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'''Titre :''' Culture numérique - Hervé Le Crosnier - Paniques morales - Partie 1
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Publié [https://www.librealire.org/paniques-morales ici] - Décembre 2023
 
 
'''Intervenant :''' Hervé Le Crosnier
 
 
 
'''Lieu :''' Campus 1 - Caen - Amphi Poincaré
 
 
 
'''Durée :''' 52 min 12
 
 
 
'''[https://www.canal-u.tv/chaines/cemu/cours-de-culture-numerique-2023-2024/01-culture-numerique-herve-le-crosnier-paniques Vidéo]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''Illustration :''' À Prévoir
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.<br/>
 
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.</em>
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
Bonjour. Comme vous n'êtes pas nombreux aujourd'hui, on devrait pouvoir s'entendre comme ça.<br/>
 
Merci pour la présentation. Oui, effectivement, ce petit bouquin a été fait par les étudiants, en édition, ici, de l'université. C'est une conférence j'ai donnée il y a deux ans, mais cela a eu comme conséquence que je ne pouvais pas refaire la même cette année. C’est donc une conférence complètement nouvelle, en fait presque tout est nouveau, comme ça je risque de me planter en direct/live, et ce n'est pas mal.
 
 
 
Elle est intitulée « Paniques morales », mais il y a une deuxième partie sur l'intelligence artificielle où on se demandera, justement, si nous ne sommes pas en train de vivre une panique morale, ou bien s’il y a un réel changement dans la société, un basculement du même ordre et du même type que celui qui a eu lieu il y a maintenant 25 ans autour du passage de l'Internet grand public.
 
 
 
==Mods & Rockers==
 
 
 
L'idée de « Paniques morales » est née il y a 50 ans quand un sociologue anglais, Stanley Cohen, va faire une étude sur deux groupes de jeunes, deux bandes rivales qui existaient dans les années 60, qu'on appelait les Mods & Rockers, les Rockers étaient tout habillés de cuir et les Mods étaient habillés de vestons italiens et pratiquaient les scooters et non pas la moto, ce qui entraînait entre eux des bagarres, des agressions, des choses comme ça, donc des phénomènes de bandes comme il en existait en France, on appelait ça les blousons noirs, etc. La société anglaise, d'un seul coup, s'est mise à paniquer, a créé une réaction disproportionnée face à ces jeunes qui étaient considérés comme marginaux ou déviants, qui ne se comportaient pas comme la bonne société <em>british</em>. On a donc appelé ça des paniques morales.
 
 
 
==Trois éléments==
 
 
 
En fait ça se développe avec trois éléments essentiels. Pour qu'il existe une panique morale, il faut :
 
d'abord qu’il y ait un comportement qui menace l'ordre établi, les habitudes, les manières de vivre des gens, de la société traditionnelle ;
 
une forte médiatisation. Il faut que les médias s'en emparent, montent le sujet en mayonnaise, etc., et jamais sur l'ordre des faits, mais sur un modèle associatif : que se passerait-il si, au lieu d'être quelques bandes de jeunes, c'était tous les jeunes qui, d'un seul coup, devenaient soit Mods soit Rockers et que ça soit la guerre mondiale entre groupes à Brighton ? Ce phénomène-là est nécessaire et on va voir plus loin le rôle essentiel des médias ;
 
enfin, il faut qu'il y ait des « entrepreneurs de morale », terme qu'on doit à Howard Becker, un grand sociologue qui vient de disparaître, qui désigne par là les gens qui vont édicter des normes, qui vont se trouver les moyens de dire : la vie correcte ça doit être comme ça. Ce sont les religieux, les politiques, les éditorialistes, toutes ces catégories de gens qui sont des entrepreneurs de morale. Ils y jouent leur carrière aussi, leur raison d'être, ce sont donc bien des entrepreneurs, ils prennent le risque, etc.
 
 
 
==Démesure==
 
 
 
Un rôle essentiel est celui de la démesure des médias. Il s'agit de présenter une question avec démesure.
 
Là j'ai deux petits exemples autour du jeu auquel vous avez dû jouer, vu votre âge, qui s'appelle Pokémon Go, j’en vois qui rigolent. Dès que Pokémon Go est sorti, sans que jamais il n’y ait eu d'événement, le message a été « les enfants qui jouent à Pokémon Go deviennent des proies pour les prédateurs sexuels qui vont les traquer, les chercher, les faire rentrer chez eux pour découvrir des Pokémons, etc. » Il n'y a jamais eu ni avant ni après.
 
 
 
[Projection d’une partie d’un journal télévisé américain]
 
 
 
La police de Miami fait des vidéos et la télévision ici... j'arrête. Le <em>New York Post</em> traite de Pokémon Go : « Les enfants sont près des maisons des prédateurs sexuels ». À l'époque, il y avait une série télé qui s'appelait <em>The Predator</em>, une espèce de jeu où il fallait dénoncer un prédateur, c'était donc à la mode de parler des prédateurs sexuels vis-à-vis des enfants, ça va servir pour dénoncer les médias sociaux, toute une série de paniques morales autour de ce sujet-là.<br/>
 
L'enjeu, bien sûr, c'est de susciter des peurs, pas tant chez les enfants eux-mêmes qui jouent à Pokémon Go, comme vous, mais chez leurs parents. Bilan : on va revenir à des valeurs, c'est-à-dire que cette nouveauté provoque un bouleversement tel qu'il vaut mieux revenir à des valeurs morales.
 
 
 
==Extension du concept==
 
 
 
En sciences de l'information et de la communication, on a tendance à élargir cette notion qui a été créée dans un concept sociologique précis, mais les concepts sont faits pour servir, donc on élargit la boîte.<br/>
 
Grosso modo, en sciences d'information, l'idée c’est qu’à chaque fois qu'il y a une nouveauté technique il y a des gens qui veulent revenir en arrière, empêcher cette nouveauté technique. Ça a commencé avec Socrate qui disait que l'écriture allait nous faire perdre la mémoire ; au 19e siècle, quand on a eu un développement des romans, que ça allait, bien sûr, détourner les femmes de leur rôle, les femmes, les enfants, les gens fragiles ! C'est le thème de <em>Madame Bovary</em> que vous connaissez bien : quand le walkman est apparu on a dit « les jeunes vont aller dans la rue avec leur musique dans les oreilles, ça va complètement les isoler, ils ne vont plus être dans le même monde que nous, etc. » ; quand la bande dessinée s'est développée on a écrit une loi, la loi de 49, pour imposer aux revues et aux journaux de bande dessinée d'avoir la moitié de texte écrit, on ne pouvait pas penser que les petits <em>Le journal de Mickey</em> c’était de la littérature ; quand le rock est apparu, vous le savez très bien, surtout le rock psychédélique, que c'est un danger pour la jeunesse ! Voilà ! Je ne veux pas parler des jeux vidéo puisque nous avons eu, très récemment, un avis hautement autorisé de monsieur notre président de la République qui a expliqué que c'était à cause des jeux vidéo qu'il y avait des émeutes dans les quartiers !
 
 
 
==Un bon outil==
 
 
 
Les paniques morales c'est intéressant parce que c'est un bon outil pour essayer de se poser la question : est-ce que nous sommes face à une vraie nouveauté, à quelque chose qui existe, avec des faits qui viennent le confirmer, ou est-ce que nous sommes face, à nouveau, à une espèce d'immense exagération, une roue qui tourne toute seule et ainsi de suite ?<br/>
 
Le rôle de la presse est, dans ce cadre-là, essentiel. Avec le selfie, vous savez tous que vous êtes le produit d’une déferlante narcissique, ça se voit ! Les journaux ont tendance à créer de la peur.<br/>
 
En revanche, il ne faut pas appeler panique morale tout ce qui ne nous plaît pas, il y a toujours ce danger-là, il faut pas l'oublier.
 
 
 
==Le rôle des médias==
 
 
 
Le rôle des médias en général.<br/>
 
La fonction des médias, c'est de mettre les choses à l'agenda, c'est-à-dire à l'ordre du jour, faire que tout le monde pense à une chose en même temps, de manière à focaliser l'attention publique et faire en sorte soit que des décisions soient prises, soit des événements qui vont focaliser l'attention et qui vont permettre d'avoir des nouveautés législatives, c'est devenu à la mode depuis une vingtaine d'années : dès qu'il y a un fait divers, on fait une loi. C'est le rôle des médias de mettre les choses à l'agenda, après, secondairement seulement, de donner de l'information. C'est plus la une des médias qui est importante que l'information qui va être donnée, qui est souvent de très bonne qualité, parfois même contraire au titre qui sera donné, parce que le journaliste écrit l'article mais le titre dépend de la rédaction et on sait très bien que les médias sont des entreprises économiques, y compris des entreprises économiques très concentrées et elles ont besoin d'attirer en permanence leur public. Il y a une chose qui marche bien c'est la peur.
 
 
 
<b>Voix off : </b>TF1, 20 heures, avec Roger Gicquel.
 
 
 
<b>Roger Gicquel, voix off :  : </b>Bonsoir. La France a peur. Je crois qu’on peut le dire aussi nettement. La France connaît la panique depuis qu’hier soir, une vingtaine de minutes après ce journal, on lui a appris cette horreur, un enfant est mort.
 
 
 
<b>Hervé Le Crosnier : </b>« La France a peur ». C'est resté un symbole de la manière dont effectivement les médias participent de la création de cette peur parce qu'on veut savoir pourquoi la France a peur. Moi je n'ai pas peur, comment se fait-il que les autres aient peur ? Il y a une espèce d'intérêt en permanence.
 
 
 
==Et des médias sociaux==
 
 
 
En est-il de même pour les médias sociaux ?<br/>
 
Moi je pense que l'algorithme des médias sociaux fonctionne de la même manière, c'est-à-dire qu’il va sélectionner parmi la masse d'informations, c’est-à—dire la masse des choses qui aura été déposée par vous, vos voisins, vos amis, celles que vous allez voir, que chacun d'entre vous va voir. C’est donc un processus d'éditorialisation : je sélectionne ce qui va être mis à l'agenda non plus avec les médias sociaux, à l'agenda collectif, ce que leur reproche par exemple les médias qui disent « là ce n’est pas assez collectif », qui par ailleurs, recherchent en permanence dans les groupes des médias sociaux des tendances pour pouvoir les ré-exploitées dans les médias diffusés. Chut !<br/>
 
Donc les médias sociaux mettent des choses en avant, mais au service de qui ? Pas forcément à votre service. On prétend qu’en laissant vos données on va vous montrer ce qui va être le plus intéressant pour vous. En réalité, les médias sociaux montrent ce qui provoque le plus d'engagement, c'est-à-dire où vous allez répondre, vous allez critiquer, vous allez tempêter, vous n'allez pas être content, vous allez faire un like. Quel que soit l'engagement, c'est ça qui fait qu'on reste sur le média social, donc qui permet au média social de vendre sa publicité.<br/>
 
On est donc dans un phénomène d'éditorialisation au service du média social. On n’est plus dans la logique de base d'espace public des médias sociaux.
 
 
 
Qu'est-ce qui marche dans ce cadre-là ? La peur sur internet, directement média social, un peu moins, par contre le complotisme c'est super ! Vous expliquez que des Illuminati dirigent le monde, ça marche à tous les coups. Vous trouvez partout des solutions, des réponses. En fait développer le cynisme, dire « ouais, tout ça c'est pourri » et provoquer des attaques en meute aussi.<br/>
 
L'intérêt qu'ont les médias sociaux à créer de l'engagement, donc à vous faire venir et revenir, exploite en fait des bas instincts chez tout un chacun d'entre nous et c'est pour ça qu’ils deviennent dangereux parce qu'ils vont détourner les gens de la vie collective. Le complotisme, très clairement, c'est le dernier allié des pouvoirs en place : « Vu que c'est un complot, on n'y peut rien parce qu’il y aura un autre complot derrière ». Bref !
 
 
 
==13’ 28==
 
 
 
==Régulation==
 
 
 
Dans cette situation,
 

Dernière version du 6 décembre 2023 à 11:53


Publié ici - Décembre 2023