« Tout plaquer pour élever des logiciels libres - Marien Fressinaud » : différence entre les versions

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche
(Page créée avec « Catégorie:Transcriptions '''Titre :''' Tout plaquer pour élever des logiciels libres - Marien Fressinaud '''Intervenant :''' Marien Fressinaud '''Lieu :''' Ly... »)
 
Ligne 31 : Ligne 31 :


==Transcription==
==Transcription==
Merci à vous d’être venus pour cette conférence intitulée « Tout plaquer pour élever des logiciels libres.<br/>
Je vais déjà remercier les JdLL pour l’accueil et la salle des Rancy pour le lieu, c’est toujours agréable de se retrouver tous ensemble pour les JdLL.<br/>
Je vous ai déjà dit qu’il n’y aurait potentiellement pas de temps pour les questions, mais je vais faire de mon mieux. De toute façon les précédentes ont eu plus de temps. On verra. Comme ça c’est dit !
===Alix au travail===
Avant de commencer, je vais vous raconter une petite histoire, l’histoire d’Alix. Elle est développeuse dans une petite société de services. Elle est employée dans une entreprise et sa force de travail est vendue pour développer des logiciels pour d’autres entreprises. Actuellement son client c’est une banque. Ce n’est pas le client idéal, mais, au moins, c’est un client qui paye bien, en plus elle n’a pas besoin de se déplacer sur site, ce qui est plutôt une bonne situation dans les sociétés de services.<br/>
Elle se prépare, elle arrive au boulot, il est 9 heures et, première chose qu’elle fait, elle regarde ses mails. Elle n’en a qu’un, de son client, qui est intitulé très sobrement « Urgent ». Il lui demande d’importer des données générées par la banque dans l’outil qu’elle développe pour la banque et c’est à faire pour demain 9 heures, sachant que le mail a été envoyé la veille au soir, donc demain c’est aujourd’hui, 9 heures c’est maintenant.
Petit coup de stress pour Alix. Elle se dépêche, en un quart d’heure c’est réglé. Elle finit en envoyant un petit mail pour s’excuser du retard auprès de son client. Évidemment, elle ne pense pas vraiment ses excuses, c’est un peu la faute du client si elle est dans cette situation ! C’était un peu stressant, mais au moins c’est passé, ce n’est pas très fréquent donc çava.
Arrive midi. Elle se dépêche d’aller chercher à manger avec ses collègues parce qu’à 13 heures leur patron a mis une réunion d’équipe, c’est évidemment  le seul horaire qu’il ait trouvé ! Le pitch de la réunion c’est « on a du mal à trouver des clients qui nous intéressent, il va falloir communiquer un peu plus vers l’extérieur, ce serait bien que les devs s’y mettent un petit peu en écrivant des articles sur le blog, en participant à des conférences, en tenant des stands, etc. » La question de comment on organise tout ça, est-ce qu’on adapte les horaires, est-ce qu’on augmente les développeurs pour faire ce travail, est-ce qu’on adapte les fiches de poste, n’est pas su tout abordée. Alix sait très bien ce qu’il va se passer : il ne va rien se passer. C’est déjà au moins la troisième fois qu’elle participe à ce genre de réunion et ça ne change jamais. C’est un peu désolant, elle rage un petit peu, intérieurement mais c’est habituel et, au final, ce n’est que sa boîte et elle s’en fiche un petit peu.
La journée se poursuit. Elle bosse, elle bosse, elle bosse, déjà parce que ça lui plaît et puis ça fera plaisir à son client. Elle finit sa journée, elle rentre chez elle, elle s’effondre dans son canapé, elle est épuisée, elle n’en peut plus. Elle a plus ou moins prévu de faire du bénévolat le soir, mais là, ce soir, ça va être soirée canapé/film, elle ne va rien faire. Elle se dit « c’était crevant mais au moins aujourd’hui j’ai été bien productive, ce n’est pas si mal ! », tout en pensant productive pour qui ? Productive pour ma boîte ! Ça ne lui a pas apporté grand-chose.
Si je vous raconte cette histoire c’est parce que ça m’est arrivé, c’est un peu caricatural mais pas tant que ça. Je voulais illustrer tous ces petits désagréments qu’on a, qu’on peut avoir au quotidien dans son boulot et qu’on passe tout son temps à relativiser, tout le temps. J’ai eu une discussion, hier soir, avec quelqu’un qui relativisait beaucoup son cadre de travail et qui ne cherchait pas à l’améliorer, pour lui c’était secondaire. Pourtant, pour moi, tous ces petits désagréments c’est ce qui va faire qu’on va finir par ne plus rien ressentir au boulot ou qu’on va être contrarié, en colère ou crevé, voire ce qui peut mener aussi au burn-out et le burn-out ce n’est pas cool.<br/>
Je me suis retrouvé dans cette situation à un moment donné et la question s’est posée : est-ce que l’informatique est un truc que j’ai encore envie de faire ? J’ai répondu en restant, en continuant de faire de l’informatique.
===Pourquoi je n’ai pas quitté l’informatique===
Je vais vous parler de moi. Je vais me présenter. Je m’appelle Marien Fressinaud, je suis développeur de logiciels libres depuis 10 ans au moins, avant ça utilisateur depuis au moins 15 ans. Au fil du temps j’ai développé des logiciels. Le premier, le plus connu, c’est FreshRSS qui est un agrégateur de flux RSS, ça permet de suivre différents sites, blogs, etc., puis un certain nombre d’outils. Je gère aussi un service en ligne qui s’appelle Flus, qui est un service de veille, j’y reviendrai un peu plus tard.<br/>
À côté de ça je suis aussi bénévole chez Framasoft. Aujourd’hui je m’occupe principalement des aspects RGPD dans l’association, ça avance petit à petit mais ça avance.
En parallèle de tout ça, durant ces dix dernières années, j’ai aussi passé trois ans dans une grosse entreprise et trois ans dans une boîte de services, plus petite, beaucoup plus petite. Il faut noter que si, structurellement, ces boîtes n’avaient pas grand-chose à voir, elles m’ont mené au même questionnement. Ce que je faisais dans ces boîtes ne me plaisait du tout. On ne connaît pas le sens de ??? dans ces boîtes. En 2018, notamment, je me suis retrouvé dans une situation où j’étais en totale perte de sens de ce que je faisais au boulot, jusqu’à ce qu’on me parle d’un évènement qui a été assez clé dans ma démarche, qui s’appelle Sud Web.
===Sud Web===
Sud Web était une conférence qui se passait dans le Sud, qui parlait de Web. Ce qui est intéressant c’est qu’il y avait beaucoup de discussions en parallèle des conférences, très orientées autour de la recherche de sens au boulot, très axées sur l’humain. C’est exactement ce dont j’avais besoin à ce moment-là et j’ai réalisé que ma carrière professionnelle était posée sur un rail et que je n’avais plus du tout la maîtrise de ma carrière. J’ai eu le déclic de me dire « je veux reprendre la main là-dessus et je veux retrouver du sens dans ce que je veux faire. Est-ce que je veux encore faire de l’informatique ? Est-ce que je n’irais pas élever des chèvres dans la Creuse, retour aux sources pour moi ? » Et je ne l’ai pas fait pour plusieurs raisons.
Première raison, la société se numérise, qu’on le veuille ou non elle se numérise de plus en plus et pas forcément en bien. Et moi je suis développeur, je maîtrise le code et, du coup, je me dis que je peux être utile pour essayer de recadrer un peu ce numérique. En plus j’adore ça, c’est peut-être le point qui m’a pris le plus de temps à réaliser, mais vraiment, le truc que je kiffe c’est développer des logiciels. Il y a un dernier point, qui est peut-être plus évident, c’est que je n’ai pas trop envie d’aller élever des chèvres. J’ai de la famille dans l’agriculture, je sais ce que ça implique, et ce n’est pas un truc qui me fait spécialement envie.<br/>
Donc il y a des raisons pour rester dans l’informatique, je vous assure.
===Le sens du logiciel libre===
L’une des raisons c’est que je veux bien faire de l’informatique, mais je veux trouver du sens. Je pense trouver le sens dans le logiciel libre, mais, pour ça, il faut bien définir ce qu’est le logiciel libre. À priori, si on s’en tient à la définition par défaut, le logiciel libre c’est quatre libertés assurées aux utilisateurs, c’est important de le préciser, de replacer l’utilisateur :
<ul>
<li>la première c’est la liberté d’exécuter le logiciel ;</li>
<li>la liberté d’étudier son code source ;</li>
<li>la liberté de le distribuer à ses proches, à ses collègues, etc. ;</li>
<li>la liberté de l’améliorer et de redistribuer les améliorations.
</ul>
Si on s’en tient à cette définition, on peut se poser la question : est-ce que ça suffit pour trouver du sens dans son boulot ?
Si je prends l’exemple de Google, Google libère le code d’Android qui est sous licence Apache – je ne rentre pas dans le détail de « est-ce que c’est entièrement libre ou pas ? » –, eh bien il se trouve qu’il publie du code source sous licence libre. S je devais me retrouver à bosser pour Google, pour travailler sur Android, j’aurais quelques soucis à trouver le sens de mon boulot. Pour ça, à mon avis, il faut aller plus loin dans la définition et là je me base sur un article que j’ai écrit en 2018, que j’avais intitulé « Ce qui nous pousse au Libre », un article qui explique ce que moi, en tant que développeur, je trouve d’intéressant dans le logiciel libre, ce qui me pousse à en écrire. Il y avait plusieurs raisons.
La première raison c’était l’apprentissage. En écrivant on apprend et, en faisant du Libre, on bénéficie des retours des autres développeurs. Il y a le plaisir, parce qu’on se consacre généralement à quelque chose qui nous plaît qu’on trouve intéressant en lui-même et il y a la partage. On partage le code, on partage aussi nos connaissances, du coup on travaille pour soi-même, mais on travaille aussi pour les autres. Il y a encore un quatrième point qui est vraiment déterminant pour moi dans tout ça, c’est l’éthique. L’éthique c’est vague, c’est un peu subjectif, mais on peut la définir par le fait de vraiment se consacrer à ce que le logiciel reste au service de l’utilisateur.
Si je reprends l’exemple de Google avec Android, il suffit que vous preniez un téléphone Android fourni par Google et vous allez très vite vous rendre compte que, pour l’utiliser, vous allez être enfermé dans l’écosystème de Google. Pour moi, ce n’est pas ce qui s’appelle rester au service de l’utilisateur, c’est plutôt l’utilisateur qui est au service du logiciel, qui est au service de Google.
À Framasoft on a l’habitude de définir l’éthique comme étant ce qui fait la différence entre le mouvement du logiciel libre et le mouvement de l’<em>open source</em>. L’<em>open source</em> étant du Libre sans éthique ; c’est notre façon de voir les choses.
Donc l’éthique c’est ce qui me sert de boussole, ce qui va me servir de boussole quand je vais faire du Libre. Quand je vais annoncer que je fais du logiciel libre, j’annonce à mes utilisateurs « je vous respecte en tant qu’individu », même si certain, on va le voir, sont des clients, eh bien cette petite boussole que je garde en tête va influencer ma façon de réfléchir. Ce n’est pas forcément inné, ce n’est pas parce que je libère mon code que je respecte mes utilisateurs. Il faut garder dans l’esprit qu’il va falloir aller plutôt dans ce sens-là ; ça me sert de boussole.
==13’ 18==

Version du 24 octobre 2022 à 11:32


Titre : Tout plaquer pour élever des logiciels libres - Marien Fressinaud

Intervenant : Marien Fressinaud

Lieu : Lyon - JdLL 2022

Date : 2 avril 2022

Durée : 56 min 36

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcrit MO

Description

Retour d’expérience personnel : comment gagner sa vie avec du logiciel libre ?

Vous vous ennuyez dans votre job actuel ? Votre patron est insupportable et vos collègues vous ennuient ? En plus le baby-foot est cassé et le café insipide… Avez-vous songé à tout plaquer pour vivre votre meilleure vie ? Tout plaquer pour élever des logiciels libres ?

Je me suis lancé il y a plus de deux ans avec Flus. Je vous propose un retour d’expérience — pas du tout exhaustif — sur les pourquoi et comment je me suis lancé. Je vous parlerai de tout ce à quoi il faut penser, de mes techniques pour ne rater aucune échéance de déclaration de chiffre d’affaires à pourquoi j’utilise le vouvoiement lorsque je fais du support. Je vous expliquerai évidemment ce que j’ai appris et, surtout, ce qui n’a pas marché. Je ne parlerai pas d’échec, mais peut-être me poserai-je la question de savoir si, tout compte fait, je ne devrais pas arrêter.

Transcription

Merci à vous d’être venus pour cette conférence intitulée « Tout plaquer pour élever des logiciels libres.
Je vais déjà remercier les JdLL pour l’accueil et la salle des Rancy pour le lieu, c’est toujours agréable de se retrouver tous ensemble pour les JdLL.
Je vous ai déjà dit qu’il n’y aurait potentiellement pas de temps pour les questions, mais je vais faire de mon mieux. De toute façon les précédentes ont eu plus de temps. On verra. Comme ça c’est dit !

Alix au travail

Avant de commencer, je vais vous raconter une petite histoire, l’histoire d’Alix. Elle est développeuse dans une petite société de services. Elle est employée dans une entreprise et sa force de travail est vendue pour développer des logiciels pour d’autres entreprises. Actuellement son client c’est une banque. Ce n’est pas le client idéal, mais, au moins, c’est un client qui paye bien, en plus elle n’a pas besoin de se déplacer sur site, ce qui est plutôt une bonne situation dans les sociétés de services.
Elle se prépare, elle arrive au boulot, il est 9 heures et, première chose qu’elle fait, elle regarde ses mails. Elle n’en a qu’un, de son client, qui est intitulé très sobrement « Urgent ». Il lui demande d’importer des données générées par la banque dans l’outil qu’elle développe pour la banque et c’est à faire pour demain 9 heures, sachant que le mail a été envoyé la veille au soir, donc demain c’est aujourd’hui, 9 heures c’est maintenant.

Petit coup de stress pour Alix. Elle se dépêche, en un quart d’heure c’est réglé. Elle finit en envoyant un petit mail pour s’excuser du retard auprès de son client. Évidemment, elle ne pense pas vraiment ses excuses, c’est un peu la faute du client si elle est dans cette situation ! C’était un peu stressant, mais au moins c’est passé, ce n’est pas très fréquent donc çava.

Arrive midi. Elle se dépêche d’aller chercher à manger avec ses collègues parce qu’à 13 heures leur patron a mis une réunion d’équipe, c’est évidemment  le seul horaire qu’il ait trouvé ! Le pitch de la réunion c’est « on a du mal à trouver des clients qui nous intéressent, il va falloir communiquer un peu plus vers l’extérieur, ce serait bien que les devs s’y mettent un petit peu en écrivant des articles sur le blog, en participant à des conférences, en tenant des stands, etc. » La question de comment on organise tout ça, est-ce qu’on adapte les horaires, est-ce qu’on augmente les développeurs pour faire ce travail, est-ce qu’on adapte les fiches de poste, n’est pas su tout abordée. Alix sait très bien ce qu’il va se passer : il ne va rien se passer. C’est déjà au moins la troisième fois qu’elle participe à ce genre de réunion et ça ne change jamais. C’est un peu désolant, elle rage un petit peu, intérieurement mais c’est habituel et, au final, ce n’est que sa boîte et elle s’en fiche un petit peu.

La journée se poursuit. Elle bosse, elle bosse, elle bosse, déjà parce que ça lui plaît et puis ça fera plaisir à son client. Elle finit sa journée, elle rentre chez elle, elle s’effondre dans son canapé, elle est épuisée, elle n’en peut plus. Elle a plus ou moins prévu de faire du bénévolat le soir, mais là, ce soir, ça va être soirée canapé/film, elle ne va rien faire. Elle se dit « c’était crevant mais au moins aujourd’hui j’ai été bien productive, ce n’est pas si mal ! », tout en pensant productive pour qui ? Productive pour ma boîte ! Ça ne lui a pas apporté grand-chose.

Si je vous raconte cette histoire c’est parce que ça m’est arrivé, c’est un peu caricatural mais pas tant que ça. Je voulais illustrer tous ces petits désagréments qu’on a, qu’on peut avoir au quotidien dans son boulot et qu’on passe tout son temps à relativiser, tout le temps. J’ai eu une discussion, hier soir, avec quelqu’un qui relativisait beaucoup son cadre de travail et qui ne cherchait pas à l’améliorer, pour lui c’était secondaire. Pourtant, pour moi, tous ces petits désagréments c’est ce qui va faire qu’on va finir par ne plus rien ressentir au boulot ou qu’on va être contrarié, en colère ou crevé, voire ce qui peut mener aussi au burn-out et le burn-out ce n’est pas cool.
Je me suis retrouvé dans cette situation à un moment donné et la question s’est posée : est-ce que l’informatique est un truc que j’ai encore envie de faire ? J’ai répondu en restant, en continuant de faire de l’informatique.

Pourquoi je n’ai pas quitté l’informatique

Je vais vous parler de moi. Je vais me présenter. Je m’appelle Marien Fressinaud, je suis développeur de logiciels libres depuis 10 ans au moins, avant ça utilisateur depuis au moins 15 ans. Au fil du temps j’ai développé des logiciels. Le premier, le plus connu, c’est FreshRSS qui est un agrégateur de flux RSS, ça permet de suivre différents sites, blogs, etc., puis un certain nombre d’outils. Je gère aussi un service en ligne qui s’appelle Flus, qui est un service de veille, j’y reviendrai un peu plus tard.
À côté de ça je suis aussi bénévole chez Framasoft. Aujourd’hui je m’occupe principalement des aspects RGPD dans l’association, ça avance petit à petit mais ça avance.

En parallèle de tout ça, durant ces dix dernières années, j’ai aussi passé trois ans dans une grosse entreprise et trois ans dans une boîte de services, plus petite, beaucoup plus petite. Il faut noter que si, structurellement, ces boîtes n’avaient pas grand-chose à voir, elles m’ont mené au même questionnement. Ce que je faisais dans ces boîtes ne me plaisait du tout. On ne connaît pas le sens de ??? dans ces boîtes. En 2018, notamment, je me suis retrouvé dans une situation où j’étais en totale perte de sens de ce que je faisais au boulot, jusqu’à ce qu’on me parle d’un évènement qui a été assez clé dans ma démarche, qui s’appelle Sud Web.

Sud Web

Sud Web était une conférence qui se passait dans le Sud, qui parlait de Web. Ce qui est intéressant c’est qu’il y avait beaucoup de discussions en parallèle des conférences, très orientées autour de la recherche de sens au boulot, très axées sur l’humain. C’est exactement ce dont j’avais besoin à ce moment-là et j’ai réalisé que ma carrière professionnelle était posée sur un rail et que je n’avais plus du tout la maîtrise de ma carrière. J’ai eu le déclic de me dire « je veux reprendre la main là-dessus et je veux retrouver du sens dans ce que je veux faire. Est-ce que je veux encore faire de l’informatique ? Est-ce que je n’irais pas élever des chèvres dans la Creuse, retour aux sources pour moi ? » Et je ne l’ai pas fait pour plusieurs raisons.

Première raison, la société se numérise, qu’on le veuille ou non elle se numérise de plus en plus et pas forcément en bien. Et moi je suis développeur, je maîtrise le code et, du coup, je me dis que je peux être utile pour essayer de recadrer un peu ce numérique. En plus j’adore ça, c’est peut-être le point qui m’a pris le plus de temps à réaliser, mais vraiment, le truc que je kiffe c’est développer des logiciels. Il y a un dernier point, qui est peut-être plus évident, c’est que je n’ai pas trop envie d’aller élever des chèvres. J’ai de la famille dans l’agriculture, je sais ce que ça implique, et ce n’est pas un truc qui me fait spécialement envie.
Donc il y a des raisons pour rester dans l’informatique, je vous assure.

Le sens du logiciel libre

L’une des raisons c’est que je veux bien faire de l’informatique, mais je veux trouver du sens. Je pense trouver le sens dans le logiciel libre, mais, pour ça, il faut bien définir ce qu’est le logiciel libre. À priori, si on s’en tient à la définition par défaut, le logiciel libre c’est quatre libertés assurées aux utilisateurs, c’est important de le préciser, de replacer l’utilisateur :

  • la première c’est la liberté d’exécuter le logiciel ;
  • la liberté d’étudier son code source ;
  • la liberté de le distribuer à ses proches, à ses collègues, etc. ;
  • la liberté de l’améliorer et de redistribuer les améliorations.

Si on s’en tient à cette définition, on peut se poser la question : est-ce que ça suffit pour trouver du sens dans son boulot ?

Si je prends l’exemple de Google, Google libère le code d’Android qui est sous licence Apache – je ne rentre pas dans le détail de « est-ce que c’est entièrement libre ou pas ? » –, eh bien il se trouve qu’il publie du code source sous licence libre. S je devais me retrouver à bosser pour Google, pour travailler sur Android, j’aurais quelques soucis à trouver le sens de mon boulot. Pour ça, à mon avis, il faut aller plus loin dans la définition et là je me base sur un article que j’ai écrit en 2018, que j’avais intitulé « Ce qui nous pousse au Libre », un article qui explique ce que moi, en tant que développeur, je trouve d’intéressant dans le logiciel libre, ce qui me pousse à en écrire. Il y avait plusieurs raisons.

La première raison c’était l’apprentissage. En écrivant on apprend et, en faisant du Libre, on bénéficie des retours des autres développeurs. Il y a le plaisir, parce qu’on se consacre généralement à quelque chose qui nous plaît qu’on trouve intéressant en lui-même et il y a la partage. On partage le code, on partage aussi nos connaissances, du coup on travaille pour soi-même, mais on travaille aussi pour les autres. Il y a encore un quatrième point qui est vraiment déterminant pour moi dans tout ça, c’est l’éthique. L’éthique c’est vague, c’est un peu subjectif, mais on peut la définir par le fait de vraiment se consacrer à ce que le logiciel reste au service de l’utilisateur.

Si je reprends l’exemple de Google avec Android, il suffit que vous preniez un téléphone Android fourni par Google et vous allez très vite vous rendre compte que, pour l’utiliser, vous allez être enfermé dans l’écosystème de Google. Pour moi, ce n’est pas ce qui s’appelle rester au service de l’utilisateur, c’est plutôt l’utilisateur qui est au service du logiciel, qui est au service de Google.

À Framasoft on a l’habitude de définir l’éthique comme étant ce qui fait la différence entre le mouvement du logiciel libre et le mouvement de l’open source. L’open source étant du Libre sans éthique ; c’est notre façon de voir les choses.

Donc l’éthique c’est ce qui me sert de boussole, ce qui va me servir de boussole quand je vais faire du Libre. Quand je vais annoncer que je fais du logiciel libre, j’annonce à mes utilisateurs « je vous respecte en tant qu’individu », même si certain, on va le voir, sont des clients, eh bien cette petite boussole que je garde en tête va influencer ma façon de réfléchir. Ce n’est pas forcément inné, ce n’est pas parce que je libère mon code que je respecte mes utilisateurs. Il faut garder dans l’esprit qu’il va falloir aller plutôt dans ce sens-là ; ça me sert de boussole.

13’ 18