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Publié [https://www.april.org/eleves-bientot-tous-fiches-rue-des-ecoles ici] - Juillet 2017
'''Titre :''' Élèves, bientôt tous fichés ? Quel encadrement pour le numérique dans l’éducation?
 
 
 
'''Intervenants :''' Daniel Agacinski - Céline Authemayou - Victor Demiaux - Jean-François Clair - Marie-Caroline Missir - Louise Tourret
 
 
 
'''Lieu :''' Émission Rue des Écoles - France Culture
 
 
 
'''Date :''' Juin 2017
 
 
 
'''Durée :'''
 
 
 
'''[https://www.franceculture.fr/emissions/rue-des-ecoles/eleves-bientot-tous-fiches Écouter le podcast de l'émission]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''Statut :''' Transcrit MO
 
 
 
 
 
==Description==
 
 
 
Nous allons vous parler des GAFAM, des ENT, des algorithmes, ou encore des <em>learnings analytics</em>… Oui le numérique éducatif est un sujet technique, on y emploie aussi nombre d’acronymes et des termes en anglais... Mais derrière le jargon, les enjeux sont énormes car il s’agit de protéger les informations qui concernent nos enfants, ce que beaucoup d’entre nous oublient de faire dans leur vie numérique de tous les jours où l’on donne notre avis, publions des photos et ouvrons des comptes personnels en livrant nom, date de naissance et adresse. Alors, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft sont-ils prêts à pénétrer le marché de l’Éducation Nationale dans le but de récupérer le plus possible de données personnelles comme ils-le font déjà ailleurs? Comment une institution aussi énorme que l’Éducation nationale peut-elle s’adapter et formuler des règles et des bonnes pratiques compréhensibles, applicables et protectrices? La question dépasse d'ailleurs l’école, il s’agit d’éduquer les enfants et même toute la société à un usage responsable du numérique.
 
 
 
==De 00' à 01'50==
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Bonsoir à tous. Bienvenue dans Rue des Écoles le magasine de l’éducation de France culture. Aujourd’hui les élèves, l’école et le numérique, comment protéger les données. L’Éducation nationale est-elle prête ?
 
 
 
[Musique]
 
 
 
L’école en sait beaucoup sur les élèves et les enseignants aussi d’ailleurs, données personnelles, administratives, évaluations, coûts, données sur les apprentissages avec de nouveaux logiciels issus des Ed’Tech, ces nouvelles entreprises des nouvelles technologies et de l’éducation, et même données sur le comportement à travers les logiciels de vie de classe et les livrets des enfants. Tout ce qui circule sur les espaces numériques scolaires est-il bien en sécurité ? La question se pose en ce moment ; à l’Éducation nationale on travaille à une charte sur le numérique, une charte qui se fait attendre.
 
 
 
Pour nous éclairer sur ces enjeux qui nous concernent tous, quatre invités. Daniel Agacinski bonjour.
 
 
 
<b>Daniel Agacinski : </b>Bonjour.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Vous êtes co-auteur de l’étude de Terra Nova, parue l’année dernière, <em>L’école sous algorithmes</em> un titre déjà à dire beaucoup de choses, je ne sais pas s’il est inquiétant. Céline Authemayou, bonjour.
 
 
 
<b>Céline Authemayou : </b>Bonjour.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Vous êtes journaliste à EducPros l’Etudiant et vous allez m’aider à éclairer nos auditeurs sur le sujet parce que vous avez déjà pas mal travaillé sur la question. Victor Demiaux bonjour.
 
 
 
<b>Victor Demiaux  : </b>Bonjour.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Vous êtes conseiller auprès de la présidente de la CNIL, Isabelle Falque-Pierrotin. La CNIL c’est l’institution qui est censée nous protéger, oncernant l’informatique, les données numériques.
 
 
 
<b>Victor Demiaux  : </b>Exactement.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Voilà, mais je l’ai dit à ma manière. Jean-François Clair bonjour.
 
 
 
<b>Jean-François Clair : </b>Bonjour.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Vous êtes enseignant. Vous enseignez les mathématiques en REP+ à Paris. Vous êtes représentant du SNES et si nous vous invitons c’est parce que votre syndicat a publié dans <em>L’Union syndicale</em>, un magazine que je reçois, un important dossier sur le numérique dans l’Éducation nationale et la gestion des données scolaires. Et enfin Marie-Caroline Missir, bonjour.
 
 
 
<b>Marie-Caroline Missir : </b>Bonjour.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>C’est avec vous qu’on va commencer, au programme de votre page d’actu ?
 
 
 
<b>Marie-Caroline Missir : </b>Je vais vous parler de la future peut-être potentielle réforme du bac, des dernières annonces de Jean-Michel Blanquer et puis d’une situation tout à fait inédite dans l’enseignement supérieur.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Une rubrique en partenariat avec le magasine <em>L’Étudiant</em>.
 
 
 
[Musique]
 
 
 
==07’ 33==
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>On va vous parler GAFAM, ENT, algorithmes, <em>Learning analytics</em>, oui ces techniques, il y a des anachronismes et des anglicismes, mais les enjeux sont énormes. Il s’agit de protéger les informations qui concernent nos enfants, tout ce que beaucoup d’entre nous oublient de faire dans leur vie numérique d’ailleurs, dans leur vie de tous les jours où on donne notre avis, publions des photos, ouvrons des comptes personnels en livrant nos nom, date de naissance, et tout un tas d’informations sur nous. La question qui se pose à l’école, alors que les fameux GAFAM, donc Google,  Apple, Facebook, Amazon et Microsoft sont aujourd’hui autorisés à pénétrer l’école, c’est si ces GAFAM vont récupérer le plus de données possibles, de données personnelles, pour éventuellement en faire un usage lucratif.
 
 
 
La question est énorme parce que l’Éducation nationale est une institution évidemment immense, peuplée d’individus qui agissent parfois dans leur coin surtout si les règles ne sont pas claires. Sont-elles claires ? Sommes nous bien encadrés en tant qu’élèves, enseignants et parents d’élèves dans notre vie numérique et scolaire ? On va commencer par un point de cadrage avec vous Céline Authemayou.
 
 
 
<b>Céline Authemayou : </b>Il faut bien voir que, vous le disiez, il y a de plus en plus d’offres, à la fois de produits, de services, qui sont créés à destination de l’Éducation et de l’enseignement supérieur de façon plus générale. Ça prend la forme d’outils numériques, de plates-formes ; beaucoup de choses se mettent en place qu’elles soient portées par des start-ups, vous parliez des Ed’Tech tout à l’heure, des start-ups ou des grands groupes. Vous citiez les fameux GAFAM qui incarnent un petit peu ces grands groupes qui s’attaquent, depuis quelques années, au secteur de l’éducation.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>On peut parler d’attaque ? Ce vocabulaire guerrier est-il adapté, à votre sens et d’après ce que vous entendez ?
 
 
 
<b>Céline Authemayou : </b>Pour certains acteurs il s’agit clairement d’une attaque. On peut peut-être revenir sur un évènement qui incarne un petit peu, justement, les relations tendues qu’il peut y avoir.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Le partenariat avec Microsoft.
 
 
 
<b>Céline Authemayou : </b>Exactement, qui date de novembre 2015. En novembre 2015 le ministère de l’Éducation nationale signe un partenariat avec la branche française de Microsoft, un partenariat qui permet aux acteurs de l’Éducation, donc aux enseignants, d’utiliser de façon gratuite, dans leurs classes, des services de la firme américaine, et cette convention court pour 18 mois.
 
 
 
À ce moment-là, les voix s’élèvent, notamment celles des acteurs du logiciel libre qui se regroupent au sein d’une association qu’ils baptisent Edunathon. Ils vont même jusqu’à porter l’affaire devant les tribunaux, notamment pour ce qu’ils jugent être une non mise en concurrence de tous les acteurs. Ils sont déboutés par les tribunaux. Mais en tout cas, ils sont inquiets des règles qui régissent les données personnelles des élèves, par Microsoft notamment.
 
 
 
En réaction à tout cela, en mars 2016 Najat Vallaud-Belkacem annonce la création d’une charte, baptisée la charte de confiance dans les services numériques. Elle doit être signée en mars 2016. Aujourd’hui, en juin 2017, elle n’est toujours pas signée. Les acteurs en discutent, mais ont du mal à s’entendre. Le ministère voit dans cette charte, finalement, un simple rappel des règles qui régissent ce secteur-là. D’autres acteurs, notamment la CNIL, voient l’occasion avec ce document d’apporter une surcouche, on va dire juridique, et pour réglementer de façon un peu plus stricte la gestion des données des élèves. On en est ici et l’accord Microsoft, qui durait 18 mois, va arriver à son terme.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Voilà une échéance devant nous. Victor Demiaux, vous qui êtes conseiller à la CNIL, sur ces dossiers, est-ce qu’il vous semble que l’Éducation nationale n’est pas au point et à quel point n’est-elle pas encore au point ?
 
 
 
<b>Victor Demiaux  : </b>Je pense qu’on est dans une situation effectivement assez nouvelle, puisque les acteurs de l’Éducation nationale sont confrontés à beaucoup d’offres, de propositions, de services, de la part d’acteurs divers, les GAFAM, mais pas seulement, et tous ces nouveaux services numériques utilisent, produisent, génèrent, énormément de données, des données qui peuvent dire énormément sur les élèves. Donc il y a beaucoup de promesses et il y a aussi des risques qu’il faut prendre en compte. Et il est nécessaire d’établir un cadre juridique solide pour que le secteur de l’éducation se mette en conformité.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Il est nécessaire de l’établir ; cela signifie qu’il n’est pas encore établi ?
 
 
 
<b>Victor Demiaux : </b>Cela signifie qu’il y a, disons, un cadre juridique qui est celui des principes de la protection des données personnelles, mais qu’il faut lui donner davantage d’effectivité qu’il n’en a actuellement. Et c’est le sens du communiqué qu’a publié récemment la CNIL dans lequel elle réagissait à la charte que vous évoquiez.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>La mystérieuse charte, elle est où ?
 
 
 
<b>Victor Demiaux : </b>En tout cas dans l’état dans lequel la CNIL a pu la connaître. Et cette charte comporte des éléments intéressants, des éléments de rappel de la loi, notamment en ce qui nous concerne de la protection des données personnelles. Sur certains points, elle va également plus loin. Donc ce sont des éléments intéressants, mais on en reste à un cadre, disons à une charte, c’est-à-dire à quelque chose qui relève de l’autorégulation qui ne nous paraît pas tout à fait à la mesure des enjeux.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Il n’y a pas de contrainte. Il faut rappeler avec des mots peut-être un petit peu plus simples, on ne peut pas agir à l’école avec des élèves comme on le fait dans la vie. On ne peut pas ouvrir des comptes, des comptes personnels, en donnant trop d’indications sur, à la fois, son établissement et ses élèves, ça ce n’est pas autorisé. Pour avoir recours à certains logiciels il faut le signaler à la CNIL. C’est bien ça ?
 
 
 
<b>Victor Demiaux : </b>Effectivement. Il y a des procédures de formalités qui existent mais qui, cependant, vont disparaître avec le règlement européen donc ce n’est pas le point sur lequel j’insisterai. Ce sur quoi on insiste c’est sur la nécessité d’être en conformité avec un certain nombre de principes. Donc d’être sûrs que les outils qu’on utilise en classe répondent bien aux grands principes édictés par la loi sur la protection des données.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Par exemple ?
 
 
 
<b>Victor Demiaux : </b>Par exemple le principe de finalité. C’est-à-dire que ces données, qui sont collectées dans le cadre de ces services numériques, doivent avoir pour finalité, pour objectif, d’améliorer et de permettre le service. Elles ne doivent pas être réutilisées à des fins de publicité, à des fins de profilage éventuel des élèves. On observe, aux États-Unis, des dérives parce que ces données qui, encore une fois, disent beaucoup, peuvent être utilisées ensuite par des acteurs de recrutement
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Des dérives et des recours même de parents. Puisqu’on a vu aussi aux États-Unis des affaires. Peut-être que vous pouvez nous en parler Céline Authemayou, dans lesquelles les recruteurs utilisaient, par exemple, des données recueillies lors de tests de cours en ligne.
 
 
 
<b>Céline Authemayou : </b>Notamment via les MOOCs. C’est vrai qu’en France des établissements qui sont créateurs de MOOCs réfléchissent à l’analyse des données, ce qu’on appelle les traces d’apprentissage, dans un but clair et net, c’est améliorer l’apprentissage. Par exemple un élève bute…
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Ça c’est intéressant !
 
 
 
<b>Céline Authemayou : </b>Voilà. C’est le côté finalement positif de l’analyse des données, mais des organismes se servent aussi de ces traces laissées notamment sur les MOOCs, pour faire du recrutement, pour cibler un peu mieux, à leur sens, les jeunes qu’ils veulent recruter. C’est vrai que, vous parliez des parents, mais aussi il y a des États, aux États-Unis, qui ont légiféré dans ce sens-là pour essayer de réguler, un petit peu, l’utilisation de ces données.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Des pratiques à réguler. En fait il y a deux couches de données si on comprend bien : celles des individus, eux-mêmes, qu’on peut suivre, et puis les données de l’ensemble de l’ensemble des individus qui permettent de dégager à la fois des traits relatifs à tout le système éducatif, à un établissement, ou à des groupes de gens qu’on pourrait trier – les filles, les garçons – enfin je ne sais pas, ce n’est pas trop ma partie. Est-ce que, aujourd’hui, vous êtes inquiet Jean-François Clair ? Donc je rappelle que vous êtes syndicaliste au SNES et que vous avez publié une note sur la question, sur ce qui se passe à l’Éducation nationale.
 
 
 
==18’18==
 
 
 
<b>Jean-François Clair : </b>Oui, on est un peu inquiets parce qu’en fait on s’aperçoit que le numérique est véritablement rentré dans l’école. On continue de nous parler d’école numérique, mais c’est rentré en force depuis un bon moment, c’est surtout rentré n’importe comment. Et il y a un gros déficit et de culture numérique et de formation, ce qui fait que bon nombre de collègues font des choses comme ils les feront par exemple chez eux, sauf que ce n’est plus uniquement eux-mêmes qui sont concernés, c’est qu’ils ont une classe derrière eux. Ça va être, par exemple, ouvrir un compte Google, communiquer avec les élèves comme vous le disiez tout à l’heure. Et là où c’est beaucoup plus inquiétant c’est que, en fait, il n’y a quasiment personne pour leur dire, à un moment ou à un autre, voilà comment il faudrait faire.
 
 
 
Il y a quelques années la CNIL avait publié une jolie petite brochure indiquant justement des grandes règles de base ; ces brochures, si je me souviens bien, avaient été financées par la CNIL sur ses propres fonds ; elles sont arrivées dans un certain nombre d’établissements, pas en nombre suffisant, et la plupart du temps elles n’ont pas été distribuées aux collègues.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Pour être précis, ça veut dire que échanger des mails sur certaines messageries n’est pas prudent ?
 
 
 
<b>Jean-François Clair : </b>Voilà.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Est-ce qu’on peut ouvrir un compte Facebook avec sa classe ?
 
 
 
<b>Jean-François Clair : </b>Non !
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Bon ! Voilà. Moi j’ai rencontré plein d’enseignants qui le faisaient. Des pratiques pas encadrées mais assez anciennes. À vous lire on voit que ça concerne à la fois la constitution des emplois du temps, mais aussi les logiciels de communication avec les élèves. Des outils que vous utilisez absolument tous les jours, voire à chaque heure de classe.
 
 
 
<b>Jean-François Clair : </b>Parfois oui, effectivement. On a quand même un certain nombre de collègues qui font un peu plus attention parce qu’ils commencent à entendre, un petit peu, ce qu’on essaie de dire depuis un certain nombre d’années maintenant.
 
 
 
D’un autre côté, il y a des collègues des fois on leur dit : « Mais attends, j’ai appris que tu leur écrivais directement » ; alors là je parle d’élèves en collège.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>On n’a pas le droit d’écrire un mail à un élève ?
 
 
 
<b>Jean-François Clair : </b>Voilà. Sur, comment dire, sur une adresse personnelle de l’élève, D’accord ? Par contre, si vous êtes à l’intérieur d’un ENT là où il y a, comment dire, un cadre réglementaire qui est complètement défini.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Ça c’est l’espace numérique scolaire.
 
 
 
<b>Jean-François Clair : </b>Espace numérique de travail, là on a parfaitement le droit de le faire. Puisque nous avons à faire à des mineurs, pour l’essentiel, à part quelques élèves en terminale, on a à faire à des mineurs donc il faut l’autorisation des parents, de toutes façons, pour tout un tas de choses. Et dans le cas de l’ENT, eh bien les parents ayant été mis au courant par le chef d’établissement de l’existence de l’ENT, des possibilités, des finalités du dispositif, etc., à ce moment-là on est bien dans un cadre qui est réglementé.
 
 
 
Mais si on veut utiliser un compte sur une messagerie d’une grande entreprise en dehors de l’Éducation nationale, eh bien, normalement, on n’a pas le droit ! Sauf à avoir l’autorisation et du chef d’établissement qui est le représentant donc de l’institution et des parents pour dire que, eh bien oui, tout le monde est d’accord pour.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Donc il y a relativement peu de règles, et même les règle qui existent on se demande si les usagers les connaissent. Mais au-delà de ça, sur tous ces outils qui sont utilisés, j’ai parlé des logiciels d’emploi du temps, des logiciels de vie de classe, on se demande un petit peu comment ils sont pensés. Parce qu’après tout, ces technologies et la manière dont elles sont organisées, elles modifient également et je me tourne vers vous Daniel Agacinski, elles modifient aussi nos manières de voir, de faire, d’interagir. Ce n’est pas tout à fait innocent et c’est un sujet auquel on réfléchit peu.
 
 
 
<b>Daniel Agacinski : </b>Oui. C’était exactement le point de départ de la note qu’on avait publiée il y a un an à Terra Nova.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>C’est parce que je l’ai lue que je vous pose cette question.
 
 
 
<b>Daniel Agacinski : </b>Je vous remercie de cette lecture précise. C’était précisément ça, justement, la façon dont le numérique transforme l’éducation. Pas uniquement sur le plan des pratiques pédagogiques, mais aussi sur le plan de l’organisation du système. C’était l’idée de prendre au sérieux ces transformations-là et de se demander, au fond, comment une institution, un service public qu’est l’Éducation nationale, peut garder une forme de maîtrise sur la façon dont le numérique transforme le système éducatif.
 
 
 
Là ce qu’on voit aujourd’hui dans les débats plus récents, j’allais dire, que cette note, c’est la façon dont la question se pose dans le pédagogique lui-même finalement. C’est-à-dire comment un certain nombre d’outils numériques ne servent pas uniquement à organiser les emplois du temps, les affectations, etc., mais aussi les pratiques pédagogiques elles-mêmes.
 
 
 
Si on prend au sérieux le numérique, on considère qu’un outil c’est toujours plus qu’un outil et ça transforme nos manières de penser, de travailler, d’interagir comme vous le disiez, alors il faut essayer de regarder comment le numérique, les outils numériques qu’on utilise dans l’école, changent la manière de travailler dans l’école. Et là des questions se posent à plusieurs niveaux. Il y en a plusieurs que vous avez évoquées, déjà, au niveau des risques liés aux données personnelles, là on aura sans doute des garanties assez claires là-dessus qui sont l’utilisation de ces données à des fins publicitaires ou commerciales ; ça c’est un premier sujet. Mais il y a cette question, que vous avez évoquée aussi tout à l’heure, des traces d’apprentissage. C’est-à-dire au fond, quand vous confiez, quand vous vous faites faire des exercices ou des leçons à des élèves, ou des interactions entre enseignants, par un certain nombre d’outils numériques qui sont à la disposition du grand public, avec ou sans conditions spécifiques à l’Éducation, vous laissez des traces d’apprentissage qui n’appartiennent, au fond, ni aux enseignants, ni aux élèves eux-mêmes, ni à l’Éducation nationale en tant qu’institution, mais à l’entreprise, au fabricant de cet outil-là.
 
 
 
Au fond, après, qu’il soit français, étranger, et que les données soient hébergées ici ou là, qu’est-ce qui se passe ? Il se passe que quand vous fabriquez un outil pédagogique et que vous l’ouvrez à un grand nombre d’utilisateurs, vous récupérez précisément ces traces d’apprentissage qui vont vous permettre de le développer et de l’améliorer considérablement. Or si, à moyen terme, les élèves français, les enseignants français, à force d’utiliser des outils que l’institution ne connaît pas complètement, ne maîtrise pas complètement, eh bien le travail que font les enseignants et les élèves au quotidien va, non pas servir à améliorer directement les pratiques des enseignants et la connaissance que l’Éducation nationale a de ses élèves, parce que vous disiez tout à l’heure l’Éducation nationale en sait beaucoup sur ses élèves, eh bien peut-être pas tant que ça, finalement ! L’Éducation nationale n’a pas les traces d’apprentissage.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>En tout cas c’est elle qui devrait en savoir le plus et non pas des entreprises extérieures.
 
 
 
<b>Daniel Agacinski : </b>Aujourd’hui on n’a pas de traces d’apprentissage numérique des élèves français. En tout cas le ministère et personne en France, aucune institution française, n’a ça.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>J’ouvre une petite parenthèse, d’ailleurs les logiciels de vie de classe ont été produits par des éditeurs extérieurs, privés ; ça fait 20 ans qu’on les utilise. Ça aurait pu être une création interne de l’Éducation nationale. Évidemment c’est Jean-François Clair du SNES qui réagit. Mais voilà !
 
 
 
<b>Daniel Agacinski : </b>Ça aurait pu, mais je ne sais pas si c’est l’enjeu premier, en fait. Je disais est-ce que c’est français, est-ce que c’est étranger, ce n’est pas forcément la clef numéro 1. Est-ce que c’est public, est-ce que c’est privé, ce n’est pas forcément la clef numéro 1. Quand vous construisez un collège, vous le confiez à des maçons qui ne sont pas des salariés de l’Éducation nationale, seulement vous savez ce qu’ils font. Quand vous achetez un manuel scolaire, ce n’est pas fabriqué par des éditions de l’Éducation nationale, simplement vous savez ce qu’il y a dedans. Et là l’enjeu, au fond, c’est celui de la connaissance des outils auxquels on a à faire ; le problème c’est que c’est très technique ; c’est que c’est très technique et c’est en même temps très politique. C’est-à-dire qu’on ne peut pas se contenter de dire les techniciens savent et personne, ni le grand public, ni les acteurs de l’éducation n’ont leur mot à dire parce que c’est un enjeu qui tient, au fond, au sens qu’on donne au service public d’éducation. C’est-à-dire finalement, si on met une partie essentielle de ce qui fait fonctionner le système éducatif dans les mains d’outils dont on ne connaît finalement pas grand-chose, on peut se dire qu’à moyen terme on en n’en connaîtra plus grand-chose, plus du tout, et qu’on n’aura plus la capacité de se moderniser qu’auront, justement, les grandes entreprises qui auront conçu ces produits.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Voilà ! Et qui se seront modernisées grâce aux données d’apprentissage des élèves.
 
 
 
<b>Daniel Agacinski : </b>Exactement on leur aura fourni le carburant pour ça.
 
 
 
<b>Louise Tourret : </b>Puisque le système des entreprises du numérique c’est bien de fonctionner grâce à nos données, et tout un travail gratuit, enfin qui n’en est pas vraiment un, mais qui, pour eux, évidemment représente un avantage. Je me tourne de nouveau vers vous, Jean-François Clair, ce que vous voyez comme risques aussi, ces données hébergées parfois à l’étranger, on ne sait pas où, et le coût à venir de ces technologies qui, aujourd’hui, sont vendues pour un prix pas forcément très conséquent, mais qui pourrait se renchérir.
 
 
 
==27 ‘ 05==
 
 
 
<b>Jean-François Clair : </b>Ça pourrait se renchérir
 

Dernière version du 26 juillet 2017 à 13:24


Publié ici - Juillet 2017