Différences entre les versions de « Concevoir de manière responsable, l'exemple de Fairphone - Ethics by Design 2020 »

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<b>Alix Dodu : </b>Le premier focus stratégique du Fairphone ce sont les matériaux éthiques. Comme le disait Agnès, c’est très compliqué, c’est très important, mais c’est aussi très complexe.<br/>
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Déjà, une première question à se poser c’est qu’est-ce que c’est un matériau éthique ? Ça peut être plusieurs choses. Ça peut être, par exemple, des matériaux recyclés, c’est plus durable pour l’environnement et souvent c’est mieux pour la question de l’impact social. Par exemple le Fairphone contient 50 % de plastique recyclé dans les modules, on va passer à 75 % avec le Fairphone 3 +, ça amène la quantité de plastique recyclé dans le téléphone à environ 40 % et environ la moitié du cuivre dans le téléphone est aussi recyclée. Fairphone fait le choix conscient de ne pas se concentrer seulement sur les matériaux recyclés, mais, en fait, de se concentrer plutôt sur les minerais et les produits qui viennent de mines, parce que, en fait, se concentrer seulement sur les produits recyclés c’est un peu se dédouaner du problème, c’est ne pas prendre ses responsabilités. Peut-être que Fairphone, avec les quantités de téléphones que la boîte produit, peut se permettre d’avoir entièrement des matériaux recyclés, mais, dans le monde, la demande en minerais et en métaux augmente et elle augmente plus vite que l’offre recyclée. On sait que dans les 10, voire les 100 prochaines années à venir, la plupart des métaux et minerais proviendront de mines. Ce qui, d’ailleurs, est un problème à part entière parce que ces mines ne sont pas infinies et c’est pour ça que c’est aussi quand même très important de recycler ces matériaux. Mais, si on veut faire quelque chose pour les mineurs artisanaux, il faut aller voir les mines, donc, par exemple, les métaux de conflit, les minerais dits de conflit qui sont présents dans le téléphone sont, du coup, sans conflit, donc le tantale, l’or et le tungstène et Fairphone va créer des contacts, créer des liaisons avec des mines qu’elle connaît et dont elle sait qu’elles ne financent pas les armes.<br/>
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Un des premiers projets de Fairphone c’était aussi de travailler avec des ONG ??? et les gouvernements pour envoyer l’armée pour protéger des mines. C’est vraiment en ayant ce contact et en proposant un prix correct pour les minéraux, en proposant aussi un contact direct et un partenariat entrepreneurial stable qu’on arrive à changer lentement la situation.<br/>
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C’est aussi comme ça qu’on va, par exemple, combattre le travail des enfants dans les mines et, en fait, améliorer toutes les conditions de travail et de vie des mineurs artisanaux. Ça ne se fait pas du jour au lendemain et c’est pour ça que la plupart des métaux dans le téléphone ne sont pas certifiés <em>fair trade</em>. L’or est certifié <em>fair trade</em>. Le Fairphone 2 était le premier produit électronique à contenir de l’or <em>fair trade</em>, mais les autres métaux sont dits éthiques ou <em>fair</em> parce que, justement, il faut accepter que les minéraux ne sont équitables de base pour pouvoir lentement améliorer la situation.
  
<b>Alix Dodu : </b>Le premier focus stratégique du Fairphone
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Ça, c’est la première partie de l’équation en ce qui concerne les matériaux éthiques, ensuite vient le gros challenge d’intégrer ces matériaux à sa chaîne de production. Agnès l’a bien dit, c’est très complexe.<br/>
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Là on voit une carte du monde, ce sont des liaisons entre plein de mines dans le monde et des usines dans des endroits différents. La loi Dodd-Frank, par exemple, n’a pas eu comme effet de diminuer la quantité de minéraux de conflits dans notre électronique – cette offre existe pour une raison, c’est parce qu’il y a une demande –, elle a juste eu pour effet que les matériaux étaient passés en contrebande au-dessus de la frontière et vendus à partir d’un autre pays, ce qui a rendu toute l’histoire encore plus opaque, encore plus difficile à améliorer. La première étape c’est vraiment d’accepter qu’il y a le problème, d’accepter qu’on a un produit qui n’est pas éthique pour pouvoir le changer.<br/>
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Ensuite, essayer de comprendre ce qu’il y a dans sa chaîne. Fairphone a publié un bouquin avec toutes les usines, plus d’une soixantaine d’usines présentes dans la chaîne.
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Comment on fabrique un téléphone ? Il y a l’usine d’assemblage qui est au-dessus, qui va assembler les différents composants, environ 200 composants. Ces composants sont fabriqués dans d’autres usines et ces autres composants ont potentiellement des sous-composants. Là, par exemple, on voit le moteur à vibrations et on voit tous les différents petits composants qu’il y a dans ce moteur à vibrations et beaucoup des composants qu’on voit ici, au début, sont fabriqués dans d’autres usines, par exemple le marteau et le contrepoids en tungstène. Donc ces usines de composants ont des partenariats avec des usines de sous-composants. Ensuite, ces sous-composants sont fabriqués à partir de matériaux ou encore à partir de sous-sous-composants, donc on a une espèce d’explosion et une racine très complexe d’usines. Toutes ces usines vont, une à une, se procurer ou s’approvisionner en matériaux et là on perd vraiment la traçabilité parce que ces matériaux sont travaillés dans des raffineries pour être épurés, c’est de la haute technologie, donc ce sont de grosses usines, il n’y en pas beaucoup dans le monde. Donc ça fait des racines, comme ça, jusqu’à des usines qui vont s’approvisionner en matériaux à un point plus central et ces raffineries s’approvisionnent à plein de mines différentes, des sources recyclées et, bien sûr, on ne sait pas ce qui vient d’où. L’usine ne pourra pas vous dire quels métaux sont présents dans ses composants.<br/>
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Vu la complexité il faut faire des choix, on ne peut pas changer toute la chaîne de production en une fois. Fairphone a choisi les huit matériaux qui sont présents en quantité relativement grande dans le téléphone, ce qui permet d’avoir un peu de poids lors des négociations et de vraiment avoir un impact sur la chaîne. Les huit matériaux qui sont présents en grande quantité et qui ont aussi un impact sérieux environnemental malheureusement négatif sur plein de fronts différents sont le cobalt, l’or, l’étain, le lithium, le tungstène, le néodyme et le plastique. On peut parler, par exemple, du tungstène. Je mentionnais le moteur à vibrations tout à l’heure. Le tungstène est une matière très dense et relativement peu chère, qui tourne et c’est ça qui fait vibrer le téléphone. Fairphone est donc allée parler à l’usine d’assemblage, qui lui a dit quelle usine fabrique le moteur, qui lui a dit quelle usine fabrique le contrepoids, jusqu’à trouver l’usine qui parle directement avec la raffinerie et ensuite persuader cette usine de passer par une autre raffinerie qui est une raffinerie européenne, et là on a plus de contact, on a plus de traçabilité. Cette raffinerie va ensuite s’approvisionner en tungstène à une mine connue et <em>conflict free</em>. C’est comme ça, petit à petit, composant par composant, matériau par matériau, qu’on arrive à améliorer le contenu du téléphone.
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<b>Agnès Crépet : </b>Ça c’est pour un matériau, donc imaginez pour 40 ! Ça c’est le livre dont tu parlais qui, même si on démarre sur 10 matériaux, aujourd’hui on est à 8, on publie tout : qui a produit tel composant, tel sous-composant de tel composant électronique, etc., pour que, éventuellement, d’autres producteurs de téléphones se l’approprient.
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On va vous parler de conditions de travail.<br/>
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Si je vous parle, par exemple, des usines avec lesquelles on travaille en Chine, parce qu’aujourd’hui on travaille beaucoup avec la Chine, on a une usine qui assemble nos téléphones et là on a mené un travail assez intéressant où, en fait, on a essayé de ne pas venir avec notre propre vision de ce que pourraient être de bonnes conditions de travail, mais on a vraiment bossé avec les ouvriers, les écouter et les impliquer dans toutes les négociations. C’est la voix des travailleurs qu’on suit, donc beaucoup d’interviews, on a un travailleur chinois qui est à demeure dans l’usine et qui bosse avec eux, parce que le concept d’<em>union</em>, enfin de syndicat, n’est quand même pas évident en Chine. On vise un revenu dit décent et pas minimum, parce qu’on verra que le revenu minimum ne suffit pas aux gens pour vivre, et au lieu de viser une conformité vis-à-vis d’une législation, on vise vraiment la satisfaction de ces gens. Donc régulièrement on leur demande s’ils sont contents, s’ils ont des voies d’amélioration, etc.<br/>
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Ce qu’ils ou elles choisissent étant la priorité, le focus est, du coup, sur la sécurité des ateliers, ça c’est sûr, mais aussi sur la qualité des repas, sur le nombre de personnes dans les dortoirs, sur la propreté des espaces communs, la propreté de la cantine, la qualité de la nourriture, etc. Mais, quand même, le nerf de la guerre ce sont les sous.<br/>
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On pourrait voir, avec notre point de vue d’occidental, que ça serait bien de réduire les horaires de travail, etc., ça pourrait être la première idée qu’on peut avoir, faire en sorte que les gens ne bossent plus 60 heures. En fait, là-bas, les personnes peuvent bosser plus de 60 heures parce qu’elles ne sont pas assez payées, du coup elles font des heures supplémentaires pour avoir un revenu décent. On a fait un sondage, on a bossé avec eux. De toutes les personnes qu’on a interrogées, il n’y a pas une personne qui a été forcée de faire des heures supplémentaires. Il n’y a jamais eu quelqu’un qui lui a mis un peu la pression pour que cette personne fasse des heures supplémentaires. C’est vraiment un choix, mais c’est un choix qui n’en est pas un, tout ça pour atteindre un revenu décent. Donc, ce qu’on a visé, c’est un revenu décent. Un revenu décent, selon eux et elles, c’est 650 euros par mois au lieu de 260 qui est le revenu minimum. Donc on s’est dit OK, on va le faire et OK, on va le faire, je reste humble, c’est 1,5 euro par téléphone. OK ? Donc on produit 100 000 téléphones par an, ça nous coûte 1,5 euro de payer ces gens 650 euros. C’est juste pour donner des chiffres qui parlent d’eux-mêmes. Si tout le monde faisait ça, parce que Fairphone aujourd’hui dans cette usine c‘est 10 %, ça représente 10 % du boulot à faire, donc si les 90 % restants – je ne connais pas ses clients, mais imaginez les gros Samsung, Sony, etc. – faisaient pareil. tout le monde aurait un revenu décent.<br/>
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Donc on a fait ça et les gens sur place, quand on a dit comment on voulait qu’on le fasse, on vous paye tous les mois, les gens nous ont dit « en fait on va le partager, on va le partager avec 100 % des travailleurs ». Donc on a pris ces sous et ils ont partagé l’intégralité du budget sur les 302 travailleurs. Il y avait des contraintes d’ancienneté, que les personnes soient là depuis plus six mois, etc., mais on va dire que la plupart des travailleurs de l’usine a eu l’équivalent du budget qu’on voulait y mettre et ça représentait pour chaque personne 785 euros, donc à peu près trois mois de salaire.
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On a parlé de l’amélioration des conditions de vie. On va parler maintenant de conception durable, c’est un peu mon truc, je bosse beaucoup là-dessus chez Fairphone, plus sur le software. Conception durable, ça veut dire comment on fait un téléphone qui dure.<br/>
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Le téléphone le plus durable c’est quand même celui que vous avez, ce n’est pas forcément un Fairphone, en tout cas quand vous en avez un c’est cool de s’interroger sur comment vous allez pouvoir le réparer. Et comment vous allez pouvoir le réparer ? Eh bien si votre téléphone est collé, que vous ne savez pas comment il marche, qu’il n’y a pas de guide pour vous expliquer comment l’ouvrir, eh bien ça va être compliqué.<br/>
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Depuis Fairphone 2, donc depuis cinq ans, nos téléphones sont modulaires. Sur Fairphone 2 ont a avait cinq modules, là on en a six, donc vous pouvez changer la batterie, l’écran, les caméras, etc. Une des raisons principales pour lesquelles les gens changent de téléphone c’est que l’écran casse ou que la batterie est pourrie. Là, l’objectif c’est de pouvoir facilement ouvrir le téléphone – peut-être, Alix, que tu peux le montrer ou je peux le montrer sur le Fairphone 3 – il n’y a rien qui est collé. Vous pouvez avec une tourne-vis ou, sur le Fairphone 2 c’était clipsable, changer la batterie. Une batterie coûte, je ne sais plus, 29 euros je crois sur le site, si votre batterie est pourrie. L’écran c’est pareil. L’objectif c’est de garder ce téléphone. On essaye de collecter le plus de data qu’on peut sur ce qu’on fait, et si vous gardez sept ans votre téléphone, on estime que vous allez réduire de 40 % les émissions de CO2.<br/>
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Quand je vous disais tout à l’heure qu’on était dans de l’approche itérative, il ne faut pas non plus que ce coût de la modularité, là on est dans l’écoconception, ait un coût écologique. Il faut que le design soit fait pour que la modularité ait un coût neutre ou quasi. Sur Fairphone 2 on était à 12 % de surplus d’émissions de CO2 du fait qu’on ait intégré la modularité – c’est un peu compliqué, mais vous voyez ce que je veux dire – et là sur, le Fairphone 3, on est à 2,3 %. On essaye de faire en sorte que le coût de design de la modularité soit presque neutre. Donc on a des designers industriels qui bossent sur le truc et sur le Fairphone 2 on avait de quoi s’améliorer.
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Ça c’est vraiment mon sujet, le software. Oui. Si vous avez un téléphone que vous pouvez réparer, vous pouvez changer votre batterie, votre caméra, etc., il faut aussi que le logiciel sur le téléphone marche, qu’il soit à jour. Je ne suis pas fun de Snapchat, mais tous les gamins qui utilisent Snapchat sur un téléphone, Snapchat ne fonctionne plus sur Android 7 par exemple, donc ils ne veulent plus utiliser leur téléphone si jamais ça ne marche plus sur ce qu’ils utilisent, du coup l’objectif c’est de faire des mises à jour logiciels qui durent dans le temps.<br/>
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Je précise juste pour être <em>fair</em>, que Apple n’est pas mauvais là-dessus. Vraiment Apple fait vraiment un effort assez conséquent sur les mises à jour logiciels, ça dure trois, quatre, cinq ans. Sur Android c’est un peu la catastrophe. OnePlus, une marque chinoise que vous connaissez, Huawei aussi, c’est un à deux ans. Vous achetez un téléphone OnePlus, au bout d’un an vous n’avez plus de support logiciel, vous ne passez à Android supérieur, etc., et vous n’avez pas de mise à jour de sécurité, ce qui peut mettre vos data à mal. Si vous n’avez pas de mise à jour de sécurité ça veut dire qu’on peut récupérer vos data.<br/>
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Mon boulot chez Fairphone, avec deux ingés, juste pour resituer le nombre de personnes, donc à deux et demi, trois, le boulot qu’on est en train de faire en ce moment c’est sur ce téléphone qui a cinq ans, on essaie de porter Android 9, une des dernières versions d’Android, ce n’est pas la dernière mais c’est une des dernières. Au milieu de ce téléphone vous avez un processeur. En fait, le processeur qui est ici, c’est un peu le cerveau de votre téléphone. Il y a deux fabricants mondiaux. Il y a deux monopoles. On parle souvent de GAFAM, etc., oui, ce sont des monopoles, mais il y a aussi des monopoles au niveau des puces. Il y a deux fabricants principaux SK Hynix (???) et Qualcomm, qui sont absolument obscurs sur la manière dont ils vont délivrer des supports logiciels dans le temps ; beaucoup de secrets industriels, beaucoup de brevets, etc.. Donc vous achetez une puce Qualcomm, vous la mettez dans votre téléphone, vous ne savez si une prochaine version d’Android va être supportée.<br/>
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À côté Android, Android c’est Google, va dire « vous êtes gentils, mais je ne supporte plus Android 6. Ça fait trois ans que je l’ai sorti, donc j’arrête les mises à jour logiciel. » Donc vous êtes entre deux monopoles, où Qualcomm ne veut pas supporter une prochaine version d’Android et Google ne veut plus supporter l’ancienne. Donc notre taf, à deux et demi, c’est d’essayer de développer les lignes de code pour essayer de mapper ces deux systèmes, donc c’est très bas niveau. J’ai remis la tête dans du C, des langages que je faisais plus depuis longtemps. C’est vraiment critique, mais, on est trois.<br/>
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Imaginez si tous les ingénieurs de Samsung s’y mettaient ! C’est techniquement possible. On est trois, quelques partenaires le font aussi avec nous. Je pense que c’est jouable techniquement.
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<b>Alix Dodu : </b>Elle est là la puce. J’ai réussi à le démonter. C’est la première fois que c’est démonté, donc c’est un peu moins facile, tout simplement.<br/>
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On a parlé de matériaux éthiques, de produire de manière éthique et de le garder le plus longtemps possible, mais, même avec le super travail que Alix fait avec ses collègues, au bout d’un moment le téléphone va quand même être jeté, et c‘est là que rentre la dernière phase, la phase de recyclage.<br/>
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Comme je l’ai dit au début, c’est quelque chose que, peut-être, certains d’entre vous ne savent pas, mais il y a aussi des gros problèmes dans la chaîne de recyclage. 80 % de nos déchets, de nos 4500 déchets électroniques, ne sont pas recyclés ou ne sont pas recyclés de manière éthique et responsable.<br/>
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Comment est-ce que ces déchets rentrent potentiellement dans la chaîne informelle de recyclage ? Soit les déchets sont produits dans un pays où il n’y a pas de chaîne de recyclage formelle, les pays en voie de développement, soit les déchets sont exportés de manière illégale, souvent, parce que c’est illégal d’exporter des déchets électroniques vu que c’est très toxique, soit exportés de manière illégale par des entreprises qui vont les récupérer dans d’autres entreprises soi-disant pour les recycler, mais on fait des connexions et c’est beaucoup moins cher de recycler ça, bien sûr, dans un réseau informel. Ils font de l’argent de cette manière et c’est exporté sous le prétexte, par exemple, d’être des téléphones de seconde main, ce qui est impossible à vérifier pour les douaniers parce que ce sont de gros containers de téléphones.<br/>
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Que fait Fairphone ? Fairphone essaye de faire en sorte que les téléphones qui sont produits dans des pays en voie de développement soient recyclés, du coup, chez nous. Également on voudrait qu’il y ait des usines là-bas pour que ces usines puissent récupérer les matériaux qui ont de la valeur, aujourd’hui ce n’est vraiment pas le cas. Au Ghana, par exemple, il y a ??? et Closing The Loop, qui sont des partenaires de Fairphone, qui vont récupérer les téléphones et les faire recycler en Belgique.<br/>
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On a aussi un ??? programme, une manière pour Fairphone de récupérer les téléphones. Il y a aussi plein de téléphones qui sont dans les tiroirs, plus de 100 millions de téléphones dans le monde dorment dans les tiroirs, peut-être aussi dans les vôtres, il y a de l’or dedans. C’est important de recycler ces matériaux et de les récupérer et c’est important aussi de garder nos smartphones dans les chaînes formelles de recyclage. Si vous pouvez envoyer gratuitement votre smartphone, votre vieux smartphone à Fairphone, et si vous achetez un Fairphone 3 vous serez déboursé de 30 à 40 euros.<br/>
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Ce qui est important aussi, quand on recycle un téléphone, c’est de regarder comment on peut faire ça de la manière la plus efficace, c’est-à-dire en récupérant le plus de matériau possible et en polluant le moins possible, parce que recycler ça prend aussi de l’énergie, ça émet du CO2. Fairphone a donc fait des études. Là c’est l’étude pour le Fairphone 2 et l’étude pour le Fairphone 3 est en cours. On peut le faire de différentes manières, on peut par exemple broyer le téléphone, mais l’étude montre que pour le Fairphone 2, probablement pour la plupart de l’électronique le moyen le plus durable de le faire c’est de démonter le téléphone composant par composant et de récupérer les éléments matériau par matériau. Et c’est là aussi, bien sûr, que la modularité du téléphone est un gros atout. Bien sûr, le plus gros atout de la modularité du Fairphone c’est de pouvoir garder le téléphone plus longtemps. Agnès l’a déjà dit, le téléphone le plus durable c’est celui que vous possédez déjà.
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<b>Agnès Crépet : </b>Exactement. Si vous avez envie d’acheter un téléphone, posez-vous la question de qui sont les gens qui l’ont fabriqué et posez-vous la question de savoir si vous avez vraiment besoin de changer de téléphone. Voilà. Ce sera notre mot de conclusion. Merci.
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<b>Alix Dodu : </b>Merci.
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<b>Agnès Crépet : </b>On se retrouve pour des questions en live. <br/>
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Merci. Au revoir.
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<b>Karl Pineau : </b>On se retrouve en direct avec Agnès

Version du 17 novembre 2020 à 11:35


Titre : Monétisation des données : la data aux œufs d’or

Intervenant·e·s : Agnès Crépet - Alix Dodu - Karl Pineau

Lieu : Ethics by design 2020, en ligne

Date : septembre 2020

Durée : 1 h 10 min

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Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Agnès Crépet : Bonjour à toutes et à toutes.
Aujourd’hui on va vous parler de conception durable à travers l’expérience de Fairphone et on va essayer de vous présenter tous les challenges derrière le fait de concevoir un téléphone durable et éthique.

Qui sommes-nous ?
Je m’appelle Agnès. Chez Fairphone, j’ai plutôt un profil technique, je guide la partie software engineering, donc comment faire des téléphones qui durent en luttant, entre autres, contre les monopoles comme Google, etc., et je suis également cofondatrice, en France, d’une société qui s’appelle Ninja Squad, à la base coopérative, qui fait beaucoup d’open source et des livres à prix libre sans DRM [digital rights management, etc. Je suis également impliquée en France dans deux collectifs, une conférence qui s’appelle MIX'IT, qui a lieu à Lyon, et qui met un fort accent sur l’éthique et la tech ; j’ai également un rôle dans Duchess France qui est un collectif qui essaye de promouvoir les femmes techniques dans l‘IT.

Alix Dodu : Bonjour. Je suis Alix Dodu, je suis moitié néerlandaise, j’habite à Amsterdam, et, en ce moment, je suis analyste et chercheuse pour la mairie d’Amsterdam. J’ai fait mon master à Paris et je suis ensuite restée un an à Paris pour travailler pour une association qui s’appelle Lundi Carotte, qui écrit des articles sur comment sont faits les tee-shirts, les pommes, les smartphones et sur leurs impacts sociaux et environnementaux. J’ai ensuite travaillé pendant près d’un an pour Fairphone ; j’ai fait, entre autres, un projet de recherche sur le recyclage de l’or dans le monde et sur l’économie circulaire et je suis très contente d’être là aujourd’hui et de présenter cette présentation avec Agnès.

Agnès Crépet : Aujourd’hui on vous va parler d’industrie électronique. Même si on prend l’exemple des smartphones, tout s’applique à la globalité de l’industrie. On utilise l’électronique tous les jours, que ce soit dans vos smartphones, dans vos ordinateurs portables, également dans des objets du quotidien, votre cafetière, etc.. Cette industrie électronique est également derrière les solutions dites écologiques. Pourquoi dites écologiques ? Je ne dis pas qu’il ne faut pas utiliser de panneaux solaires ou la voiture électrique, mais je dis juste que ce qu’on va vous raconter sur les minerais de conflit, sur le travail des enfants, sur l’extraction des minerais, etc., ça existe forcément derrière les solutions qui sont présentées ici. L’idée c’est d’essayer, à travers l’exemple des smartphones, d’imaginer l’ampleur des impacts à échelle plus globale. L’approche de Fairphone, qui est aussi la nôtre, c’est le fait de penser une écoconception sans oublier l’humain, parce qu’un objet comme ça [Agnès montre son smartphone, NdT], ça ne pousse pas dans les arbres, un objet comme ça c’est fait par des hommes, des femmes et des enfants. L’idée c’est de pouvoir penser à ces personnes-là quand on achète, quand on décide de garder plus longtemps ces produits, etc.
On parle aussi d’écologie décoloniale, ce terme est apparu il y a quelques années, pour essayer de mettre de la lumière justement sur toutes ces personnes-là, impliquées dans la chaîne d’approvisionnement. On peut s’estimer écolo quand on achète une voiture électrique, mais je pense qu’on peut aussi ne pas oublier ou ne pas mettre le voile sur certains pays d’Afrique, certains pays asiatiques où des gens travaillent dans des conditions qui sont assez dures, dont on parlera assez longtemps dans cette keynote. L’objectif c’est d’essayer de promouvoir une écologie décoloniale et de penser une écoconception en prenant compte de l’humain

On va parler beaucoup de smartphones parce que c’est un peu le boulot que je fais, qu’Alix a fait chez Fairphone. Quelques chiffres pour introduire le sujet : aujourd’hui on est on est à 1,5 milliard de téléphones produits par an, c’est hallucinant. Le pire c’est que c’est par an et ça fait longtemps que c’est ce chiffre-là, qu’on a passé la barre du un milliard par. En 2013 on a passé ce seuil qui nous interroge beaucoup et on a l’impression que ça va un petit peu en stagnant, mais pas du tout, ça continue à augmenter. Un chiffre de l’ONU est sorti la semaine dernière qui dit qu’à l’heure actuelle, on a 8 milliards d’abonnements mobiles dans le monde, plus que d’êtres humains parce que, aujourd’hui, la population mondiale est estimée à 7,7/7,8, donc c’est quand même hallucinant.
On achète beaucoup ces téléphones et on les garde peu. On utilise un smartphone un peu plus de deux ans et demi, donc ce n’est quand même pas beaucoup, parce qu’on casse, mais aussi parce qu’on veut suivre la mode, les téléphones qui se plient, etc., des choses qui ne sont pas forcément très utiles. Du coup, l’autre tendance qu’il y a derrière, c’est que la plupart des téléphones qu’on jette ne sont pas recyclés, moins de 20 % sont recyclés – c’est la spécialité de Alix qui en parlera tout à l’heure – et ça produit aujourd’hui, une estimation de 50 millions de déchets électroniques par an. C’est aujourd’hui le flux de déchets qui grandit le plus vite dans le monde, donc il y a forcément quelque chose à faire, et on dit généralement que ça représente 4500 tours Eiffel de déchets électroniques par an.

Alix Dodu : Agnès l’a très bien dit, l’industrie du smartphone est une très grosse industrie, et, bien sûr un téléphone c’est aussi très important dans nos vies de tous les jours. Dans beaucoup de pays en voie de développement, pour beaucoup de gens, c’est le seul moyen de faire les finances, de faire tourner le business et aussi, bien sûr, de garder contact avec ses amis, sa famille éloignée. Mais l’industrie du smartphone a aussi de gros impacts écologiques et des impacts sociaux. Pourquoi ? Parce qu’un téléphone c’est un peu magique. Personnellement, je trouve que c’est assez impressionnant que ça fonctionne aussi bien vu la complexité de l’électronique qu’il y a derrière. C’est environ 200 composants et ces 200 composants sont fabriqués à partir d’environ 40 matériaux différents. Il y a du plastique, il y a du cobalt, du lithium pour la batterie. Ça c’est intéressant parce qu’il y en a dans la batterie des smartphones, mais il y en a énormément aussi, bien sûr, dans les batteries des voitures électriques. Il y a aussi de l’or, du cuivre pour les composants électriques et il y a aussi plein d’autres choses dont vous n’avez peut-être jamais entendu parler, de l’yttrium, du germanium, du gallium, du serbium(???), du plomb, du silicium. La plupart de ces matériaux sont minés, le plastique aussi en fait c’est miné, mais c’est une autre histoire, c’est le pétrole. Ils sont minés parce qu’ils sont présents dans la terre et on peut se poser la question de combien de matière il faut pour fabriquer un seul téléphone. France Nature Environnement a estimé qu’il faut environ 70 kg de matière pour fabriquer, utiliser et éliminer un seul téléphone. Pourquoi on a besoin d’autant de matière ? C’est parce que, quand on se trimballe dans une mine d’or ou de cobalt, on ne va trouver pas des gros blocs comme qui se promènent sous la terre. Les matériaux sont intégrés à la roche, à la terre, et il va falloir déplacer de grandes quantités de matière pour récupérer des quantités relativement petites. Donc là on voit le premier gros impact écologique de l’industrie minière c’est qu’il faut détruire les écosystèmes sur des hectares.
Le deuxième gros impact écologique de l’industrie minière, c’est qu’ensuite, quand on va récupérer les minéraux, quand on va dissoudre la roche ou faire dissoudre les minéraux pour ensuite les récupérer – par exemple l’or se dissout dans le mercure, donc on utilise du mercure ou bien on utilise de l’arsenic pour détruire la roche et garder l’or. On utilise donc des produits toxiques – de l’acide pour le serbium c’est de l’acide sulfurique et du nitrique, ce genre de chose. Là, par exemple, on voit un lac d’acide au fond de la cuve, ce n’est pas un lac naturel, on voit un camion d’acide et ces substances toxiques peuvent se retrouver dans la nature.
Ce qu’on voit en haut c’est une mine industrielle, c’est Lode-Star Mining, LSM. Ces produits toxiques sont aussi utilisés dans ce qu’on appelle les mines artisanales. Les mines artisanales ce sont un peu des auto-entrepreneurs si vous voulez, ce sont souvent des gens avec très peu de moyens, qui n’ont pas d’autres moyens de subsistance, et qui vont, avec leur propre matériel de bord plus ou moins performant, creuser des tunnels, aller chercher l’or dans les rivières avec du mercure. Et là, bien sûr, c’est complètement non régulé et ça se retrouve automatiquement dans la nature. Les deux sont très polluants.
Les mines artisanales, c’est aussi là, bien sûr ,qu’il y a les gros impacts sociaux de l’industrie minière. Déjà ce sont des conditions de travail très difficiles. C’est du travail dur, de longues journées, il fait chaud, on se faufile à quatre pattes dans des tunnels très étroits, il peut y des accidents et on respire des poussières toxiques qui peuvent diminuer la durée de vie. Tout ça se passe dans certaines régions du monde, sur des arrières-fonds de confits armés. Par exemple, en République démocratique du Congo, il y a plusieurs milices qui se partagent le territoire, en fait qui se disputent le territoire, qui prennent possession des mines par la force parce qu’elles sont armées, qui vont imposer des taxes aux mineurs qui n’ont pas vraiment le choix et ces taxes sont ensuite utilisées pour acheter plus d’armes et perpétuent un conflit qui aurait pu, peut-être, s’éteindre.
On parle de conflits armés, mais dans d’autres régions du monde on parle aussi de corruption. Par exemple en Colombie il y a beaucoup d’or dans les rivières, dans la terre, et là ce ne sont pas des milices mais ce sont des guérillas, des mafias, qui vont imposer des taxes. Le gouvernement, colombien par exemple, va combattre ça en considérant les mineurs eux-mêmes, qui souvent font ça depuis toute leur vie, comme illégaux, leur matériel est détruit – là on voit la police qui détruit leur matériel – et ces mineurs se retrouvent coincés entre le gouvernement et ces milices. Ce qui est intéressant aussi de mentionner, c’est qu’en Colombie, par exemple en 2016, il y avait 8 tonnes d’or produit par des mines industrielles et la Colombie a officiellement exporté cette année-là 64 tonnes d’or. Donc tout cet or qui, en fait, est illégal, qui pollue la rivière et les forêts vierges, qui finance les milices, trouve son chemin via des intermédiaires, des faux-papiers dans le système légal.
Agnès va parler du dernier impact, social, des mines.

Agnès Crépet : Forcément le travail des enfants, je pense qu’il y a eu pas mal de communication dans les médias sur le sujet.
Si je prends juste l’exemple du cobalt, 50 % de la production mondiale de cobalt est faite en RDC, donc au Congo, et on estime à peu près à 20 % le nombre de mines artisanales, ce dont tu parlais tout à l’heure Alix, qui sont les premiers vecteurs de cette extraction du cobalt. Dans ces mines-là, artisanales, on retrouve à peu près 40 000 enfants sur les 250 000 mineurs, ce qui est énorme. Globalement, le travail des enfants aujourd’hui dans le monde sur l’extraction des minerais, donc les enfants mineurs, mineurs au sens je vais dans les mines, est à peu près de un million, donc c’est relativement énorme. C‘est principalement en Afrique, mais pas que. Il y a aussi le même genre d’exactions ailleurs et les conditions sont exactement les mêmes que celles que tu as décrites, Alix, en pire, parce que souvent les décès ne sont pas référencés, les salaires sont moindres – on parle souvent de un ou deux euros par jour – et les conditions générales n’ont rien à envier aux jeunes ouvriers du 19e siècle.
Là on a beaucoup parlé de l’extraction des minerais. Vous imaginez bien qu’une fois que vous avez fait votre extraction, vous allez raffiner le minerai, au bout d’un moment il va finir dans un composant électronique et ces composants il faut les assembler et il faut en faire, pour l’exemple du téléphone, un produit fini.
La production mondiale de l’assemblage, du produit final, a principalement lieu en Chine. C’est un petit peu en train de changer, mais on va dire que c’est principalement fait en Chine, évidemment parce que la main-d’œuvre est un peu moins chère – ça devient un peu moins vrai mais c’est encore le cas – et parce qu’il y a des minerais. On s’est beaucoup focalisé sur l’Amérique du Sud et l’Afrique dans le début de la présentation, mais il faut se dire qu’il y a beaucoup de minerais en Chine.
Des usines qui sont derrière la production il y en a une qui est très connue, dont on parle un petit peu depuis une dizaine d’années, qui s’appelle Foxconn. Ces usines-là ont des conditions de travail qui ne sont pas les mêmes mais tout aussi difficiles : les ouvriers vont passer parfois plus de dix heures par jour à bosser sur l’assemblage des composants. Le profil de ces personnes-là : ce sont des personnes dont les parents habitent à la campagne, qui sont venues dans certaines grosses villes pour pouvoir avoir des salaires plus élevés. Souvent ce sont des gens qui sont loin de chez eux, loin de leur famille. Pourquoi je le mentionne ? Parce que quand on vous parlera de Fairphone et de ce qu’on fait avec eux et tout ça, on ne se limite pas aux conditions de travail en atelier, on essaye aussi de prendre le cadre de vie. C’est un truc qui nous a un peu surpris. Oui, on parle de dortoirs, on parle de cantines, parce que ça fait partie du cadre de vie c’est important pour eux et elles.
Aujourd’hui Foxconn c’est 1,3 million d’employés. Il y a des villes Foxconn. C’est assez impressionnant et du coup, évidemment qu’on en entend parler des conditions de travail parce qu’il y a de masse de personnes qui bossent là-bas et on en entend parler pas forcément dans le bon sens du terme. Début 2010, 2011, il y a eu des campagnes de suicides à la chaîne. Des gens qui, littéralement, se sont jetés des toits de l’usine pour dénoncer les campagnes de suicides. C’est quand même arrivé dans les milieux occidentaux, mais il a quand même fallu ça. Il faut dire qu’on ne sait pas si les conditions se sont vraiment améliorées, il y a un peu moins de suicides, mais il y en a encore, dont on parle moins d’ailleurs.
La deuxième chose c’est l’emploi d’enfants de moins de 16 ans. Aujourd’hui, à l’heure actuelle en Chine, les enfants de plus de 16 ans ont le droit de travailler mais c’est interdit pour les moins de 16 ans. Évidemment Focxconn emploie des soi-disant stagiaires qu’on paye moins, qui ont 14 ans. Ils ont fait ça, ça a été dénoncé, pour être à l’heure pour lancer un des derniers iPhones, juste pour info.
Voilà pour la partie production et quand on passe la production on a la fin de vie, le recyclage, etc.

14’ 27

Alix Dodu : Je vais vous parler de recyclage. Comme on est dans les temps, je vais aussi mentionner le néodyme, Agnès tu parlais des minerais en Chine. Un exemple intéressant c’est le néodyme, très intéressant parce que c’est un élément très léger qui est utilisé dans les microphones et les haut-parleurs, mais qui est aussi utilisé en grande quantité dans les turbines des éoliennes. Le néodyme provient presque entièrement de Mongolie, en Chine ; il n’y en a pas que là-bas mais c’est là que la production est concentrée. Un des résidus c’est du thorium qui est relâché dans la nature, dans les lacs, donc ça aussi c’est très polluant. Voilà pour en rajouter une couche sur la pollution et les problèmes à l’extraction et à la fabrication.
Effectivement il y a l’autre bout de l’histoire, c’est la fin de vie, comme tu disais Agnès, et le recyclage.
Il faut savoir, comme tu le disais, qu’il y a environ 4500 tours Eiffel de déchets électroniques qui sont produits par an, 50 millions de tonnes, 53 millions en fait aujourd’hui. De ces 53 millions de tonnes, seuls 20 % sont officiellement tracés et recyclés, donc collectés et recyclés. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire recyclés dans une usine officielle, avec de la technologie de pointe qui fait ça de manière efficace, donc qui récupère tous les matériaux et qui fait ça sans polluer avec des filtres. Ce sont des procédés coûteux et polluants si on ne le fait pas bien. Les 80 % restants, en fait, on ne sait pas ce qui leur arrive.
Une des conclusions, déjà, c’est qu’il faut qu’on trace mieux nos déchets. L’autre chose qu’on sait c’est qu’il y a une grosse partie qui se retrouve dans des déchetteries, dans des décharges, donc ça fait beaucoup de travail pour ??? et c’est bien sûr très polluant. Les toxines se libèrent et on perd aussi complètement ces matières premières.
On sait aussi qu’une grosse partie se retrouve dans ce qu’on appelle le réseau de recyclage informel. Ça c’est un peu la parallèle des mines artisanales mais pour le recyclage. Ce sont des gens qui sont aussi auto-entrepreneurs mais qui ont aussi peu de moyens, qui vont collecter, démanteler, trier tous les composants. Ça, ça se passe très bien. C’est quelque chose que l’être humain sait faire de manière très efficace et ça permet à ces gens de financer leur vie. Les problèmes commencent quand on va aller jusqu’au bout, quand on va aller chercher les matériaux qui sont dans les composants, c’est là qu’il y a de la valeur. Par exemple là on voit un adolescent qui brûle les câbles électriques pour récupérer le cuivre ça fait brûler du plastique, c’est cancérigène, ça pollue. On voit des enfants qui se trimballent avec des aimants pour récupérer des bouts de métal. On voit des gens qui manipulent à mains nues des bains d’acide pour récupérer de l’or dans des circuits électriques. Là aussi il y a de gros problèmes sociaux et sanitaires pour les travailleurs.
Tout ça c’est très gai, donc passons vite à la suite. !

Agnès Crépet : Pour nous c’était important de passer du temps sur l’explication. Beaucoup doivent être un peu au courant mais c’était important de mettre la lumière sur là où on en est.
L’objectif de Fairphone, qui est une société néerlandaise qui fabrique un téléphone différent, c’est aussi de mettre la lumière là-dessus. L’objectif est celui d’un design dit systémique, c’est-à-dire qu’on ne va pas forcément se focaliser sur le smartphone, le système c’est l’industrie électronique au sens large et le premier pas c’est vraiment de comprendre cette industrie-là. Il a fallu beaucoup de temps, et on est toujours dans une démarche d’apprentissage, pour que les gens de Fairphone comprennent comment ça marche, l’objectif étant de lever l’opacité, d’expliquer les chaînes d’approvisionnement. Tout à l’heure, Alix, tu parleras de comment on peut tracer des composants électroniques, les minerais, etc. L’objectif c’est vraiment de lever cette opacité et de divulguer ce savoir en open source à d’autres personnes, que ce soit le consommateur, que ce soit d’autres fabricants de téléphones et aussi des personnes qui participent à cette chaîne d’approvisionnement. L’objectif c’est de définir le changement avec ces personnes-là et surtout pas de notre point de vue, d’une boite d’Amsterdam qui n’est pas forcément présente tous les jours sur le terrain dans les mines même si, aujourd’hui, on a des employés qui bossent en Asie et qui vont souvent en Afrique.
L’objectif c’est de définir le changement, quel domaine d’impact, comment on va intervenir, avec qui, etc., une fois qu’on essaye de lever le voile sur cette complexité pour ensuite livrer un téléphone, mais encore une fois le téléphone c’est un moyen, ce n’est absolument une finalité. L’objectif c’est de montrer que c’est possible. On reviendra sur pourquoi on a décidé de faire un téléphone à un moment donné, on n’est pas parti avec un téléphone à la base. L’objectif c’est de se servir de ce téléphone-là, c’est de dire on est à l’intérieur, on est dans cette complexité absolue, donc on voit ce que c’est, du coup on peut paraître plus légitimes pour influencer d’autres partenaires, pour vraiment arriver à favoriser la transition vers une autre industrie électronique.
L’approche de Fairphone est également assez holistique et itérative. On pense un produit fini, donc le téléphone, avec un système qui est derrière qui est l‘industrie électronique, mais avec beaucoup d’itérations et d’échecs.
Fairphone 1 a été vendu à 60 000 exemplaires. C’est un téléphone qui n’était pas modulaire mais qui incorporait de l’étain et du tantale, qui était conflict-free, donc qui ne participait pas aux conflits armés, qui essayait quand même d’améliorer les conditions de travail sur la production et l’assemblage.
Deux ans après Fairphone 2 arrive, là il y a la modularité donc c’est cool, il y a plus de minerai de fer, dit éthique, mais ce n’est pas simple de faire de la modularité. En tant que designer industriel, on a dû itérer même sur le seul Fairphone 2. On a sorti une nouvelle caméra au bout de deux ans, etc. La modularité avait un coût de qualité technique, je ne le cache pas aujourd’hui, c’est-à-dire que quand vous vouliez utiliser votre téléphone ça pouvait ne pas marcher, etc.
Évidemment que toutes ces leçons on les a prises en compte pour sortir un nouveau téléphone, mais pas un an après, quatre ans après, le Fairphone 3. On vient de sortir récemment une petite évolution sur le Fairphone 3 sur les caméras, le 27 août.
L’objectif, sur les deux derniers téléphones, c’était vraiment d’inciter les gens à l’ouvrir encore plus, d’inciter à comprendre, à montrer aux gens comment c’était fait, d’appréhender une certaine complexité et évidemment, j’en reparlerai, de pouvoir facilement changer les pièces et de faire en sorte que ce téléphone dure.

Alix Dodu : Avec un Fairphone 3 qui fonctionne, du coup.

Agnès Crépet : Avec un Fairphone 3 qui est quand même mieux que le Fairphone 2 !
Je parle d’itératif dans le sens où on n’a jamais caché le fait qu’on avait des problèmes techniques. Évidemment que le Fairphone 3 marche mieux, le 4 marchera encore mieux. C’est compliqué de faire un téléphone et c’est bien aussi de le dire, que ça ne devienne pas un tabou.
L‘objectif c’est de concevoir, on l’a dit, un téléphone en prenant en compte tout le cycle de vie, de l’extraction jusqu’au recyclage.
Le démarrage de Fairphone ce n’était pas une boîte, ce n’était pas une startup, c’était assez loin du milieu entrepreneurial, c’était plutôt des militants qui ont décidé de mener une campagne de sensibilisation aux minerais de conflit, aux minerais de sang.
En 2010, il y a une loi américaine qui s’appelle la loi Dodd-Frank, qui a obligé les entreprises cotées en bourse à divulguer si elles utilisaient des minerais de conflit. Il y a une loi européenne qui est sortie récemment, qui va être appliquée en janvier prochain, qui consiste à faire un peu la même chose. Il n’y a que quatre minerais de conflit officiellement : l’étain, le tantale, le tungstène et l’or. L’objectif c’était d’essayer de mener une campagne de sensibilisation. Ces personnes-là, qui sont principalement des personnes d’Amsterdam, sont parties en Afrique, y ont passé passer du temps à rencontrer de gens. Fairphone ce ne sont absolument des Occidentaux qui ont pensé un projet en disant « c’est génial, on va faire un téléphone éthique », c’est vraiment un projet qui s’est constitué avec des gens sur place, donc beaucoup de travail les Congolais pour essayer de trouver les premières extractions éthiques de certains minerais. Le focus était principalement sur l’étain et le tantale, au démarrage.
Au bout de deux-trois ans de campagne, il y a une personne, un designer – je tiens à dire que c’est un designer, ce n’est pas un ingénieur, Fairphone n’est absolument pas née avec des ingénieurs, moi j’ai un profil d’ingénierie logicielle, quand je suis arrivée chez Fairphone j’ai dit « mais ils sont où les techs ? », ce n’est pas une boîte où il y a beaucoup de techs ; il y a vraiment plus de gens qui font des sciences politiques, qui font du design, etc. Donc ça a été principalement poussé par un mec qui s’appelle Bas van Abel, qui est designer, qui a été incubé par un truc dont je suis ultra fan à Amsterdam qui s’appelle la WAR Foundation, c’est un truc nonprofit, qui essaye de soutenir des projets pour une technologie ouverte, éthique, équitable et inclusive.
Donc il y avait vraiment le contexte pour bien démarrer ce projet. Une entreprise sociale a été lancée, sociale j’y tiens, c’est un concept qui existe dans la loi néerlandaise, une boîte sociale, ça veut dire, en gros, que la rentabilité financière n’est pas l’objectif premier. La boîte est lancée pour justement essayer d’influencer d’autres partenaires industriels et montrer qu’on est dedans nous aussi, donc, du coup, vous aussi vous pouvez faire pareil. Ça c’était 2013.
Ça a été lancé en 2013 avec une campagne de crowdfunding. À la base 25 000 téléphones étaient à fabriquer, finalement on en a vendu 60 000 ; ça reste très peu. Il se vend 13 millions d’iPhones tous les 6 mois, juste pour resituer un peu, mais quand même, 60 000 téléphones vendus. Après cette campagne de crowdfunding, les personnes qui étaient à la base du projet se sont dit « en fait ça va être compliqué de faire un téléphone, en fait on ne sait pas faire un téléphone. »
Tout à l’heure Alix disait un truc que j’ai beaucoup aimé, je pense que c’est un peu radical ce que je dis mais vu que je suis ingénieure, je peux le dire, je ne sais si ça aurait possible avec des ingénieurs. Je pense que la base de Fairphone ce n’était pas des gens techs, c’était des designers, des gens de Science-po, des militants et tout ça et ils se sont dit « on va le faire ». En fait, en tant qu’ingénieurs je pense qu’ils ne l’auraient peut-être pas fait connaissant la complexité, justement.
Donc le premier Fairphone est sorti après cette campagne de crowdfunding. J’en parle parce que ce téléphone n’aurait pas existé si jamais les utilisateurs, les personnes ne s’étaient pas impliquées dès le démarrage. La communauté des utilisateurs est ultra-importante. Dès le démarrage les personnes étaient là pour financer le projet. Il y a eu aussi beaucoup d’ateliers de co-création pour essayer de demander aux gens, à des gens qui étaient experts sur certains domaines d’intervenir sur des sujets, des utilisateurs qui avaient des compétences techniques, etc. Donc dès le démarrage il y avait cette volonté de cocréer. Beaucoup d’ateliers, beaucoup de meet-up où, certes, on parle de Fairphone mais pas que, on essaye aussi de montrer aux gens comment démonter son téléphone, comment potentiellement le réparer. Les utilisateurs sont très impliqués dans toute la démarche. Il y a aussi des meet-up Fairphone, c’est quand même un truc incroyable. Le Fairphone 2 avait quand même des problèmes techniques. Il y a des gens qui, sans que la boite le demande, d’eux-mêmes se sont dit « on va se réunir, on va faire des meet-up dans notre ville, on va aider des gens à utiliser le Fairphone 2 parce qu’il y a des choses qui marchent moins bien. Il y a beaucoup d’open source, beaucoup de développeurs et de développeuses qui font de l’open source pour avoir des systèmes alternatifs au stock Android. Donc une implication très forte, j’allais dire des militants, mais presque, de la communauté qui essaye de pousser des personnes moins techniques à pouvoir trouver les solutions de contournement pour utiliser correctement le téléphone, même si le Fairphone 3 marche.
À l’heure actuelle le focus stratégique de Fairphone correspond un peu au cycle de vie. On est premièrement sur des matériaux éthiques, on en a sourcés plus. On est aussi sur l’amélioration des conditions de travail jusqu’à l’assemblage dans les pays asiatiques, on est sur une concession durable, j’en parlerai tout à l’heure et on est également sur la réutilisation et le recyclage.

26’ 40

Alix Dodu : Le premier focus stratégique du Fairphone ce sont les matériaux éthiques. Comme le disait Agnès, c’est très compliqué, c’est très important, mais c’est aussi très complexe.
Déjà, une première question à se poser c’est qu’est-ce que c’est un matériau éthique ? Ça peut être plusieurs choses. Ça peut être, par exemple, des matériaux recyclés, c’est plus durable pour l’environnement et souvent c’est mieux pour la question de l’impact social. Par exemple le Fairphone contient 50 % de plastique recyclé dans les modules, on va passer à 75 % avec le Fairphone 3 +, ça amène la quantité de plastique recyclé dans le téléphone à environ 40 % et environ la moitié du cuivre dans le téléphone est aussi recyclée. Fairphone fait le choix conscient de ne pas se concentrer seulement sur les matériaux recyclés, mais, en fait, de se concentrer plutôt sur les minerais et les produits qui viennent de mines, parce que, en fait, se concentrer seulement sur les produits recyclés c’est un peu se dédouaner du problème, c’est ne pas prendre ses responsabilités. Peut-être que Fairphone, avec les quantités de téléphones que la boîte produit, peut se permettre d’avoir entièrement des matériaux recyclés, mais, dans le monde, la demande en minerais et en métaux augmente et elle augmente plus vite que l’offre recyclée. On sait que dans les 10, voire les 100 prochaines années à venir, la plupart des métaux et minerais proviendront de mines. Ce qui, d’ailleurs, est un problème à part entière parce que ces mines ne sont pas infinies et c’est pour ça que c’est aussi quand même très important de recycler ces matériaux. Mais, si on veut faire quelque chose pour les mineurs artisanaux, il faut aller voir les mines, donc, par exemple, les métaux de conflit, les minerais dits de conflit qui sont présents dans le téléphone sont, du coup, sans conflit, donc le tantale, l’or et le tungstène et Fairphone va créer des contacts, créer des liaisons avec des mines qu’elle connaît et dont elle sait qu’elles ne financent pas les armes.
Un des premiers projets de Fairphone c’était aussi de travailler avec des ONG ??? et les gouvernements pour envoyer l’armée pour protéger des mines. C’est vraiment en ayant ce contact et en proposant un prix correct pour les minéraux, en proposant aussi un contact direct et un partenariat entrepreneurial stable qu’on arrive à changer lentement la situation.
C’est aussi comme ça qu’on va, par exemple, combattre le travail des enfants dans les mines et, en fait, améliorer toutes les conditions de travail et de vie des mineurs artisanaux. Ça ne se fait pas du jour au lendemain et c’est pour ça que la plupart des métaux dans le téléphone ne sont pas certifiés fair trade. L’or est certifié fair trade. Le Fairphone 2 était le premier produit électronique à contenir de l’or fair trade, mais les autres métaux sont dits éthiques ou fair parce que, justement, il faut accepter que les minéraux ne sont équitables de base pour pouvoir lentement améliorer la situation.

Ça, c’est la première partie de l’équation en ce qui concerne les matériaux éthiques, ensuite vient le gros challenge d’intégrer ces matériaux à sa chaîne de production. Agnès l’a bien dit, c’est très complexe.
Là on voit une carte du monde, ce sont des liaisons entre plein de mines dans le monde et des usines dans des endroits différents. La loi Dodd-Frank, par exemple, n’a pas eu comme effet de diminuer la quantité de minéraux de conflits dans notre électronique – cette offre existe pour une raison, c’est parce qu’il y a une demande –, elle a juste eu pour effet que les matériaux étaient passés en contrebande au-dessus de la frontière et vendus à partir d’un autre pays, ce qui a rendu toute l’histoire encore plus opaque, encore plus difficile à améliorer. La première étape c’est vraiment d’accepter qu’il y a le problème, d’accepter qu’on a un produit qui n’est pas éthique pour pouvoir le changer.
Ensuite, essayer de comprendre ce qu’il y a dans sa chaîne. Fairphone a publié un bouquin avec toutes les usines, plus d’une soixantaine d’usines présentes dans la chaîne. Comment on fabrique un téléphone ? Il y a l’usine d’assemblage qui est au-dessus, qui va assembler les différents composants, environ 200 composants. Ces composants sont fabriqués dans d’autres usines et ces autres composants ont potentiellement des sous-composants. Là, par exemple, on voit le moteur à vibrations et on voit tous les différents petits composants qu’il y a dans ce moteur à vibrations et beaucoup des composants qu’on voit ici, au début, sont fabriqués dans d’autres usines, par exemple le marteau et le contrepoids en tungstène. Donc ces usines de composants ont des partenariats avec des usines de sous-composants. Ensuite, ces sous-composants sont fabriqués à partir de matériaux ou encore à partir de sous-sous-composants, donc on a une espèce d’explosion et une racine très complexe d’usines. Toutes ces usines vont, une à une, se procurer ou s’approvisionner en matériaux et là on perd vraiment la traçabilité parce que ces matériaux sont travaillés dans des raffineries pour être épurés, c’est de la haute technologie, donc ce sont de grosses usines, il n’y en pas beaucoup dans le monde. Donc ça fait des racines, comme ça, jusqu’à des usines qui vont s’approvisionner en matériaux à un point plus central et ces raffineries s’approvisionnent à plein de mines différentes, des sources recyclées et, bien sûr, on ne sait pas ce qui vient d’où. L’usine ne pourra pas vous dire quels métaux sont présents dans ses composants.
Vu la complexité il faut faire des choix, on ne peut pas changer toute la chaîne de production en une fois. Fairphone a choisi les huit matériaux qui sont présents en quantité relativement grande dans le téléphone, ce qui permet d’avoir un peu de poids lors des négociations et de vraiment avoir un impact sur la chaîne. Les huit matériaux qui sont présents en grande quantité et qui ont aussi un impact sérieux environnemental malheureusement négatif sur plein de fronts différents sont le cobalt, l’or, l’étain, le lithium, le tungstène, le néodyme et le plastique. On peut parler, par exemple, du tungstène. Je mentionnais le moteur à vibrations tout à l’heure. Le tungstène est une matière très dense et relativement peu chère, qui tourne et c’est ça qui fait vibrer le téléphone. Fairphone est donc allée parler à l’usine d’assemblage, qui lui a dit quelle usine fabrique le moteur, qui lui a dit quelle usine fabrique le contrepoids, jusqu’à trouver l’usine qui parle directement avec la raffinerie et ensuite persuader cette usine de passer par une autre raffinerie qui est une raffinerie européenne, et là on a plus de contact, on a plus de traçabilité. Cette raffinerie va ensuite s’approvisionner en tungstène à une mine connue et conflict free. C’est comme ça, petit à petit, composant par composant, matériau par matériau, qu’on arrive à améliorer le contenu du téléphone.

Agnès Crépet : Ça c’est pour un matériau, donc imaginez pour 40 ! Ça c’est le livre dont tu parlais qui, même si on démarre sur 10 matériaux, aujourd’hui on est à 8, on publie tout : qui a produit tel composant, tel sous-composant de tel composant électronique, etc., pour que, éventuellement, d’autres producteurs de téléphones se l’approprient.

On va vous parler de conditions de travail.
Si je vous parle, par exemple, des usines avec lesquelles on travaille en Chine, parce qu’aujourd’hui on travaille beaucoup avec la Chine, on a une usine qui assemble nos téléphones et là on a mené un travail assez intéressant où, en fait, on a essayé de ne pas venir avec notre propre vision de ce que pourraient être de bonnes conditions de travail, mais on a vraiment bossé avec les ouvriers, les écouter et les impliquer dans toutes les négociations. C’est la voix des travailleurs qu’on suit, donc beaucoup d’interviews, on a un travailleur chinois qui est à demeure dans l’usine et qui bosse avec eux, parce que le concept d’union, enfin de syndicat, n’est quand même pas évident en Chine. On vise un revenu dit décent et pas minimum, parce qu’on verra que le revenu minimum ne suffit pas aux gens pour vivre, et au lieu de viser une conformité vis-à-vis d’une législation, on vise vraiment la satisfaction de ces gens. Donc régulièrement on leur demande s’ils sont contents, s’ils ont des voies d’amélioration, etc.
Ce qu’ils ou elles choisissent étant la priorité, le focus est, du coup, sur la sécurité des ateliers, ça c’est sûr, mais aussi sur la qualité des repas, sur le nombre de personnes dans les dortoirs, sur la propreté des espaces communs, la propreté de la cantine, la qualité de la nourriture, etc. Mais, quand même, le nerf de la guerre ce sont les sous.
On pourrait voir, avec notre point de vue d’occidental, que ça serait bien de réduire les horaires de travail, etc., ça pourrait être la première idée qu’on peut avoir, faire en sorte que les gens ne bossent plus 60 heures. En fait, là-bas, les personnes peuvent bosser plus de 60 heures parce qu’elles ne sont pas assez payées, du coup elles font des heures supplémentaires pour avoir un revenu décent. On a fait un sondage, on a bossé avec eux. De toutes les personnes qu’on a interrogées, il n’y a pas une personne qui a été forcée de faire des heures supplémentaires. Il n’y a jamais eu quelqu’un qui lui a mis un peu la pression pour que cette personne fasse des heures supplémentaires. C’est vraiment un choix, mais c’est un choix qui n’en est pas un, tout ça pour atteindre un revenu décent. Donc, ce qu’on a visé, c’est un revenu décent. Un revenu décent, selon eux et elles, c’est 650 euros par mois au lieu de 260 qui est le revenu minimum. Donc on s’est dit OK, on va le faire et OK, on va le faire, je reste humble, c’est 1,5 euro par téléphone. OK ? Donc on produit 100 000 téléphones par an, ça nous coûte 1,5 euro de payer ces gens 650 euros. C’est juste pour donner des chiffres qui parlent d’eux-mêmes. Si tout le monde faisait ça, parce que Fairphone aujourd’hui dans cette usine c‘est 10 %, ça représente 10 % du boulot à faire, donc si les 90 % restants – je ne connais pas ses clients, mais imaginez les gros Samsung, Sony, etc. – faisaient pareil. tout le monde aurait un revenu décent.
Donc on a fait ça et les gens sur place, quand on a dit comment on voulait qu’on le fasse, on vous paye tous les mois, les gens nous ont dit « en fait on va le partager, on va le partager avec 100 % des travailleurs ». Donc on a pris ces sous et ils ont partagé l’intégralité du budget sur les 302 travailleurs. Il y avait des contraintes d’ancienneté, que les personnes soient là depuis plus six mois, etc., mais on va dire que la plupart des travailleurs de l’usine a eu l’équivalent du budget qu’on voulait y mettre et ça représentait pour chaque personne 785 euros, donc à peu près trois mois de salaire.

On a parlé de l’amélioration des conditions de vie. On va parler maintenant de conception durable, c’est un peu mon truc, je bosse beaucoup là-dessus chez Fairphone, plus sur le software. Conception durable, ça veut dire comment on fait un téléphone qui dure.
Le téléphone le plus durable c’est quand même celui que vous avez, ce n’est pas forcément un Fairphone, en tout cas quand vous en avez un c’est cool de s’interroger sur comment vous allez pouvoir le réparer. Et comment vous allez pouvoir le réparer ? Eh bien si votre téléphone est collé, que vous ne savez pas comment il marche, qu’il n’y a pas de guide pour vous expliquer comment l’ouvrir, eh bien ça va être compliqué.
Depuis Fairphone 2, donc depuis cinq ans, nos téléphones sont modulaires. Sur Fairphone 2 ont a avait cinq modules, là on en a six, donc vous pouvez changer la batterie, l’écran, les caméras, etc. Une des raisons principales pour lesquelles les gens changent de téléphone c’est que l’écran casse ou que la batterie est pourrie. Là, l’objectif c’est de pouvoir facilement ouvrir le téléphone – peut-être, Alix, que tu peux le montrer ou je peux le montrer sur le Fairphone 3 – il n’y a rien qui est collé. Vous pouvez avec une tourne-vis ou, sur le Fairphone 2 c’était clipsable, changer la batterie. Une batterie coûte, je ne sais plus, 29 euros je crois sur le site, si votre batterie est pourrie. L’écran c’est pareil. L’objectif c’est de garder ce téléphone. On essaye de collecter le plus de data qu’on peut sur ce qu’on fait, et si vous gardez sept ans votre téléphone, on estime que vous allez réduire de 40 % les émissions de CO2.
Quand je vous disais tout à l’heure qu’on était dans de l’approche itérative, il ne faut pas non plus que ce coût de la modularité, là on est dans l’écoconception, ait un coût écologique. Il faut que le design soit fait pour que la modularité ait un coût neutre ou quasi. Sur Fairphone 2 on était à 12 % de surplus d’émissions de CO2 du fait qu’on ait intégré la modularité – c’est un peu compliqué, mais vous voyez ce que je veux dire – et là sur, le Fairphone 3, on est à 2,3 %. On essaye de faire en sorte que le coût de design de la modularité soit presque neutre. Donc on a des designers industriels qui bossent sur le truc et sur le Fairphone 2 on avait de quoi s’améliorer.

Ça c’est vraiment mon sujet, le software. Oui. Si vous avez un téléphone que vous pouvez réparer, vous pouvez changer votre batterie, votre caméra, etc., il faut aussi que le logiciel sur le téléphone marche, qu’il soit à jour. Je ne suis pas fun de Snapchat, mais tous les gamins qui utilisent Snapchat sur un téléphone, Snapchat ne fonctionne plus sur Android 7 par exemple, donc ils ne veulent plus utiliser leur téléphone si jamais ça ne marche plus sur ce qu’ils utilisent, du coup l’objectif c’est de faire des mises à jour logiciels qui durent dans le temps.
Je précise juste pour être fair, que Apple n’est pas mauvais là-dessus. Vraiment Apple fait vraiment un effort assez conséquent sur les mises à jour logiciels, ça dure trois, quatre, cinq ans. Sur Android c’est un peu la catastrophe. OnePlus, une marque chinoise que vous connaissez, Huawei aussi, c’est un à deux ans. Vous achetez un téléphone OnePlus, au bout d’un an vous n’avez plus de support logiciel, vous ne passez à Android supérieur, etc., et vous n’avez pas de mise à jour de sécurité, ce qui peut mettre vos data à mal. Si vous n’avez pas de mise à jour de sécurité ça veut dire qu’on peut récupérer vos data.
Mon boulot chez Fairphone, avec deux ingés, juste pour resituer le nombre de personnes, donc à deux et demi, trois, le boulot qu’on est en train de faire en ce moment c’est sur ce téléphone qui a cinq ans, on essaie de porter Android 9, une des dernières versions d’Android, ce n’est pas la dernière mais c’est une des dernières. Au milieu de ce téléphone vous avez un processeur. En fait, le processeur qui est ici, c’est un peu le cerveau de votre téléphone. Il y a deux fabricants mondiaux. Il y a deux monopoles. On parle souvent de GAFAM, etc., oui, ce sont des monopoles, mais il y a aussi des monopoles au niveau des puces. Il y a deux fabricants principaux SK Hynix (???) et Qualcomm, qui sont absolument obscurs sur la manière dont ils vont délivrer des supports logiciels dans le temps ; beaucoup de secrets industriels, beaucoup de brevets, etc.. Donc vous achetez une puce Qualcomm, vous la mettez dans votre téléphone, vous ne savez si une prochaine version d’Android va être supportée.
À côté Android, Android c’est Google, va dire « vous êtes gentils, mais je ne supporte plus Android 6. Ça fait trois ans que je l’ai sorti, donc j’arrête les mises à jour logiciel. » Donc vous êtes entre deux monopoles, où Qualcomm ne veut pas supporter une prochaine version d’Android et Google ne veut plus supporter l’ancienne. Donc notre taf, à deux et demi, c’est d’essayer de développer les lignes de code pour essayer de mapper ces deux systèmes, donc c’est très bas niveau. J’ai remis la tête dans du C, des langages que je faisais plus depuis longtemps. C’est vraiment critique, mais, on est trois.
Imaginez si tous les ingénieurs de Samsung s’y mettaient ! C’est techniquement possible. On est trois, quelques partenaires le font aussi avec nous. Je pense que c’est jouable techniquement.

Alix Dodu : Elle est là la puce. J’ai réussi à le démonter. C’est la première fois que c’est démonté, donc c’est un peu moins facile, tout simplement.
On a parlé de matériaux éthiques, de produire de manière éthique et de le garder le plus longtemps possible, mais, même avec le super travail que Alix fait avec ses collègues, au bout d’un moment le téléphone va quand même être jeté, et c‘est là que rentre la dernière phase, la phase de recyclage.
Comme je l’ai dit au début, c’est quelque chose que, peut-être, certains d’entre vous ne savent pas, mais il y a aussi des gros problèmes dans la chaîne de recyclage. 80 % de nos déchets, de nos 4500 déchets électroniques, ne sont pas recyclés ou ne sont pas recyclés de manière éthique et responsable.
Comment est-ce que ces déchets rentrent potentiellement dans la chaîne informelle de recyclage ? Soit les déchets sont produits dans un pays où il n’y a pas de chaîne de recyclage formelle, les pays en voie de développement, soit les déchets sont exportés de manière illégale, souvent, parce que c’est illégal d’exporter des déchets électroniques vu que c’est très toxique, soit exportés de manière illégale par des entreprises qui vont les récupérer dans d’autres entreprises soi-disant pour les recycler, mais on fait des connexions et c’est beaucoup moins cher de recycler ça, bien sûr, dans un réseau informel. Ils font de l’argent de cette manière et c’est exporté sous le prétexte, par exemple, d’être des téléphones de seconde main, ce qui est impossible à vérifier pour les douaniers parce que ce sont de gros containers de téléphones.
Que fait Fairphone ? Fairphone essaye de faire en sorte que les téléphones qui sont produits dans des pays en voie de développement soient recyclés, du coup, chez nous. Également on voudrait qu’il y ait des usines là-bas pour que ces usines puissent récupérer les matériaux qui ont de la valeur, aujourd’hui ce n’est vraiment pas le cas. Au Ghana, par exemple, il y a ??? et Closing The Loop, qui sont des partenaires de Fairphone, qui vont récupérer les téléphones et les faire recycler en Belgique.
On a aussi un ??? programme, une manière pour Fairphone de récupérer les téléphones. Il y a aussi plein de téléphones qui sont dans les tiroirs, plus de 100 millions de téléphones dans le monde dorment dans les tiroirs, peut-être aussi dans les vôtres, il y a de l’or dedans. C’est important de recycler ces matériaux et de les récupérer et c’est important aussi de garder nos smartphones dans les chaînes formelles de recyclage. Si vous pouvez envoyer gratuitement votre smartphone, votre vieux smartphone à Fairphone, et si vous achetez un Fairphone 3 vous serez déboursé de 30 à 40 euros.
Ce qui est important aussi, quand on recycle un téléphone, c’est de regarder comment on peut faire ça de la manière la plus efficace, c’est-à-dire en récupérant le plus de matériau possible et en polluant le moins possible, parce que recycler ça prend aussi de l’énergie, ça émet du CO2. Fairphone a donc fait des études. Là c’est l’étude pour le Fairphone 2 et l’étude pour le Fairphone 3 est en cours. On peut le faire de différentes manières, on peut par exemple broyer le téléphone, mais l’étude montre que pour le Fairphone 2, probablement pour la plupart de l’électronique le moyen le plus durable de le faire c’est de démonter le téléphone composant par composant et de récupérer les éléments matériau par matériau. Et c’est là aussi, bien sûr, que la modularité du téléphone est un gros atout. Bien sûr, le plus gros atout de la modularité du Fairphone c’est de pouvoir garder le téléphone plus longtemps. Agnès l’a déjà dit, le téléphone le plus durable c’est celui que vous possédez déjà.

Agnès Crépet : Exactement. Si vous avez envie d’acheter un téléphone, posez-vous la question de qui sont les gens qui l’ont fabriqué et posez-vous la question de savoir si vous avez vraiment besoin de changer de téléphone. Voilà. Ce sera notre mot de conclusion. Merci.

Alix Dodu : Merci.

Agnès Crépet : On se retrouve pour des questions en live.
Merci. Au revoir.

46’ 33

Karl Pineau : On se retrouve en direct avec Agnès