a pas les éléments, alors que quand on est dans l’action, eh bien il y a plein d’éléments qui arrivent et, du coup, bien souvent, la planification ne fonctionne pas. Surtout dans des contextes où les choses sont complexes et agiles et, en fait, des fois c’est juste se compliquer la vie que d’essayer de planifier les choses, alors que dans l’action on peut avoir beaucoup d’éléments qui nous permettent de prendre des décisions. Et vous allez voir ça dans le logiciel libre : il n’y a pas vraiment de planification hyper forte. Il y en a, mais on ne va pas avoir des énormes planifications, ça va se faire sur deux à trois semaines et, limite, pas plus. Ou, des fois, il va quand même y avoir des visions, mais on n’est pas dans les planifications fortes et on laisse, du coup, de la place à plein de choses qui peuvent arriver. Meeting is toxic, c’est cette idée que, eh bien, finalement, est-ce qu’il faut se réunir à trente pour prendre des décisions ou est-ce qu’on peut laisser des gens agir et, limite, prendre les décisions a posteriori. Ça c’est quelque de très fort où, dans la culture libre, on laisse les gens agir d’abord et ensuite on va plutôt décider a posteriori, vis-à-vis de plein d’éléments qui nous arrivent. Ou alors on va tester, expérimenter, et après on peut en discuter. Mais il y a cet aspect autour de l’action qui est assez intéressant.

Du coup, on a un peu appliqué ça dans notre espace où on a annulé, par exemple, nos assemblées générales. On a enlevé ça de nos statuts associatifs, parce que, en fait, les assemblées générales c’est un espace où on se retrouvait tous pour prendre des décisions mais qui étaient forcées, qui n’étaient pas adaptées vraiment à notre fonctionnement. On a enlevé ça et aujourd’hui on n’a que des réunions quand il y a des conflits ou des désaccords sur des sujets. À ce moment-là on fait une réunion avec ceux intéressés seulement, mais on évite juste de se réunir pour discuter sans vraiment avoir de motif.

Voilà, je vais essayer d’aller un petit plus vite sur tous ces éléments parce que sur chaque point on pourrait donner plein d’exemples.

Le fun, ça c’est un truc assez marrant, c’était d’essayer de transformer, finalement, les contraintes en opportunités. Par exemple le ménage dans notre espace de travail, plutôt que d’embaucher quelqu’un qui ferait le ménage de six à huit heures avant que les travailleurs viennent, il y a eu cette idée de faire un apéro toutes les deux semaines et, du coup, le ménage est devenu un moment sympa : faire un apéro ménage. Du coup le ménage est devenu un moment sympa parce qu’il y a un apéro derrière. Pareil pour le bois quand il arrive. On reçoit deux stères de bois et si on avait quelqu’un qui était salarié, eh bien il devrait se taper tout le rangement du bois. Alors que là, c’est pareil, on fait une chaîne humaine et, en fait, petit à petit c’est comment on transforme les contraintes en opportunités. C’est-à-dire les choses compliquées comment on les rend fun, comment on les rend amusantes et d’un coup ça devient agréable de gérer ça collectivement.

Je ne sais pas si c’est vraiment de la culture du libre que ça vient ça, mais en tout cas, c’est Guillaume qui est très libriste, qui avait vraiment ça dans les veines et qui a insufflé ce mode de faire. Ce qui fait que dans notre espace, il n’y a presque plus de contraintes parce que la plupart des choses un peu casse-pieds on les a automatisées et les choses qu’on peut rendre fun, on les a rendues fun. Donc il n’y a plus trop de problèmes à gérer l’espace.

L’idée de commencer petit, d’y aller pas à pas. L’idée de se doter d’outils. C’est vrai que dans la plupart des logiciels vous avez tout de suite des listes de discussion, pas spécialement pour parler du code, mais aussi pour s’organiser, pour l’administration, pour le juridique. Et en fait, ça ce sont des choses qu’on ne retrouve pas finalement, alors même que ce sont des outils qui ont vingt ans d’âge et que toutes les assos utilisent le mail. Pour autant, même si elles utilisent le mail, elles ne vont pas utiliser des listes qui permettent d’avoir des archives, d’avoir une communication transparente vis-à-vis de tout le monde. Et là, typiquement à La Coroutine, depuis six ans, on a une liste de discussion avec six ans d’archives. Moi, c’est d’ailleurs comme ça que j’ai trouvé l’espace, parce que j’ai pu m’inscrire, suivre ce qui se passait et puis, du coup rejoindre l’espace.

Pareil vous avez des IRC qui permettent, ça ce sont des systèmes de chat, pour discuter en synchrone, donc pouvoir communiquer en direct. Sans ça, c’est vrai que c’est difficile d’avancer. La plupart des logiciels libres ont de l'IRC depuis quinze ans, vingt ans, et nous, on commence à le faire avec des outils qui démocratisent ça, comme Slack et Rocket Chat. Mais c’est toute une culture, je pense, qui vient vraiment du logiciel libre.

L’approche des wikis : comment on peut documenter ce qu’on fait en temps réel et, en fait, c’est hyper utile. Là pareil, du coup, depuis six ans, on a un wiki dans notre espace de travail et ça nous aide énormément : les nouveaux venus voient ce qui se passe. Ceux qui veulent, à l’extérieur, copier le modèle ils peuvent : ils vont sur le wiki, il y a toute l’information.

C’est clairement un élément culturel qui est hyper intéressant pour le mouvement des communs élargi, comme je le montrais tout à l’heure. Les kanbans c’est le système de gestion de tâches, mais qui vont être beaucoup plus agiles et on n’a pas besoin d’attendre de planifier comme avec des Gantt à six mois. C’est super intéressant. Enfin bon !

Je vais aller un peu plus vite.

Finalement dans le monde du libre il y a une vraie capacité à auto gérer les évènements. Je pense au FOSDEM qui est une énorme rencontre – c’est une rencontre physique – on est vraiment en dehors du logiciel et pourtant, ça reste des évènements très autogérés, avec très peu de hiérarchie.

Je passe un peu, mais il y a plein d’autres éléments dans cette culture. Ça, c’est vraiment sur l’élément de contribution. Si on continue dans la capacité, dans le logiciel libre il y a une vraie capacité à partager, c’est-à-dire à faire que les gens puissent copier, répliquer les ressources, voire à faire qu’on essaie d’identifier les concurrents qui sont en train de développer la même chose pour s’associer avec eux ou bien distinguer nos différences. À chaque que je vois des communs j’essaie de me poser la question, justement : quels sont les communs qui sont proches ou similaires ? Est-ce qu’on les a contactés ? Et comment on produit une ressource pour qu’elle soit facilement réplicable ou diffusable ? Et dans beaucoup des projets logiciels j’ai vu des pratiques hyper intéressantes. Je prends un exemple ici de Snow Drift qui s’est amusé à faire un benchmark public. Ce n’est pas souvent qu’on voit des benchmarks publics, de toutes les plateformes de crowdfunding qui étaient dans la logique open source.

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Justement, ???, j’avais vu ça sur ton site. Toi-même...

Public : Inaudible.

Simon Sarazin : Et du coup, vous vous la récupérez. Le commun on pourrait dire que c’est le benchmark, là. Mais cette capacité à se dire on va la mettre publique et comme ça les autres pourront l’utiliser. Donc vous-même sur votre site de crowdfunding vous mentionnez ce benchmarking-là. C’est juste génial. C’est vraiment impressionnant que tout ça vienne de cette culture du libre. Moi je suis en train de faire une ode au logiciel libre.

Qu’est-que j’avais vu aussi qui était hyper intéressant ? Typiquement, dans votre projet quand vous avez forké le projet Gratipay, vous avez bien copié toute la ressource Gratipay et vous avez lancé votre plateforme. Ce n’est pas pour autant que vous avez arrêté de communiquer avec celui que vous avez forké. Au contraire, vous continuez à collaborer et moi, ça m’a vraiment impressionné quand j’ai vu que les deux projets continuaient à échanger alors qu’ils sont potentiellement concurrents, ou, en tout cas, il y des fortes similitudes dans les deux approches.

Voilà. Le fait, aussi, d’être dans une logique ouverte, ça fait que ce n’est pas grave s’il y a un concurrent parce que, de toutes manières, ce qu’il produit ça peut m’intéresser, moi, pour dépasser mes propres problèmes.

Il y a une vraie capacité aussi dans le logiciel, dans cette culture-là, de démarrer tout de suite en communicant au niveau mondial : beaucoup des projets sont tout de suite en anglais. Alors que c’est vrai, nous-mêmes, moi dans beaucoup de projets, à chaque fois on va démarrer français avec un fort marquage et du coup, c’est très difficile après de les internationaliser. Maintenant c’est fait par défaut d’autoriser le fork, la copie du projet, vu que ce sont des éléments hyper intéressants.

Je pourrais en lister encore plein des choses comme ça. Dans les modèles de financement vous avez aussi énormément d’innovations super inspirantes. Le modèle du don je pense que ça s’est hyper développé dans le monde du libre avec plein d’innovations comme ??? qui permet de faire des micros dons, même si, bien sûr, le modèle du don est historiquement utilisé dans plein d’autres domaines. Mais on l’a vu être testé dans plein de dispositifs assez divers et variés, par le monde du Libre, pour réussir à avoir des dons. Et puis il y a cette découverte, il y peu de temps, par, justement, les gens de Gratipay et Liberapay, de réussir à mettre en place des mécanismes de rémunération libre qui est une sorte d’innovation, aussi, qui provient du monde de cette culture de libriste.

Je vous laisserai poser des questions si après vous voulez rentrer dans le détail de certains éléments.

L’inclusion même des investisseurs, cette capacité à dire : « OK, vous voulez être investisseur, mais en même temps il faudra rentrer dans nos modèles. » Il y a beaucoup de projets libres qui arrivent à rester dans leur direction et à ne pas se faire détourner par les financeurs. Ce n’est pas pour tout le monde, mais il y a une forte résistance, il y a une forte capacité à comprendre l’enjeu de rester neutre.

Sur les aspects de gouvernance, vous allez aussi avoir beaucoup d’éléments à découvrir. Je pense au processus des décisions super avancé de Wikipédia où vous avez une vraie capacité à prendre des décisions sur beaucoup d’éléments.

Là je prends juste un exemple : typiquement c’est le Parti pirate qui est vraiment en train de tester, en ce moment, la démocratie liquide qui est un dispositif pour prendre des décisions en donnant sa voix à quelqu’un d’expert ou à quelqu’un de confiance autour de soi et, du coup, on arrive à créer une sorte de démocratie liquide. Mais, en termes de gouvernance, vous avez Debian, ils ont tout un système de gouvernance hyper intéressant où leur structure organisationnelle, par exemple, est très transparente, on peut contacter chaque personne alors même qu’on n’est pas dans le projet. Il y a des listes de discussion pour chaque cercle qui travaille sur le projet. Vous avez des codes de conduite. Ce que j’avais vu aussi chez Gratipay, c’était un système de résolution des conflits où on pouvait envoyer un mail et les gens, du coup, pouvaient vous aider à résoudre les conflits.

Et puis je voulais montrer les prises de décision chez Wikipédia qui sont assez impressionnantes : ils ne vont pas faire une AG, ils ne vont pas attendre six mois ou un an pour prendre une décision importante, c’est dès qu’il y a un élément important, eh bien il y a un espace de discussion qui se créée et chacun donne son avis. À la fin il y a un vote, sachant qu’ils utilisent plusieurs dispositifs de vote. Ils ont exploré plein d’outillages pour prendre des décisions, qu’on voit très rarement. Du coup, c’est assez impressionnant quand on commence à creuser ça de se dire « mais, en fait, il y a des dizaines de manières de voter ». Ils utilisent le vote Condorcet, ils utilisent plein de choses différentes. Ils ont un peu tout testé et des fois ce sont des décisions qui se prennent avec des centaines de personnes et des avis dans tous les sens et, à la fin, ils arrivent quand même à se mettre d’accord ou, en tout cas, à faire sortir un avis. Ça c’est juste la page, ce n’est pas Wikipédia, c’est Wikiversité qui est un des projets annexes de Wikipédia où vous avez une décision pour savoir si on installe un outil de discussion, une mise à jour de l’outil de discussion de wiki.

[Où est-ce qu’elle la fin de cette petite présentation ?]

Donc sur la gouvernance, il y a plein d’éléments intéressants. Aussi cette capacité à penser les choses de manière séparée, ce qu’ils appellent la separation of concerns, c’est de dire vraiment une approche modulaire : de dire cet élément-là je le travaille d’un côté, cet élément-là je le travaille d’un autre côté, mais pas de tout mettre dans le même sac, ce qui fait qu’il n’y a pas de petits modules qui sont, limite, autonomes et indépendants et qui peuvent après être réutilisés par d’autres et ça c’est assez fort.

Au niveau juridique il y a énormément d’innovations. Il y a toutes les innovations autour des licences libres, avec les licences Creative Communs, la GPL et tout ça. Je ne vais pas rentrer dans le détail parce que chaque élément il faudrait presque une demi-heure pour l’expliquer. L’utilisation de structures comme la SPI-Inc, Software in the Public Interest, où, en fait, ils se sont dit plutôt que chaque projet open source crée sa propre structure juridique, nous, ce qu’on va faire, c’est qu’on va en créer une commune – alors je vais essayer de retrouver juste le site pour vous montrer – on va en créer une commune qui va porter tous les projets. Ça c’est une association qui détient, en tout cas, les marques, les noms de domaines de tous ces projets-là et qui est, en fait, une sorte de structure de portage associative. Vous avez des projets comme LibreOffice comme Debian c’est assez impressionnant, qui sont portés par cette structure associative et ça évite, à chaque fois, de recréer une asso, une structure juridique par projet ce que nous, on a tendance à faire quand on porte des projets dans les communs : c’est à chaque fois recréer une nouvelle asso, en plus se prendre tous les pièges des statuts associatifs classiques. On a à peine démarré qu’on est en train d’élire un président.

Ça c’est assez intéressant. Ça c’est l’affiche qu’avait mise Guillaume meeting are toxic. Ce n’est pas à prendre à la lettre. C’est aussi bien des fois de se réunir et de travailler ensemble.

Et je termine par un élément majeur dans le monde des communs, c’est leur capacité, finalement, à travailler avec l’acteur public et privé, c’est-à-dire avec ceux qui vont développer du marchand autour des communs et puis l’institution publique qui a, quand même, un rôle à jouer dans tout ça, qui a son mot à dire, qui est elle-même utilisatrice des communs. En fait, on se rend qu’il y a des mécanismes qui sont mis en place pour faire en sorte que les acteurs publics ou les acteurs marchands eh bien nourrissent, quand même, les communs. Je prends un exemple classique : ce sont des développeurs de logiciel libre, quand ils ont conçu un logiciel, à un moment donné il y a des sociétés qui se créent pour faire du service ou de la formation autour de ce logiciel. Typiquement la Gendarmerie nationale a utilisé Linux dans son système et, du coup, ce sont des entreprises françaises qui ont dû installer Linux et qui sont sans doute celles qui devaient être assez compétentes pour travailler sur le noyau. Donc, à priori, il y a tout un modèle économique, aussi, qui se crée autour des communs qui fait que ceux qui contribuent se retrouvent souvent à pouvoir développer des services, de la formation autour, qui permet, à la fois, de financer ces gens-là, mais aussi d’amener des contributions en nature. Parce que, typiquement, la Gendarmerie nationale, j’imagine que en mettant en place Linux, ils ont dû améliorer le système Linux pour des questions de sécurité et tout ça. Ça ce sont les contributions en nature, mais c’est permis parce que, aussi dans le monde du libre, ils ont accepté le fait qu’il y ait un usage commercial des ressources logicielles. Donc ça pose plein de problèmes puisqu’il y a aussi énormément d’abus et, du coup, on en parlera tout à l’heure avec Lionel parce que c’est vraiment une question qui va être approfondie : comment on peut faire en sorte qu’il y ait des réciprocités de la part des institutions et des acteurs marchands autour de ces communs-là ? Mais il y a des expériences vraiment intéressantes dans le monde du Libre. Je pense à MusicBrainz, tu en reparleras peut-être tout à l’heure, je ne sais pas. MusicBrainz c’est une sorte d’énorme base de données autour de la musique. Ce n’est pas les musiques en tant que telle, c’est toute la connaissance autour de la musique, les métadonnées et vous avez une fondation, du coup, qui gère ces données-là qui sont utilisées par plein de gens, autant des assos que des grosses entreprises et ce qu’ils font, ce qu’ils affichent, ils affichent en fait les supporters, c’est-à-dire les entreprises ou les assos qui soutiennent cette fondation et ils expliquent bien sur leur site : « Si vous trouvez des gens qui utilisent notre ressource, notre donnée eh bien dites-le nous et on les contactera pour qu’ils essaient de nous soutenir ou nous faire un don. » On sait aussi qu’il y en a qui ne nous feront jamais de don, mais ce n’est pas grave. Il y a un peu cette démarche d’essayer d’afficher, de rendre visible la possibilité de reverser, de contribuer aux communs quand on est un acteur marchand ou un acteur public qui utilise les communs.

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Il y a d’autres exemples. J’entendais hier que Blender, qui est un logiciel libre de graphisme, il y a de plus en plus, en fait, des entreprises qui mettent carrément à disposition des développeurs non pas dans leur entreprise, mais au sein de la fondation. C’est-à-dire que c’est une entreprise qui paye quelqu’un pour qu’il aille bosser à la fondation sur le cœur du développement du logiciel libre. Je trouve que ce sont des démarches qui commencent à être intéressante puisque, du coup, on a vraiment des équipes cœur qui peuvent être dédiées au logiciel, mais qui ne sont pas juste dans les mains de la société mais qui sont même pilotées par la fondation. Ça ce sont des mécanismes intéressants.

D’ailleurs un autre élément majeur et je pense que c’est peut-être sur ça qu’il faut vraiment réfléchir, c’est la capacité du monde du logiciel libre à avoir réussi à prendre la place dans beaucoup de domaines et dans de plus en plus de domaines. Avoir réussi à prendre la place de gros : par exemple Linux est en train, petit à petit, de grappiller sur Microsoft. En termes d’efficacité, on le sait tous, c’est devenu bien plus puissant. En tout cas, dans le monde des serveurs, c’est Linux qui a remporté la place. Mais typiquement Blender, dont je parlais à l’instant, qui est un logiciel libre de vidéo, pour créer de la 3D et de la vidéo, Blender est utilisé maintenant, c’est un logiciel libre, est utilisé par les plus gros : par Pixar, par Disney. Les équipes, maintenant, travaillent avec Blender, alors qu’il y avait des logiciels propriétaires qui coûtaient une fortune, c’est Blender qui a pris la place. Et on commence à le voir dans plus en plus de domaines où, finalement, le logiciel libre est en train de prendre les positions, la place dans plus en plus d’espaces.

On espère que c’est ce qui va se passer dans tous les communs que je vous ai montré tout à l’heure, par exemple dans les places de marché. Aujourd’hui, il y a vraiment très peu de places de marchés, de nouvelles places de marché, qui sont pensées comme des communs. La plupart sont en train de devenir la propriété de grosses sociétés ; je prends l’exemple d’Amazon. On espère qu’on va réussir à créer, exactement comme le logiciel libre a su le faire, à créer tout ce mouvement qui permet de construire des communs dans d’autres domaines. Là je reprends, du coup, la citation d’André Gortz qui était dans l’intitulé de cette petite présentation, qui est de dire « est-ce que le logiciel libre ce n’est pas justement le mouvement qui nous trace une voie pour trouver une sortie de course, une sortie au modèle capitaliste ? » C’est peut-être un peu pour conclure.

Le schéma ne s’arrête pas là puisqu’il y a deux gros blocs : institutions publiques et acteurs marchands. Je ne vais pas trop détailler, mais l’idée globale c’est de dire les communs peuvent difficilement marcher, fonctionner en dehors de l’institution publique et du monde marchand. Parce que l’institution publique elle vient quand même légiférer, elle vient quand même donner des accès, et le monde marchand vient développer aussi une économie autour, qui n’aurait sans doute pas permis à certains logiciels de se développer. Le tout c’est juste de réussir à coordonner l’institution publique et le monde marchand avec les communs là où, aujourd’hui, en gros, le travail se fait juste entre les deux. Et nous, ce qu’on voudrait, c’est mettre au milieu le mouvement des communs pour qu’il puisse par exemple inciter l’État à n’utiliser que du Libre, plutôt que de financer du propriétaire ou de soutenir des places de marché qui seraient communes. En tout cas, qu’il y ait vraiment une capacité à repositionner le monde des communs comme troisième acteur et acteur majeur vis-à-vis du monde marchand et des institutions publiques et de reléguer l’institution publique et le monde marchand à leur place qui serait bien réduite à celle qu’ils prennent aujourd’hui.

Il y a tout un travail à faire. Il y a une réflexion pour construire des institutions qui viendraient aider à, justement, repositionner les communs, déjà à renforcer les communeurs, tous les gens qui contribuent aux communs. Donc qu’il y ait une alliance entre les développeurs du Libre mais aussi les contributeurs aux anciens communs qui sont les bois communaux, mais aussi les nouveaux communeurs qui travaillent dans des lieux ou qui montent des espaces de travail ou qui contribuent à Wikipédia. Qu’il y ait une vraie alliance. C’est pour ça qu’il y a une volonté de créer des sortes d’assemblées des communs – on les a appelés comme ça, mais peut-être que ça s’appellera autrement demain – c’est l’idée d’avoir des espaces où tous ceux qui contribuent à ces ressources partagées puissent se relier. Que la culture libre aussi influence même s’il ne faut pas non plus qu’on prenne la culture libre à la lettre, je pense qu’il y a aussi énormément à apprendre de la culture historique de la gestion des communs. Il y a un enjeu à construire ces assemblées des communs, à construire plein de petites structures de soutien. [Si on zoome.] Il y a ces idées de créer de structures juridiques exactement comme celles dans le logiciel libre, mais adaptées aux communs. Parce que ce que vous avez vu tout à l’heure, la Software SPI-Inc qui détient, pas qui détient, mais qui soutient des projets libres. On pourrait imaginer la même chose dans le monde des communs. Nous on est en train de créer à Lille la Legal Service For Commons – L1, pour dire que c’est à Lille, mais c’est l’idée de créer des assos qui viennent soutenir juridiquement les communs pour éviter qu’ils ne se prennent tous les pièges de création d’assos et tout ça.

La Contributive Service For Commons, ce n’est pas encore construit, mais c’est l’idée d’avoir une structure qui puisse aider à rémunérer les contributeurs aux communs, donc avoir un statut juridique quand on contribue à des communs pour se rémunérer.

Je passe parce que c’est encore très exploratoire, mais ça ne suffira pas il nous faudra une structure aussi qui fait vraiment le pont entre le monde des communs et l’institution publique et marchande. C’est-à-dire qu’il faut une structure de gouvernance, en fait, qui viendrait un peu aider à dire stop quand le monde marchand prend trop de place ou quand l’institution publique ne respecte pas les communs. En ce moment l’État est de plus en plus intéressé par OpenStreetMap qui est une cartographie participative libre, qui est de plus en plus puissante, un peu comme ce que j’expliquais tout à l’heure, qui est en train de prendre beaucoup de place et qui, d’ailleurs, remplace du coup des institutions qui faisaient ce travail-là avant. Et donc l’État est en train d’utiliser ça, mais pour autant il n’est pas en train de financer directement ce commun-là, il n’est pas en train des mécanismes pour le financer. Alors il va y contribuer parce qu’il va améliorer les données, mais en même temps pour l’instant il 'y a pas une pensée de l’institution pour reverser des financements. C’est là où on se dit qu’il y aurait peut-être besoin d’une sorte d’institution intermédiaire qui peut aider à organiser les réciprocités, par exemple inciter l’État, je ne sais pas par quel mécanisme, mais à reverser à un moment donné un financement ou en tout cas faire un lobby pour qu’il y a des règles plus saines de réciprocité.

Là on est en train de réfléchir à différents outils. Mais tu en parleras beaucoup mieux, Lionel, tout à l’heure, avec toutes les licences à réciprocité. J’ai mis le terme Contributive Commons, mais derrière il y a plein d’outils de réciprocité qui sont à créer.

Et puis la General Politic license, c’étaitun délire pour copier la General Public License qui est une licence utilisée dans le logiciel libre, pour créer une licence qui empêche les politiques de s’octroyer le bénéfice des communs, mais tout en leur permettant quand même de le faire, puisqu’il y a un truc assez emmerdant dans le monde des communs. C’est qu’à la fois il y a des politiques qui s’octroient la création de certains communs, par exemple Martine Aubry, pour ne pas la citer, avait mis dans son bilan qu’elle avait soutenu notre espace de travail sauf qu’en fait elle a soutenu un autre lieu, mais elle ne nous a jamais soutenus, nous. Mais voilà ! Du coup, elle a englobé dans son bilan notre production à nous. À la limite, nous on n’en a pas trop tenu rigueur, mais on pourrait peut-être avec une sorte de licence comme ça revenir vers elle ou, en tout cas, s’autoriser à faire de la com' pour dire « non, ce n’est pas vrai. » Il y aurait peut-être besoin d’un outil.

L’autre mécanisme qui nous embête aujourd’hui c’est qu’un politique à qui on voudrait donner le droit d’utiliser le fait qu’il y ait des communs, on ne peut pas, enfin on ne le fait pas. C’est peut-être pour ça qu’à chaque fois ils recréent leur propre projet pour avoir un temps pour l’inaugurer, pour pouvoir se vanter d’avoir inauguré un nouveau projet. Peut-être qu’un mécanisme intéressant ce serait de faire en sorte qu’on autorise un politique à venir inaugurer un commun qui existe depuis dix ans, au moins ça éviterait qu’il en crée un nouveau à côté, qui nous concurrence, puisque c’est ce qu’ils ont tendance à faire. Enfin, c’est typiquement l’État français qui veut relancer un système d’exploitation français alors qu’il existe déjà Linux. On pourrait peut-être lui dire : « Écoute, Hollande on t’autorise à inaugurer la création de Linux.fr, Linux français, en échange tu donnes beaucoup de sous au modèle »,ou, je ne sais pas. En tout cas il y a un truc à imaginer, même si c’est hyper périlleux, pour éviter qu’à chaque fois ils dépensent notre argent à recréer des ressources qui sont concurrentes aux nôtres, qui sont fermées. Je n’en dis pas plus.

Ça c’était une ouverture sur le futur politique de ce mouvement-là, il y a plein de choses à faire. Voilà, si vous avez des questions ou des points d’approfondissement sur certains sujets, n’hésitez pas.

Applaudissements

40' 18

On va passer le micro, peut-être.