Cet ingénieur rétablit la vérité sur les gestes qui détruisent la planète - Pierre Beyssac

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Titre : Cet ingénieur rétablit la vérité sur les gestes qui détruisent la planète

Intervenant·e·s : Pierre Beyssac - Léo Pereira

Lieu : Podcast Derrière La Bulle

Date : 11 avril 2024

Durée : 21 min

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Pierre Beyssac, co-fondateur du registrar français Gandi et porte-parole du Parti Pirate, explique, dans cette conversation, quels gestes numériques sont réellement néfastes pour la planète et, à contrario, quels sont ceux dont on ne devrait pas s'inquiéter.

Transcription

Léo Pereira : Il y a un autre sujet sur l’écologie. On entend souvent des pratiques qui sont mises en avant pour essayer, chacun, de réduire son empreinte carbone, on entend souvent que c’est une bonne chose de supprimer les mails, par exemple, de sa boîte mail. C’est vrai ou ce n’est pas vrai ?

Pierre Beyssac : Non, les mails non, on va la faire courte, c’est vider l’océan à la petite cuillère. On peut le faire, on se fait plaisir, on se dit qu’on a fait quelque chose pour la planète, mais, en fait, pas vraiment. Ce n’est pas la peine de se casser la tête avec ça. Après, on peut dire que pour des questions d’hygiène mentale ou tout ce que tu veux, c’est bien de ranger son bureau, c’est bien de ranger sa boîte mail, pour des questions d’organisation personnelle, c’est très bien, mais ça ne vaut pas le coup. Ou alors si on a reçu un mail énorme qui prend une trop de place sur le disque, pourquoi pas, mais ça ne va pas changer les choses pour la planète.

Léo Pereira : As-tu des chiffres pour donner une comparaison ?

Pierre Beyssac : Pour donner une comparaison, je n’ai pas apporté de matériel, je suis désolé, il faut déjà savoir qu’il n’y a rien de magique dans les serveurs de courrier électronique qui sont utilisés par les entreprises ou par les grosses compagnies comme Google, en fait, ces serveurs sont très similaires à un PC de bureau. L’industrie de fabrication de ces matériels-là est ultra standardisée et, à peu de choses près, les composants, les processeurs sont quasiment les mêmes ou les mêmes que ceux que tu trouves dans ton PC chez toi ; les disques durs sont à peu près les mêmes ; les barrettes mémoires sont les mêmes ; tout est relativement similaire. Dans un serveur, tu vas mettre des choses peut-être d’un petit peu meilleure qualité, pour réduire les pannes, mais c’est extrêmement comparable. Un disque dur que tu as chez toi consomme comme une ampoule basse consommation, autour de 5/6watts et ça peut stocker les mails de toute ma vie. À certaines époques, on faisait beaucoup moins mails qu’aujourd’hui et on avait beaucoup moins de gros documents, mais toute ma vie en mails tient 45 gigaoctets. Un disque dur d’aujourd’hui stocke 100 fois ça, facile, donc pour 5 watts, en fait, j’ai la vie de 100 personnes comme moi en mails qui est stockable et en ligne, juste le disque, je n’ai pas compté le serveur. Normalement, les gens qui gèrent des systèmes de stockage ne vont pas mettre un disque par serveur, donc, il va y avoir des systèmes de stockage spécialisés, avec beaucoup de disques. En gros, l’usage que j’ai au niveau mail tient en beaucoup moins de 5 watts, c’est une consommation électrique infime quand on accumule ça entre serveurs, qu’on mutualise au maximum.
Le serveur lui-même va consommer un peu plus, chez moi j’ai un NAS [Network Attached Storage], j’ai mesuré, il consomme 60, watts, c’est donc comme une ampoule ancienne mode, les ampoules incandescence, ce n’est pas négligeable, mais ce n’est pas colossal non plus. Un serveur d’entreprise, s’il atteint les 200 watts, c’est vraiment la fin du monde ! Aujourd’hui, on a des machines tellement puissantes, en fait, qu’un ordinateur qu’on a sur son bureau ou même un téléphone a la capacité d’un serveur de mails d’il y a vingt ans et il peut faire la même chose.
Ce qui coûte cher dans le mail aujourd’hui, c’est l’anti-spam, donc traiter les spams, essayer de les identifier et de les trier, ça peut être un peu coûteux, et les antivirus ; ce sont des traitements un peu complexes. La transmission des mails en elle-même ce n’est rien, c’est vraiment quelque chose de très peu coûteux. Donc, n’importe quel PC de bureau d’aujourd’hui pourrait traiter les mails d’une entreprise de taille moyenne, il n’y a pas de souci avec ça, donc ce sont vraiment des impacts assez faibles.
Il faut voir aussi qu’il y a tout un tas d’impacts qui sont variables suivant les équipements et les logiciels qu’on utilise. Une anecdote circulait au début d’Internet, au semi-début, quand Microsoft a commencé à entrer dans le jeu, ils ont racheté un fournisseur qui s’appelait Hotmail, qui tournait sous des Unix libres et Microsoft a voulu mettre Windows à la place. L’anecdote de source interne, de gens qui ont travaillé là-bas, dit que comme ils ont remplacé le système d’exploitation et que Windows était beaucoup moins bien conçu pour gérer le courrier électronique, ils ont dû multiplier par trois le nombre de serveurs. À service égal, ils ont triplé nombre de serveurs. On voit donc qu’il y a tout un tas de tout un tas de choses très difficiles à calculer, mais à la fin, même mal utilisé, un PC de bureau basique peut gérer énormément de mails. À la fin, même si on a un impact là-dessus, il est il est relativement faible et il n’y a pas de quoi s’affoler.
On a eu le même genre de discussion sur le streaming. D’ailleurs, il y a des erreurs d’analyse sur le streaming qui a été comparé à un four électrique, le visionnage streaming comparé la consommation d’un four électrique. Tout ce qui chauffe consomme énormément d’électricité, c’est de l’énergie quasiment pure. De manière intuitive, on peut inverser la chose : c’est-à-dire que quand tu utilises un ordinateur ou un équipement numérique en général, l’énergie qu’il consomme ressort directement en chaleur, il n’y a pas d’énergie pour le calcul proprement dit. Le calcul provoque de la chaleur parce que ça fait fonctionner des transistors, des résistances, des circuits électriques en fait, mais, à la fin, ça donne de l’effet joule, donc de la chaleur. Si ton ordinateur consomme 50 watts, ça veut dire, en fait, que tu as un radiateur qui fait 50 watts chez toi, donc, en hiver, tu peux te chauffer avec ça et, en hiver, tu y gagnes ; ce n’est pas la peine d’éteindre ton ordinateur si tu as un radiateur électrique à côté, tu ne gagneras rien, tu n’économiseras aucun courant, le radiateur va compenser l’absence de l’ordinateur en le chauffant un peu plus. Si tu te chauffes au gaz, c’est encore mieux : ça veut dire que tu vas avoir du chauffage électrique qui sera moins carboné.
Il faut relativiser tout ça. Qu’est-ce qu’on peut dire aussi sur le courrier électronique ?

Léo Pereira : Là, tu parlais aussi de streaming, sur la vidéo. Par exemple, est-ce que ça change quelque chose de regarder une vidéo sur YouTube par exemple en 4 K, par rapport à regarder une vidéo en 1080p ou en 720p ?

Pierre Beyssac : Ça va changer un petit peu, surtout sur ton terminal.
La taille de ton écran a de l’importance. Par exemple, si tu regardes sur un téléviseur, les très gros téléviseurs ça peut consommer 200 watts, en fait c’est l’éclairage de l’écran qui consomme le plus : plus ton écran est grand, plus il faut l’éclairer donc plus il faut d’énergie pour l’éclairer. Ton téléphone va consommer très peu, pour ton téléphone, l’éclairage va être de 1 ou 2 watts, donc 100 fois moins qu’un téléviseur, en gros. Maintenant, il y a des téléviseurs intermédiaires, il y a aussi eu beaucoup de progrès sur les téléviseurs. J’ai mesuré mon téléviseur, il fait 80 watts, ce qui est con c’est que quand je le mets en veille, il consomme encore 15 watts. Il y a encore des optimisations à faire sur les mises en veille des équipements.
Le coup des chargeurs de téléphone qu’on laisse branchés la nuit, c’est terminé, il n’y a plus de chargeurs qui consomment beaucoup à vide, de ce côté-là.

Léo Pereira : Tu dirais que c’est combien un chargeur de téléphone qui est branché ?

Pierre Beyssac : Maintenant, c’est inférieur à un dixième de watt, au pire un demi watt. Là c’est pareil, tu peux sentir s’il chauffe. Tu peux sentir sur ton chargeur que si ton téléphone est complètement vide et que tu le charges à fond, ton chargeur de téléphone va souvent chauffer un peu. C’est d’ailleurs là que tu peux différencier un bon chargeur d’un mauvais chargeur : le bon chargeur va moins chauffer. Là, c’est de l’énergie qui est perdue dans le chargeur et qui ne sert pas à charger ton téléphone. Après, il y a des histoires de surface de dissipation, à énergie équivalente : plus un objet est petit pour diffuser une certaine énergie et plus il va être chaud. Il y a des compromis à faire là-dessus, mais, en gros, tu peux voir que si ton chargeur est débranché, il ne va pas chauffer, en général, par contre s’il charge ton téléphone pleine balle, il va être sensiblement chaud au toucher, ça ne sera pas brûlant, en fait ce sera légèrement tiède. Ce n’est pas une énergie colossale, mais tu vois qu’il y a un peu de pertes dans les équipements et ce sont des choses que les électroniciens essayent de réduire.

Léo Pereira : OK. Tout à l’heure, tu parlais des datacenters. Le problème, la grosse consommation en énergie dans le numérique vient des datacenters ou elle vient de quoi ?

Pierre Beyssac : On estime que les datacenters représentent environ 25 %, je crois, c’est variable parce que c’est compliqué à évaluer.
Les datacenters d’aujourd’hui sont très efficaces, donc ils concentrent énormément d’équipements. Pourquoi on en est là ? C’est parce que, comme on l’expliquait tout à l’heure, il y a une facilité dans les datacenters : on amène des liaisons fibres en masse dans les datacenters. Tu poses ton serveur dans un datacenter, en claquant des doigts, tu as 10 opérateurs majeurs, pour pas cher, qui viennent te vendre du trafic.
Autrefois on prenait des liaisons, on faisait tirer des liaisons haut débit vers des datacenters d’entreprises qui, souvent, étaient des datacenters opérés de manière moins efficace et ces petits datacenters ont tendance à disparaître avec le cloud et les gens vont migrer leur système soit dans des datacenters mutualisés, on appelle ça de la colocation, même dans des services où ils ne gèrent même plus le serveur, donc chez des hébergeurs de machines ou chez des gros fournisseurs de cloud. Ça peut être plus efficace, du coup, ça donne des impressions de concentration colossale d’énergie et de moyens, qui sont réels, mais il faut voir, derrière, le nombre de personnes servies en fait. Il y a des millions de personnes derrière, d’utilisateurs comme nous, qui utilisent ces services-là. Il faut donc faire la balance entre le la concentration apparente, qui est réelle, et le nombre d’utilisateurs apparent qui est beaucoup plus difficile à évaluer, parce que dans un datacenter en colocation, le gérant loue des espaces de racks, des armoires pour installer des serveurs, il sait combien d’électricité va être consommée, mais il ne sait pas du tout ce qui se passe sur les serveurs, il ne sait même pas quel est le trafic qui a été diffusé : tu vas avoir 10 opérateurs avec des liaisons privées, tu ne peux pas savoir quel est le trafic qui est généré par ça, c’est quasiment impossible, et tu peux encore moins savoir à quoi servent les équipements. Donc, c’est très difficile d’avoir des chiffres là-dessus. On peut voir le chiffre agrégé, on sait que le datacenter consomme x mégawatts d’énergie, un TGV c’est six milliards en pleine puissance, c’est de la grosse consommation quand même, mais ce n’est pas non plus énorme. Un TGV en pleine puissance transporte des gens, consomme aussi de l’énergie et c’est un service utile.

11’ 35

Léo Pereira : OK. Du coup