Logiciel libre : modèle de société - François Pellegrini

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Titre : Le logiciel libre : un modèle de société

Intervenant : François Pellegrini

Lieu : Toulouse - Capitole du Libre

Date : Novembre 2011

Durée : 1 h 00 min 57

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00' Transcription MO

Bonjour à toutes et tous. On m'a sollicité pour faire une présentation un peu, j’allais dire gros bout de la lorgnette, sur le logiciel libre et donc de façon très modeste j'ai appelé ça « un modèle de société ». J'essaierai de vous expliquer où je veux en venir.

Premier point, on est confronté à un événement social qu'on appelle maintenant sans risques de se tromper la révolution numérique et [ah oui d'accord, ouais OK, effectivement la révolution numérique commence mal. Voyons voir hop, on ne va pas s’embêter, on va descendre la réso. Hop. Est-ce que ça, ça va marcher ? Ouais c'est mieux]. Donc avec un objet, au sens immatériel du terme, puisqu'on va parler du logiciel qui a un statut unique dans l'histoire de l’humanité parce que c’est finalement le premier outil de l'homme qui soit une extension de son esprit et non de son corps. Et ça, bien sûr, ça va avoir un impact, j'allais dire fondamental, sur la façon de produire et de traiter la connaissance.

En fait cette révolution numérique dont je veux vous parler, elle fait suite à deux révolutions dans le champ de la connaissance. La première ça a été la révolution de l'écriture entre moins quarante mille ans et puis moins trois mille où, pour la première fois, on a pu fixer de l’information sur un support et ça a permis socialement la création des premières cités-États des premiers empires. Et ce n'est donc pas étonnant que, finalement, toutes les traces archéologiques d'écriture qu'on retrouve soient majoritairement des traces administratives, des décomptes de têtes de moutons, etc., avant même, ensuite, de trouver des traces littéraires.

Et puis révolution de l’imprimerie, juste cinq cents ans auparavant, où, avec la mécanisation de la transmission de l’information sur le support, imprimerie puis radio, puis télévision, on a vu apparaître les États-nations avec des questions de standardisation, standardisation par exemple des claviers de machines à écrire ou des écartements de rails de chemin de fer dans le matériel, mais qui définissaient des sphères qui, ensuite, s'opposaient les unes aux autres.

Et on se retrouve maintenant avec la révolution numérique, finalement à faire l'inverse de la révolution de l'écriture. Il y a quarante mille ans on s'était fatigué à fixer de l’information sur un support. Avec la révolution numérique, on a réussi à extraire l'information du support pour la transformer en tas de 0 et de 1. Et à partir de là, on va pouvoir manipuler cette information de façon radicalement différente de précédemment.

Et de la même façon que dans la révolution industrielle la machine était l'objet et l’outil de cette révolution, le moyen, c’est-à-dire que l'humain avait commencé à fabriquer quelques machines qui ont servi à fabriquer des machines encore plus puissantes et des machines encore plus puissantes jusqu'à ce qu'une seule personne puisse agir sur énormément de matière grâce à une machine, eh bien on va se retrouver face au même phénomène dans la révolution numérique où grâce aux premiers logiciels qui ont servi à faire des échanges de courriers électroniques on a pu échanger encore plus d'informations. Et puis, à partir de ces informations, construire encore plus de logiciels encore plus malins, encore plus efficaces, et maintenant une seule personne peut manipuler, traiter, peut lier à sa volonté des quantités d'informations considérables.

Ça, ça s'est produit conjointement à l'arrivée d'un objet, lui aussi unique, qui va s'appeler Internet. Alors quand on met quatre PC en réseau pour jouer à des jeux, ce n'est pas Internet, c'est un réseau local. Quand une entreprise multinationale relie toutes ses filiales à travers un réseau privé, ce n'est pas Internet. Internet n'existe, il n'est que parce qu'il est unique. On le définit comme le réseau des réseaux et c'est ce qu'on appelle en économie, un bien commun. C'est un peu comme l'eau, comme l'air : à la fois ça n'appartient à personne et à la fois ça appartient à tout le monde et on doit le préserver comme appartenant à tout le monde. Et finalement, d'ailleurs, une grande question juridique actuellement c'est à qui appartient Internet ? Qui a le droit de censurer sur Internet ? Est-ce que chaque pays a le droit de faire son propre bout d'Internet en filtrant, ou pas ? Et donc on voit bien qu'on est exactement dans les mêmes problématiques que par rapport à l'eau ou l'air. On est face à un objet juridique nouveau, un bien commun nouveau.

Qui plus est, Internet, par rapport au modèle de l'industrie du divertissement et de la mécanisation de la diffusion, la révolution de l'imprimerie, va ré-horizontaliser les échanges. On avait un modèle totalement pyramidal où quelques-uns décidaient de l'information qui allait être consommée par des centaines de millions de personnes. On se retrouve avec un réseau a-centré dans lequel tout le monde peut échanger avec tout le monde. Et clairement ça dynamite tous les modèles économiques et sociaux qui avaient été édictés du temps de la mécanisation de l'imprimerie, en particulier avec la notion d'auteur. Le régime du droit d'auteur est un régime qui avait été conçu quand il y avait quelques auteurs et aussi un nombre assez petit de directeurs de salles de théâtre. C’était Beaumarchais qui avait, en France, créé la société des auteurs, avait fait édicter le droit d’auteur, c'était arrivé un petit peu avant aux États-Unis. Maintenant nous sommes tous des auteurs. Sur Internet une majorité de contenus est auto-produite. Et qui plus est, on se retrouve aussi face à des moyens de création collective. Nous sommes tous des auteurs parce qu'il ne se passe plus un événement dans le monde sans que quelqu'un, avec son téléphone mobile, le capte et l’envoie et l’échange sur des réseaux où il est dupliqué à des centaines voire des dizaines de milliers d’exemplaires

De ce fait d'ailleurs, quand on voit, quand on pense à Internet, Internet est le lieu de la copie. Quand vous demandez une page web sur un serveur, elle ne disparaît pas du serveur. Elle est copiée de machine en machine jusqu'à atterrir dans la mémoire de votre ordinateur puis sur la carte graphique. Et donc effectivement, vouloir interdire la copie sur Internet, c'est contraire à ce qu'est Internet, c'est, j'allais dire, techniquement impossible. Et donc on voit bien les conflits qui peuvent en découler.

Ceci parce que le fait d'avoir extrait l'information du support a radicalement changé les modèles économiques qui vont sous-tendre les échanges de cette information. En particulier, on va se trouver avec les biens informationnels, dans un cadre économique qui s'appelle celui des biens non rivaux. Un bien est rival quand on est en compétition pour : moi j'ai ma montre, si je vous la donne je ne l'ai plus. Si je vous donne idée, eh bien je l'ai toujours, vous l'avez aussi. Et donc effectivement, on se retrouve avec la numérisation à avoir un coût de copie de l'information qui est nul. Et ça aussi ça change complètement. Quand quelqu'un avait l'idée d'une voiture et fabriquait le prototype de la voiture, pour chaque voiture qu'il construisait il devait rajouter un bout d'acier, un bout d'électricité, un bout d'usine autour avec des ouvriers dedans. Chaque voiture coûtait un certain prix qui faisait qu'on ne pouvait pas la vendre au-dessous de ce prix.

Dans le monde numérique, la copie est identique à l'original : un 0 pour un 0, un 1 pour un 1, et elle s'effectue à coût nul. Parce que votre ordinateur fonctionne, eh bien il consomme de l'électricité que vous fassiez quelque chose ou que vous ne fassiez pas. Et finalement faire cliquer, copier, hop, hop, ou envoyer plein de courriels, ça ne vous coûte rien de plus que si la machine ne faisait rien. Bien sûr il y a un coût parce que l’électricité il faut la fabriquer, la machine il a fallu la fabriquer, mais tout ça c'est forfaitisé, c'est dilué. Ce qui fait que le coût de copie, le coût de l'acte de copie est fondamentalement nul et ça, ça veut dire que, finalement, un logiciel, dès le moment où son coût de développement a été amorti, vous pouvez le déployer en des millions d'exemplaires, ça ne vous coûte rien. Et donc un logiciel peut être distribué gratuitement dès le moment où son développement a été financé.

Autre point essentiel dans l’économie des biens informationnels, qui existait aussi dans l'économie matérielle a minima, c'est la notion d'effet de réseau. L'effet de réseau c'est que la valeur d'un bien augmente avec le nombre de personnes qui l'utilisent. S'il n'y a que deux personnes au monde qui ont le téléphone, est-ce que c'est intéressant que vous, vous ayez le téléphone ? Deux chances sur six milliards que vous connaissiez les personnes en question, ça ne vaut peut-être pas le coup. En revanche si 80 % de vos amis ont le téléphone, ça devient vachement intéressant d'avoir le téléphone pour organiser la prochaine soirée ou autre.

Et donc on se retrouve, grâce à Internet, avec une capacité d'innovation considérable. Pourquoi ? Parce qu'Internet est un réseau stupide. Ça peut paraître antinomique ce que je dis, mais pensez que avant, du temps du téléphone, c’était le central téléphonique qui possédait l'intelligence. Le combiné que vous aviez chez vous était un truc complètement idiot avec un micro, un haut-parleur et des bouts de fil. Vous ne pouviez rien en faire par vous-même, vous étiez obligé de passer par l'opérateur qui, sur son central, mettait en place des services, la conversation à trois, le renvoi d'appel. Et puis si vous n'étiez pas prêt à payer le prix, eh bien vous ne l'aviez pas. Et puis vous vouliez la conversation à quatre, eh bien l’opérateur vous dit « non, ça on ne l'a pas. » « Moi je la voudrais. » « Oui mais ça ne nous intéresse pas. » Et vous étiez prisonnier de ce que l'opérateur pouvait faire.

Avec Internet le réseau est stupide, il sert juste à acheminer les 0 et les 1 d'une machine à l'autre. Et l'intelligence est dans les logiciels que vous allez mettre sur chacun des ordinateurs. Et quand vous voulez un nouveau service, eh bien vous installez le logiciel qui va bien. Ça tombe bien, le coût de copie est nul, donc vous déployez à des centaines de milliers d'exemplaires et vous mettez en place un nouveau service. C'est comme ça que, par exemple, Skype est arrivé. Avant les opérateurs téléphoniques vous disaient que téléphoner aux États-Unis c'était un euro la minute. Tout d'un coup on vous dit : «  Eh bien non ! Tiens, maintenant c'est gratuit. » Et on voit effectivement, j'allais dire la révolution en termes de modèle économique que ça cause, et donc c'est pour ça qu'on parle vraiment de la révolution numérique.

Et donc ce marché est très volatile, puisqu’effectivement un service arrive, si un concurrent propose des nouvelles fonctionnalités, le coût de déploiement et d'installation d'un logiciel étant quasiment nul, eh bien le nouveau concurrent arrive, prend les parts de marché. Il y a une volatilité très grande ce qui va justement permettre une innovation et une vitesse d'innovation considérable qui n'a rien à voir avec ce qu'elle est dans le monde matériel.

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Donc effectivement, de quoi parle-t-on finalement quand on parle de logiciel ?