Différences entre les versions de « Les défis soulevés par la géopolitique du cyberespace sur le droit »

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Pour terminer la régulation des grands groupes, là je pense qu’on est complètement dans une situation de schizophrénie absolue, c’est-à-dire que l’État et l’Europe se sont désarmés totalement face aux grands groupes pour des raisons idéologiques qui ont dominé pendant 40 ans et on s’étonne, maintenant, d’avoir du mal à s’attaquer à des groupes comme Apple, Facebook, Qualcomm ou d’autres. Le Sénat a relayé hier un arrêt pathétique du tribunal de l’Union européenne, ce n’est pas encore en appel, sur Qualcomm ; j’ai lu la décision rapidement hier soir, je suis tombé de ma chaise tellement c’est idiot, franchement ! On pourra en discuter si vous voulez, je ne vais pas empiéter sur le temps de mes collègues.<br/>
 
Pour terminer la régulation des grands groupes, là je pense qu’on est complètement dans une situation de schizophrénie absolue, c’est-à-dire que l’État et l’Europe se sont désarmés totalement face aux grands groupes pour des raisons idéologiques qui ont dominé pendant 40 ans et on s’étonne, maintenant, d’avoir du mal à s’attaquer à des groupes comme Apple, Facebook, Qualcomm ou d’autres. Le Sénat a relayé hier un arrêt pathétique du tribunal de l’Union européenne, ce n’est pas encore en appel, sur Qualcomm ; j’ai lu la décision rapidement hier soir, je suis tombé de ma chaise tellement c’est idiot, franchement ! On pourra en discuter si vous voulez, je ne vais pas empiéter sur le temps de mes collègues.<br/>
Là encore, on est en totale schizophrénie, c’est-à-dire qu’on s’est complètement désarmé face aux grands groupes et maintenant on se plaint qu’ils sont en position de force. Eh bien oui ! Ils sont en position de force, c’est à peu près évident et, en plus, quand on les pourchasse pour de mauvaises raisons ! Faire à Apple le procès du fait qu’ils utilisent les avantages fiscaux existantsen Irlande, ce n’est pas à Apple qu’il faut s’en prendre, à mon avis c’est plutôt à Irlande. Là, je trouve que l’action diplomatique est un petit peu en retrait.
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Là encore, on est en totale schizophrénie, c’est-à-dire qu’on s’est complètement désarmé face aux grands groupes et maintenant on se plaint qu’ils sont en position de force. Eh bien oui ! Ils sont en position de force, c’est à peu près évident et, en plus, quand on les pourchasse pour de mauvaises raisons ! Faire à Apple le procès du fait qu’ils utilisent les avantages fiscaux existants en Irlande, ce n’est pas à Apple qu’il faut s’en prendre, à mon avis c’est plutôt à Irlande. Là, je trouve que l’action diplomatique est un petit peu en retrait.
  
 
==Intervention de Stéphane Bortzmeyer==
 
==Intervention de Stéphane Bortzmeyer==
  
 
<b>Jean Peeters : </b>Merci beaucoup.
 
<b>Jean Peeters : </b>Merci beaucoup.

Version du 24 avril 2023 à 18:33


Titre : Les défis soulevés par la géopolitique du cyberespace sur le droit

Intervenant·e·s : Jean Peeters - Didier Danet - Francesca Musiani - Stéphane Bortzmeyer

Lieu : Rennes - IODE - Institut de l'Ouest : Droit et Europe - Colloque « Souveraineté numérique »

Date : 16 juin 2022

Durée : 1 h 19 min 30

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Jean Peeters : Je vous propose de commencer cette première table ronde. Je suis Jean Peeters  professeur à l’université Bretagne-Sud et aussi titulaire de la chaire Cyber et souveraineté numérique à l’IHEDN [Institut des hautes études de défense nationale].
Le programme est un petit peu modifié. Une personne qui devait parler n’est pas présente donc nous n’auront pas son intervention. C’est Monsieur Rogiers Creemers, qui intervenait demain matin en premier, qui va intervenir sur cette table ronde en quatrième position. On aura aussi des intervenants qui sont distants. Si j’ai bien compris, vous êtes tenus à 15 minutes chacun, je suis le maître du temps.
Je vous propose de commencer tout de suite avec Didier Danet de l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan sur la diplomatie du numérique pour 15 minutes.

Intervention de Didier Danet – Diplomatie numérique : quels enjeux ?

Didier Danet : Merci Monsieur le président.
Le thème que je traite cet après-midi, donc la diplomatie numérique, avec l’idée d’essayer de cerner un peu les enjeux de cette thématique. Je ne suis pas un spécialiste de diplomatie numérique, mon métier c'est plutôt de travailler sur la cyberdéfense et de former des militaires à ces questions-là. Je vais donc avoir une approche qui manquera peut-être un petit peu de nuances par rapport à ce que font les diplomates actuellement. J’aurais plus l’approche du militaire qui met peut-être un petit peu les pieds dans le plat de temps en temps.

Ceci étant, je dis tout de suite que je suis bien évidemment en faveur de la diplomatie numérique. Il est bien évident que l’État a des intérêts à faire prévaloir dans l’ordre international et en matière de numérique, il est bien évident qu’il y a des menaces, etc. Au-delà de cette évidence que tout État a à développer une action dans le domaine numérique, que tout État a des intérêts à défendre, a des positions à faire valoir, doit donc développer une déclinaison de sa politique étrangère en matière de numérique, une fois le constat sur lequel, je pense, tout le monde sera d’accord, il n’y a pas à discuter, j’ai été amené à essayer de me poser deux questions. La première c’est la question du pourquoi : sur quel fondement l’État intervient-il dans la politique étrangère en matière de numérique ? Quelles sont les raisons qui l’ont poussé à le faire ? Quels sont les arguments qui sont régulièrement développés pour appuyer l’intervention de l’État et justifier un certain nombre de mesures qu’il est amené à prendre. C’est donc plutôt la question de la légitimité de l’intervention, les fondements de l’intervention et peut-être les critiques qu’on pourrait adresser, je vais employer le mot, à certains des mythes qui fondent l’intervention de l’État dans les relations internationales.
La deuxième question, une fois qu’on a regardé pourquoi l’État intervient, développe une politique en matière de relations internationales numérique : quels sont les domaines sont couverts ? Dans quels domaines l’État s’investit-il et avec quelle efficacité produit-il son action ?
Il y a donc deux parties dans cette présentation rapide : la partie concernant le pourquoi de l’intervention et la question des résultats.

Cette première diapo était faite pour évacuer une des thématiques possibles quand on parle de diplomatie numérique qui est l’influence du numérique sur la diplomatie, sur les pratiques diplomatiques, sur la manière dont on conduit la diplomatie, donc sur la numérisation de la diplomatie. Il y a beaucoup de choses très intéressantes, mais, compte-tenu du quart d’heure qui nous a été donné, ce n'est pas le thème qui me paraissait le plus important, j’ai préféré le mettre de côté.

Diplomatie numérique : les fondements

La première question c’est évidemment la question des fondements de la diplomatie du numérique dans un État comme la France. Autrement dit, pourquoi faudrait-il avoir une politique étrangère en matière de numérique ? Pourquoi faudrait-il que le ministère des Affaires étrangères se mêle de numérique ?
Tout à l’heure on nous a dit que c’était l’affaire du ministère de l’Économie, donc la dimension intérieure du numérique, mais il y a aussi une dimension extérieure. Déjà, ça veut dire qu’il y a au moins deux ministres qui peuvent revendiquer une responsabilité dans le domaine du numérique et, on le sait, la France a un ambassadeur pour le numérique, ça veut dire que la chose a été institutionnalisée. Ce n’est pas simplement un domaine dans lequel les diplomates interviennent, il y a un ambassadeur pour le numérique, avec des moyens propres, qui développe son action à l’extérieur de nos frontières.

Les trois mythes fondateurs

Trois choses me paraissent devoir être questionnées concernant cette intervention de l’État dans le domaine du numérique et, en particulier, dans le domaine extérieur.
Première chose qui me paraît devoir être questionnée, c’est le thème récurrent qui revient systématiquement, notamment dans le discours du ministère des Affaires étrangères qui est : il faut que l’État intervienne parce que nous sommes sous la menace, et ce n’est qu’une question de temps, ça va arriver, d’un effondrement de notre système nerveux numérique, ce qu’on peut appeler le Cyber Pearl Harbor, si on se place d’une attaque extérieure, ou le Cyber Tchernobyl si on se place dans l’hypothèse d’un accident industriel, du Cyber Armageddon, si on veut donner un côté un peu américain et religieux. Bref !, ce premier mythe me parait devoir être quand même beaucoup questionné parce que je ne pense pas qu’on soit sous la menace imminente et inéluctable d’un effondrement total de nos infrastructures et de nos réseaux. Mais, comme c'est un argument qui est constamment employé, je pense qu’il faudrait pouvoir le mettre en débat. Je n’ai pas eu le temps de développer l’idée, je la mets simplement en discussion. Si vous voulez, on pourra revenir sur cette idée d’un Cyber Pearl Harbor permanent qui justifierait l’intervention de l’État en tant que puissance souveraine et capable de défendre la nation contre cet effondrement.

Le deuxième élément qu’on trouve très souvent justement dans le discours MAE c’est la question de la souveraineté numérique. C’est un thème qui est effectivement au cœur du débat, je ne vais pas le développer complètement, là encore je pense que c’est un thème sur lequel il faudrait revenir. Je pense qu’il y a un certain nombre d’erreurs d’analyse dans le domaine des craintes qu’on exprime et on peut les reprendre rapidement, les citer. Si vous prenez, par exemple, le rapport Longuet qui est, me semble-t-il, l’expression paradigmatique des craintes que l’on peut avoir en matière de souveraineté, le rapport Longuet disait que la puissance économique des grands acteurs du numérique – suivez mon regard, évidemment les GAFAM – nous menace dans notre souveraineté militaire, nous sommes sous la dépendance des GAFAM dans le domaine militaire ; on l’est dans le domaine juridique avec cette thématique de l’exterritorialité, etc. ; on l’est dans le domaine économique, c’est-à-dire que les GAFAM sont en mesure de s’approprier toutes les bonnes idées, les startups, etc., dont ils auraient besoin, donc ils abusent de leur puissance économique ; on serait menacé dans le domaine monétaire : les GAFAM seraient en mesure de créer leur propre monnaie, etc. Ce sont donc les quatre grandes menaces qui étaient évoquées dans le rapport Longuet, on pourrait en rajouter, lesdécliner quasiment à l’infini. Avec la crise du Covid on a vu qu’on était menacé dans notre souveraineté sanitaire. Quand les GAFAM nous ont dit « nous n’appliquerons pas, nous ne mettrons pas en œuvre votre application si belle soit-elle », on a bien compris qu’on était un petit peu à leur merci concernant quand même un outil de lutte contre une pandémie. On le ressent aussi dans le domaine culturel. On a vu très récemment une affaire un peu ridicule, de la présidente de France Télévisions s’offusquant que le match Nadal/Djokovic allait être le soir et passer sur Amazon qui avait payé 10 millions, soit plus que France Télévisions, on parle de souveraineté culturelle et sportive.
Il y a un certain nombre de choses qu’il faudrait reprendre parce qu’elles sont, en fait, un petit peu ridicules. Je pense que notre souveraineté n’est pas menacée de manière aussi évidente ou qu’elle l’est depuis très longtemps. Mon épicière bio, à côté de chez moi, menace la souveraineté monétaire, elle participe à un système d’échange local avec une monnaie bizarroïde que je n’utilise pas personnellement, mais, je crois qu’avec le coiffeur ils échangent des coupes de cheveux contre des poires, c’est un truc très compliqué qui est aussi une forme de création monétaire ; bien sûr ce n’est pas Amazon, mais ça fait très longtemps que l’État n’est plus totalement souverain en matière monétaire. On est sorti de ??? quand même depuis un certain temps.
Il faudrait donc revenir sur cette question : dans quelle mesure notre souveraineté numérique est-elle véritablement menacée ? Cette peur panique qu’on a de voir notre souveraineté délitée ne nous amène-t-elle pas à des solutions qui ne sont pas forcément les bonnes ?

Le dernier élément c’est l’argument de la vie démocratique qui est poussé, là aussi, par le ministère des Affaires étrangères, avec l’idée que les algorithmes tout puissants plus l’adhésion des individus à des réseaux sociaux qui les orientent, qui les enferment dans des bulles démocratiques conduit à une menace pour la vie démocratique de ce pays. Là encore, je veux bien tout ce qu’on veut, mais ce n’est pas nouveau. Si vous commencez votre journée le matin par Europe 1, vous passez ensuite sur BFM ou sur CNews et vous terminez par la lecture de Valeurs actuelles le soir, vous êtes aussi dans une bulle, très clairement. Ce n’est pas un algorithme, ce sont des gens, mais il est évident qu’on est aussi dans des bulles d’enfermement. Ces bulles d’enfermement ne me paraissent pas de nature à justifier une intervention de l’État aussi directive dans la vie des médias, dans la vie des réseaux sociaux, etc.

Il y a trois thématiques qui me paraissent effectivement intéressantes à reprendre pour les discuter et voir quel est réellement l’état de la menace. Bien sûr qu’il y a des menaces, mais je ne suis pas sûr qu’en ayant un combiné ces trois menaces-là, finalement qu’il ne nous reste plus qu’à mourir si on écoute ce discours-là, je pense qu’on pourrait avoir une approche plus nuancée, plus focalisée sur des vraies menaces et pas des menaces qui me paraissent un petit peu chimiques.

Diplomatie numérique : les domaines

Ensuite les domaines. C’est l’autre question : dans quels domaines la diplomatie française s’investit-elle le plus ? Quelles sont les thématiques qu’elle traite, avec quelle efficacité ou quel retour ? Il y a un très beau schéma dans le dernier rapport d’activité de l’ambassadeur pour le numérique avec de jolies couleurs, qui fait apparaître en gros cinq grandes thématiques : les questions de sécurité en rouge ; les questions d’influence en bleu à droite ; les questions de gouvernance de l’Internet à gauche et les questions de diplomatie économique en bas.
Là encore, il pourrait être évidemment extrêmement intéressant de reprendre chacun de ces éléments un par un, d’en regarder le contenu, regarder comment ils sont appréhendés, ce qu’on avance comme éléments, quelles sont les positions de l’État français dans le domaine international, etc., et on pourrait évidemment se poser la question de la réussite, la question des objectifs, la question de l’efficacité de cette action.
Je ne prendrais qu’un exemple, qui est celui que je connais le moins mal, celui de la diplomatie économique. Là encore, il est bien évident que tous les États ont des intérêts économiques à défendre, à promouvoir, à débattre avec les autres ; c’est évident. Pour ce qui est de l’action diplomatique française, on voit qu’il y a en gros trois grands domaines, trois grandes déclinaisons : la première c’est le soutien aux acteurs français du numérique ; la deuxième c’est la régulation des grands groupes ; et la troisième c’est la technique, la tech comme on dit, la tech au service du bien commun.
Je vais laisser ce troisième élément qui me parait relever un petit peu de la fantaisie diplomatique. Franchement, je n’en vois pas l’intérêt ! Il faut relire Mireille Delmas-Marty, on aura une idée beaucoup plus claire de ce qu’est la technologie aujourd’hui et du fait que les bons côtés sont inséparables des mauvais, qu’il faut les prendre comme un tout et ne pas essayer de séparer les bons côtés des mauvais. Il faut vraiment que les gens du Quai d’Orsay lisent Mireille Delmas.

Les deux autres questions.
Sur l’efficacité, l’amiral Coustillière a dit, à mon avis, ce qu’il fallait dire : malheureusement, on a une très longue expérience de colbertisme high-tech qui se traduit par un gaspillage des deniers publics absolument effréné aussi bien du côté des très grands groupes – on l’a vu avec le cloud français, le cloud souverain qui a été une parodie de ce qu’il faut faire – qu’avec des petites startups qui sont plus fortes pour décrocher des subventions publiques que pour produire réellement quelque chose. Il faudrait vraiment qu’il y ait une évaluation extrêmement rigoureuse qui soit faite de ce soutien aux entreprises pour ne pas soutenir n’importe quoi n’importe comment. Je pense qu’il y a vraiment un effort à faire pour avoir une approche beaucoup plus stricte de ce qu’il faut soutenir et de ce qu’il n’est pas utile de soutenir.

Pour terminer la régulation des grands groupes, là je pense qu’on est complètement dans une situation de schizophrénie absolue, c’est-à-dire que l’État et l’Europe se sont désarmés totalement face aux grands groupes pour des raisons idéologiques qui ont dominé pendant 40 ans et on s’étonne, maintenant, d’avoir du mal à s’attaquer à des groupes comme Apple, Facebook, Qualcomm ou d’autres. Le Sénat a relayé hier un arrêt pathétique du tribunal de l’Union européenne, ce n’est pas encore en appel, sur Qualcomm ; j’ai lu la décision rapidement hier soir, je suis tombé de ma chaise tellement c’est idiot, franchement ! On pourra en discuter si vous voulez, je ne vais pas empiéter sur le temps de mes collègues.
Là encore, on est en totale schizophrénie, c’est-à-dire qu’on s’est complètement désarmé face aux grands groupes et maintenant on se plaint qu’ils sont en position de force. Eh bien oui ! Ils sont en position de force, c’est à peu près évident et, en plus, quand on les pourchasse pour de mauvaises raisons ! Faire à Apple le procès du fait qu’ils utilisent les avantages fiscaux existants en Irlande, ce n’est pas à Apple qu’il faut s’en prendre, à mon avis c’est plutôt à Irlande. Là, je trouve que l’action diplomatique est un petit peu en retrait.

Intervention de Stéphane Bortzmeyer

Jean Peeters : Merci beaucoup.