Changer le monde, un ego à la fois - Pouhiou - PSES2019

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Titre : Changer le monde, un ego à la fois

Intervenants : Pouhiou

Lieu : Pas Sage en Seine - Choisy-le-Roi

Date : juin 2019

Durée : 59 min

Écouter ou télécharger la conférence

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription : MO

Description

Je suis entré dans le librisme en m’intéressant aux auteur·ices et leurs droits. J’ai travaillé des années sur l’hégémonie des géants du web.
Je peux résumer le deal qui est proposé à chaque fois en trois mots : Confort Contre Contrôle. Ma liberté résumée à un choix illusoire entre X et Y. Le libre arbitre comme un morceau de sucre pour faire passer le contrôle sur nos actions.
Et si « je » sortais de ma petite individualité pour imaginer ce qu’on pourra faire lorsqu’on sera « nous » ?

Transcription

Bonjour. Bienvenue dans cette conférence qui s’appelle « Changer le monde un ego à la fois ». Je ne sais pas exactement ce dont je vais parler, je ne suis pas sûr de moi, mais je sais que j’en avais très envie. Pour vous prévenir aussi un petit peu en préambule, je déteste les slides donc j’ai essayé de me démerder quand même à faire quelque chose qui me plaisait, mais je ne sais pas si c’est ce qu’il faut faire et, à la limite, je m’en fiche un peu. Donc voilà. !

Mon employeur c’est donc Framasoft, c’est une association d’éducation populaire aux enjeux du numérique et le mode d’action c’est principalement de créer des outils pratiques, concrets, pour apporter plus de logiciels et de culture libre dans la vie de « les gens » et « les gens » c’est défini de différentes manières au fil du temps. Sauf que cette conférence est inspirée de tout ce que j’ai vécu en tant que salarié au sein de l’association Framasoft et bénévole auparavant ces cinq-sept dernières années, mais il y a aussi des choses très personnelles. Donc on va dire que mon employeur tient à garder l’anonymat. Imaginez que si je dis des trucs vachement bien, eh bien c’est grâce à l’expérience que j’ai vécue au sein de Framasoupe, on va dire, pour garder l’anonymat. Si je dis des conneries ce sont probablement les miennes et si c’est du génie, aller, je vais le prendre pour moi. On a dit qu’on parlait d’ego, non ? Donc voilà c’est parti.
En effet je vais vous parler de moi. Je vais vous parler de moi puisqu’on va parler d’ego et je me dis que j’en ai un gros, donc tout va bien et puis ce n’est pas pour rien que je vais vous parler de moi. Je vais vous dire que les religions qui ont façonné le monde dans lequel j’ai grandi, dans lequel je me suis éduqué, m’ont dit que j’étais important, m’ont dit que j’avais raison d’avoir un gros ego. Il y en a une qui m’a dit que c’est « parce que je le vaux bien ». Attention je ne parle pas juste de l’auréole, je parle plus exactement du capitalisme qui m’a dit que j’étais très important et que je devais avoir un gros ego, être individuel et acheter des choses uniques comme tout le monde. Et puis il y a une autre religion qui m’a dit qu’il m’a fait à son image. Je déterre des super vieilles photos, là c’est un vieux dossier et j’embrasse très fort Noëlle Ballestrero qui est une photographe et une amie qui me manque. Du coup, s’il m’a fait à son image, ça veut que j’ai quelque chose de divin en moi. J’ai bien raison d’avoir mon gros ego.

Je suis rentré dans le Libre, je suis tombé dans le Libre pas du tout en codant, mais en écrivant des romans. À l’époque c’était un roman blog sur le site noenaute.fr et je bloguais comme ça un épisode par jour, quatre jours par semaine, et le cinquième jour, du coup, c’était plutôt un article de discussion, de coulisses, de choses comme ça et très vite je me suis vraiment rendu compte que le principe de création, diffusion et retour du lectorat, tout ça était extrêmement fluide, extrêmement libre et que si j’y mettais des barrières telles que le droit d’auteur eh bien ça ne me parlait pas. Du coup j’ai mis tout ça dans le domaine public vivant.
À un moment donné, je suis allé voir Framasoft en leur disant « dites, vous avez un gros blog qui s’appelle Framablog Je viens de finir mon roman qui est dans le domaine public, si vous voulez en parler ça fera quelques lecteurs, quelques lectrices de plus. » Ils m’ont dit : « On a une maison d’édition qui s’appelle Framabook. Jusqu’à présent on a fait principalement des manuels, une biographie sur Richard Stallman, des BD, on avait envie de faire du roman, ça te dit qu’on te passe en comité de lecture ? » J’ai fait « banco ». Donc on a sorti le premier roman du domaine public vivant édité par une maison d’édition française. Je suis juste pas peu fier de la chose !
Évidemment, quand on commence à faire des choses comme ça, on met le doigt et puis on se fait bouffer totalement parce qu’on plonge dedans avec délices. J’ai commencé à prendre un peu tous les savoirs que j’avais pris sur le droit d’auteur et à faire des conférences avec et j’avais fait une conférence qui s’appelait « Les droits-d’auteuroliques anonymes » - vous remarquerez l’aspect écolo du recyclage de slides vieilles de cinq ans - aux RMLL 2014, parce que je considérais vraiment le concept du droit d’auteur, le principe, les fondamentaux du droit d’auteur comme une addiction, un peu comme une addiction. C’est qu’il y a un vrai problème et il faut admettre qu’il y a un problème. Tout le monde veut du droit d’auteur, c’est le droit d’auteur qui nourrit la création, les auteurs, les artistes, hou là là il faut les protéger, les nourrir, etc. Donc tout le monde en veut, veut mettre partout du droit d’auteur et, en même temps, ça ne nourrit pas, voire ça affame les artistes qui sont le maillon le moins payé de la chaîne de production et de vente des œuvres culturelles. Je me suis dit « faisons les 12 étapes des alcooliques anonymes ou des addictes anonymes et appliquons-les au droit d’auteur, voir ce que ça donne ». Comme je vous l’ai dit ce n’est pas nourrissant alors qu’on croit que c’est nourrissant - c’est un vieille publicité très problématique [La bière est nourrissante, NdT] - et la douzième étape - je ne ne vais pas vous faire les 12 étapes, rassurez-vous - la douzième étape, s’avouer qu’on est dépassé, s’avouer qu’il y a quelque chose, qu’il y a un problème qui est fondamental là-dedans.
La figure qu’on a d’habitude sur le droit d’auteur c’est Beaumarchais. Beaumarchais qui a inventé les concepts du droit d’auteur en 1780, qui les a fait accepter avec la création de la SACD [Société des auteurs et compositeurs dramatique] par le gouvernement républicain de 1790 et cette image romantique de Beaumarchais auteur défendant les auteurs et inventant le droit d’auteur ! C’est cool !
Maintenant, quand on se penche un peu dessus et ça m’est arrivé, Beaumarchais c’est un homme d’affaires. Il a vendu des armes au général Lafayette pour le compte du roi de France. Beaumarchais était auteur, certes, il voulait défendre les auteurs notamment contre des théâtres peu scrupuleux, certes, mais il était aussi éditeur. Il a d’ailleurs arnaqué les ayants droit de Voltaire sur ses droits d’auteur ; c’est assez croquignolet ! Il était aussi imprimeur-libraire - à l’époque on imprimait dans l’arrière-boutique et on vendait les livres en boutique - et il avait même une papeterie en Normandie, le garçon. Donc c’était un peu la chaîne du livre à lui tout seul. Il avait tout compris. Beaumarchais a réfléchi non pas seulement en auteur mais aussi en commerçant, en commerçant homme, bourgeois, bien né de l’époque, lettré de l’époque, il faut remettre dans ces circonstances-là, et il a créé le droit d’auteur comme un contrat où on dit à l’auteur : « Je t’invente des droits, pouf ! ex nihilo, je t’invente des droits pour que tu puisses les céder à un éditeur et l’éditeur fera tout le boulot de production, de commercialisation, etc. C’est un petit peu le « tu s’occupe de rien, je s’occupe de tout », c’est-à-dire vraiment dire « voilà, écoute, c’est chiant de voir avec les graphistes, de faire la maquette, de se faire chier avec l’imprimeur, de passer du RGB au CMJN, c’est super chiant ! Je vais m’en occuper, promis. Je vais faire des trucs vachement bien, il n’y a pas de souci. Juste te me signes le papier, tu me files tous tes droits, tu me cèdes exclusivement tes droits, je m’occupe de tout et je te reverse quelques sous ». Voilà !
Du coup on a un concept simple qui est « confort contre contrôle » : je te donne tout ton confort, donne-moi le contrôle sur tes droits. Et franchement, quand on est auteur, quand on est artiste, quand on veut se faire chier à se laisser habiter par une œuvre pour arriver à la sortir et tout ça mais c’est trop cool ! J’ai envie de dire que c’est un peu comme de la magie, c’est ma reine la bonne fée qui arrive avec sa baguette magique et qui exhausse tous tes vœux. Donc moi j’avais envie d’y croire. Mais voilà ! Je veux bien croire aux fées, je sais que j’en suis une, sauf que je ne crois plus trop en ma reine. Bref ! J’ai commencé à faire des choses comme ça et je me suis fait embaucher par mon employeur qui souhaite rester anonyme pour des raisons que vous comprendrez.

Du coup on a travaillé sur une petite chose, avec Framasoft, qui s’appelle Dégooglisons Internet. Dégooglisons Internet c’est connu aujourd’hui comme une proposition de 34 services alternatifs aux services des géants du Web. Une alternative à Google, à Skype, à Minecraft, à Google Docs, à ceci, à cela. Et des alternatives qui sont éthiques. Donc ça c’est la contre-proposition dans Dégooglisons Internet. Mais dans Dégooglisons, il y avait aussi tout un volet extrêmement important et sur lequel j’ai travaillé en tant que communiquant qui a été d’informer, d’éduquer aux enjeux. C’est passé évidemment par la production d’articles de blogs, de prints, de flyers, de choses comme ça, mais aussi de conférences où on expliquait un peu pourquoi c’était problématique que des grands géants centralisent nos données, nos attentions et des informations sur nous.

Comme j’adore les moments de conférence, puisque mon ego aime bien être au-dessus de vous et que vous vous taisez, du coup j’ai prévu un moment de démocratie participative, juste pour faire le lien avec la conférence d’avant qui était super bien, il faut la regarder si vous ne l’avez pas vue, c’est un petit peu comme chez l’ophtalmo, il va falloir lire les lettres, donc donnez moi les noms de la première ligne. Google, OK. Ensuite ? Ouais, Oui, ouais… OK. [Apple, Facebook. Amazon, Microsoft, NdT]
Attention, plus on avance dans les lignes, plus c’est compliqué. Ensuite ? Netflix, oui. Airbnb, Ouais. Uber, ouais. Uber un peu moins déjà. Donc GAFAM, NATU. Attention l’occidental n’aime pas trop la Chine bizarrement, on ne sait pas trop ce qui se passe en Chine, on est chez les Chinois, Baidu, ouais. Alibaba. Tencent, ouais et Xiaomi, donc les BATIX. Comme quoi, en fait, Google c’est juste un symbole et même si on démantèle les GAFAM, il y en aura d’autres qui naîtront. Le problème c’est plus un problème mécanique, un problème systémique. Ça travaille en fait, là-dessus, sur cette envie de baguette magique « tu ne t’occupes de rien, je m’occupe de tout ». L’e-mail c’est compliqué. Je vais te faire un Gmail magnifique, ça va être trop beau, en plus tu pourras cliquer partout, tu auras un espace de stockage absolument incroyable et à chaque fois on en rajoute et tout ça. « Tu ne t’occupes de rien, je m’occupe de tout » et là, encore une fois, on est sur le fameux « confort contre contrôle ». Et vraiment encore une fois, on est sur ma reine la bonne fée qui est en train de nous offrir comme ça quelque chose d’absolument magique.

Moi je commence à me poser la question de quand est-ce que le carrosse redevient citrouille, parce qu’il y a peut-être un petit problème. Mais bon je ne fais pas que bosser dans ma vie, je ne fais pas que aller sur du numérique, il y a des moments où je mange. Je mange plutôt végétarien, cuisine-libre.fr c’est vachement cool comme site si vous ne connaissez pas. Ce n’est pas tous les soirs comme ça chez moi ! J’adore les lasagnes aux champignons, c’est un super recette, je vous la recommande, c’est super cool, mais il y a des moments où j’ai juste la flemme, nous sommes bien d’accord, je ne fais pas tous les soirs un plat de lasagnes.
Le problème c’est que quand je me lâche en mode confort et tout ça, eh bien les lasagnes préparées, il y a quelque chose d’un peu dangereux avec. Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce scandale chez Findus où la viande de bœuf dans les lasagnes pré-préparées se retrouvait être de la viande de cheval. Sauf qu’en fait on est sur la même chose au niveau de la bouf industrialisée, de l’agroalimentaire et tout ça, on est en fait sur la même mécanique. Et là on se dit que si la magie ça revient à bouffer du petit poney, il y a peut-être un problème, quand même, à un moment donné !
Finalement c’est quelque chose, c’est une mécanique que je commence à retrouver un peu partout. C’est-à-dire que quand on me demande de choisir entre deux têtes d’affiche, parce que, sérieusement, j’ai bien écouté toutes les discussions politiques de toutes les élections de ces dix dernières années et autour de moi, les gens me parlent extrêmement rarement d’idées ou de programmes, par contre c’est « lui je n’ai pas confiance, il a l’air d’avoir un peu un trop gros ego ; elle, elle a un peu l’air d’une connasse ». On parle de gens, on ne vote pas pour des idées ou des personnes, techniquement je n’ai pas vu de personnes faire ça ou alors à la marge. En fait on est encore une fois sur ce même truc de « tu sais quoi, donne-moi ton bulletin, donne-moi ton mandat ; pendant cinq ans tu ne t’occupes de rien, je m’occupe de tout. Donne-moi le contrôle et tu auras le confort de ne pas t’emmerder avec les questions politiques ».
Et là, à un moment donné, on se dit que la magie ! Il y a quelque chose de foireux dans ce délire-là ! Parce que finalement si on parle de liberté, on parle souvent de reprendre le contrôle. Mais reprendre le contrôle, eh bien ça signifie, du coup, quand on est dans cette vision-là, perdre du confort. Et là on est sur une problématique qui n’est pas facile, parce que ce n’est pas facile de perdre du confort ou même, en tant que militants qui veulent inciter les personnes ou en tout cas leur proposer une possibilité d’avoir une meilleure hygiène numérique, de faire un autre monde, de vivre un peu autrement que ce qui nous est proposé, le fait de dire « c’est cool ce qu’on propose, il y a des valeurs, c’est chou et tout ça, par contre vous allez perdre du confort ».

C’est ce qu’on a essayé de faire avec la feuille de route de Framasoft après Dégooglisons Internet, on a parlé de Contributopia. Il y a plusieurs notions dans cette feuille de route et il y a une notion d’effort, il y a une notion où on dit « on va essayer d’outiller la société de contribution ». Ça demande de la contribution, ça demande un effort, ça ne va pas être facile ou pratique tout le temps, pas aussi facile ou aussi pratique que les entreprises les plus riches du monde, par exemple, qui peuvent offrir un contrôle qu’on n’a pas.

14’ 38

Comme la conférence c’est toujours un truc vachement bien parce que c’est vertical et que, du coup, vous êtes anesthésiés, je vous propose de bouger. Imaginons que nous avons une ligne, là au milieu, paf ! comme ça, que ici, sur ce mur-là, vous avez le confort et ici, sur ce mur-là, vous avez le contrôle. Levez-vous, s’il vous plaît, je vous le demande. C’est adorable, merci beaucoup de le faire. Ça n’est pas une obligation ; s’il y a des personnes qui ne veulent pas le faire vous avez le droit, évidemment, de ne pas le faire. Levez-vous et positionnez-vous ; le mur confort est là, le mur contrôle est là et moi je trace une ligne d’ici à la technique qui fait un boulot formidable et je fais des bisous à la technique.
Positionnez-vous dans la salle. Où est-ce que vous allez si vous devez choisir, si vous devez vous positionner « confort contre contrôle » ?

Public : Inaudible.

Pouhiou : Eh bien choisis un domaine si tu veux, en effet, mais on va dire de manière plutôt générale, dans ta vie numérique ; on va faire un domaine vie numérique.
Du coup il y a plein de personnes qui sont prêtes à perdre du confort. Ici, vous êtes sur le contrôle, on est bien d’accord.
Qu’est-ce que vous avez à leur dire, vous qui cherchez à avoir du confort, du coup ? Très bien confort du ventilateur. Important, bien sûr. Bien sûr. En effet quand il fait hyper-chaud ! Vous avez le droit de bouger s’il y a des arguments que vous entendez qui vous parlent, vous avez le droit de changer de position et de changer d’avis. C’est même ça être humain, c’est évoluer et changer d’avis, souvent.
Est-ce que vous voyez à quel point c’est difficile ce positionnement ? J’ai une question là-bas, dis-moi, je la répéterai. On ne peut pas avoir le contrôle sur tout.

Public : Inaudible.

Pouhiou : Confort sur tout, informatique, alimentaire. Bon bref ! En effet c’est compliqué. Vous pouvez vous rasseoir si vous le désirez. Je vous remercie, je vous donne mon positionnement si vous le voulez. Mon positionnement est très clair, je fais partie de la #TeamFeignasse [Photo de chat allongé, NdT] avec fierté et je vais vraiment vers le confort. Dis-moi.

Public : Inaudible.

Pouhiou : Est-ce que confort et contrôle ce sont deux extrêmes ? Je pense que aujourd’hui, malheureusement, c’est le cas notamment dans le monde numérique, mais pas que. Je vais t’expliquer pourquoi. C’est justement la suite de mes slides, donc ça tombe bien merci, mais je pense qu’aujourd’hui on est malheureusement dans cette situation-là. Ça n‘est pas une obligation, ça n’est pas une fatalité, mais circonstanciellement je pense qu’on en est là aujourd’hui.
Typiquement, moi honnêtement j’essaye de gagner de gagner du contrôle et de faire des trucs. J’essaye, par exemple, de faire mon tricot, là c’est le moment où je me la pète, ce châle-là c’est moi qui l’ai fait.

[Applaudissements]

Pouhiou : Merci. J’avais dit que j’avise un gros ego mais je ne m’attendais pas à celle-là.
J’essaye de faire des trucs, j’essaye de gérer mon propre serveur, et vous n’aller pas me demander de taper une ligne de Bash, c’est sans moi, par contre c’est vachement bien, il faut les soutenir, ils font un super boulot et ça me permet de maintenir mon petit serveur à jour.
J’essaye aussi de créer ma propre monnaie. Je vous recommande de vous intéresser au logiciel Duniter et à la monnaie June qui s’écrit Ğ1 ou J, u, n, e, au choix ; j’essaie de créer ma propre monnaie, c’est plutôt cool. J’essaie même de faire ma propre pâte à tartiner avec des étiquettes un peu bizarres. OK, j’essaye de reprendre le contrôle sur certaines choses que je mange, mais en même temps c’est compliqué parce qu’on me demande de trier pour l’avenir, on me demande de d’effacer mes e-mails. Je vous fais une parenthèse sur ça, parce que nous ça nous pète les couilles chez quelques membres de Framasoft, et je fais un gros bisou à Pyg au passage. Orange avec ses e-cleaning days, « effacez vos e-mails et tout ça », il n’y a pas d’écologie derrière ! Il y a un impact écologique ridicule, parce que tu peux effacer 500 e-mails, si tu écoutes de la musique en laissant tourner YouTube, c’est-à-dire télécharger de la vidéo – le streaming c’est du téléchargement – si tu télécharges de la vidéo juste pour écouter de la musique et que tu la télécharges à nouveau à chaque visionnage, mais ça équivaut à combien d’e-mails, une vidéo ? Donc finalement c’est juste Orange qui se fait de la pub en mode « regardez on a des initiatives écolos », d’accord ? C’est cool pour eux, je suis ravi, mais du coup qui font travailler les gens, il faut voir ce que dit Antonio Casilli sur le travail du clic, tout ça en utilisant nos envies d’humains éthiques, en utilisant notre énergie d’humains éthiques et en la canalisant pour leur propre agenda.
Donc je dois trier pour l’avenir, je dois effacer mes e-mails, je dois bien sûr mangerbouger.fr, c’est très important, je dois avoir le réflexe Cyclamed et en plus je dois voter. C’est fatigant, ça prend du temps. Donc moi j’ai du mal à abandonner mon confort pour reprendre le contrôle parce que, je suis désolé, je suis toujours #TeamFeignasse et Bianca, tu peux me juger, je n’en ai rien à foutre. Voilà ! C’est comme ça !

20’ 12

Je vous parlais d’Orange tout à l’heure. J’ai envie de vous raconter une petite histoire parce que je l’avais entendue récemment deux fois, dans un Cash Investigation et après dans Le Monde diplomatique, je crois qu’ils en ont parlé, c’est l’histoire de Keep America Beautiful. Est-ce que vous en avez entendu parler ? Keep America Beautiful c’était une publicité dans les années 70 où un mec dans une Cadillac jette une bouteille en plastique de Coca dans la nature, vous voyez dans le désert du Nevada, donc il jette par la fenêtre, il s’en va et là tu as le cliché de l’Amérindien en gros plan avec une larme sur son visage. Donc Keep America Beautiful, jetez vos déchets, triez vos déchets. Voilà ! In the fight against litter and pollution, « dans le combat contre les ordures et la pollution nous avons encore du chemin à faire ».
Keep America Beautiful est un groupe lobbyiste payé par The Coca-Cola Company et tout un tas de gens qui ont fait le choix - je ne suis pas très bon dans les dates, mais je crois que c’est dans les années 60 - d’abandonner le système de la consigne, les bouteilles en verre qu’on ramenait exactement comme cette bouteille de boisson à base de plantes [Pouhiou montre la bouteille en verre, NdT], il y a une consigne et je dois la ramener en bas, c’était le principe qu’ils utilisaient puis ils se sont rendu compte que le plastique leur augmenterait vraiment leurs marges, donc on allait produire des bouteilles jetables, donc produire des futures ordures et, du coup, plutôt que les gens à un moment donné commencent à se rassembler, à nous engueuler à nous dire « vous nous pourrissez un peu la planète », on va dire aux gens « non, non, c’est vous qui pourrissez la planète parce que vous ne mettez pas vos ordures dans les poubelles ». Que les ordures soient dans les poubelles ou pas, en fait quand elles existent c’est un problème. Ce n’est pas parce qu’on le cache qu’il n’y a pas de problème !
Il y une notion derrière ça de l’homo ethicus, c’est-à-dire que nous aurions toutes et tous en nous des envies d’éthique, un humain éthique à l’intérieur de nous, une humaine éthique, et cette envie d’éthique va être canalisée notamment par les entreprises capitalistes pour qu’elles ne soient pas remises en question dans leur système de production. Dans le Cash Investigation il y a notamment ce document qui est un document interne à Coca-Cola, chez les lobbyistes de Cola-Cola, qui montre tous les trucs sur lesquels il faut se battre et tout ça, donc la possibilité que cela arrive et l’impact sur notre business : on se prépare à gérer ces points-là, on va surveiller ces points-là et ceux-là il faut se battre contre et ici il y a le fait du retour à la consigne sur lequel il faut vraiment se battre parce que, à la fois ça a une grosse possibilité d’arriver et en plus ça aurait un gros impact sur leur business.
Donc on a ce lobbying qui fait que nos comportements, notre culture est influencée pour canaliser nos énergies et notre comportement.
OK ! Là je vous parle de Coca-Cola. Dis-moi

Public : Inaudible.

Pouhiou : Avocat du diable, ouais. Attends une seconde il y a un micro qui arrive vers toi.

Public : Est-ce que tu penses vraiment que la consigne c’est une bonne chose sachant que derrière, pour récupérer les bouteilles, il faut aller les chercher avec un camion qui finalement pollue lui aussi ?

Pouhiou : Je ne suis pas spécialiste de la consigne donc je vais répondre très brièvement que d’après ce que j’ai lu et entendu le système des consignes permettait aussi d’avoir des usines locales de lavage, recyclage et remplissage. Donc ça permettait aussi de relocaliser l’industrie, du coup c’était intéressant parce que, en effet, l’essence coûtant cher, le capitalisme va essayer de faire des économies. Maintenant je m’en fiche fondamentalement ! Ici, dans mon propos, la consigne n’est pas le plus essentiel. Enfin, je ne m’en fiche pas, c’est hyper-important, mais là mon propos c’est de montrer que nos comportements sont manipulés par du lobbyisme et par des biais culturels de la publicité, des choses comme ça, afin de canaliser nos énergies. Du coup c’est la perte de liberté, la perte de contrôle social que nous perdons en tant que citoyennes et citoyens qui m’intéresse dans cet exemple-là. Et finalement que ce soit intéressant ou pas la consigne, c’est peut-être secondaire à ce propos-là. Par contre je pense sincèrement que oui la consigne serait un gain au niveau pollution.

Public : On est d’accord !

Pouhiou : Voilà. On parle de lobbyisme écologique, ce n’est pas domaine, je vais revenir vers mon domaine, on peut parler de lobbyisme numérique. D’accord?
Ceci est un tweet, d’ailleurs je l’ai mis deux fois ! Bonjour, ceci est une slide mal faite, je vous ai dit que je n’aimais pas les slides ! Un tweet de @jcfrog parce qu’il a mis en relation l’accord Microsoft Éducation nationale signé entre Microsoft et la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, madame Najat Vallaud-Belkacem, qui arrivait juste après le projet de loi numérique, la grande concertation populaire dans laquelle il y a eu une question « utiliser le logiciel libre et GNU/Linux dans les écoles et les universités », sur laquelle la population avait voté à 93,3 % pour. Et juste après on nous balance du Microsoft à l’école avec des grands sourires et tout ça. D’ailleurs les bulles qui ont été rajoutées à cette photo c’est « elle est con pourquoi pas la démocratie ! » Donc là on est vraiment sur des questions de lobbyisme, encore une fois.
Donc quel est notre espace de liberté quand il y a des décisions politiques et culturelles qui sont prises à notre place ?
Quel est notre espace de liberté quand on voit que les usages d’Internet vont dépendre énormément de notre classe sociale ? L’internet des familles modestes de Dominique Pasquier est un super bouquin à lire parce qu’on voit bien que les usages ne sont les mêmes partout, c’est hyper-essentiel comme bouquin. À votre avis quelle possibilité vous avez de prendre soin de votre hygiène numérique ou de vous éduquer aux pratiques numériques quand vous vivez à quatre dans un studio en banlieue ou quand vous avez quasiment zéro Internet et un milieu associatif très pauvre en zone rurale ? Personnellement je viens d’un village où il y avait plus de vaches que d’habitants, littéralement, on était 500 habitants, je vous assure que l’accès à la culture, l’accès à toutes ces éducations et à tous ces savoirs-là n’est pas facile dans ce village-là. Déjà pour se déplacer il faut avoir une mobylette !
Quel espace de liberté avons-nous quand les choix individuels impactent finalement la société et notre entourage ? Magnifique article de Aral Blakan, de toute façon si vous voyez du Aral Balkan passer devant vos yeux lisez-le, cette personne est formidable et je l’aime. Aral Balkan qui parle : « Google, c’est comme la cigarette : c’est votre choix mais il impacte les autres ». Aujourd’hui je n’ai pas d’e-mail chez Google, il m’en reste un vieux qui renvoie vers mes vrais e-mails, je n’ai pas d’e-mail chez Google, mais si 80 % des personnes à qui je m’adresse, et encore, c’est en-dessous de la moyenne française, sont chez Gmail, eh bien 80 % de mes conversations sont captées par Google. Donc finalement mes données personnelles, ou « c’est mon choix personnel d’aller chez Gmail », OK, mais ça m’impacte aussi. Finalement quelle liberté individuelle ou quelles données personnelles existent dans ce cadre-là ? Quel espace de liberté avons-nous quand finalement les neurobiologies, l’agronomie, le design d’utilisation, le design d’interface sont utilisés pour manipuler nos comportements à très large échelle ? Okhin, de La Quadrature du Net, parlait hier dans sa conférence de cette expérience que Facebook a publiée en 2012, qui était une expérience de 2010. C’était un test : en manipulant ce qui apparaissait sur le fil d’actualité, en haut du fil d’actualité des utilisateurs et des utilisatrices, permettait de voir si on modifiait leur humeur. Et bizarrement, quand on ne te met que des nouvelles pourries genre « ah ! Non, j’ai raté mon bac ! Fait chier ma mère me gonfle ! Mon patron est un con ! Et merde encore un prune ! », eh bien bizarrement tu vas commencer à déprimer et accessoirement, quand tu déprimes tu cliques sur les pubs et tu achètes plus : ça ça les intéressait pas mal.. Par contre, quand on ne te met que des bonnes nouvelles tu vas avoir tendance à moins déprimer. Évidemment cette expérience a été faite sans prévenir les utilisateurs et les utilisatrices qui ont été des cobayes pour Facebook.
Quelle espace de liberté là-dedans ? On est ici sur un article de Tristan Harris pour comment la technologie pirate l’esprit des gens. Tristan Harris, ancien philosophe produit chez Google, il se définit aussi comme magicien, qui s’est complètement barré parce qu’il s’est rendu compte de l’aspect hautement grave de ce qu’il faisait chez Google.
Enfin quel espace de liberté quand il est possible avec à peu près 100 000 dollars, je crois, de faire des publicités extrêmement ciblées auprès de personnes étasuniennes, plutôt noires, qui auraient tendance à voter Hillary mais qui ne la trouvent peut-être pas assez à gauche ou pas assez au point sur les questions de couleur de peau , de choses comme ça, donc d’inciter ces personnes à force de leur montrer des titres et des titres d’articles de blog à ne pas aller voter, parce quec ‘est bon, ça ne sert à rien, de toute façon elle va passer et du coup à faire élire le candidat Trump ? On ne sait pas si le scandale Cambridge Analytica a réussi à faire élire Trump, il n’y a pas vraiment de moyen de le savoir exactement, mais il y a quand même de grosses suspicions que ça a influencé et que ça aurait coûté 100 000 dollars. Ce n’est pas cher pour une grande démocratie choisir un dirigeant.
Ce n’est pas cool ce que je dis ; ça va ? Franchement ce n’est pas super cool, je ne vous annonce pas des bonnes nouvelles.

On va se faire une petite pause câlin à un moment donné, je vous l’assure, je veux juste vous parler en fait de ce système qui nous prive de liberté, en tout cas dans le monde numérique, qui s’appelle le capitalisme de surveillance, qui est un terme qui a été popularisé par Shoshana Zuboff, qui vient de réécrire un livre dessus récemment. Shoshana Zuboff, je suis désolé, je crois qu’elle est économiste au MIT, mais corrigez-moi et fact-checkez ce que je viens dire, en tout cas c’est une très grande universitaire étasunienne. Dans sa fiche de lecture Sébastien Broca a fait un super article sur ce bouquin et donne une définition super intelligente du capitalisme de surveillance qui « est ainsi le processus qui transforme nos comportements présents en prédictions monnayées de nos comportements futurs ». En fait le capitalisme de surveillance outrepasse notre volonté, outrepasse le fait que le client est roi, puisque nous ne sommes plus le client, et encore une fois réduit notre espace de liberté surtout de liberté individuelle, parce que finalement ça outrepasse totalement notre capacité de liberté individuelle.

Attention, capitalisme de surveillance selon Shoshana Zuboff est critiquable et critiqué. Je vous incite à aller vous renseigner sur les articles de Christophe Masutti qui va bientôt sortir un livre sur le capitalisme de surveillance en septembre chez C&f Editions, et qui explique que le problème dans le capitalisme de surveillance ce n’est pas uniquement l’aspect surveillance, ce n’est pas le capitalisme qui a dérapé à cause du numérique et qu’il faudrait réguler pour faire rentrer dans le droit chemin. Le problème du capitalisme de surveillance c’est peut-être aussi un problème de capitalisme qui fait juste ce que fait le capitalisme.
D’ailleurs, en parlant de capitalisme, le bouquin de Shoshana Zuboff est vendu par un éditeur, est-ce que vous voyez où je veux en venir ? Confort contre contrôle, tout ça ! Je n’ai pas résisté à vous montrer la page de l’éditeur avec ce superbe slogan They’re watching you… with your full consent. La fabrique du consentement est juste là sur ce petit bandeau qui vous dit « acceptez les cookies s’il vous plaît », en bleu. Donc je trouve ça hyper-intéressant de mettre en valeur le consentement et de le foirer totalement parce qu’on sait très bien que ces techniques-là aujourd’hui sont des techniques de fabrique du consentement qui outrepassent le consentement.

32’ 40

Ce qui me permet de faire une petite parenthèse.