Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 20 avril 2021

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 20 avril 2021 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Véronique Bonnet - Jean-Christophe Becquet - à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 20 avril 2021

Durée : 1 h 30 min

[ Podcast Provisoire]

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Isabella Vanni : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Libre-entreprise, le réseau d’entreprises du logiciel libre qui partagent les mêmes valeurs et modes de fonctionnement, basés sur la démocratie d’entreprise, la transparence et la compétence. C’est le sujet principal de l’émission du jour, avec également au programme la chronique de « Pépites libres « Jean-Christophe Becquet, vice-président sur le thème « Comment le design libre change notre rapport aux objets » à travers l’expérience de l’association grenobloise Entropie. Et aussi également la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et présidente de l’April, sur le thème « Le logiciel des fusées doit-il être entièrement libre ?, logiciel libres et matériels ». Nous allons parler de tout cela dan l’émission du jour.

[Jingle]

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Isabella Vanni, coordinatrice vis associative et responsable projets à l’April.

Le site web de l’April est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes le 20 avril 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu  : Salut Isa.

Isabella Vanni : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Virgule musicale]

Chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet sur le thème « Comment le design libre change notre rapport aux objets à travers l'expérience de l’association grenobloise Entropie

Isabella Vanni : Nous allons commencer par la chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April.
Texte, image, vidéo ou base de données sélectionnée pour son intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile. Chaque mois, Jean-Christophe Becquet nous présente une ressource sous une licence libre. Les auteurs de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur les libertés à accorder à leur public, parfois avec la complicité du chroniqueur. C’est la chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April, qui nous parlera aujourd’hui de design libre et de comment il change nos rapports aux objets à travers l’expérience de l’association grenobloise Entropie.
Je laisse la parole à Jean-Christophe.

Jean-Christophe Becquet : Bonjour Isabella. Bonjour à tous. Bonjour à toutes.
Entropie est une association grenobloise fondée en 2008 par Christophe André et Gabrielle Boulanger autour du design libre. Elle propose un accompagnement pour la conception et la réalisation d’objets. Il peut s'agir d'objets du quotidien tels que des tables, des chaises et d'autres mobiliers, une remorque à vélo, des outils de jardinage ou une ruche pour un apiculteur. Mais aussi d'objets plus techniques comme Ulog, un four solaire qui atteint une température de 110 degrés ou encore une mini-éolienne dont les pales sont découpées dans des bouteilles en plastique usagées. Chaque réalisation de l’association Entropie s'accompagne de l'édition de notices pédagogiques permettant à chacun de reconstruire, de modifier et même de commercialiser l'objet. Ces notices sont vues par Entropie comme le code source de l'objet. Elles sont disponibles en téléchargement sous licence libre sur le site web de l'association.

Au cours d'une riche conférence que l'on peut également retrouver en ligne, Christophe André détaille le contexte et les objectifs de l'association. Il se réfère explicitement au logiciel libre : « C'est une volonté de pouvoir se réapproprier nos propres objets dans la dynamique du Libre, c'est à dire la libre circulation des idées ». Les valeurs qui l'animent rejoignent très clairement celles défendues par l'April. « Tous les objets que nous développons font l’objet d’une documentation qui est diffusée librement pour que d’autres personnes puissent se l’approprier. Nous faisons le pari de créer d’autres modes de production basés sur l’entraide, la collaboration et la libre circulation des connaissances ». Christophe poursuit : « Un des points qui me dérange le plus dans le rapport que l’on entretient avec les objets, c’est l’abstraction quasi totale qui le caractérise. Par abstraction, j’entends le fait que la plupart du temps on ne sait pas par qui, dans quelles conditions, avec quel type de matériau et à quel endroit sont réalisés les objets ni comment ils fonctionnent précisément ». À travers le design libre, « Le citoyen devient alors un "prosommateur", c’est-à-dire un individu qui prend part à ce qu’il va consommer ». En reprenant le contrôle, l'utilisateur sera également plus à même de contrecarrer l’obsolescence programmée des objets.
Comme pour le logiciel libre, il ne s'agit donc pas simplement de développer des objets d'une manière plus efficace mais bien de remettre en question les relations que nous entretenons avec nos semblables et avec notre environnement. Le design libre interroge notre rapport au travail, à la technique, à la culture et à l'économie ; bref, notre vision de la société.

Chacun peut donc télécharger les notices, les ré-utiliser, les adapter et les partager à son tour selon les termes de la licence Art Libre.
Entropie propose aussi des ateliers permettant d'être accompagné dans toutes les étapes de la conception à la réalisation de l'objet. Elle organise des rencontres et des formations autour du bricolage. Elle propage le message du design libre dans les collèges, les lycées, des écoles de design ou des centres d'art ou des rencontres de fablabs comme l'Open Bidouille Camp.

On dit souvent que le logiciel libre est une utopie qui a réussi. Entropie se revendique de cette utopie et lui donne corps d'une manière éminemment concrète. C'est original, c'est visionnaire, c'est utile et délicieusement subversif.

Isabella Vanni : Merci beaucoup Jean-Christophe. Super intéressant le travail que fait cette association. Moi-même je m’interroge à chaque fois sur les objets, je me dis qu’on ne se pose jamais assez de questions sur leur origine, qui les fabrique, comment ils sont faits. Donc vraiment très bien venue cette chronique.
Je te remercie encore. Je te souhaite une très bonne journée et à très bientôt avec la prochaine pépite.

Jean-Christophe Becquet : Bonne journée également. Bonne fin d’émission et au mois prochain.

Isabella Vanni : Nous allons maintenant faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Isabella Vanni : Nous allons écouter « Les douaniers », da wizman & ministère industrie remix par Dj rockin' davduf and his digital musicmotor. À l’origine de ce morceau, le message « ??? téléchargement » prononcé par le journaliste Ariel Wizman fin 2004. « Que l’artiste s’amuse bien à remixer ! ».
On se retrouve juste après Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : « Les douaniers », da wizman & ministère industrie remix par Dj rockin' davduf and his digital musicmotor.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Isabella Vanni : Nous venons d’écouter « Les douaniers », da wizman & ministère industrie remix par Dj rockin' davduf and his digital musicmotor, disponible sous licence libre Creative Commons partage dans les mêmes conditions, CC By Sa 2.0. Cette licence permet la réutilisation, la modification, la diffusion, le partage de cette musique pour toute utilisation y compris commerciale, à condition de créditer l’artiste, d’indiquer la licence et d’indiquer si des modifications ont été effectuées. Dans le cas où vous créez du matériel utilisant cette musique, vous devez diffuser votre œuvre modifiée dans les mêmes conditions c’est-à-dire avec la même licence. Vous retrouverez les références sur causecommune.fm et sur april.org.

[Jingle]

Isabella Vanni : Passons maintenant au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Isabella Vanni : Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui porte sur Libre-entreprise, un réseau d’entreprises du logiciel libre à taille humaine partageant toutes les mêmes valeurs et modes de fonctionnement basés sur la démocratie d’entreprise, la transparence et la compétence. Il s’agit d’une rediffusion de notre sujet long diffusé le 13 octobre 2020. Mon collègue Frédéric Couchet y échangeait avec Jean Couteau de Code Lutin et Catherine Heintz de Néréide. Je vous laisse en leur compagnie. On se retrouve juste après dans une cinquantaine de minutes en direct sur Cause Commune, la voix des possibles.

[Virgule sonore]

Le Réseau Libre-entreprise avec Catherine Heintz de Néréide et Jean Couteau de Code Lutin

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur le réseau Libre-entreprise qui regroupe des entreprises du logiciel libre qui partagent un certain nombre de valeurs et de méthodes de fonctionnement.
Avec nous au téléphone deux invités : Catherine Heintz. Vérifions qu’elle est bien présente. Bonjour Catherine.

Catherine Heintz : Bonjour.

Frédéric Couchet : Et Jean Couteau. Jean, est-ce que tu es avec nous ?

Jean Couteau : Bonjour. Je suis bien là.

Frédéric Couchet : Très bien. Comme vous êtes tous les deux au téléphone, quand vous voulez intervenir n’hésitez pas à le dire parce que comme je ne vous vois pas, je ne peux pas répartir la parole de la façon habituelle.
Nous allons parler de Libre-entreprise, on en a déjà parlé dans une précédente émission, là on va l’aborder avec deux nouvelles entreprises, Néréide et Code Lutin. Déjà une première question toute simple, une présentation individuelle : qui êtes-vous et quelques mots de présentation de vos deux structures d’un point de vue métier logiciel libre ? On va commencer par Catherine Heintz.

Catherine Heintz : C’est gentil. Je suis chez Néréide depuis sa création. On a créé Néréide en 2004 et je m’occupe de tout ce qui touche à la gestion, donc toute la paperasserie que ce soit comptable, administratif, fiscal.
Après, pour ce qui est de Néréide, on est une équipe de 12 salariés, on partage évidemment tous des valeurs très fortes qui sont liées au logiciel libre, c’est-à-dire la transparence, le partage et même notre fonctionnement qui s’apparente un peu à la méthode agile. Notre métier c’est de bâtir des solutions de gestion pour les entreprises en intégrant l’ERP [Enterprise Resource Planning] donc Apache OFBiz et notre objectif, bien sûr, c’est d’apporter à ces sociétés une facilité, une simplicité d’usage, tout en restant efficaces, performantes et en leur permettant de développer leur activité métier.

Frédéric Couchet : D’accord. Merci. Et de ton côté Jean Couteau ?

Jean Couteau : Ça fait 12 ans que je suis chez Code Lutin. Je m’occupe du commercial et je fais aussi du développement logiciel à côté.
Du côté de Code Lutin, nous sommes une entreprise d’experts en développement Java et JavaScript. On fait du développement sur mesure pour nos clients, sur une base de briques de logiciels libres. On travaille avec différents secteurs : la recherche, la banque, des télévisions connectées, des ministères. En fait, on incite nos clients à ce que tout ce qu’on développe soit publié sous licence libre. Ça fonctionne plutôt pas si mal avec des laboratoires de recherche ; avec nos clients privés ou les ministères, c’est assez variable, il y en a qui jouent le jeu, d’autres beaucoup moins, mais on milite.

Frédéric Couchet : D’accord. De toute façon on aura l’occasion de revenir là-dessus dans le cours de la discussion.
On va parler du réseau Libre-entreprise. Déjà question introductive, après on détaillera évidemment : comment vous présentez le réseau Libre-entreprise quand il vous arrive, peut-être, d’en parler autour de vous et quels sont les grands principes partagés au sein de ce réseau et qu’on détaillera par la suite ? Qui veut commencer ?

Jean Couteau : Je vais commencer, c’est Jean. En général, quand on nous pose la question et qu’on parle du réseau Libre-entreprise, on le présente comme des entreprises, des sociétés de service en logiciel libre, qu’on a essayé de regrouper parce qu’elles partagent, en fait, un mode de fonctionnement qui est similaire, Catherine en a parlé rapidement tout à l’heure, qui est, en gros, le mode de fonctionnement des communautés du logiciel libre, qui est donc étendu à l’intérieur des structures. Ça se rapproche de l’agilité et surtout de la démocratie d’entreprise. De là découle tout un lot de valeurs qu’on a regroupées dans une charte qui est présente sur notre site libre-entreprise.org.

Frédéric Couchet : D’accord. Catherine, est-ce que tu veux compléter ?

Catherine Heintz : Effectivement la démocratie d’entreprise, c’est vraiment ce qui nous rapproche et qui se résume déjà à un homme = une voix. C’est effectivement ce qui est important pour nous tous.

Frédéric Couchet : D’accord. Je vais préciser qu‘on a déjà parlé de l’agilité dans une émission Libre à vous ! avec Alexis Monville ; vous retrouverez le podcast sur causecommune.fm et sur april.org.
Avant de rentrer un petit peu dans le détail de cette charte, il y a combien d’entreprises membres actuellement et depuis quand le réseau existe-t-il ?

Catherine Heintz : On regroupe une quinzaine d’entreprises. De mémoire, on a essayé de réfléchir avec Jean, on pense que la création du réseau c’était 2002.

Frédéric Couchet : Je confirme. J’ai vérifié avant. L’annonce, notamment par Emmanuel Raviart d’Easter-eggs, date effectivement de 2002. On va préciser que c’est présent en France et en Belgique, c’est-à-dire principalement en France, mais il y a aussi des entreprises en Belgique. C’est ça ?

Jean Couteau : Exactement.

Frédéric Couchet : D’accord. Pour l’instant, pas d’organisations en dehors. Il n’y avait pas, à un moment, une entreprise au Québec ou quelque chose comme ça ?

Catherine Heintz : Oui.

Jean Couteau : Exactement.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc une quinzaine d’entreprises en France et en Belgique. La base c’est une charte. Évidemment, vous la retrouvez sur le site du réseau, on va le citer, libre-entreprise.org, et dans cette charte, le premier mot, en tout cas l’un des premiers qui est sorti, c’est le mot de démocratie, donc une personne, une voix. On va peut-être commencer par cette fameuse notion de prise de décision, donc prise de décision c’est par consensus de l’ensemble des personnes participantes ou, à défaut, le principe un homme, une voix. Comment fonctionne, concrètement, ce principe de prise de décision ?

Jean Couteau : En fait, le fonctionnement de prise de décision chez nous, en tout cas chez Code Lutin, part tout le temps d’une discussion entre nous. Il faut savoir que nous on fait des points une fois par semaine où on est en équipe tous ensemble. À ces réunions tout le monde propose les sujets qu’il a envie d’aborder. Ça peut être des sujets techniques, ça peut être des sujets sur la gestion de l’entreprise, il y a du commercial. On aborde un peu tous les sujets et tout le monde peut s’exprimer, prendre la parole pour donner son avis et ensuite, en fonction des sujets, soit on a un consensus, soit on a besoin de passer au vote. Des fois, sur des sujets un peu plus clivants, on a besoin de voter et, dans ce cas-là, c’est effectivement une personne, une voix pour prendre nos décisions. En fonction des sujets, si c’est vraiment un sujet qui a trait au juridique de l’entreprise, là on a les critères de vote d’assemblée générale qui sont en vigueur, donc souvent c’est aux deux tiers des voix, sinon c’est à la majorité.
Je sais que chez Néréide il y a un fonctionnement qui est un petit peu différent.

Frédéric Couchet : D’accord. Justement, Catherine, là c’est le fonctionnement de Code Lutin. Quel est le fonctionnement côté Néréide ?

Catherine Heintz : On est d’accord que c’est le fonctionnement qu’on utilise actuellement, en 15 ans, évidemment, on a beaucoup évolué par les personnes qui composent la société. Là je parle de ce que l’on vit en ce moment.
On a un rythme de réunion tous les quinze jours un après-midi. Pareil, nos réunions ont aussi beaucoup évolué, on a changé pas mal de choses. En termes de décision, là où on a évolué, c’est que maintenant on est plutôt vers le consentement, c’est-à-dire qu’on n’est pas forcément sur la solution idéale que la majorité aurait souhaitée, mais on essaye de trouver un équilibre qui, finalement, ça ne va pas contenter tout le monde mais personne n’aura d’opposition. C’est plutôt comme ça que l’on est en train de fonctionner pour l’instant. C’est un système de consentement plutôt qu’un vote par un pourcentage ou autre.

Frédéric Couchet : En fait, il ne faut pas qu’il y ait une opposition forte qui soit exprimée, c’est un petit peu cette idée ? C’est ça ?

Catherine Heintz : Tout à fait. On est attentifs à ce qu’il n’y ait pas d’opposition, mais ça veut dire, effectivement, que la solution proposée n’est pas forcément celle que la majorité aurait souhaitée, mais la proposition qui va finalement être adoptée ou l’attitude ou l’étape qu’on va franchir sera celle où personne n’aura d’opposition.

Frédéric Couchet : D’accord. On va peut-être préciser aussi le rôle, j’aurais peut-être pu commencer par là, de ces prises de décision. Dans le réseau Libre-entreprise, si j’ai bien compris, le point fondamental c’est que ce sont les personnes qui composent la société qui la gouvernent. C’est pour ça qu’elles sont impliquées dans ces prises de décision et que l’ensemble de ces personnes peut participer à cette prise de décision alors que dans des sociétés, on va dire autres, souvent la décision dépend du ou de la responsable ou de la direction. Donc c’est vraiment cette notion de personnes qui composent la société qui gouvernent cette société. C’est bien ça ?

Jean Couteau : Exactement.

Catherine Heintz : Tout à fait.

Frédéric Couchet : D’accord. Après je vous poserai aussi la question sur la prise de décision au sein du réseau parce que là c’est au sein de deux structures, je ne sais pas s’il y a aussi des prises de décision au sein du réseau mais ce sera ma question d'après. Il y a déjà une décision qui doit être prise assez régulièrement dans les entreprises, c’est le choix de la personne représentante légale, chaque année ; c’est un peu particulier parce que ça fait des responsabilités différentes, on va dire. Comment ça marche, chez vous, ce choix de la personne représentante légale chaque année ? Est-ce que c’est une personne, est-ce qu’il y a un vote, est-ce qu’il y a plusieurs personnes, est-ce que c’est collégial ? On va commencer par Code Lutin, Jean Couteau.

Jean Couteau : Chez nous, on fait une élection tous les ans où on choisit parmi les personnes salariées qui décident de se présenter, en fait, laquelle va nous représenter. C’est ma collègue Cécilia qui nous représente actuellement. Chez nous, pour nous, le représentant légal est juste, entre guillemets, « un prête-nom », il n’a aucune responsabilité. Comme on le disait tout à l’heure, les décisions sont prises tous ensemble. Le représentant légal peut être « démis » de ses fonctions, entre guillemets, par l’assemblée des salariés. À part une signature et éventuellement, en cas de litige très important où il y a des responsabilités pénales qui pourraient être en jeu, il ne prend pas les décisions, il n’a pas de pouvoir hiérarchique sur les autres puisqu’il peut être démis par l’ensemble des salariés. Pour nous, c’est juste quelqu’un qui va apposer sa signature.

Frédéric Couchet : D’accord. Et côté Néréide, est-ce que c’est la même chose ou est-ce que c’est différent ?

Catherine Heintz : C’est très proche. Sachant que depuis quelques années on fonctionne, en fait, avec un binôme donc une cogérance qui est présente pour deux ans et c’est deux ans glissants, c’est-à-dire que tous les ans il y a une personne qui finit son mandat de deux ans et une autre personne démarre, ce qui fait qu’il y a toujours une personne qui, on va dire, a déjà fait un an, qui accompagne celle qui démarre. Au niveau responsabilité, il n’y a effectivement aucun enjeu particulier, c’est vraiment une signature qui entérine une décision d’équipe.

Frédéric Couchet : D’accord. Dans la partie démocratie, au-delà de la prise de décision, il y a un point qui est dans votre charte, si je me souviens bien, en tout cas dans l’organisation de la plupart de vos sociétés, c’est que le capital doit être détenu par les personnes. Est-ce que c’est le cas dans vos structures et comment ça fonctionne concrètement que le capital soit détenu par les personnes, donc, à priori, les personnes salariées de l’entreprise ? Jean.

Jean Couteau : Va-y Catherine.

Catherine Heintz : Effectivement, ça fait partie des choses qui font partie aussi du contrat de travail de préciser qu’on souhaite que la personne, si elle adhère à nos valeurs, au bout d’une année de présence en tant que salariée, intègre la société en prenant une part, ce qui fait qu’actuellement nous avons un nombre de parts qui correspond au nombre de salariés puisque tous les salariés ont plus d’un an de boîte. Quand la personne part, évidemment, elle vend ses parts.

Frédéric Couchet : Elle rend ses parts. D’accord. Et côté Code Lutin, Jean ?

Jean Couteau : Chez nous le fonctionnement est similaire. On est actuellement 20, mais on n’est que 18 à avoir des parts puisque les deux derniers arrivés n’ont pas encore un an d’ancienneté. On est exactement sur le même principe. Chez nous, c’est 50 parts et pas une parce qu’on a des structures juridiques qui sont un peu différentes, on ne va pas rentrer dans les détails. On est exactement sur le même principe : quand la personne part elle revend ses parts. Ça n’a pas toujours été le cas chez nous, chez Code Lutin, mais on a réussi, au fil du temps, à revenir à ce qu’on souhaitait. Tout le monde a un nombre de parts, c’est un peu différent par rapport à Néréide, qui correspond au temps de travail. Ce qui fait qu’on a 50 parts pour un temps plein, si on est à 80 % on a 40 parts, etc. On régule comme ça.

Frédéric Couchet : D’accord. OK. Je crois que sur le site de Libre-entreprise est marquée la notion de taille humaine. Est-ce que vous savez à peu près quelle est la moyenne, en tout cas combien de personnes salariées sont dans les entreprises du réseau ? Est-ce que c’est une dizaine, une vingtaine, une centaine ? Vous-mêmes, d’ailleurs, combien êtes-vous dans chacune de vos structures ?

Jean Couteau : Chez Code Lutin on est 20. Chez Néréide, tout à l’heure tu as dit 12, je crois, c’est ça ?

Catherine Heintz : Oui.

Jean Couteau : Je pense qu’on n’est pas au-dessus de 20 ; dans toutes les structures de Libre-entreprise on est entre 1 et 20.

Frédéric Couchet : D’accord. D’ailleurs c’est peut-être une question ultérieure quand on parlera de l’arrivée potentielle de nouvelles entreprises : est-ce que cette taille humaine relativement réduite fait partie, quelque part, pas de la charte en tout cas du mode d’organisation de Libre-entreprise ?
Avant ça, je voudrais parler un petit peu du recrutement parce qu’il y a aussi des spécificités dans le réseau au niveau du recrutement. Déjà une première question : est-ce que le mode de fonctionnement très spécifique du réseau Libre-entreprise est une motivation pour le recrutement de personnes ? C’est-à-dire est-ce qu’il y a des gens qui vous contactent non pas avant tout pour travailler dans le logiciel libre, mais pour travailler dans le logiciel libre et travailler dans le réseau Libre-entreprise, en tout cas dans une des entreprises du réseau Libre-entreprise ? Est-ce que vous avez ce genre de motivation ?

Jean Couteau : Souvent les gens qui nous contactent pour notre mode de fonctionnement, en tout cas nous, Code Lutin, n’ont pas forcément entendu parler de Libre-entreprise avant. On communique aussi sur notre mode de fonctionnement, on a donné des conférences là-dessus, notamment à Nantes où on est situé, on échange dans le réseau des développeurs et souvent les gens viennent pour notre mode de fonctionnement effectivement, enfin souvent, on a des personnes qui viennent pour ça, mais qui ne connaissent pas forcément Libre-entreprise avant. C’est à ce moment-là qu’on va leur expliquer plus dans le détail tout ce que ça implique, etc. Mais oui, ils viennent pour le mode de fonctionnement.

Frédéric Couchet : D’accord. Et côté Néréide, vous êtes à Tours si je me souviens bien ?

Catherine Heintz : Oui, c’est ça, à Tours. Je dirais la même chose. Les gens viennent soit parce que l’annonce, qui est un peu différente de celle des autres, leur a tapé dans l’œil, ils sont allés voir le site, mais ce n’est pas par le prisme de Libre-entreprise qu’ils vont venir. Par contre, clairement quand il va y avoir la phase de recrutement, on va leur faire découvrir, on va parler de Libre-entreprise, on va parler de la charte, puisque ça fait partie des choses qu’ils auront à accepter, à signer s’ils souhaitent venir participer à l’entreprise.

Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce que vous avez eu le cas de quelqu’un, une personne candidate très compétente et qui, d’un point de vue technique, correspondait parfaitement au profil de poste recherché, mais à qui, finalement, rejoindre une structure avec ce mode de fonctionnement ne correspondait pas ? Qui dirait finalement ça ne me correspond pas, prise de décision, etc. Est-ce que vous avez déjà eu ce cas ou pas du tout ?

Catherine Heintz : Je pense que ça va se ressentir de toute façon parce qu’on a effectivement, avec Jean, des modes de recrutement différents, mais on se rejoint quand même. Nous, par exemple en ce moment, toujours pareil, chaque recrutement évolue au fil des années, on accueille les personnes qui souhaitent nous rejoindre avec le grand groupe, on les prévient à l’avance. L’ensemble des gens de l’équipe qui veulent rencontrer la nouvelle personne est là, on échange et, après, le ressenti de l’équipe est important : soit ça a collé, soit ça n’a pas collé. On aura aussi ressenti, nous, une difficulté à travailler avec cette personne si la réticence se fait sentir.

Frédéric Couchet : D’accord. Ça veut dire qu’en fait, dans ce genre d’organisation, pour les recrutements on ne rencontre pas une personne, mais on rencontre toute l‘équipe quelque part, finalement toutes les personnes qui veulent participer au recrutement de la nouvelle personne qui va vous rejoindre ?

Catherine Heintz : Tout à fait.

Frédéric Couchet : Et côté Code Lutin c’est le même fonctionnement ?

Jean Couteau : Nous, on ne fait pas un rendez-vous avec tout le monde, on le fait par binôme ou trinôme, on est à deux-trois personnes. On a un premier entretien, ensuite on en a un deuxième et souvent ce ne sont jamais les mêmes personnes Ensuite, s’il y a besoin, un troisième et un quatrième entretien parce qu’il y a d’autres personnes qui veulent rencontrer la personne ; on organise trois, quatre entretiens s’il y a besoin. On s’est rendu compte qu’avec deux voire trois entretiens en général on arrive à balayer un peu toutes les interrogations qu’on aurait pu avoir. On arrive à faire des recrutements dont on est plutôt contents, dont on est même très contents.
Par contre, on a effectivement déjà eu des cas de personnes qu’on a recrutées, qui ne se faisaient pas à notre mode de fonctionnement et qui sont reparties.

Frédéric Couchet : Après coup tu veux dire. C’est-à-dire qu’avec l’expérience elles se sont rendu compte que ça ne leur correspondait pas. C’est ça ?

Jean Couteau : Voilà. Une personne s’est décelée pendant la période d’essai et s’est rendu compte que ça ne le faisait pas, elle n’était pas à l’aise. Techniquement très compétente, rien à dire, au niveau humain ça se passait très bien, par contre au niveau de la gestion, de la prise de décision, ça ne collait pas. Du coup, elle est partie. On a une personne qui a mis un an avant de s’en rendre compte. C’est un mode de fonctionnement qui convient à certaines personnes et pas à d’autres. Il faut juste qu’il y ait une bonne compatibilité entre les gens, ensuite ça fonctionne très bien sur le long terme et les gens restent très longtemps dans nos structures.

Frédéric Couchet : Justement, ça me fait penser à deux questions. Je vais commencer par la première. Je ne sais pas si c’est dans la charte de toutes les entreprises du réseau, mais je crois que la plupart pratiquent le salaire égal. Déjà est-ce que c’est dans la charte ou pas ? Pourquoi le salaire égal et est-ce que ça peut être un frein pour des recrutements ? Déjà, pourquoi le salaire égal pratiqué, je crois, dans la majeure partie des entreprises du réseau ?

Jean Couteau : Ce n’est pas dans la charte. Je ne la connais par cœur, sur le bout des doigts, mais pour moi ce n’est pas dans la charte.
Effectivement, pour la totalité ou quasi-totalité des entreprises du réseau, on fonctionne de la même manière. L’idée c’est vraiment de dire que toutes les personnes qui contribuent à l’entreprise se donnent, en gros, à 100 % de leurs capacités et, du coup, on valorise l’effort et pas une ancienneté ou quelque chose d’autre. Tout le monde met 100 % de son effort, donc on ne voit pas pourquoi il y en a qui auraient 110 % d’une rémunération et d’autres 90 %. En tout cas chez nous, les gens qui travaillent 80 % sont payés à 80 %, ceux qui travaillent 100 % sont payés à 100 %.

Frédéric Couchet : D’accord. Et côté Néréide c’est le même fonctionnement ?

Catherine Heintz : Oui, c’est pareil. C’est vrai que c’est un ensemble de compétences qui fait que la société arrive à fournir un travail et c’est ensemble qu’on arrive à rentabiliser nos entreprises. Donc chez Code Lutin et chez nous, effectivement, c’est bien la rentabilité de nos entreprises qui fait qu’à la fin de l’année on arrive à avoir des reversements de bénéfices. Dans le fonctionnement annuel, vraiment, les efforts sont partagés.

Frédéric Couchet : D’accord. Je précise effectivement que ce n’est pas dans la charte, je viens de vérifier.

Catherine Heintz : Je l’avais regardée en diagonale.

Frédéric Couchet : Je pense que toutes les entreprises du réseau que je connais le pratiquent, notamment Easter-eggs, nos amis d’Easter-eggs qui nous hébergent sur Paris. Avant de faire la pause musicale j’avais une dernière question sur cette partie on va dire recrutement, personnes salariées.
Souvent, dans les entreprises, il y a ce qu’on appelle les entretiens annuels d’évaluation, etc. Est-ce que dans ce genre de structure où, finalement, tout le monde est à égalité, est-ce qu’il y a des évaluations qui sont faites ? Ou pas du tout ? De façon individuelle j’entends.

Jean Couteau : Oui. Chez nous, chez Code Lutin, on n’appelle pas ça des évaluations individuelles mais des entretiens individuels. C’est Yannick, chez nous, qui fait passer les entretiens de tout le monde. C’est aussi une manière, pour nous, de voir les souhaits de formation de chacun, s’il y a besoin, et que ça n’a pas été exprimé. Il faut voir aussi que certaines personnes, des fois, ont plus de mal à s’exprimer en grand groupe et ne vont pas forcément souhaiter aborder certains sujets en réunion. C’est dommage, des fois on pourrait le déplorer, mais l’entretien annuel, chez nous, permet justement d’aborder éventuellement ces sujets-là de manière peut-être un peu plus anonyme parce que, des fois, ce sont des sujets qui tiennent à cœur et on a du mal à les sortir. Du coup, ça pourra ressortir ensuite en grand groupe via Yannick qui fait tous les entretiens annuels de tout le monde.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc c’est effectivement une façon de compenser le fait que certaines personnes n’osent pas s’exprimer dans des grands groupes. Le problème des grands groupes, c’est que, souvent, ce sont ceux qui parlent le plus qu’on entend le plus, en fait, quelque part.
Cet entretien est fait par la personne qui est gérante ou ça peut être fait par une autre personne ?

Jean Couteau : Chez nous, Yannick Martel était le président avant, c’est toujours lui qui les fait. Déjà c’était son souhait, c’est quelque chose qu’il aime bien faire et chez nous c’est plutôt lui qui gère la RH, donc même pour les recrutements souvent c’est lui qui fait les premiers entretiens, donc il a l’habitude de faire ces entretiens-là. Ça permet aussi d’avoir une continuité dans le temps même si le responsable ou la responsable légale change, on a une continuité dans le temps de la personne qui fait passer les entretiens. Ça permet de voir l’évolution d’une année sur l’autre du ressenti des personnes puisque c’est important, de l’état d’esprit des gens, etc.

Frédéric Couchet : D’accord. Et côté Néréide, comment ça se passe ? Est-ce que vous avez ce genre de chose ou pas du tout ?

Catherine Heintz : Non. On est plutôt pas bons là-dessus, non pas par un souhait mais parce qu’on ne sait pas trop comment le mettre en place. On fonctionne un peu différemment. On a un temps, tous les quinze jours, qu’on appelle le lieu d’expression, où ceux qui veulent se rejoignent. Certains n’y vont jamais, certains ont besoin de se retrouver pour discuter, évacuer, papoter ou échanger sur des choses qu’ils ont vécues, plaisantes ou pas. Donc on essaie, pour l’instant on va dire, surtout de travailler là-dessus, mais il n’y a pas de temps d’entretien particulièrement dédié.

Frédéric Couchet : D’accord. De toute façon, quand il y a des temps tout au long de l’année, il n’y a pas forcément besoin d’un temps annuel une fois par an.
On va continuer cette discussion après la pause musicale, donc je vous invite à rester en ligne, évidemment.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons écouter Dark Creatures par Myuu. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Voix off : Cause Commune 93.1.

Pause musicale : Dark Creatures par Myuu.