Éducation nécessaire enfant étudiant professeurs

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Titre : Éducation nécessaire de l’enfant à l’étudiant passe aussi par celle des professeurs

Intervenants : François Elie - Sami Kefi Jerome - François Bocquet - François Aubriot

Lieu : Rencontres Mondiales du Logiciel Libre

Date : Juillet 2017

Durée : 1 h 11 min 49

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Licence de la transcription : Verbatim

Statut : Transcrit MO

Description

Le numérique change les façons d’enseigner mais il doit être avant tout expliqué pour éviter de faire une génération de simples "consommateurs". De plus le cadre légal évolue rapidement mais pas aussi vite que les technologies.

Transcription

François Aubriot : Bonjour à toutes et tous. Merci d’être avec nous. Merci donc je vais rapidement présenter les personnes qui compléteront. Donc François Elie, président de l’ADULLACT, adjoint au maire d’Angoulême. Sami Kefi Jerome, qui est adjoint au maire de Saint-Étienne, en charge de l’éducation ; François Bocquet, qui est au ministère de l’Éducation nationale en charge, on va dire, des nouveaux moyens, de la prospective au niveau de l’éducation, et donc moi-même, François Aubriot, qui vais animer cette conférence dont le thème est l’éducation. Donc l’éducation c’est très vaste, l’éducation nécessaire, de l’enfant à l’étudiant, et également des professeurs. Je vous laisse peut-être, en introduction, rapidement vous présenter. François, tu commences. Oui, Alors il y a beaucoup de François ! Désolé !

François Elie : Qu’est-ce que je peux ajouter d’autre ? Ah si, une petite histoire, mais très rapide. Il y a très, très longtemps j’ai enseigné l’informatique dans l’option des lycées. J’ai été invité deux fois dans ma vie à l’Élysée. La dernière fois c’était en novembre dernier dans le cadre de l’Observatoire du libre et j’ai entendu une ministre qui disait, comme une sorte de nouveauté : « Nous allons bientôt enseigner le code ! » Mais 17 ans avant, j’avais été invité à l’Élysée, avec mes élèves, qui avaient gagné un concours de programmation. Comme si on avait perdu un petit peu de temps. Voila !

Sami Kefi Jerome : Sami Kefi Jerome, adjoint au maire de Saint-Étienne. Qu’est-ce qui est de la Loire ici ? Personne ! De la Loire, département de la Loire ? Très bien. Deux ! Très bien ! Pour les autres bienvenue à Saint-Étienne. Vous êtes dans un lieu un petit peu particulier puisque c’est l’école Télécom Saint-Étienne qui est dans ce qu’on appelle le quartier créatif avec la cité du design. Je ne sais pas quelle image vous aviez de la ville mais l’histoire avec Manufrance, avec l’ASS, avec les mines. L’ASS ça continue, mais Manufrance et les mines c’est terminé. Et maintenant nous sommes vraiment tournés à la fois vers le design et vers le numérique avec un aval French Tech, mais nous aurons l’occasion de voir comment nous, nous abordons ce label et le numérique à Saint-Étienne, et notamment à travers les écoles.

François Bocquet : Merci. Donc moi, on l’a dit tout à l’heure je travaille au ministère de l’Éducation nationale, à la direction du numérique pour l’éducation, qui est une direction qui a été créée en 2014 donc qui est relativement récente, et dans un service qui est un petit peu particulier, qui s’appelle le Numerilab qui est un incubateur de projets numériques. Et donc on a pour vocation à repérer, à accompagner, des acteurs, des initiatives de terrain, que ce soient des initiatives de collectivités territoriales ou d’établissements ou même d’individus et à les accompagner, parfois à les protéger quand c’est nécessaire, et puis, derrière, à en tirer des conséquences sur la façon dont on peut diffuser ces réalisations, voire, pourquoi pas quand c’est possible, les intégrer dans les programmes ou dans les dispositifs d’appui plus institutionnalisés.

François Aubriot : Merci. Donc l’éducation. L’éducation en général, déjà c’est un très vaste sujet. Le numérique est prégnant, on va dire, sur toutes les composantes de l’éducation et on va retrouver, maintenant aussi, de plus en plus de numérique à la maison, en lien avec l’école, et ce qu’on va inculquer aux enfants. Alors les plus jeunes, peut-être que Sami tu pourras parler un petit peu des écoles jusqu’aux étudiants et l’enseignement supérieur et la recherche. Peut-être, très rapidement, je vais refaire un petit point sur, on va dire, pas un conflit mais quelque chose qui nous a beaucoup chagrinés qui a été une convention signée entre le ministère de l’Éducation nationale et Microsoft, fin novembre 2015. On a monté un collectif de façon à demander au ministère que ces conventions ne puissent pas exister dans la mesure où, et à la fois on échappe aux marchés publics, ce qui n’est pas forcément très sympa pour les entreprises du numérique en général et, peut-être, en particulier aussi du numérique libre ; et également le côté données personnelles, étant donné que les données personnelles, alors des enfants et des professeurs, sont confiées à une société américaine qui est, en l’occurrence, Microsoft. Et on a quand même la chance d’avoir en France la CNIL qui est la Commission nationale informatique et libertés qui encadre, on va dire, l’utilisation de ces données personnelles, que ce soit au niveau des enfants et des plus grands. Et donc on a sollicité dernièrement notre nouveau ministre. On attend une réponse de sa part. Je sais qu’il est quand même assez ouvert normalement : quand il était à Créteil il a fait des choses, notamment en faveur du logiciel libre, mais on souhaiterait vivement que ce type de conventions… Alors on est conscients que le numérique, alors il faut travailler avec les leaders, etc. Je pense qu’il y a aussi des bonnes volontés et surtout énormément de compétences au niveau des personnels de l’Éducation nationale que ce soient les professeurs, les encadrants, pour faire ce numérique.

On attend également toujours cette charte de confiance, qui devait être mise en place donc dès novembre 2015 ; une charte de confiance de façon à ce que les acteurs du numérique, au niveau de l’Éducation nationale, soient quand même encadrés au niveau de la récolte et de la gestion de ces données personnelles. Donc là la CNIL a dernièrement refait un petit point sur cette charte de confiance qui n’est vraiment pas évidente à mettre en place. Et on avait été, nous, sollicités sur cette charte et on avait dit mais déjà partons de ce que nous demande, ce que nous dit la loi parce qu’on a quand même la chance et l’année dernière on a eu la loi sur le numérique, la République numérique, qui a traité également de ces points. Ce sont des sujets sur lesquels on est assez présents et les conventions comme il y a eu avec Cisco, etc.

Peut-être que Sami au niveau de l’école on va dire primaire, parce que tu es en charge des écoles primaires au niveau de la ville de Saint-Étienne et tu as aussi une autre casquette qui est au niveau de la région Auvergne-Rhône-Alpes, tu es le président de la commission numérique et tu travailles avec Juliette Jarry, la vice-présidente. Au niveau du primaire de quelle façon vous avez abordé à Saint-Étienne un peu cette éducation numérique. Et pour nous, ce qui nous importe aussi, c’est la partie professeurs/ accompagnement et puis peut-être que François, tu compléteras.

07’ 40

Sami Kefi Jerome : Sur Saint-Étienne, on est entre nous alors on peut se dire les choses librement – c’est un peu le concept de la semaine quand même – sur ce type d’accompagnement je pense qu’à Angoulême, enfin dans toutes les villes, il y a eu un effet de mode. Parce que les élus, quand ils font un programme municipal ou départemental ou régional, il faut forcément qu’il y ait de choses visibles. Et même si on est en train de rattraper un peu le retard, tous les acteurs publics ne sont pas forcément à jour sur les enjeux du numérique. Et donc ils se l’approprient non pas de manière politique, mais en tout en cas, en se disant, il y a deux trois idées. Donc on a eu des conseils départementaux qui se sont lancés dans les campagnes de 2011 en disant une tablette par élève ou des vidéoprojecteurs pour tous ou, etc. Et donc on a toujours abordé l’entrée du numérique du côté des acteurs publics par le matériel parce que c’était ce qui, au niveau de l’électorat, était le plus visible.

Donc on l’a fait aussi à Saint-Étienne, je ne vais pas vous mentir. Mais ce qu’on a fait c’est que, pour équiper les écoles, avant de lancer un programme, on a utilisé la Cité du design parce que le design ce n’est pas seulement l’esthétique de l’objet. C’est aussi un mode de pensée qui est parfaitement adapté avec la mutation qu’on vit dans le monde actuel, c’est-à-dire que c’est un regard un petit peu d’enfant ou, en tout cas, un regard neuf sur des usages et à partir des usages comment réguler et accompagner les mutations.

Donc on a missionné la Cité du design pour savoir ce qu’il fallait mettre dans les écoles. Donc ils ont testé dans des écoles urbaines, dans des écoles rurales, dans des écoles publiques, dans des écoles privées, dans des écoles où les équipes enseignantes étaient des vrais geeks, d’autres qui appelaient les souris des mulots. On avait à peu près tous les profils : écoles d’éducation prioritaire, écoles classiques. Et on a testé soit des smartphones, soit des tablettes ; c’était encore sur le matériel. On est arrivé à une conclusion assez simple, parce qu’il y a toujours la contrainte budgétaire qui s’impose, qui fait que du CP au CM2, avant il fallait faire un projet de 15 pages pour avoir un vidéoprojecteur dans sa classe – c’est comme si au début du 20e siècle il fallait qu’un professeur justifie la présence d’un tableau noir dans sa classe. Donc avoir un vidéoprojecteur dans une classe ça devient incontournable, ensuite c’est comment on l’utilise.

Donc ça c’est ce qu’on a fait à Saint Étienne dans un plan numérique, sur trois ans, où toutes les classes du CP au CM2 vont avoir des vidéoprojecteurs dans chaque classe et on dote de packs tablettes. Ça c’est la version officielle ; après je vais vous donner un avis un peu plus personnel ce qui permettra de lancer peut-être le débat aussi avec l’Éducation nationale. Parce que je me rappelle, j’étais allé au Salon de l’Éducation il y a trois ans et, sur le stand de l’Éducation nationale, il y avait écrit « le numérique va réduire la fracture scolaire ». C’était ambitieux ! Là-dessus j’ai un avis très personnel, mais plus on introduit les outils numériques dans les écoles, plus je m’interroge sur la pertinence de leur présence. On avait fait venir, au mois de novembre, quelqu’un que vous connaissez peut-être qui s’appelle Michel Desmurget, qui avait écrit un bouquin qui s’appelait TV Lobotomie, avec le label de la direction académique, je vous rassure, mais qui, à partir de 50 années d’études, parce que ce sont les seules données scientifiques fiables que nous avons sur l’impact des écrans sur les enfants : les téléphones, les ordinateurs, on a commencé à avoir du recul, mais pas suffisamment pour avoir vraiment des données scientifiques qui soient incontestables.

Et quand on voit déjà l’impact des écrans sur les enfants et sur la surexposition des enfants aux écrans, notamment les tout-petits, on se dit attention ! Attention ! C’est pour ça que par exemple dans les crèches, nous avons banni, ça n’existait pas, mais en tout cas on a banni tout projet d’introduction d’écrans dans les crèches ; entre 0 et 3 ans, c’est une aberration. Dans les écoles maternelles, je vous ai dit que nous on commençait à doter à partir du CP, mais dans les écoles maternelles non plus. Il y a un vidéoprojecteur dans l’école pour certaines projections. Les tablettes peuvent être utilisées comme support de langage, mais on fait très attention à ne pas tomber dans un effet de mode. Même si le numérique est incontournable, je considère qu’il y a un âge auquel il faut l’introduire.

Et quand vous voyez les évolutions de la recherche en neurosciences qui nous montrent l’importance du développement psychomoteur, c’est-à-dire entre 0 et 2 ans, un enfant ne parle pas. Donc le seul moyen de se développer et de développer ses neurones et son cerveau c’est par le mouvement et les stimulations extérieures. Or quand vous voyez des enfants, à la maison, scotchés devant la télé ; des parents qui mettent dans smartphones ou de tablettes dans les mains des enfants pour se dire « oh là, là c’est intuitif, il comprend tout, qu’est-ce qu’il est merveilleux mon enfant ! » Ces outils sont conçus comme ça, donc bien sûr que c’est intuitif, c’est dit intuitif, mais l’impact sur le développement du cerveau est ravageur !

Pour résumer ma pensée, je considère que ce sont des outils formidables, mais qu’on ne doit pas faire l’impasse sur ce que moi j’appellerai un petit peu l’école de la vie et ce qu’on vit à travers la réforme des rythmes scolaires est un exemple, c’est-à-dire qu’il y a des savoirs fondamentaux qu’on peut étudier en classe, il y a des choses qu’on doit faire avec nos mains. Mettre les mains dans la terre – on fait des jardins pédagogiques – voir le temps lent face à l’instantanéité de ces outils, comprendre que le monde ne vit pas à cette vitesse, que la nature ne vit pas à cette vitesse, qu’une plante prend du temps pour pousser, il y a des aléas météorologiques, etc.

Pareil quand on travaille la géométrie. Moi j’ai été directeur d’école en éducation prioritaire, les générations-là qui arrivent, une des matières où on a le plus de difficultés à enseigner c’est la géométrie. À force d’abreuver les enfants trop tôt de choses en trois dimensions, le développement des capacités d’abstraction, le développement des capacités d’imaginaire et de mise à distance d’un objet, sont complètement anéantis. Donc ça se ressent d’autant plus dans les quartiers dits prioritaires : il y a une courbe inverse qui fait que plus les familles sont pauvres, plus il y a d’écrans dans les chambres, parce que avoir un smartphone, avoir une télé dans la chambre ça coûte 50 euros, c’est perçu, c’est considéré comme une sorte de signe ostensible d’un certain pouvoir d’achat. Et donc c’est un leurre qui fait que ces enfants sont surexposés à ces écrans quels qu’ils soient. Les usages, on y viendra, ne sont pas forcément adaptés et donc ça a un impact vraiment sur leur capacité d’appendre et en classe.

Ça c’était sur le volet enfant. Après j’arrêterai.

Et sur le volet enseignant là, en revanche, c’est autre chose. Du côté des adultes ce sont des outils qui sont vraiment des outils d’accompagnement parce que nous, notre cerveau il est formé. Donc attention aux effets de mode pour les enfants mais, pour les adultes, c’est un outil formidable que l’Éducation nationale développe.

François Aubriot : On va peut-être continuer. On est partis un petit peu sur un aspect philosophique et c’est vrai que l’éducation est importante et il y a quand même des savoirs fondamentaux à acquérir. François, peut-être, s’ils sont un peu plus grands ceux que tu as en face dans les classes, mais est-ce que tu as un avis partagé par rapport à l’utilisation du numérique ?


16’00

François Elie : Pour manger j’enseigne la philosophie, effectivement. Donc je les vois plus grands. Complètement d’accord avec l’idée que ça lobotomise. Je voudrais essayer de compléter en essayant de repérer d’autres problèmes. C’est vrai que les élus prennent les choses par l’équipement et ce qu’on peut regarder. Il y avait un problème en France c’est qu’on a un ministère qui prescrit et puis ce sont les collectivités qui payent. Ça rend les choses compliquées puisque ça aveugle le ministère sur les vrais coûts et ça empêche, en grande partie, les mutualisations – si c’était lui qui payait je suis sûr qu’il prescrirait autre chose – et puis ça crée des inégalités de territoires considérables puisqu’on voit des plans numériques qui s’empilent et le résultat ce sont des ruptures d’égalité.

Effectivement nous, à Angoulême, on va faire la même chose en disant « égalité pour tout le monde ; commençons par l’égalité. » Mais c’est vrai que la question de l’équipement n’est pas la question essentielle. Je pense que la question des contenus est importante. On est en train de transférer des contenus du papier à des contenus numériques et on révèle, en fait, le fait qu’au lieu d’encourager par exemple les professeurs à collaborer de manière massive avec l’appui de l’inspection, etc., eh bien on continue à essayer de sauver l’édition scolaire au lieu de sauver l’école.

François Aubriot : On va voir, mais c’est vrai que l’équipement c’est quelque chose qui est très important parce que d’un point de vue des collectivités, que ce soit les mairies, communautés de communes pour les écoles primaires, les départements pour les collèges, les régions pour les lycées, on est sur des budgets d’investissement alors qu’au final on aurait vraiment peut-être plus besoin de fonctionnement. Et ça, c’est vrai que c’est vraiment une très grosse difficulté et encore plus pour le logiciel libre et l’open source.

François Elie : J’en viens au troisième point. C’est vrai que la question essentielle c’est la place dans l’enseignement. Et je pense qu’il y a un énorme malentendu. Je crois qu’il faut distinguer trois aspects de l’informatique. Il y a l’informatique des usages et qui nous laisse penser, et même Michel Serres est tombé dans le piège avec Petite Poucette qui nous laisse penser que les enfants sont tombés dedans, qu’ils ont eu des cours d’informatique intra-utérins, enfin ils savent faire depuis toujours et puis ils nous donnent des leçons ! Comment leur enseigner ce qu’ils savent déjà ! On a une version de l’informatique parfaitement stupide qui est, effectivement, designée pour qu’on s’abrutisse. Et puis il y a une informatique extrêmement technique : on va programmer, on va développer, et puis on a l’impression dans le débat sur la place de l’informatique dans l’enseignement qu’on hésite entre enseigner les usages, j’aurais voulu mettre un « z » à usages et puis, effectivement, transformer les gamins en simples consommateurs. Ou alors leur enseigner la programmation, en faire des geeks et c’est complètement idiot ! Parce que si vous regardez, si on prend un autre exemple qui est l’exemple de l’automobile, on n’apprend pas aux enfants à conduire dans les écoles ; on ne leur apprend pas non plus la mécanique auto, on leur apprend la physique et on leur apprend à tous la physique.

Public :On leur apprend dès le CP quand on passe le certificat en 5ème, en 6ème, en 3ème, en gros on apprend…

François Aubriot : La sécurité routière. Non, non la sécurité routière, le code de la route.

François Elie : Il vaut mieux qu’ils traversent effectivement quand c’est vert plutôt que ce soit rouge. Et là, l’intérêt c’est que nous ça nous remet sur la question de la science informatique qui est celle qui s’enseigne avec un tableau noir et une craie et qui permet non pas de se fasciner avec les outils, mais, un jour, de les dominer. Et je pense que l’essentiel est là. C’est-à-dire que l’école est là pour libérer des objets et non pour fabriquer des consommateurs ou abrutir les enfants.

François Aubriot : C’est effectivement ce qu’on ressent en tout cas et je pense qu’il y a beaucoup d’argent et beaucoup de lobbying qui nous amènent sur cette voie.

Sami Kefi Jerome : Pour répondre à monsieur, j’entends parfaitement votre propos, mais à mon avis ce qui voulait être dit et je partage, c’est qu’on ne met pas une voiture dans les mains des enfants. Oui, en CE1 il y a les permis de sécurité routière, etc. On leur montre dans quel environnement il y a des déplacements, à pied, à vélo, et où il y a des véhicules, mais en effet on ne leur met pas l’outil, c’est-à-dire la voiture, dans les mains trop tôt.

Public :Inaudible.

François Aubriot : Peut-être François, bonne introduction. Alors maintenant côté ministère de l’Éducation nationale qui est quand même régalien et qui nous, j’allais dire, oriente, et qui oriente les collectivités, normalement. Qu’est-ce que vous envisagez, qu’est-ce que vous avez prévu au niveau de cet enseignement ?

François Bocquet : Il y a des choses nouvelles, en fait, sur lesquelles je vais insister parce qu’elles ne sont pas forcément connues. Elles sont liées à la loi sur la refondation de l’école qui date de 2013, qui a été mise en place par Vincent Peillon, qui précise un certain nombre de choses et qui a ouvert des chantiers dont les chantiers qui sont les chantiers de refonte complète des programmes, donc le cycle 1, on parlait de maternelles tout à l’heure, cycle 2, cycle 3 qui maintenant va jusqu’en fin de 6ème, donc le cycle 3 c’est CM1, CM2, 6ème, et puis le cycle 4 du collège où on est vraiment sur ce qu’on appelle le socle, donc les fondamentaux. Sachant que pour ce qui relève du lycée, on a eu ces dernières années, ces trois dernières années, la mise en place à la fois d’une option d’ICN qui est d’Informatique et de Création numérique en seconde et en première, et puis d’un enseignement de spécialité ISN, donc là on est sur Informatique et Sciences du Numérique pour les élèves de terminale et qui leur permet, ensuite, de s’orienter vers soit les métiers de l’informatique, soit d’avoir les bases informatiques leur permettant, au cours de leurs études, d’approfondir la question que ce soit dans un domaine de spécialité informatique ou dans tous les métiers puisque aujourd’hui, dès qu’on est sur des formations post-bac, évidemment les outils numériques et l’informatique ont une part conséquente dans la pratique de chacun. Il n’y a plus aucun métier où on n’utilise pas, de façon experte et avertie, ces outils pour travailler.

Je reviens dessus parce que, tout à l’heure, on a fait tout de suite un rapprochement en utilisant un terme générique que j’évite autant que possible d’utiliser, même si ma direction s’appelle direction du numérique pour l’éducation. Le numérique, le substantif « le numérique » n’a aucune définition en langue française. Malheureusement, aujourd’hui…

François Aubriot : Digital, non plus.

François Bocquet : Digital non plus. D’ailleurs aucun anglo-saxon n’utilise le terme the digital. Vous pouvez le chercher partout dans tous vos moteurs de recherche préférés, c’est une notion qui n’existe pas. Malheureusement on utilise ce terme « le numérique » comme un fourre-tout, ce qui fait qu’on y on y met tout. On y met à la fois l’usage, en tant que consommateurs, de gamins de moins trois ans qui, effectivement, passent deux ou trois heures par jour devant des écrans. Et ça, effectivement, on a toutes les études qui démontrent que c’est une catastrophe. Mais on met également dedans ce qui est au programme du cycle 1 en maternelle où on doit, au moins pour les enseignants et éventuellement pour les élèves, agir sur un certain nombre de choses.

Je vous rassure tout de suite le cycle 1, c’est-à-dire les tout-petits, la dimension numérique n’existe que peu dans les programmes, par contre elle commence à apparaître au cycle 2 et, en fin de cycle 3, on a des élèves qui ont déjà une maîtrise d’un certain nombre de choses, à la fois sur l’aspect critique et à la fois sur l’aspect outil, compréhension de l’outil, y compris algorithmique – même si ce n’est pas de la programmation au sens de produire du Python ou du C++. Mais les enfants peuvent avoir des compétences algorithmiques soit en mode ce qu’on appelle débranché, c’est-à-dire papier/crayon ou tableau noir, soit avec des outils comme les petits robots qui leur permettent de comprendre ce que c’est que des bases de l’algorithmique. Et au cycle 4, là on commence, donc cycle 4 je rappelle c’est 5ème, 4ème, 3ème, dans le cadre du socle, il y a tout un ensemble d’actions qui sont prévues à la fois pour les disciplines plus scientifiques, donc qui vont être faites par des profs de maths en logique et algorithmique, par les profs de techno quand il s’agira de construire des objets – il y a pratiquement des imprimantes 3D dans tous les collèges de France et de Navarre aujourd’hui – avec des outils de modélisation, avec de l’utilisation de code beaucoup basé sur le codage par blocs, avec une évolution vers le JavaScript ou vers le Python pour les plus grands ou pour les enseignants les plus motivés.

Et puis on a deux dimensions que souvent on oublie qui sont l’éducation aux médias et à l’information. C’est dans ces enseignements-là qu’on va trouver la question de la trace, comment on gère ses traces, comment on gère son empreinte numérique, comment on publie, comment on utilise les outils qui vont permettre de critiquer des sources – c’est ce qu’on appelle la redocumentation, à partir de documents existants pour en produire de nouveaux. Là on a un métier qui est dans les collèges qui sont les professeurs de documentation dont c’est la fonction explicite depuis au moins cinq ans et c’est renforcé par les nouveaux programmes.

Et puis on a aussi une dimension d’éducation morale et citoyenne qui, là aussi, va intégrer, quand les enseignants sont bien formés, cette dimension qui n’est plus une dimension technique au sens strict, mais qui va permettre d’introduire ce que les profs de philo pourront relayer en seconde, en première dans les options et en terminale sur ces questions-là.

25’ 50

François Aubriot : On va reparler de la partie professeurs parce que c’est aussi quelque chose de très important parce que le numérique va extrêmement vite et je crois que le plus gros frein c’est notre capacité à évoluer aux changements, la résistance aux changements. Par contre cycle 3, enfin cycle 4, est-ce que ce n’est pas un peu tard pour, justement, sensibiliser les enfants ? Pour être intervenu dans des écoles primaires, quand on leur parle de cloud computing c’est : « Ah oui, papa, Facebook, etc. » Tu es dans un cadre, voilà. Mais ils vont vite et je pense que c’est vraiment sur le 2/3, c’est dès l’école primaire qu’il faudrait quand même commencer à leur inculquer cette notion de danger, comme on leur parle du danger en traversant la route avec la prévention routière, mais est-ce que justement, cycle 4, on n’est pas déjà un peu tard ?

François Bocquet : Alors j’ai insisté sur le cycle 4 parce que voilà !

François Aubriot : Ça fait partie du programme !

François Bocquet : Il y a dès le cycle 2, alors je pourrai vous donner les références pour qu’on puisse les mettre sur le site, il y a un prof formateur, enfin un enseignant du premier degré, formateur, qui s’appelle Frédéric Misery, en Ardèche, pas très loin d’ici, qui a fait un excellent document de synthèse et qui permet de voir la place des outils, services et des maîtrises autour de la question numérique, cycle 1, cycle 2, cycle 3. Et évidemment, dès le cycle 2, il y a des choses qui sont abordées à la fois y compris sur la question des traces. Le problème c’est qu’il faut quand même se remettre sur le développement psychologique de l’enfant. L’altérité, c’est-à-dire la notion de l’autre, n’apparaît qu’en fin de cycle 2. Quand les enfants ont sept/huit ans ils prennent conscience de façon efficace de l’autre et évidemment, on ne les amène pas à rentrer dans les logiques de réseaux sociaux, puisque je vous rappelle que même les conditions générales d’utilisation, au moins pour les Américains, en interdisent l’usage avant 13 ans – en France c’est avant 18 ans sauf si les parents décident que ça soit utilisé. Donc ces questions, on ne va certainement pas amener les enfants sur les réseaux sociaux quand ils sont trop jeunes, par contre, plus on avance, et c’est pour ça que j’ai parlé du cycle 4, c’est au moment de l’adolescence que se créent les opportunités, la nécessité de la compréhension avec, éventuellement, un certain nombre de risques associés.

Inculquer les dangers, c’est un gros débat qui est en permanence. Nous on préfère parler d’opportunités et d’enjeux et de maîtrise d’un certain nombre de comportements plutôt que d’éduquer aux dangers parce que là on risque d’aller complètement à l’inverse de ce qu’on veut faire et d’inciter. Vous savez que l’adolescence c’est l’époque où on cherche à se confronter aux dangers et aux limites, donc afficher le danger, le danger, le danger, c’est le meilleur moyen pour amener les ados à aller vers ce genre de choses.

François Aubriot : François peut-être, parce que ça fait quelque temps que tu fais de l’informatique ; on va arrêter le numérique donc l’informatique, ou du numérique, mais est-ce que, par rapport aux générations auxquelles tu as été confronté il y quinze ans ou vingt ans et maintenant ceux qui arrivent, tu as noté un changement du fait de l’éducation, justement ? Ou ça reste encore dur même avec les grands, on va dire ?

François Elie : Il y a trois changements que j’ai observés. Il y a un premier changement mais qui ne tient pas du tout à l’informatique ou au numérique, qui tient à l’enseignement des mathématiques dans l’école. Moi j’appartiens à la génération Lichnerowicz, maths modernes. J’ai fait de la théorie des ensembles en sixième, j’ai fait les structures en lycée. À l’époque, quand on passait le bac C, il y avait trois bouquins de maths ; aujourd’hui il y en a un tout petit. Et donc il y a un changement majeur en termes de savoirs formels. C’est-à-dire qu’on fait des maths appliquées aujourd’hui et donc la génération geek, c’était la génération des maths modernes, des gens qui ont fait de la logique formelle, des gens qui ont baigné dedans. Et donc il y a premier écueil qui tient au type de mathématiques qu’on enseigne en France et sur lequel il faudra revenir parce que ça n’intéresse plus les gamins. Nous, on était fascinés par des mathématiques qui ne servaient à rien et il faudrait peut-être qu’on revienne à ça. Ça c’est la première chose.

La deuxième chose c’est effectivement la massification de l’usage. Tous les gamins ont maintenant un smartphone dès le collège et donc on est toujours en retard d’un train. Si on veut suivre les usages en termes d’équipement on est toujours en retard d’un train et on a l’impression qu’il faut courir après alors qu’il faut faire autre chose.

Et puis il y a un troisième changement, et là ça touche le logiciel libre. C’est le changement de l’ambiance générale de l’informatique chez les décideurs. Aujourd’hui, les gens qui ont été formés à Unix sont en train de partir à la retraite et on n’a aujourd’hui que des DSI qui n’ont connu que de l’informatique familiale. Vous savez la petite boîte américaine qui aujourd’hui passe des accords avec l’Éducation nationale. Enfin disons qu’ils ont du mal à comprendre que, par exemple GNU/Linux, c’est de l’UNIX libre, parce qu’on n’a plus les interlocuteurs qui ont fait de l’informatique solide dans leur formation. Et ce sont des changements majeurs. En termes politiques ça se traduit par que le fait que les politiques, principalement, ne savent plus de quoi il s’agit. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si on utilise le mot numérique. Le mot numérique ça arrange tout le monde parce que « ne vous inquiétez pas, il y a des gens qui vont s’en occuper. Vous, vous aurez uniquement la communication à faire. »

François Aubriot : Les experts.

François Elie : Les experts, c’est ça.

François Aubriot : Peut-être sur le point plutôt du professeur parce que là on a encore une inertie qui est, j’allais dire, autant on en a des très volontaires, très impliqués dans les écoles – et là je pense plus aux écoles primaires – autant on en voit aussi qui déjà doivent faire leurs trente-deux heures cinquante et ne vont pas passer plus de temps dans l’école. Et là ce sont souvent les parents d’élèves qui s’impliquent, dans les écoles primaires, pour faire en sorte que ça puisse fonctionner, parce que forcément on n’a pas non plus du logiciel libre et du Linux de partout. Est-ce que c’est envisagé ? Comment, au niveau d’une collectivité, l’accompagnement du professeur ? Parce que la collectivité, au final, elle paye le matériel et puis faites-en entre guillemets « ce que vous voulez », bien ou mal d’ailleurs. Mais c’est vrai qu’elle n’a pas de droit de regard parce que ça c’est le ministère qui le fait. Mais est-ce que, justement, la collectivité n’aurait pas plutôt intérêt à investir un peu plus ? On a eu la réforme des rythmes scolaires avec des gros investissements humains, etc. Est-ce que ce ne serait pas aussi un moyen d’essayer d’aider, alors pas forcément l’Éducation nationale, mais d’aider justement les professeurs à plus appréhender, utiliser peut-être et ouvrir ?

Sami Kefi Jerome : La formation des professeurs c’est le pré carré du ministère et des directions académiques. Donc ce qu’on fait c’est qu’on travaille en bonne intelligence avec eux et que, dans le cadre du plan numérique, il y a forcément, dès lors qu’il y a dotation, il y a accompagnement en formation. On a mis à la fois à disposition le matériel, on a mis à disposition des espaces numériques de travail et c’est forcément couplé à de la formation. On le voit : en effet, ces plans numériques où vous mettez plein d’ordinateurs ou des tablettes ou des vidéoprojecteurs dans des classes, qui restent au fond parce que personne ne sait les utiliser ; où dès qu’il y a une panne, tu parlais des directions de services informatiques, sur Saint-Étienne métropole, on avait pour 4000 postes, deux personnes pour la maintenance. 4000 postes sur 43 communes. Donc quel que soit l’investissement des professeurs, derrière aussi, il y a besoin d’assurer cela. Ce sont toutes ces considérations qu’on doit prendre en compte.

Ensuite, je pense que sur cette réforme des rythmes ou même sur l’aspect global, les enfants, sur une année, ne passent que 10 % de leur temps de vie en classe. 90 % du temps restant c’est le sommeil, forcément, et la famille. Donc soit on continue à charger l’école de tous les maux et à demander à tout : on parlait de l’éducation à la sécurité routière, on éduque aux problèmes de dos, on éduque à l’alimentation, maintenant on nous demande d’éduquer aux dangers, enfin il y a une inflation des demandes sur tout ce qui doit être fait et forcément au détriment des savoirs fondamentaux, dont on parlait tout à l’heure, qui restent une base suffisamment forte pour ensuite s’investir et se spécialiser dans autre chose.

Il y a vraiment peut-être une révolution à opérer, entre nous, et je pense que dans la communauté du Libre c’est quelque chose qui existe, c’est-à-dire cette notion de communauté. On parle de communauté éducative, mais moi je parle plutôt de communauté des adultes. On a une responsabilité en tant qu’adultes en disant qu’est-ce qu’on veut transmettre ? Et qu’est-ce qu’on veut permettre aux enfants, qui doivent rester des enfants, de devenir plus tard ? Et en tant que collectivité, là en effet on a un levier sur, j’ai dit tout à l’heure sur la formation des enseignants, mais aussi, peut-être, sur la formation des parents. Parce que quelle que soit la qualité du travail qui serait fait en classe et je pense que si on mettait les profs d’aujourd’hui avec les enfants d’il y a trente ans, ça dépoterait ! Donc ce ne sont pas les profs qui sont moins bons, c’est simplement que, comme je vous l’ai dit, quand vous passez 90 % de votre temps en dehors du temps scolaire ; que sur ce temps je ne sais pas combien est pris par les écrans eh bien de fait, si, dans le cadre familial, il n’y a pas d’accompagnement et une politique familiale forte des pouvoirs publics pour dire voilà ce qu’il faut faire pour être informé. Parce que les parents ne pensent pas à mal en disant « j’apporte de la modernité à mon enfant ». Mais au final c’est comme tout à l’heure, c’est comme s’ils donnaient une voiture à un enfant en disant « eh bien tiens c’est moderne, conduis-la tu seras dans l’air du temps ! » Alors que ça peut être dangereux.

Nous on fait déjà, grâce au partenariat fort qu’on a dans la Loire avec la direction académique, l’accompagnement des professeurs, mais je pense que la clef est vraiment sur le volet familial.

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François Aubriot : Alors le volet familial,